REPRENDRE, DÉMANTELER, COMMUNISER. Éléments pour une politique terrestre du soulèvement « Seul un basculement radical — un soulèvement — pourrait permettre d’enrayer le réchauffement climatique et la 6ème extinction massive des espèces déjà en cours. Au fond, nous le savons, il ne nous reste aujourd’hui plus d’autre voie que de mettre toutes nos forces dans la bataille pour enrayer le désastre en cours, et abattre le système économique dévorant qui l’engendre. » (1er appel des Soulèvements de la Terre, janvier 2021) 200 blessé·e·s, 40 gravement Après les pluies de grenades qui mutilé·e·s, 2 camarades dans le brisent les corps, vient le temps coma, entre la vie et la mort. des accusations vociférantes d’« Nous n’oublierons jamais. Nous éco-terrorisme » et des ne pardonnerons jamais. Ce qui dissolutions. Mais nous ne nous a tous·tes profondément sommes pas un « groupuscule bouleversés pendant cette d’ultragauche ». Contrairement journée de lutte, ce n’est pas aux fables qui seront délivrées seulement sa brutalité, ni par le renseignement intérieur l’immense courage et solidarité pour désigner quelconques des manifestant·e·s, mais sa figures dirigeantes à clouer au charge de vérité : ce 25 mars, le pilori, les Soulèvements de la pouvoir s’est mis à nu à Sainte- Terre n’ont rien d’un groupe Soline. Il a fait d’un cratère vide, circonscrit et représentent une cette plaie béante à la surface coalition grandissante de forces de la Terre, une métaphore de à la croisée des mondes en lutte. lui-même : une forteresse Un large mouvement de assiégée de toutes parts, qui résistance composite et prend l’eau, et dont les désormais largement soutenu premières lignes commencent à par une nouvelle alliance céder mais qu’il défendra offensive en devenir, comme le jusqu’à donner la mort. Les montrent les plus de 80 000 puissances capitalistes ne sont personnes signataires de la plus que ce néant qui avance, tribune de soutien affirmant leur cette furie panique de durer adhésion au mouvement, ainsi encore un peu, de tirer quelques que les dizaines de comités miettes de profit locaux qui essaiment partout sur supplémentaire de la le territoire. catastrophe. Leur combat est désespéré. 1 Mais peut-être que, dans sa l’extinction climatique et sa montée d’autoritarisme actuel, myriade de groupes d’action et le gouvernement s’apprête de désobéissance civile, la grève effectivement à « dissoudre » de l’hiver 2019-2020… une bonne partie de l’opposition sociale et écologique du pays ? Nous nous demandions tous·tes S’il y a bien pourtant des « comment renouer le fil de la factieux » qu’il faut dissoudre révolte, comment ne pas ré- aujourd’hui, ce sont les embrayer sur la vie d’avant, sur puissances destructrices et une la fuite en avant d’un mode de police en voie de fascisation production capitaliste mortifère accélérée qu’encourage un qui nous avait amené là, au pied gouvernement dangereusement du mur du bouleversement «« radicalisé ». Un pouvoir climatique, de l’effondrement du fanatiquement livré à la seule vivant, du temps des pandémies, poursuite de l’accumulation des systèmes sociaux et capitaliste et de l’exploitation sanitaires dépecés par des économique. Nous y travaillons. politiques économiques prédatrices. Ce qui frappait Voilà maintenant plus de deux alors, au-delà des discours et du ans que s’est levée la green-washing ambiant — on composition de forces de parlait de « monde d’après » rupture qui s’est agrégée sous le jusque dans la bouche de nos nom de « Soulèvements de la ennemi·e·s les plus cyniques —, Terre » : c’était en janvier 2021. c’était cette colossale inertie, Le moment a son importance. cette apathie collective, cette Nous étions encore plongé·e·s incapacité généralisée à dans la tourmente d’une infléchir le cours des choses, à catastrophe pandémique ouvrir des brèches dans mondiale et d’un grand l’existant, comme si nous ne confinement planétaire qui parvenions pas à trouver les avaient eu raison des forces gestes à la hauteur de l’époque. sociales qui avaient teinté C’est que les mots de la vieille d’espérance le cycle de luttes en politique — y compris de la cours : la puissante et vieille politique de gauche — spontanée insurrection des sont usés jusqu’à la corde, et Gilets jaunes, l’émergence d’un que les voies classiques mouvement de lutte contre réformistes de contestation 2 sont épuisées et impuissantes. lutte qui mènent des batailles D’où, une première exigence locales contre des projets politique propre aux industriels écocidaires, sans Soulèvements de la terre : avoir — trop souvent — les identifier pragmatiquement des moyens de vaincre. Au-delà des modes de lutte directes, des points de blocage, de véritables leviers et des appuis pour lutter potentiels collectifs et des contre l’extinction et retrouver ponts étaient à construire pour une capacité à infléchir notre dépasser nos angles morts destin collectif, ne plus se respectifs. D’où une seconde contenter de simples exigence : poser la nécessité revendications, agir sans plus d’une organisation forte et attendre, pour pouvoir transversale, construire un plan apprendre à reparler de de composition avec d’autres révolution. sujets collectifs, sortir de l’isolement et de l’enfermement Ce qui frappait, aussi, c’était sociologique des milieux l’isolement relatif de différentes militants, élaborer des alliances initiatives de résistance, leur offensives larges. morcellement, qui les vouait à l’impuissance : les luttes Nous pensons pouvoir dire, syndicales paysannes après presque 5 saisons empêtrées dans une forme de d’action et de lutte, que les corporatisme sectoriel ; les Soulèvements de la Terre ont marches pour le climat fait la démonstration qu’il était confrontées à l’impuissance possible de construire un vaste sans horizon des manifestations, mouvement révolutionnaire de même massives, réduites à masse contre la dévastation interpeller les gouvernant. e. s capitaliste des mondes, pour qu’ils agissent contre leurs d’élaborer des stratégies de intérêts ; l’inconséquence résistance adéquates, pour libérale-libertaire des modes provoquer les basculements qui d’action « autonomes » égarés s’imposent. Ils ont ouvert une par leur propre dispersion et leur voie qu’il faut travailler à faire absence de stratégie grandir. C’est cet espoir que coordonnée ; les collectifs l’État cherche aujourd’hui à d’habitant·e·s de territoires en dissoudre. 3 Nous, qui nous soulevons, Se focaliser sur le « climat », sommes à la croisée des comme hyper-objet global, tend chemins. Face à cette grotesque à affaiblir nos puissances tentative de « dissolution », nous concrètes d’agir et de ressentir : répliquons par plus quoi de mieux, pour faire « d’organisation. Nous annonçons atterrir » une écologie politique la constitution d’un comité local, conséquente, que de partir du dans le Calvados, pour la suite sol sous nos pieds ? Sans le des Soulèvements de la terre, retour de la question foncière qui assurera un travail de « dans les luttes, sans mouvement groupe-relai » des campagnes de mise en commun des terres, nationales et de ses différents sans défense des vivants qui actes, de veille écologique et fabriquent et habitent ces foncière, de liaison de différents milieux, il n’y aura pour nous collectifs de lutte locaux, et aucune victoire politique à d’intervention politique autour l’horizon. Un puissant de 3 « formes », ou perspectives. mouvement social de reprise de Ces formes sont autant des terres est appelé à renaître, et tactiques de lutte pouvant dont le terreau est déjà là : par s’incarner dans des gestes des installations paysannes aux collectifs ici et maintenant, que pratiques agroécologiques en des perspectives politiques que rupture avec l’agri- nous identifions comme entrepreneuriat capitaliste qui stratégiques dans la deviendront les avant-postes construction d’un projet d’un travail de veille foncière ; révolutionnaire anticapitaliste. par des rachats collectifs arrachant des terres à la (I) REPRENDRE LES TERRES. propriété privée lucrative ; par des occupations collectives face Quoi de mieux, pour défendre la aux accaparements des Terre elle-même, dévastée, cumulards et aux industries qui empoisonnée, bétonnée, les dévorent ; par du maraîchage asséchée, et son habitabilité en sauvage urbain qui viendra cours d’altération et même de alimenter des dynamiques de réduction rapides, que des rétablissement de formes reprises de terres ? collectives d’autosubsistance ; 4 par milles usages populaires qui terres pour une pluralité fourmilleront sous les écrans- d’usages. Nous reprendrons les radars… Nous reprendrons aussi terres, afin de nous réapproprier les terres pour les déprendre, la fabrique collective de notre pour les laisser en libre subsistance commune, afin que évolution, pour que des se lèvent des contre-pouvoirs dynamiques écologiques populaires. sauvages spontanées puissent s’y déployer… Nous insistons sur (II) DEMANTELER LE le fait que le destin des luttes COMPLEXE AGRO- sociales est arrimé à celui des CAPITALISTE ET LES terres, comme « pont politique » INDUSTRIES ECOCIDAIRES. entre la question de la « fin du monde » et celle de la « fin du En maintenant plus de 4 saisons mois » : alors que la question du d’actions, les Soulèvements de « travail », que ce soit sous la Terre ont multiplié les gestes l’angle du « salaire minimum », du de démantèlement et de « revenu universel », du « salaire désarmement des industries à vie » ou du « refus du travail », capitalistes tueuses : retrouver fait l’objet de nombreux débats la force du sabot dans la politiques, celle de machine, ce n’est pas seulement l’appropriation collective de un acte d’autodéfense face à la moyens de subsistance guerre généralisée que mènent autonomes, et en particulier, de au vivant les puissances de l’accès à une surface minimum destruction capitaliste, ni de subsistance décente est pour retrouver une puissance d’agir ainsi dire hors champ. Le collective à même d’enrayer la mouvement social doit faire sa catastrophe ici et maintenant, ni métamorphose terrestre. d’une manière de reprendre L’enjeu n’est pas seulement de l’initiative. Derrière le geste, le favoriser l’augmentation du moyen, il faut lire la perspective nombre de candidat·e·s aux politique : celle de la métiers paysans et artisanaux, construction d’une écologie du mais de proposer une révolution démantèlement, qui fait la foncière d’ampleur qui libère un différence entre une position accès de tous·tes à des réformiste (le capitalisme est un parcelles substantielles de héritage dont il faut maintenir 5 les finalités de développement, toxiques, ses technologies sous une forme « durable ») et «zombies» destructrices : que notre position révolutionnaire (le faire de ces « communs capitalisme est un heritage dont négatifs », de ces forces il faut faire le deuil, avec lequel il productives qui ont viré en faut résolument rompre). puissance de mort, dont la Le temps n’est plus au reproduction de nos conditions développement des forces matérielles d’existence dépend productives (rationnalisé par sa à court terme, alors qu’elles « planification ») et à la nous condamnent, en détruisant socialisation de ses fleurons (il les conditions d’habitabilité faut rompre avec la conception terrestre de ce monde, à moyen « marxiste » de la révolution), terme ? Contre un nouveau front mais au désarmement des de modernisation forces dévastatrices… Alors, technosolutionniste — qui nous comment ‘fermer’ le capitalisme, promet le salut par une au plus proche de nos radicalisation de l’accélération matérialités quotidiennes, de la capitaliste et de l’innovation construction de nos milieux de (géo-ingénierie climatique, « vie, de la fabrique collective de transition énergétique » nos conditions d’existence ? nourrissant de nouvelles formes Comment briser cette chaîne ravageuses d’extractivisme, d’assemblage globalisé agri-tech « de précision », mortifère, alors qu’elle nous numéricisation à marche forcée, tient en otage dans presque développement de la tous les aspects de notre survie bioéconomie...) —, il nous faut matérielle immédiate ? tirer le frein d’urgence et Comment se réapproprier inventer un art de la fermeture l’inappropriable ? Car nous et du démantèlement, celui dépendons bien, pour notre d’une écologie politique subsistance la plus élémentaire, anticapitaliste qui mette « les d’un monde « environné » par le mains dans le cambouis », qui capitalisme industriel, tramé par sache faire le partage entre : une technosphère écocidaire. Nous vivons dans un monde de – ce qui, libéré de la logique ruines condamné, avec ses économique de la loi de fer de infrastructures industrielles l’accumulation et du profit, peut 6 encore être positivement cette raison même, la «approprié», réorienté en vue démanteler, la désarmer. De d’autres finalités non l’écologie à la lutte de classe capitalistes, ce qui, des artefacts révolutionnaire. et infrastructures matérielles de la modernité industrielle, recèle (III) un potentiel pour SOCIALISER/MUTUALISER/CO l’émancipation ; MMUNISER L’ALIMENTATION – ce qui n’appelle qu’éradication, ET LE TRAVAIL DE désaffection, démantèlement, SUBSISTANCE. progressif ou immédiat (les domaines de production dont Dans un contexte d’inflation l’existence actuelle ne se galopante, dans un pays où 7 soucient que de la logique de la millions de personnes sont société capitaliste-marchande ; structurellement dépendantes les entrepôts logistiques de l’aide alimentaire, où d’Amazon, les fermes-usines l’immense majorité de la hors sol concentrationnaires, les population est coupée de tout centrales nucléaires, les moyen d’autosubsistance, et où industries de l’agrochimie...) ; la précarité de nos vies tenues – et ce avec quoi il faudra bien par les infrastructures apprendre à vivre, ruines industrielles capitalistes a été définitives et irréparables, quasi cruellement révélée pendant les éternelles (les déchets grands confinements, nous nucléaires, certains sols pollués avons vu se multiplier, ces désertifiés...) mais qui seront dernières années, des aussi notre héritage, celui d’une expériences collectives de « modernité capitaliste folle qui a mise en commun » de bien failli jeter le monde à l’alimentation, inscrites au cœur l’abîme. d’une écologie populaire ancrée Concluons en affirmant le dans des luttes locales : corolaire immédiat de la cantines en lutte alimentant les formulation d’une écologie du banquets de nos résistances ; démantèlement conséquente : groupes de secours mutuel rendre la souveraineté à ceux et expérimentant des formes celles qui font le travail, à ceux d’entraide échappant aux et celles qui font tourner la violences structurelles de l’aide machine, et peuvent, pour alimentaire instituée et faisant 7 émerger une autodéfense Reprendre les terres, populaire plus forte en démanteler le complexe agro- contextede crise sanitaire ; capitaliste et les industries jardins partagés et agriculture tueuses, communiser notre vivrière urbaine dans les subsistance. Opter pour une quartiers populaires faisant stratégie, formuler « un » chemin vivre des zones d’écologie pirate (il peut, il doit y en avoir d’autres) ; réseaux de ravitaillement des relève toujours d’un pari. Nous grèves ; hypothèses sur une « ne prétendons pas à sécurité sociale de l’exhaustivité, ni à des réponses l’alimentation » qui ne serait pas définitives. Nous cherchons une politique redistributrice simplement à identifier des d’ajustement ou de « gestion » points d’appui pour construire de la pauvreté, mais bel et bien, une politique terrestre du un outil sur lequel s’appuyer soulèvement digne de ce nom, dans une perspective et déstructurer les institutions révolutionnaire... Nous pensons et les appareils qui participent que ces expériences de au verrouillage de la situation. communisation de la subsistance et la multiplication On ne dissout pas un des actions socialisatrices mouvement. On ne dissout pas directes, en particulier autour une révolte. Nous continuerons des enjeux de l’alimentation, à alimenter une eau vive qui, sont un ingrédient central de la partout, frémit, et fait croître construction d’une autonomie des communautés de lutte politique populaire forte. Il n’y vivantes. Nous appelons aura pas de mouvement de chacun·e, depuis là où il est, à se reprise de terres, ni de lutte soulever, à s’organiser, à nous contre les complexes industriels rejoindre. capitalistes, ni de généralisation d’une agriculture paysanne (dont bien des formes restent encore à inventer), sans lutte pour la réappropriation de la subsistance commune, sans lutte pour un droit universel à une alimentation choisie en Contact : connaissance de cause… [email protected] 8
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