!" #$%&'(! ) ’ %' *&+,$''+"& 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 3 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 3 24/11/2025 10:07:56 24/11/2025 10:07:56 DU MÊME AUTEUR Georges Mandel, le moine de la politique , Grasset, 1994. Au bout de la passion, l’équilibre . Entretiens avec Michel Denisot, Albin Michel, 1995. Libre , Robert Laffont, 2001 ; Pocket, 2003. La République, les religions, l’espérance . Entretiens avec Thibaud Collin et Philippe Verdin, Cerf, 2004 ; Pocket, 2005. Témoignage , XO, 2006 ; Pocket, 2008. Ensemble , XO, 2007. La France pour la vie , Plon, 2016. Tout pour la France , Plon, 2016. Passions , L’Observatoire, 2019 ; J’ai lu, 2020. Le Temps des Tempêtes , L’Observatoire, 2020 ; J’ai lu, 2021. Promenades , Herscher, 2021. Le Temps des Combats , Fayard, 2023. 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 4 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 4 24/11/2025 10:07:56 24/11/2025 10:07:56 Nicolas Sarkozy Le journal d’un prisonnier Fayard 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 5 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 5 24/11/2025 10:07:56 24/11/2025 10:07:56 Couverture : Nord Compo Photographie de couverture : © Sébastien Valente ISBN : 978-2-213-73469-9 Dépôt légal : décembre 2025 © Librairie Arthème Fayard, 2025 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 6 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 6 24/11/2025 10:07:56 24/11/2025 10:07:56 Avertissement À vous qui me ferez le plaisir de lire cet ouvrage, je veux préciser qu’il ne s’agit pas d’un roman. Tous les faits qui y sont relatés correspondent à la réalité de ce que j’ai vécu durant ces dix années d’instruction, quatorze semaines au tribunal cor- rectionnel de Paris et trois semaines à la prison de la Santé. Par souci du respect de la vérité et de la crédibilité de mon propos, j’ai choisi de ne modifier aucun des noms des protagonistes de ce récit. Chacun pourra donc s’y reconnaître et ainsi assumer sa juste part de responsabilité dans ce qui restera, à n’en pas douter, une douloureuse épreuve judiciaire. 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 7 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 7 24/11/2025 10:07:56 24/11/2025 10:07:56 Je me suis levé très tôt ce mardi 21 octobre 2025. C’était le jour de mon incarcération. Jamais je n’aurais imaginé franchir les murs d’une prison. Ce n’était même pas envisageable. Je ne suis pas un homme violent, ni un agresseur. J’ai toujours payé mes impôts de façon scrupuleuse. Je n’ai jamais conçu ni envisagé quelque montage que ce soit. J’ai été durant vingt années le maire d’une grande ville, Neuilly-sur-Seine, sans que jamais un appel d’offres ou une procédure quel- conque ait fait l’objet de la moindre remarque ou du plus petit incident. Que pouvait-il bien m’ar- river ? À moins de faire preuve d’une imagination débridée ou de nourrir une paranoïa caricaturale, rien. C’étaient bien ma conviction et mon état d’esprit. La suite démontrera l’étendue de mon erreur. Et pourtant, en ce matin ensoleillé, alors que je traversais Paris vers la prison de la Santé, je 9 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 9 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 9 24/11/2025 10:07:56 24/11/2025 10:07:56 devais bien convenir que l’impensable était arrivé ! Qu’est-ce qui avait bien pu me faire tomber du mauvais côté de l’histoire ? Qu’avais-je fait pour mériter un tel traitement ? Quels crimes avais-je bien pu commettre ? Je dois reconnaître aujourd’hui la profondeur de ma naïveté. Jamais je n’aurais envisagé qu’avoir été porté au sommet de l’État pouvait constituer une telle menace pour ma famille et pour moi-même. J’étais littéralement stupéfait par l’enchaînement comme par l’embal- lement des faits que j’étais en train de vivre. J’avais été durant cinq ans président de la République française. Un honneur immense, une chance exceptionnelle et aussi un délit grave aux yeux de tous ceux qui détestent le pouvoir poli- tique, surtout s’il est de droite. Et de droite, je l’ai toujours été, sans regret et surtout sans com- plexe, ce qui constitue à n’en point douter une circonstance aggravante. On ne prête à autrui que les sentiments que l’on éprouve pour soi-même. Ce fut sans doute une erreur de ma part de ne pas l’avoir compris à temps. Je suis un bagarreur. Je ne peux le cacher. Je ne garde rien, ou pas grand-chose, par-devers moi. Cela peut souvent me conduire à surréagir, à mener des combats inutiles, parfois même à blesser inutilement mes interlocuteurs. Dans le même temps mais à l’in- LE JOURNAL D’UN PRISONNIER 10 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 10 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 10 24/11/2025 10:07:56 24/11/2025 10:07:56 verse, cela expurge de mon esprit les mauvais sentiments. Ainsi, je suis incapable d’éprouver une haine durable à l’endroit de quiconque. Je ne garde rancune à personne. Mes amis m’ont sou- vent reproché de pardonner trop vite ou d’oublier trop facilement les offenses et les trahisons. J’ai compris que la haine est un sentiment dangereux qui se nourrit de lui-même, qui se renforce jour après jour jusqu’à devenir inextinguible si l’on ne se l’interdit pas. Plus on hait, plus on a envie de haïr. C’est un enchaînement sans fin. Ces senti- ments m’étant étrangers, je n’imaginais pas que les autres pouvaient les exprimer à l’endroit de ma personne. C’est peu dire que j’étais à cent lieues de penser que j’avais pu susciter de telles passions aussi démesurées que disproportionnées. J’ai donc été particulièrement imprévoyant. Je l’ai payé au prix le plus fort, celui de la prison. L’impensable était devenu réalité. *** J’avais ces pensées en tête en me réveillant ce matin du 21 octobre. Les premiers mots de Carla à son réveil furent : « Quel cauchemar ! Qu’avons- LE JOURNAL D’UN PRISONNIER 11 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 11 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 11 24/11/2025 10:07:56 24/11/2025 10:07:56 nous fait pour subir toute cette horreur ? » Elle avait passé une bien mauvaise nuit. J’essayais de la tranquilliser par quelques phrases dont j’étais conscient de l’accablante banalité. « Tu verras, cela va passer vite. » Le ton de ma voix devait trahir le peu de conviction que je ressentais à ce moment précis. Je tentais tant bien que mal de sauver la face. De mon côté, je n’avais pas trop mal dormi, même si pour moi aussi la réalité venait de se rappeler à mon bon souvenir. J’avais demandé à nos enfants de nous rejoindre pour le dernier petit déjeuner de liberté en commun. Ce fut un moment de famille heureux malgré les circonstances. Ils étaient tous graves, tristes, révoltés mais je leur étais profondément recon- naissant d’essayer de donner le change. Mes trois petits-enfants partageaient nos émotions sans en comprendre le détail compte tenu de leur jeune âge. Je voulais que cette tragédie que nous étions en train de vivre serve à nous souder et que cha- cun puisse en retirer de la force ou, au minimum, des raisons d’apprendre, de retenir, de progresser. Je pris la parole pour les rassurer et leur parta- ger mon état d’esprit. Je m’efforçais de banaliser l’idée de la prison pour que les fantasmes habituels lorsque l’on parle de l’enfermement ne viennent ajouter davantage d’inquiétude et de stress à une LE JOURNAL D’UN PRISONNIER 12 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 12 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 12 24/11/2025 10:07:56 24/11/2025 10:07:56 situation qui en comportait déjà bien assez. La réalité était monstrueuse. Il me fallait mentir le mieux possible pour les apaiser. J’essayais de me montrer gai et détendu, du moins autant qu’il m’était possible de l’être. Une nouvelle fois, je constatais que la monstration était plus efficace que toutes les démonstrations. « Faites ce que je fais » est tellement plus pertinent que « faites ce que je dis ». Louis demeurait silencieux pour masquer sa colère contre cette injustice. Je voyais qu’il refrénait à grand-peine sa force et son tem- pérament. J’étais fier de son courage. Jean se préoccupait de sa sœur, assumant son rôle de grand frère à la perfection avec la profondeur et l’intelligence qui le caractérisent. Pierre apportait sa décontraction et sa bonté naturelle. Il était une lumière pour chacun de nous. Et Giulia, du haut de ses tout juste 14 ans, faisait tout ce qui lui était possible pour faire face à la situation, exigeant même, malgré une forte fièvre qui l’avait saisie durant la nuit, d’aller avec ses frères à la rencontre des soutiens rassemblés autour de la maison. Elle était malade et tenait à peine debout. Elle dit à sa mère : « Je veux être aux côtés de papa, il serait trop déçu si je lui manquais, je ne peux pas lui faire cela. » Notre souhait de la protéger s’inclina devant sa juvénile volonté. Aurélien, mon beau- LE JOURNAL D’UN PRISONNIER 13 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 13 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 13 24/11/2025 10:07:56 24/11/2025 10:07:56 fils, était là aussi, concentré, réservé, brillant et plein d’émotion. Le clan était au complet. Les voir tous si unis, tellement remplis d’amour, et si préoccupés de bien faire, m’aurait fait mon- ter les larmes aux yeux si j’avais eu le droit de me laisser aller. Carla était merveilleuse comme à l’accoutumée. Aussi forte qu’intelligente. Mais je sentais à quel point sa souffrance physique était profonde à la perspective de notre séparation. En dix-huit années de mariage, nous n’avions jamais été éloignés l’un de l’autre plus de deux ou trois jours. Nous ne savions pas combien de temps cette séparation imposée allait durer. Quelques semaines ? Quelques mois ? Personne, pas même mes avocats, ne pouvait ou ne souhaitait s’avan- cer à ce sujet. L’incertitude était sans doute le pire, elle créait un sentiment de vertige. Nous ne pouvions nous faire une raison, nous préparer ou tout simplement anticiper. Ne plus voir Carla au quotidien m’était aussi insupportable mais je m’interdisais de trop y penser. Si je défaillais, toute la solidité de l’édifice familial risquait de s’effondrer. Et je pouvais défaillir. Je me sentais comme le pilier de ma famille. Chacun de nous devait se hisser vers le haut, essayer d’apprendre de cette épreuve qui renfor- LE JOURNAL D’UN PRISONNIER 14 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 14 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 14 24/11/2025 10:07:56 24/11/2025 10:07:56 çait nos liens. Nous n’avions pas d’autre choix. Il n’y avait pas d’alternative. J’étais si fier de cette famille recomposée, unie par l’amour et soudée dans l’adversité. *** J’avais gravi un à un les échelons de la vie sociale tout au long de mon existence. Je venais de redescendre d’un seul coup de dix étages. Le moins que l’on puisse dire était que la tempéra- ture ambiante avait chuté ! Il fallait l’accepter, le comprendre et en tirer le meilleur parti. J’essayais de me raisonner. Après tout, l’échec n’était pas plus injuste aujourd’hui que le succès n’avait été mérité dans le passé. Je devais surtout contenir les poussées de colère et d’indignation qui m’étrei- gnaient le cœur dès que je pensais au complot invraisemblable ourdi pour fabriquer cette sinistre affaire de prétendu financement libyen. Je prenais garde cependant à ne pas perdre une once d’éner- gie avec ces sentiments négatifs autant que contre- productifs. Toutes mes forces étaient mobilisées autour du seul objectif de tenir durant le temps de cette incarcération aussi brutale qu’injuste. LE JOURNAL D’UN PRISONNIER 15 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 15 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 15 24/11/2025 10:07:56 24/11/2025 10:07:56 Et j’avais bien conscience qu’en soi c’était déjà ambitieux. Je n’ai jamais pris la perspective de mon emprisonnement à la légère, encore moins fanfaronné. Je sais d’expérience que c’est dans l’épreuve que l’on se connaît vraiment, non dans son anticipation. La modestie s’imposait. *** Le temps a passé si vite ce matin-là. Il fallait déjà penser à s’arracher à la douceur de la maison familiale. Véronique Waché, qui dirige avec une passion manifeste et une efficacité jamais prise en défaut ma petite équipe, m’informait réguliè- rement du nombre de personnes qui affluaient après l’appel de mes fils à m’entourer à l’oc- casion de mon départ. Il y avait déjà plus de mille personnes, dès 8 heures du matin en ce jour de vacances de la Toussaint. Le Bon Dieu avait bien fait les choses puisque le ciel était bleu et le soleil rayonnant. Pas une goutte de pluie à l’horizon. Rien à voir avec la veille où, à la même heure, il faisait un temps à ne pas mettre un piéton dehors. C’était déjà cela. J’y voyais même un signe de la Providence. Non que je sois LE JOURNAL D’UN PRISONNIER 16 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 16 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 16 24/11/2025 10:07:56 24/11/2025 10:07:56 un pratiquant régulier, encore moins un chrétien exemplaire. Puisqu’il me fallait porter une croix, je devais tenter de le faire en m’élevant spiri- tuellement. Les bonnes nouvelles n’étaient pas si nombreuses que je puisse me permettre d’ignorer le moindre signal positif. Nombre de mes amis m’expliquèrent que l’enfermement qui m’était imposé m’offrait la chance de mieux percevoir la « Lumière ». Qu’il convenait en conséquence que je me laisse toucher par cette grâce. Je n’en ai fait la confidence à personne mais j’ai pensé, à ce moment précis de ma vie, que la prière pouvait être d’un précieux secours. C’était un sentiment nouveau pour moi. Il me fallait ne refuser aucune aide pour affronter cette injustice et surtout pas celle du ciel. J’avais à dessein emporté la magni- fique biographie de Jésus-Christ écrite par Jean- Christian Petitfils. Chaque page m’inviterait à réfléchir, à donner du sens et à comprendre que sans doute rien n’arrivait par hasard ou n’était inutile. J’espérais qu’il y avait un sens caché à cette comédie dramatique. Le choix était simple. Soit l’épreuve m’abattait et c’était la fin. Soit elle me conduisait à devenir une meilleure personne. J’avais décidé d’emprunter la partie lumineuse de cette alternative ou en tout cas d’essayer. LE JOURNAL D’UN PRISONNIER 17 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 17 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 17 24/11/2025 10:07:56 24/11/2025 10:07:56 Il vint l’heure déchirante de quitter la maison. Je redoutais ce moment depuis plusieurs semaines. Serais-je capable de maîtriser mes émotions ? Je n’en étais pas certain. Nous avons demandé aux enfants de nous précéder de quelques minutes avant que Carla et moi descendions ensemble l’impasse à l’extrémité de laquelle nous habitons. Durant ces cent mètres, les caméras pouvaient nous suivre pas à pas. Carla serrait ma main avec un amour et une force qui me bouleversent encore alors que j’écris ces lignes. C’est elle qui m’a permis de tenir. Je la sentais au bord du gouffre malgré toute sa volonté. Le moment de la séparation était là. Nous ne pouvions plus le retarder ou l’éviter. Tout en marchant, je soufflais à Carla qu’après dix-huit années de mariage, nous étions finalement les plus heureux du monde de ressentir la solidité de notre union. Il est vrai qu’affronter l’épreuve ensemble fut un moment de partage intense. L’adversité ne pouvait pas nous détruire. Submergée par l’émotion, elle ne répondit rien. Elle se serra au plus près contre moi. Elle avait raison. Pourquoi parler ? Nous n’avions pas besoin de mots pour nous com- prendre. Le superflu était devenu inutile. En arrivant devant la foule, je découvris de nombreux visages en pleurs, bouleversés par le LE JOURNAL D’UN PRISONNIER 18 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 18 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 18 24/11/2025 10:07:56 24/11/2025 10:07:56 chagrin. Je n’ai pas pu soutenir leurs regards. Je risquais à tout moment de chavirer moi-même. Je ne pouvais prononcer une parole. L’émotion m’accablait. Fort heureusement, je n’avais pas prévu de déclaration, encore moins de discours. J’aurais été bien incapable de le prononcer. Les applaudissements redoublèrent d’intensité à notre arrivée, une Marseillaise spontanée retentit au cœur de la foule. Je saluais maladroitement les uns et les autres. Je ne pus serrer aucune des mains tendues. Les sentiments me submergeaient. J’étreignis une dernière fois Carla. Je ne voulais pas prolonger ce supplice. J’embrassai ma fille. Les larmes me montaient aux yeux. Je me jetai littéralement dans ma voiture. J’aurais tant aimé disparaître. La tristesse était trop forte. Les applaudissements crépitèrent au moment où mon véhicule s’éloignait. Christophe Ingrain, mon ami et mon avocat, était assis à mes côtés. Je me tournai vers lui. Son visage était figé par l’émotion. Nous ne pûmes échanger une seule parole pendant les premières minutes de notre trajet vers la prison. Je rompis le silence pour briser cette atmosphère qui finissait par être pesante. Il fallait évacuer toute cette peine. Au début, ma voix trembla légèrement même si je commençais peu à peu à reprendre mes esprits. LE JOURNAL D’UN PRISONNIER 19 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 19 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 19 24/11/2025 10:07:56 24/11/2025 10:07:56 Demeurer stoïque n’était pas une mince affaire. Je pensais en mon for intérieur avec ironie à ces nombreux articles évoquant ma prétendue force. Si tous leurs auteurs avaient su combien je m’étais senti faible à ce moment précis ! *** Mon regard se porta à l’extérieur de la voi- ture. Le spectacle qui s’offrit à moi était stupé- fiant. Deux motards de la préfecture de police en grand uniforme nous ouvraient la route. Je ne les avais pas vus initialement. Deux autres, qui arboraient des brassards de police, se tenaient à la hauteur des portières arrière de mon véhicule. Un cortège impressionnant de motos et de voi- tures de presse nous suivait sur plusieurs centaines de mètres. Des familles étaient massées sur les trottoirs, applaudissant à notre passage, prenant des photos, m’adressant des signes amicaux de la main. Un instant, je me crus revenu à la soirée de mon élection en mai 2007. C’était le cortège officiel du chef d’État que j’avais été... suscitant l’enthousiasme sur son passage. Ce 21 octobre, la réalité était moins heureuse et surtout moins glo- LE JOURNAL D’UN PRISONNIER 20 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 20 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 20 24/11/2025 10:07:56 24/11/2025 10:07:56 rieuse. Il s’agissait de transporter un futur détenu à la prison de la Santé ! Tout à coup, le ridicule de la situation m’éclatait au visage. Pourquoi tout ce protocole, tous ces honneurs, toutes ces pré- cautions ? Simplement pour masquer ou tenter d’atténuer un scandale judiciaire ? Pourquoi me jetait-on en prison ? Avait-on peur que je fuie, que je quitte la France ? Moi qui suis gardé par des policiers 24 heures sur 24 depuis toutes ces années sans discontinuer. Le clou de cette comédie aura été mon arrivée à la prison vingt-cinq minutes avant l’heure fixée initialement. Évidemment, avec une telle escorte, je n’avais été retardé ni par les embouteillages ni par les feux rouges. On a dû faire arrêter ma voiture et donc mon cortège car l’administration pénitentiaire qui m’attendait depuis trois semaines n’était pas prête ! Le fugitif potentiel que j’étais patienta à cent mètres de l’entrée de la prison le temps que l’on finisse par l’accepter. Comment mieux décrire le spectacle d’une situation invrai- semblable ? Nous demeurâmes ainsi de longues minutes sous le regard interloqué des médias du monde entier. Il y avait beaucoup d’excitation autour de nous. Personne ne comprenait cet arrêt. Les passants en profitèrent pour enrichir leurs collections de photos et de selfies. J’avais été LE JOURNAL D’UN PRISONNIER 21 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 21 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 21 24/11/2025 10:07:56 24/11/2025 10:07:56 trop impatient d’être jeté en prison... Je souriais intérieurement de cette nouvelle incongruité. Je finis, après de longues minutes, par être autorisé à franchir l’imposant portail en acier de la maison d’arrêt. Je l’avais vu dans des films ou des reportages, jamais de visu . En même temps que je voyais la lourde porte glisser sur son rail avec une lenteur solennelle, je pensais à l’ironie de la situation et à cette vie si étrange qui est la mienne. Pourquoi ai-je vécu tant de situations si extrêmes ? Je m’apprêtais à recevoir mon numéro d’écrou, le 320535. C’est ainsi que j’allais désormais être identifié. Quatre jours auparavant, j’étais Nicolas Sarkozy, l’ancien président de la République, reçu par le président Emmanuel Macron en personne, au palais de l’Élysée. A-t-on jamais imaginé un contraste plus saisissant ? Une situation plus ubuesque ? Je devais me pincer pour accepter cette réalité. La vérité m’oblige à dire que je ne l’acceptais pas. *** LE JOURNAL D’UN PRISONNIER 22 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 22 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 22 24/11/2025 10:07:56 24/11/2025 10:07:56 C’est le président de la République qui avait insisté pour me recevoir au Palais le vendredi précédant mon incarcération. Je n’avais rien à lui dire et n’avais guère envie d’une discussion amicale avec lui. Depuis sa funeste décision de dissoudre l’Assemblée nationale en 2024, nos rela- tions s’étaient distendues. Je n’avais pas compris et encore moins accepté, ce que j’avais considéré comme un caprice, qui faisait autant de mal à la France qu’à son auteur. La méfiance s’était même installée à la suite du retrait de ma Légion d’honneur. Ce n’était pas tant le fait en lui-même que la manière qui m’avait profondément heurté. J’avais été promu chevalier en 2004 par Jacques Chirac, qui avait alors évoqué au titre de mes mérites supposés l’affaire Human Bomb, dans laquelle les circons- tances m’avaient mis en situation de sauver des enfants de maternelle retenus en otage par un détraqué qui voulait faire sauter l’école entière. Mon élection à la présidence de la République avait fait de moi le grand maître de l’ordre me conférant la dignité de grand-croix. Chacun comprendra que je n’avais accompli aucun de ces actes dans le but d’être décoré ! Que l’on me retire cette dernière m’importait assez peu. J’ai sans doute trop aimé ces vanités dans le passé. Il LE JOURNAL D’UN PRISONNIER 23 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 23 469229UDK_Verbatim_BAT.indd 23 24/11/2025 10:07:56 24/11/2025 10:07:56