1. Kenneth Goldsmith - L’écriture sans écriture (ouvrage publié en 2011) (https://journals.openedition.org/marges/1707) Publié en 2011, l’ouvrage de Kenneth Goldsmith est rapidement devenu un classique de la littérature conceptuelle américaine et sa traduction française par François Bon vient de paraître. Poète, artiste et théoricien, Goldsmith centre son essai sur la notion d’Uncreative Writing – ici traduite comme une «écriture sans écriture» – qu’il définit comme une conséquence de la révolution numérique. Comparant le bouleversement provoqué dans notre rapport à l’écriture par le passage à l’ère numérique au 21esiècle à la révolution engendrée dans la peinture par l’invention de la photographie au 19esiècle, cet essai s’interroge sur «le langage à l’âge numérique», afin de repenser la créativité dans un contexte où le développement d’Internet a induit de profondes modifications du langage. Dans les premières lignes de l’introduction Goldsmith postule que «Le monde est rempli de textes, plus ou moins intéressants ; je n’ai aucune envie de lui en ajouter un de plus.» (p.9). La paraphrase assumée de Douglas Huebler – qui affirme dès 1969 que «le monde est rempli d’objets […]» – sert à justifier ce que Goldsmith qualifie de nouvelle condition de l’écriture ; à savoir l’idée qu’il n’est désormais plus nécessaire de créer de nouveaux textes ex nihilo mais qu’il s’agit bien d’«apprendre à négocier» la quantité de textes existants et rendus disponibles par Internet. Goldsmith s’appuie ici sur le concept de «génie non original» (Unoriginal genius) forgé par Marjorie Perloff pour requalifier l’auteur de «récupérateur de langage» (p.12) et transformer l’écrivain en programmeur. Selon lui, le renouvellement de l’écriture doit se faire par l’appropriation de textes existants, littéraires ou non, choisis, réarrangés et plagiés, dans une sorte de généralisation ou d’extension extrême du geste devenu naturel de copier-coller. C’est donc la notion d’auteur qui est renouvelée pour faire face aux nouvelles exigences du langage à l’âge numérique, Goldsmith proposant d’aborder l’auctorialité de façon conceptuelle : «les meilleurs auteurs du futur seront peut-être ceux qui auront écrit les meilleurs programmes pour manipuler, analyser et distribuer des protocoles à base de langage» (p.18). L’Uncreative Writing remet ainsi en cause l’originalité comme condition nécessaire de l’œuvre et la déclare obsolète. Sur ce point et comme beaucoup d’autres avant lui, Goldsmith dénonce un retard de la littérature par rapport aux autres arts, tant visuels que musicaux, qui se sont depuis longtemps libérés des notions de génie et d’originalité. L’Uncreative Writing est ainsi proposée comme une voie pour sortir de l’«impasse de l’écriture» (p.15). L’ouvrage rassemble treize essais afin de «de cartographier ces territoires, d’en définir les terminologies, et de créer des contextes […] dans lesquels ces œuvres peuvent être situées et discutées» (p.18). Les cinq premiers chapitres se concentrent sur les sources, les modèles et les contextes d’expansion de l’Uncreative Writing, tentant de répondre à : Comment ? Où ? Pourquoi ? Goldsmith y analyse l’essor d’Internet tout en dressant une généalogie de l’Uncreative Writing, l’inscrivant à la suite d’expérimentations artistiques et littéraires, telles que le situationnisme, la poésie concrète et l’art conceptuel, mais aussi dans celle de l’ouvrage de Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXesiècle, qu’il qualifie de «feuille de route littéraire pour l’appropriation» (p.120). Dans le chapitre six, Goldsmith s’appuie d’ailleurs sur les exemples d’Andy Warhol et de Sol LeWitt pour rappeler que les arts visuels «ont depuis longtemps considéré la non-créativité comme une des pratiques créatives» (p.129). Les chapitres 7 à 10 proposent, quant à eux, des modalités de mise en œuvre de l’Uncreative Writing, analysant le plagiat intentionnel et revenant sur le rôle de l’archive et des réseaux sociaux dans le renouvellement de l’écriture. Le onzième chapitre confirme la dimension pédagogique de cet ouvrage en se concentrant sur la manière d’enseigner la création littéraire – à partir d’un séminaire que Goldsmith a lui-même donné à l’Université de Pennsylvanie. Enfin, les deux derniers essais sont des manifestes pour l’Uncreative Writing, définie comme conséquence d’une dévalorisation du langage à l’âge numérique. Suite à un phénomène d’«industrialisation du langage» (p.232), l’écrivain est transformé en «producteur, éditeur et diffuseur» (p.233) et Goldsmith lui demande d’exploiter les possibilités offertes par la technologie dans un monde numérique lui-même devenu «un langage provisoire, passager et déprécié, simple matériau pour être déblayé, reformaté, stocké et repris dans n’importe quelle forme adaptée» (p.231). L’Uncreative Writing consiste ainsi à accorder toute son importance non plus au contenu du texte mais à son contexte et à ses modalités de composition, au processus plus qu’à l’écriture même. En ce sens, et Goldsmith le rappelle tout au long de son ouvrage, cette notion est l’héritière d’une longue tradition littéraire et artistique du 20esiècle, qui passe par les collages de dada, les cut-ups de Brion Gysin ou William Burroughs, l’intertextualité de Georges Perec, le situationnisme, les protocoles de l’art conceptuel, les appropriations de la Pictures Generation, etc. L’écriture à l’âge numérique doit désormais être le fruit d’un «transfert littéral de langage d’un lieu à un autre» (p.11). Cet essai est en effet éclairant sur bien des points et la traduction qu’en propose Bon reflète le défi qu’impose la notion d’Uncreative Writing pour la littérature aujourd’hui. Traduire Uncreative Writing par «écriture sans écriture» est une décision certes compréhensible mais discutable, proposant un équivalent adéquat mais non exact, dans la mesure où il ne recouvre pas l’entière signification du vocable anglais uncreative. Bon, qui est lui- même écrivain et enseignant de création littéraire à l’ENSAPC (Cergy), choisit ici de proposer une traduction littéraire et non littérale – ce que démontre également l’appareil de notes –, injectant un peu de sa créativité dans cet essai-manifeste pour une écriture non-créative. 2. Rirkrit Tiravanija - untitled (free/still). (installation/performance 1992/1995/2007/2011) (https://www.moma.org/audio/playlist/1/195) En 1992, Rirkrit Tiravanija a créé une exposition intitulée Untitled (Free) à la galerie 303 de New York. Désireuse d'explorer la possibilité de créer des espaces sociaux sympathiques dans des lieux habituellement réservés à la contemplation tranquille de l'art, Tiravanija a tout transféré du backstage de la galerie - même le marchand et son personnel - à l'espace d'exposition. Il a ensuite transformé les bureaux vides en une sorte de restaurant, où il a cuisiné du curry et du riz, qu'il sert gratuitement aux visiteurs. R.T: « Donc, quand vous entrez pour la première fois, ce que vous voyez est une sorte d'espace de stockage désordonné. Mais en vous approchant, vous pouvez commencer à sentir le riz au jasmin. Cela vous attire vers le bureau. Et dans cet endroit, j'ai fait deux pots de curry, des curry verts. L'un d'entre eux a été fabriqué de la même façon que les restaurants thaïlandais de New York. Pour contrer cela, l'autre pot était un curry authentiquement thaïlandais. Je travaillais sur l'idée de la nourriture, mais d'une manière anthropologique et archéologique. Il était beaucoup question des couches, du goût et de l’altérité. » Untitled (Free/Still) présente cette cuisine au curry du backstage reproduite à l'échelle. En collaboration avec le Musée d'art moderne, Tiravanija a mis au point un moyen de montrer le travail dans un état actif - avec du curry préparé et servi par le personnel du restaurant du Musée - et dans un état passif. R.T: « L’œuvre est une plate-forme permettant aux gens d'interagir avec l'œuvre elle-même, mais aussi entre eux. Il s'agit aussi d'une sorte de relation expérientielle, donc vous ne regardez pas vraiment quelque chose, mais vous êtes à l'intérieur, vous en faites partie. La distance entre l'artiste et l'art et le public devient un peu floue. » 3. Pierre Huyghe - A Journey That Wasn’t (video, 2005) (https://www.fondationlouisvuitton.fr/fr/collection/oeuvres/a-journey-that-wasnt.html) Le film "A Journey That Wasn’t" est réalisé à partir de deux phases d’un même projet, initié au début de l’année 2005. « Postulant qu’une zone de non-savoir doit exister géographiquement et qu’une brèche est possible dans le recouvrement des récits sur un territoire », Pierre Huyghe entreprend une expédition en Antarctique où la fonte de la banquise a laissé apparaître de nouvelles îles et fait accélérer la mutation de la faune. Il navigue à bord de l’ancien voilier de Jean-Louis Étienne, Tara, avec une équipe composée d’artistes et de scientifiques. Une fois débarqué, il convertit la forme de l’île en amplitudes sonores et lumineuses, qui donneront ensuite naissance à une partition. Les pulsations analogues à sa topographie créent un langage émis aux abords d’une colonie de pingouins, parmi laquelle vit un albinos. À ce fascinant voyage dans l’immensité du cercle polaire succède un événement qui se déroule sur la patinoire de Central Park (New York) : un orchestre symphonique y interprète la composition musicale. Les intensités sonores déclenchent des variations lumineuses éclairant par moment l’étendue noire sur laquelle un pingouin automate se déplace. La surface comme les masses qui en émergent subissent des précipitations (pluie, vent, brouillard). Film documentaire de science-fiction, A Journey That Wasn’t plonge le spectateur dans une odyssée aussi bien visuelle que sonore. 4. Matthieu Laurette - El Gran Trueque (tract/performance 2000) (https://www.sites.univ-rennes2.fr/cabinet-livre-artiste/genres/tract/el-gran-trueque) El Gran Trueque (Le Grand Troc) est un projet lancé par Matthieu Laurette début 2000 à Bilbao. À partir d’une voiture achetée avec le budget de production de son exposition, il lance un appel au troc par enchères téléphoniques. La voiture est échangée par un ordinateur et ainsi de suite ; au bout de quelques mois, Matthieu Laurette a finalement récupéré un lot de six verres. Les différentes étapes du troc étaient relayées par une émission de télévision hebdomadaire sur la chaîne basque Canal Bizkaïa. L’appel au troc a notamment été communiqué par ce prospectus sur lequel l’artiste indique les conditions de participation et annonce sur une photo de la voiture: « ¡ TE LO DOY ! / ¿ QUE ME DAS A CAMBIO ? »
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