RELATIVITE Nous voudrions, dans ce qui suit, tenter une synthèse critique des formes variées sous lesquelles la doctrine de la « Relativité » de la Connaissance et de l’Être a cours parmi nous et I. tout d’abord, envisager ce que l’expression signifie pour : LA RÉFLEXION COMMUNE a) Dès que l’on se met à réfléchir sur la connaissance, on voit qu’elle est relative en ce sens qu’elle implique ou plutôt qu’elle est une relation, la relation d’un objet à un esprit. La connais- sance est ‘existence de quelque chose pour moi. Je ne peux rien connaître qui ne soit présent à ma conscience et cette présence est une relation. Voilà ce que, pour le sens commun, signifie la Relativité de la Connaissance. b) La chose est comme je sais qu’elle est. Sa véritable. nature entre en relation avec mon esprit. L’objet est pour moi et ce qui est pour moi est l’objet. S’il n’en était pas ainsi, ce qui m’est présent serait différent de la chose même, serait illusion et, dans ce cas, la connaissance me serait refusée. Mais, s’il y a raiment connaissance, l’objet m’est présent tel qu’il est en lui-même. En un mot, on entend par illusion non-connaissance, par connaissance non-illusion. L’une et l’autre sont relatives au sens I ; dans les deux, quelque chose est pour nous mais, dans l’illusion, il est, pour nous, différent de ce qu’il est en lui-même, alors que rien de moins que la présence de la chose réelle ne put satisfaire la connaissance. Dans la mesure où nous connaissons, c’est l’essence même qui entre dans nos esprits; l’objet particulier a été ou sera appréhendé ; le seul obstacle qui nous empêche de recueillir dans son intégralité l’essence ultime des choses, c’est sa quantité et la petitesse de nos facultés. L’Etre n’est relatif qu’au sens où il entre en relation et cette relation est absolument accidentelle par rapport à son essence. L’ombre n’enlève rien à la substance ; qu’on la tienne dans la main ou qu’elle repose sur le sol, la pierre reste une pierre. II. Jusqu’à maintenant la « Relativité » signifie que, dans la connaissance, l’objet est en rapport ave nos esprits mais que la con- naissance est relative à l’objet. Le sujet ne donne rien, la chose donne tout. Elle est l’essence dont la connaissance est la manifestation accidentelle. Elle est le seul terme de la relation auquel cette relation soit étrangère mais qui, en même temps, détermine dans sa totalité la nature de la relation. Vue unilatérale; son énoncé suffit à la réfuter. Car, lorsque nous envisageons ici cet énoncé, nous n’avons pas deux termes étrangers l’un à l’autre, dont l’un imprime sa marque sur l’autre, mais une unité qui les domine tous les deux, pour laquelle ils sont, à laquelle ils sont relatifs et qui réfléchit sur chacun d’eux et sur les deux... (I). THÉORIE PSYCHOLOGIQUE a) La connaissance est relative à l’esprit ; en dehors d’un esprit la connaissance est impossible. La connaissance se situe à l’intérieur de ’esprit. Quelle que puisse être ou ne pas être la cause (supposée) extérieure de la connaissance, il reste certain que rien n’est connu qui ne se trouve dans la conscience et que tout ce qui s’y trouve est état de l’esprit. La connaissance est conscience, la conscience est état ou acte de l’esprit, les états de l’esprit sont relatifs à l’esprit. ’assertion que « la connaissance n’est pas relative » est réfutée par la question « comment le savez-vous ? », ou plutôt, elle est sa propre réfutation. b) I. La connaissance est subjective, intérieure et relative à la conscience au delà de laquelle nous ne pouvons rien connaître. Mais, d’autre part (I b) la connaissance n’est véritable que si elle est relative à ’objet. D’où il résulte, la conscience étant limitée à l’un des termes et l’autre lui étant extérieur, 1 que la connaissance véritable est impossible. Certes, on peut encore, en quelque sorte, distinguer, à l’intérieur du champ de la conscience, vérité et erreur; mais la connaissance, appréhension de l’objet comme tel, est impossible, car l’objet n’est pas le sujet et nous ne connaissons que ce qui est subjectif. L’essence ou la chose en soi est donc inconnue bien qu’elle existe et elle n’est pas relative à la connaissance. 2. A la réflexion, on réalise que cette assertion est dépourvue de sens. On dit : « L’objet n’est pas relatif à la conscience, il est, par conséquent, inconnu et cependant il existe. » Comment le sait-on? Connaître qu’il existe, c’est le connaître; il cesse d’être l’objet, car il est relatif ; si on ne le connaît pas, qu’est-ce qui permet d’en parler ? ’affirmation de l’existence de l’obiet inconnu est relative à la connaissance. « L’existant », « le réel », « ce qui est » ou bien ne représente absolument rien ou bien représente ce qui est (entièrement ou partiellement) objet de connaissance, c’est-à-dire le connu (plus ou moins). Or, il n’y a pas moyen de séparer le connu de la connaissance, il est donc relatif. Note A. Il est inutile de distinguer le connu du connaissable et de prétendre que, dans la mesure où elle est connue, ’existence est relative à la conscience mais qu’il y a de ’existence qui, tout en étant connaissable, n’est pas pour la con- science, qui, en somme, se réduit à la possibilité d’être connue et n’est donc pas relative à la conscience. Car (en général) la moindre réflexion montre que toute assertion qui prétend transcender la conscience se contredit implicitement; et (en particulier) il faut se demander si ce connaissable est déterminé ou indéter- miné. S’il est déterminé, toutes ses déterminations, parce qu’elles sont objets de connaissance, sont relatives à la conscience ; s’il est indéterminé, c’est un universel abstrait, une pensée et, à coup sûr, des pensées n’existent que dans ’esprit... Il est clair que la distinction se situe à l’intérieur de la conscience. Note B.. - Il serait intéressant d’obtenir une réponse précise des hommes de science dont le langage tient toute connaissance pour relative et un moment après (ou avant, selon l’occasion) discutent de l’état de la terre avant ’apparition de la vie; cela en rapport avec la question suivante « Quel est le sens de la géologie ? » Est-ce que, dans le temps, l’antérieur est relatif au postérieur ? Et en quel sens ? ILL. - Mais nous n’avons pas encore atteint le sommet de l’unila- téralité dans la réflexion. Cependant, on y arrive nécessairement. L’unilatéralité signifi- ait d’abord : « L’existant est l’objet, défini comme ce qui n’est pas le sujet et, dans la connaissance, l’objectif entre en relation avec le sujet, sans être pour autant subjectif. » La réflexion nous a montré que cette position était intenable et nous a contraints à affirmer : « Connaissance et existence impliquent, l’une et l’autre, le sujet ; il n’ y a pas d’autre monde que celui de la conscience ; l’univers n’est pas l’objet indépendant et existant en lui-même (en relation mais non relatif), il est la corrélation du sujet et de l’objet, c’est-à-dire la conscience et nous ne pouvons pas transcender la conscience. » Le $ II ne nous a pas menés plus loin. Il est cependant impossible d’en rester là. Le Moi et l’objet, le connaissant et le connu sont d’abord apparus comme des tres déter- minés, extérieurs l’un à l’autre. Nous avons vu que l’affirmation selon laquelle ils sont juxtaposés est la réflexion qui les englobe; cette vue, la nôtre, s’est réalisée dans la négation de la prépondérance de l’un ou de l’autre terme et dans l’assertion que leur corrélation en tant que (ou dans la) conscience est la réalité véritable. 2 « En tant que conscience ou dans la conscience ? » Si « en tant que conscience » signifie que la conscience est le rapport réciproque du moi et du non-moi, j’ai déjà réfuté cette assertion, virtuellement dans l’assertion..., explicitement dans la réflexion consciente qui domine leur rapport et en posant la question : « Qu’est-ce que la conscience ? Et quelle est sa position par rapport à moi. » Lorsque l’on dit « dans la conscience », on reconnaît déjà que la conscience est plus que le rapport, est le réceptacle où il est conservé; on oblige, sauf irréflexion, à se demander : « Suis-je, moi, dans la conscience ? » La conscience est plus que la relation réciproque du moi et du non-moi. Elle n’est pas cette relation réciproque mais elle la domine elle est pensée et essentiellement sujet. Tel est le résultat nécessaire de la réflexion. Qu’est-ce donc que le sujet ? Il n’y a qu’un sujet qui soit connu, le « moi » particulier qui fait vis-à-vis au non-moi particulier. Il est dans la conscience parce qu’il est conscience, car la conscience est moi, et, moi, je suis conscience. Telle est la conclusion de la forme empiriste de ‘IDÉALISME SUBJECTIF Ici on atteint l’autre extrême de l’unilatéralité. a) La conscience est ma conscience, la connaissance est ma connais- sance. Le « Je » est le substrat nécessaire de tous ses prédicats, « Je pense », « Je sens », etc. « Mien » signifie à moi, appartenant et relatif à « moi » ; le « moi » est « ce moi-ci », « moi-même » et « nul autre ». Si on veut le nier, on affirme : « Je sais que la connaissance ne m’est pas relative ». S’il en est ainsi, comment puis-je le savoir, savoir ce qu’il ne m’appartient pas de savoir. Le « Je » est-il donc différent du « moi »? Cela n’est-il pas absurde? b) Si donc la connaissance est relative (cf. supra), l’existence l’est aussi. Le terme d’existence désigne ce qui existe pour moi. Telle est la seule existence qui puisse avoir un sens, qui ne soit pas = 0. Si ’existence n’est pas connue, pour moi elle = 0 (Je ne peux pas aller au delà de moi-même). « Est » = « est pour moi », « est relatif à moi », ” est à moi », « est moi ». Le monde est ma subjectivité. Note. - Si on en tire correctement toutes les conséquences, l’intuition empirique du sujet particulier comme substance et cause, ainsi que la dérivation des catégories à partir de là et la limitation qui en résulte pour leur portée, conduisent à l’idéalisme subjectif. Mansel y est parvenu bien qu’il ait vu... (I), dans le temps une forme de lEgo (empirique?). TV. C’est une confusion qui faisait identifier à la totalité de la relation l’un de ses termes (pris dans sa particularité). Le « Je» était présent comme un terme opposé à un autre. Il était présent comme le tout dans lequel et pour lequel existaient les deux côtés. Si raisonnable soit l’instinct qui pousse à identifier les deux « Je», c’est cependant pure naïveté que de les identifier en prenant l’un uniquement dans son rapport à l’autre et de perdre de vue la différence; voilà ce qui se manifeste comme tel à une NOUVELLE RÉFLEXION a) « Je connais, la connaissance est donc relative à moi et je suis ce moi-ci. » Qu’est-ce donc que le « ce moi-ci », « le sujet particulier » ? Ainsi, la question : « qu’est-ce que ? » implique que le moi, en tant que connu, est l’objet de la connaissance et donc qu’il lui est relatif ? La connaissance de tous les « moi » particuliers est relative à la conscience que l’on a d’eux et à la réflexion sur eux. Plus particulièrement, que signifie « ce Je-ci » ? Il signifie : pas d’autres existences particulières. Il n’est « celui-ci » que dans la mesure où il exclut « celui-là ». Il est limité. Il est une partie du monde connu et relatif au reste, tout 3 comme l’ensemble du monde connu est relatif à la connaissance. De plus, lorsque je veux dire en quoi je diffère des autres et que j’énumère mes caractéristiques, propriétés et attributs, le résultat est clair : toutes ces données particulières qui font de moi ce que je suis existent pour la connaissance et lui sont rela- tives. b) Et (comme toujours) l’existence suit la connaissance. Mon existence comme moi particulier est relative au sujet de la connaissance et elle en dépend. Est-ce que cela s’oppose au § III ? Car, qu’est-ce qui empêche le « ce moi-ci » d’être à la fois sujet et objet ? Ou plutôt : « Pourquoi le sujet ne serait-il pas le « ce moi-ci » ? Pour la raison que tout et partie ne sont pas même chose, qu’essence autre désignation du permanent et accident ne sont pas identiques, qu’universel et particulier ne se confondent pas. Je ne suis pas le monde car je suis moi en tant que je m’en distingue et m’y oppose; mes caractéristiques n’existent qu’en relation avec la somme des choses. Cette relation-ci à d’autres personnes et d’autres choses, cette relation-là et les autres, innombrables et, en définitive, indéfinissables, concentrées dans le « ce moi-ci » et recevant le nom de moi font et ont fait de moi ce que je suis. Elles m’ont fait. Il y a eu un temps où je n’étais pas ; cependant, ce temps est objet de connaissance et le monde antérieur à mon existence est relatif à la pensée. Elles me déferont lorsque - - les relations périssant un peu à la fois ou d’un seul coup - le foyer qui en est le centre passera comme son cercle. Or le monde qui sera, tout comme celui qui est et qui a été, est cependant le monde de la pensée, relatif à l’esprit. De cette terre jaillissent mes joies, Et ce soleil brille sur mes douleurs (I) ; Les choses ont existé, existeront et, en un sens, existent maintenant sans moi. Certes, j’ai ma place dans le système ; je joue peut-être un rôle nécessaire, mais je ne suis pas nécessaire. Je suis ceci plutôt que cela; pris isolément ou ensemble, ceci et cela sont également inessentiels à la totalité qui défie la mesure. La totalité dont je dépends et à laquelle je dois mon être est un objet et tel est l’objet, tel est le sujet. La pensée à laquelle toutes choses sont relatives doit être aussi vaste que l’univers, elle doit être, au sens le plus plein des termes, universelle et illimitée, car rien ne lui est extérieur. Or mon moi et ma personnalité sont finis, limités à une sphère, et entourés de tous côtés par le non-moi. Si ma personnalité était universelle, elle ne serait pas particulière, elle ne serait pas celle-ci et mienne. Note I. Question à laquelle dot répondre l’idéalisme subjectif: « Ai-je eu un père » ? Note II. - « Moi et aucun autre » (III a). Cette expression est l’œuvre de l’idéalisme subjectif; elle est sa propre réfutation car ’expression « aucun autre » montre que le moi est un autre, est un parmi beaucoup. V. BILAN DE III ET IV. Le § III conduit à l’assertion que l’univers est relatif au « ce moi-ci ». Par contre, nous avons au § IV, trouvé que le sujet particulier est partie du tout et qu’il lui est relatif. Nous avons également trouvé que le tout est objet pour la pensée. En contredisant le § III il semble plutôt que nous l’ayons confirmé. Le sujet limité et mortel n’est pas essentiel à l’univers. D’autre part, il est, comme l’univers, relatif à la pensée ; or la pensée est conscience et la conscience est moi. Une question ’impose à nous : s’il est clair que la pensée domine l’univers, ne sommes-nous pas contraints d’identifier pensée et moi ? Si « moi » ne signifie pas « ce moi-ci », mon moi particulier, que peut-il signifier d’autre ? Peut-il signifier quoi que ce soit D’une part, le monde est relatif à moi ; d’autre part, 4 je me pense et je ne peux me penser que comme une existence particulière dans le temps, un simple appendice passager de l’univers qui est mon objet. Penser le moi, c’est le nier, l’abaisser au niveau de la pure relativité ; or cette négation et cet abaissement sont la réaffirmation du moi comme réflexion pour laquelle toutes choses existent et qui cependant ne peut pas être séparé de la person- nalité individuelle. Dans cette contradiction (apparent ou réelle) nous sommes contraints d’affirmer la vérité des deux propositions ; mais vouloir les réunir, c’est poser le problème philosophique le plus difficile et nous devons nous sat- isfaire de reconnaître l’égale validité des deux termes. VI. I. Telle n’est pas cependant la conclusion de la réflexion psychologique ; elle ne s’est pas élevée jusqu’à voir que la négation du sujet auquel tout est relatif se réfute elle-même et ne cesse de réaffirmer ce sujet. De son point de vue, le sujet se réduit encore au sujet particulier et elle s’exprime dans l’argumentation suivante. Si l’objet pris à part n’est pas le réel plus que ne l’est la corrélation du sujet et de l’objet ou (a fortiori) le sujet particulier pris à part (c’est-à-dire le sujet particulier comme tel), et si, en même temps, nous ne pouvons transcender la conscience et ne devons pas y songer, puisque la conscience est le monde, n’est-il pas clair que la conscience n’est ni objet ni sujet, ni corrélation des deux, mais qu’elle est ses propres états, soumis à ses propres lois ? Si, de plus, on entend par « objet » la désignation qui convient à tout état de conscience, nous savons ce que cela signifie; ou, si c’est l’expression universelle qui désigne les états que nous distin- guons des autres et tenons pour extérieurs, elle est inoffensive. Si, pareillement, on voit, dans le sujet la collection des états que nous appelons intérieurs, dans la corrélation un lien entre états intérieurs et extérieurs, il n’y a rien à redire. Mais, si l’on va plus loin, on suppose que des existences réelles correspondent à des termes généraux, alors que toute existence réelle est individuelle, est un état de conscience particulier. Il n’y a de réel que les états de conscience ; ’esprit ou la conscience se réduit au terme général qui désigne la somme des états et des phénomènes, tout comme le sujet se réduit au terme général qui désigne une collection de certains états particuliers intérieurs à la conscience. On entend par « moi », d’une manière générale, mes états intérieurs et, si l’on cherche à le saisir de plus près, le contenu de ma conscience intérieure à un moment donné quelconque. Le sujet particulier, en tant que tel, se réduit à une fiction. S’il est particulier et réel, il doit pouvoir être donné dans un état de conscience or : dans quel état de conscience est-il donné? Qu’est-il ? Où est-il ? Comment peut-on le saisir ? Par quel organe ? En quel point de l’espace et du temps ? N’étant point particulier, il n’est pas réel. Il en est de même de l’objet. L’objet est une collection ’impressions, de sensations, d’instants de conscience appartenant à l’espèce des données que l’on nomme extérieures; elles coexistent de différentes manières et entretiennent des relations de resemblance et dissemblance. Ces sensations reparaissent en groupes plus ou moins semblables et produisent des exemplaires affaiblis qui se disposent et se groupent eux-mêmes selon certaines lois. C’est la combinaison de ces lois qui fait de l’ensemble de la collection une unité apparente mais non réelle; substance et cause sont les illusions qu’elle en- gendre, la fiction dans laquelle ’esprit donne lorsqu’il cherche à réaliser ce qui se réduit à un terme général. Le sujet est pareillement une fiction. Nos états 5 intérieurs particuliers engendrent leurs échos affaiblis qui, rassemblés selon les mêmes lois et unis à de nouvelles impressions internes, forment un agglomérat auquel correspond un terme général. Ce terme général a de la réalité dans les éléments particuliers multiples qui en relèvent mais il n’en a aucune en lui-même, parce qu’il n’est pas un élément particulier. La fiction d’un sujet vient de ce que l’on tente de le réaliser en lui-même. Or le sujet est uniquement un certain nombre d’états de conscience coexistants, flottants, et qui semblent reparaître; il n’est réel que dans la mesure où il est tel ou tel état de conscience particulier. (Comme nous l’avons vu précédemment), la corrélation du sujet et de l’objet signifie qu’il y a une différence notable entre deux ordres d’états de conscience et que les groups appartenant à ces deux ordres entretiennent des relations plus ou moins régulières. Satisfaisante si on y voit une expression générale, c’est une illusion si on la tient pour quoi que ce soit de réel. Ce qui relie et distingue ces ordres et, en eux, les éléments particuliers n’est pas universel, n’est rien qui soit situé au-dessus des différences car il serait irréel. Non ! Le lien est réel et donc particulier. Il est sensation ou « forme de sensation » à tel ou tel instant. Note I. Il faut prendre garde que les lois de ’association se réduisent absolument aux expressions générales de certain faits particuliers. Tout ce qu’elles signifient, c’est qu’en fait, les « états de conscience » se groupent de telle et telle manière ! Et lorsqu’on dit que l’esprit engendre des fictions, il ne faut pas commettre l’erreur de penser que, dans l’association ou ailleurs, ’esprit est actif. Au con- traire, ’existence de ’association est antérieure à celle du sujet, le sujet est le produit de l’association. Note II. On perçoit les associations particulières grâce à une forme de sensation. Les lois ne sont réelles que dans la mesure où elles sont particulières ; sous tout autre aspect, elles sont, elles aussi, des fictions. Mais la connaissance de la fiction et l’énoncé des lois de l’association sont-ils sensation ou forme de sensation ? Nous y reviendrons. 2. Il est impossible d’en rester là. Les sensations ou états de conscience, qui semblaient réels et qui apparaissaient en groups ordonnés ou en séries de groupes, sont, en fait, des existences strictement individuelles et éphémères. Il n’y en a pas deux qui soient identiques et aucune ne garde son identité d’un instant à l’autre. Elles sont entièrement particulières et les relations qu’on leur attribue leur restent ex- térieures. S’il n’en était pas ainsi, une référence à ’autres leur serait intérieure et, par conséquent, elles ne seraient ni particulières, ni réelles. Leurs relations sont don irréelles et fictives. Les lois de ’association sont dépourvues de sens. Elles énoncent des relations universelles et permanents entre des existences absolu- ment instantanées, isolées et individuelles. En tant que relations universelles, elles sont, de toute évidence, irréelles et leur réalité particulière dans des rela- tions particulières est aussi une illusion car, nous venons de le voir, toutes les relations sont irréelles. La distinction présumée entre sujet et objet, intérieur et extérieur est également intenable ; reconnaissant ’identité de séries qui n’ont d’identique que le nom, la distinction est, de toute évidence, fictive de plus, la différence particulière, présumée intérieure à un instant particulier est égale- ment irréelle. Deux sensations n’en sont pas une, nous le savons, mais cela est vrai de toutes les sensations et c’est un non-sens de penser que deux sensations sont données en une comme deux espèces différentes de sensations. Quoiqu’il 6 puisse en sembler, une sensation est réellement particulière et c’est une absur- dité que de poser deux éléments particuliers distincts et cependant réellement unis en un seul ou un élément particulier réellement présent en deux éléments. On a situé dans la sensation le critère de la vérité et de l’erreur. La sensation particulière, donnée à un instant particulier est, selon ce critère, la réalité ultime et (en stricte rigueur) en dehors d’elle il n’y a qu’illusion. Le critère garantit quelque chose de réel; selon la doctrine de ’association, il garantit les relations de temps, de lieu et de resemblance, etc., qui nous sont données dans les sensations ou les formes de sensations. Voilà ce que la philosophie de l’association a à dire sur le critère. Nous voyons maintenant, à la réflexion, que la simple sensation n’est pas le critère; car, en termes précis, une illusion n’est rien d’autre qu’une sensation et, à cet égard, elle ne se distingue en rien de la réalité. C’est une espèce particulière de sensations, une sensation déterminée qui se trouve être la réalité ; à la réflexion, nous sommes contraints de voir dans la détermination le critère de la sensation et le canon ultime. Cette détermination est discontinuité absolue. Les sensations vraies (ou la vérité) sont entièrement particulières, elles sont, quant à leur contenu, absolument simples et, en ce qui concerne leur ordre dans l’espace et le temps, atomiques et instanta- nées. Ce qui ne répond pas à ce critère est illusion. Qu’est-ce qui y répond ? L’impression produite par un objet courant est une fiction car l’objet a une diversité de signes distinctifs, de qualités et ’attributs; à moins d’en percevoir un ou davantage, on ne perçoit pas l’objet. Les qualités sont une pluralité dans l’unité, c’est-à-dire une totalité. Si c’est la pluralité que l’on perçoit, plusieurs sensations sont données et l’unité est illusion. Si c’est l’unité que l’on perçoit, ce sont les qualités qui deviennent illusion car elles sont multiples. La perception de l’une exclut celle des autres; une unité à laquelle le multiple est intérieur est un universel et rien de réel. Une impression complexe est donc une fiction. De plus, nous l’avons vu, toutes les relations sont complexes. Elles impliquent plus d’un terme et, pourtant, la relation est une. Par conséquent, si la relation est donnée dans une sensation unique elle n’a pas de termes ; si elle est donnée en des sensations multiples, les éléments multiples ne sont pas en relation. Ainsi la sensation de relation est-elle une illusion. Il est ici évident que les perceptions spatiales et temporelles ne sont pas réelles. Si une impression est extérieure à une autre il y a multiplicité, il y a aussi unité. Les deux facteurs sont essentiels. Or, ils ne peuvent pas coexister; car une sen- sation n’est pas deux sensations intérieures à une troisième et deux sensations ou davantage ne font pas une sensation et n’ont, entre elles, aucun rapport. A proprement parler, une sensation ne succède pas non plus à une autre dans le temps ; cela n’est pas objet de conscience. Le temps implique non seulement la même contradiction que l’espace mais non-sens supplémentaire qu’une sensa- tion qui n’est pas et une sensation qui est soient présentes dans une sensation unique. Ainsi l’ordre temporel et l’ordre spatial sont-ils des fictions. (Il est donc impossible d’en faire le réel sous-jacent à l’illusion : la succession n’est pas la vérité de la causalité et ’apparition en un point de l’espace et du temps ne peut pas fournir ’identité requise pour que, dans la perception, il y ait totalité.) Ainsi la sensation ne fournit-elle aucun critère, à moins que l’on ne puisse distinguer ce que l’on sent de ce que l’on a seulement l’impres- sion de sentir. La sensation 7 particulière et son message se révèlent non point particuliers mai illusoires et même l’impression instantanée nous trompe car ’instant échappe à nos prises et (avant que nous ne puissions voir), nous sommes en présence d’un nouvel instant ; nous ne pouvons réunir les deux qu’aux dépens de la vérité. Nous n’avons ni repos ni changement. La vérité est que toute réalité est simple et, comme toute réalité supposée se révèle complexe (+), tout change entre nos mains, le monde est une illusion et cependant il n’est pas illusion mais problème perpétuel pour l’analyse. (+) Si elle a des déterminations elle est complexe or, elle doit en avoir, car une détermination unique ne suffit pas à définir une donnée partic- ulière. On dira : « Les données particulières (particulars) sont indéfinissables mais la connaissance que nous avons de chacune est distincte de celle des autres, car ce sont des déterminations simples saisies comme particulières parce que des relations externes les dis- tinguent. » Il faut poser la question suivante. Est-ce que ces relations sont. intérieures ou extérieures à la donnée particulière ? Si elles lui sont intérieures, ce sont des déterminations et la donnée particulière est complexe. Si elles lui sont extérieures, on peut les en séparer. Si on les en sépare, la donnée particulière subsiste-t-elle ? Non ! Elle cesse de se distinguer, d’être autre, sa détermination simple est un universel. Le particulier était ce que l’on pouvait distinguer, séparer. Or, il est ainsi réellement séparé, il cesse donc d’être séparable, d’être particulier. Voilà qui suffit; mais l’analyse put poursuivre ençore sa recherche de la détermination soi-disant simple et, en fait, de données déterminées ou distinctes. Nous devons voir ce qu’est notre monde. Il n’y a ni sujet, ni objet, ni groupes d’impressions et d’idées soudées selon des lois rela- tivement constantes et, dans une certaine mesure, distinctes; toutes les distinctions et toutes les relations disparaissent dans le flux absolu. Le monde qui semblait naguère si consistant éclate et disparaît en un courant de sensa- tions où aucune n’est identique ni à une autre, ni à elle-même, d’un instant à l’autre. Il ne peut pas y avoir de lois lorsque tout est éphémère et qu’il n’y a rien de commun. Le moi est, dans le courant, la poignée instantanée qui disparaît lorsque nous la saisissons et qui, cependant se reforme de plus belle, mirage à la fois nouveau et sans fin. On ne peut pas appréhender les sensations indivi duelles pour la raison qu’elles sont individuelles; une sensation conservée est une autre sensation et nous ne pouvons même pas dire qu’elle est autre car ce serait aller au delà d’elle. Nous ne pouvons rien dire de rien, car il suffit de nommer A pour qu’il devienne B et B pour qu’il devienne C; plus exactement nous ne pouvons rien dire car un jugement est complexe ; en d’autres termes, c’est une illusion. Tout est illusion sauf le flux des idées instables et le critère, le principe d’analyse qui agit en lui, qui prend le monde dans sa vérité et, pour cela, le fait ou, plus exactement, ne cesse de le faire vrai. Voir et vivre en cette âme du réel, voilà ce qui seul est vie, vérité et être, alors que tout le reste est apparence. Note. - Le critère de l’individualité, qui semblait primitivement lui correspondre (c’est-à-dire la sensation) a complètement. changé ’allure et il apparaît comme l’unité de pensée négative. VII. - RÉFLEXIONS SUR VI, I et 2. On a d’abord conclu à des séries de sensations groupées par (ou plus exactement selon) des lois et ensuite au flux chaotique des états de conscience. Il semble à première vue difficile ou impossible d’attaquer une conclusion semblable. I semble impossible 8 de discuter lorsque tout point d’appui se dérobe. Il ne faut pas tenter d’opposer aux conclusions précédentes des affirma- tions qui les contredisent. Nous devons, au contraire, recueillir ces conclusions et réfléchir sur elles. Une interprétation prétend établir une conclusion : « Le monde est tel ou tel ; les faits ont telle et telle propriétés, voilà l’expression intégrale du monde .et des faits. » Tel est le terrain sur lequel se situe, en général, la discussion ; on oublie que la conception est elle-même un fait, au même titre que les autres, que si le fait représenté par la conception ne prend point place dans ses conclusions, celles-ci sont fausses et la conception est incomplète; a le monde est inconnaissable » est une conclusion mais aussi une conclusion tronquée; la conclusion intégrale est : « le monde est inconnaissable... et pourtant, je le connais ». Nous disons : « Il en est ainsi » ; mais nous le disons et la question se pose immédiatement : « S’il en était ainsi, pourrions-nous, en admettant que la théorie soit vraie, le dire ? » Il est don immédiatement évident (comme nous l’avons vu précédemment), pour l’esprit réfléchi, que l’on ne peut pas se débarrasser du sujet de la pensée, le laisser hors de compte. L,’interprétation doit inclure ce qui la fournit. Autrement (ce n’est pas si banal qu’on ne puisse l’oublier), il lui reste extérieur et, lorsque subsiste un résidu inexpliqué, l’explication n’est pas complète. Application. D’après I, les états de conscience se groupent selon des lois pour donner (into) le sujet et l’objet ; c’est-à-dire que les sensations, etc., sont les GToyïa et qu’elles suff- isent à engender le Moi et le Non-moi. Ce n’est pas un simple « fait » mais une théorie. Le fait de la théorie représente beaucoup plus que le « fait ». Il représente ceci : l’univers des sensations régies par des lois est conscient de lui- même comme tel, se pense et s’exprime lui-même comme tel, est un sujet, est relatif à un sujet et donc n’engendre pas le sujet pour la simple raison que les arouxcio, supposés antérieurs au sujet qu’ils engendrent, sont, tout comme lui, relatifs au sujet de la théorie qui les propose. Non ! dit une objection. « Il y a d’abord les sensations et les lois, ensuite le sujet, après le sujet, la réflexion sur les sensations, les lois et le sujet. » Je réponds une fois de plus : est-ce que, pour nous, être connu et être sont la même chose (en donnant au terme de connaissance son sens le plus large) ? S’il en est autrement, toute discussion cesse : car vous dites que cela existe que vous ne connaissez pas, ce qui revient à se situer en dehors du domaine ou la discussion est possible. Or s’ils sont la même chose, j’affirme que les sensations et les lois supposes antérieures au sujet lui sont en fait relatives dans la mesure où elles sont connues et parce qu’elles sont connues. C’est notre connaissance seule qui répond de leur préexistence. Si elles ne lui sont pas relatives, pouvons-nous en dire quoi que ce soit ? N’est-ce pas nous qui les soutenons ? Il est vain de poser la question suivante : « La connaissance est présente; comment le passé peut-il dépendre du présent ? » C’est assurément un problème assez difficile à résoudre mais il est extérieur à notre propos. Si le passé et le présent se réduisent pour nous à des objets de conscience, ils sont intérieurs à la conscience et, quels que soient leurs rapports, ils sont relatifs à la pensée qui réfléchit sur eux. Je suggérerai au passage une question opposée : « Est-il pire de dire «le passé dépend du présent » (cette expression n’est cependant pas la nôtre) que de dire « le passé est présent » ? Or, si le passé n’est pas présent, ce n’ est pas un passé pour nous et il n’existe 9 pas. » On fera valoir que « les sensations existent et les formes de sensations aussi sans être reliées à un sujet. Avant que nous ne sentions, et même à des moments où nous ne sentons pas, existent des états mentaux bien que, nous le concédons, il soit impossible d’en parler sans dire nous ». Il suffirait ici de répon- dre comme précédemment : « Alors vous ne devez pas en parler puisque vous ne pouvez pas le faire sans les dénaturer. » Il faut s’entendre : oui ou non, vous avancez une théorie. Dans ‘affirmative, vrai signifie ce qui est vrai en théorie, vrai en parole (in speech). Si vous en venez à dire : « Les sensations et les lois dont je parle n’existent pas tels que j’en parle », alors vous prétendez défendre quelque chose qui, vous le reconnaissez en même temps, est sans rapport avec votre assertion. Mais la répétition de cette remarque est lassante et peut-être plus propre à réduire au silence qu’à convaincre. Il faudrait toutefois se rappeler que nous l’avons proposée pour réfuter certaines assertions, non pour résoudre les difficultés. Cette dernière tâche serait de longue haleine et considérable; il n’y a pas de raccourci. Nous ne pouvons pas l’entreprendre mais nous allons essayer brièvement de clarifier le sujet. A coup sûr, des sensations existent avant d’exister pour nous, oui, avant même que l’on soit en droit de dire qu’elles sont en nous. Certainement, au cours de l’évolution du monde, des sensations, des états de conscience (ou ce que l’on voudra) ont existé dans l’espace et le temps, avant que les formes de la vie n’apparaissent ; il y avait alors des sensations, au sens propre du terme, avant que l’on puisse affirmer ’existence du sujet human; même avant ce stade elles existaient et on n’en parlait pas car le langage est postérieur à la sensation et il la présuppose. Dire que vous et moi, nous ne sommes pas postérieurs à cette évolution, dire que nous ne la présupposons pas mais qu’elle nous présuppose, c’est choquer tous ceux qui ne se complaisent pas dans le paradoxe. Il est absurde de dire qu’il n’ y avait rien de réel avant que nous ne commencions à parler. Or, cela, l’ai-je dit? « Oui », répondra-t-on. « Vous dites que « Tout est relatif à moi » et que « rien n’est vrai que ce qui l’est en parole ». » Si j’avais (voici ma réponse) affirmé (avec Berkeley et Ferrier) qu’aucun objet n’est donné à la conscience sans être accompagné de la conscience que j’en ai conscience, je plaiderais coupable sur le premier point; ou si, sur le second point, j’avais dit que la vérité en parole (in speech) se réduit à la vérité de la parole (of speech), je reconnaîtrais mon erreur. Mais je n’ai affirmé ni l’un ni l’autre. Distinguons. Les termes de « Je » ou « Nous » tels qu’ils apparaissent dans la proposition précédente ne signifient pas ce moi ou ce nous-ci, Smith ou Jones, sauf dans la mesure (si c’est ce qui arrive) où Smith et Jones ‘identifient à un sujet par rapport auquel ils sont accidentels. Il est vrai ou il peut l’être qu’en lui, ils ne cessent pas d’être Smith ou Jones, mais il n’en résulte pas que tout ce que l’on peut dire de Smith ou Jones, individus situés dans l’espace et dans le temps, puisse en être dit lorsqu’on les envisage de cet autre point de vue. Moi, Smith ou Jones (il est impossible de s’interroger ici sur le comment et le pourquoi), je peux, sans trop de difficulté, m’élever au-dessus de mon existence en un point particulier du monde de manière à penser au contenu du monde indépendamment de toute référence à mon existence individuelle ! Voilà une expérience tout à fait courante. Je peux donc me représenter l’évolution dans le temps comme un processus avec lequel personnellement je n’ai rien à voir, 10 sauf dans la mesure où je suis situé en lui. Je reconnais en somme que certains contenus de ma conscience ne sont pas engagés dans mon existence empirique ; j’ai conscience qu’ils en sont indépendants et qu’ils lui sont antérieurs, bien plus, qu’ils existent quand celle-ci n’existe pas. Je peux les considérer en eux-mêmes et par eux-mêmes. Mais la possibilité que j’ai de séparer en pensée certains éléments de ma conscience de certains autres qui lui appartiennent également prouve-t-elle le moins du monde que les premiers existent en dehors de la con- science. Ce que l’on distingue peut-il toujours exister à part ? D’autre part, n’est-ce pas pur non-sens que de parler d’éléments de la conscience qui existent en dehors d’elle ? La seule resource est de dire : véritablement, en eux-mêmes et pour eux-mêmes, ce ne sont pas des éléments de conscience. Nous revenons au même point que précédemment et nous ne pouvons rien dire de plus : nous n’avons rien à dire contre la possibilité donnée à qui l’on voudra d’aller au delà de son esprit et de transcender sa conscience; mais, lorsqu’il reviendra à lui- même et au monde, nous le critiquerons selon le critère de ce qui existe pour nous; nous ne nous lasserons pas de répéter que, mesuré à cette aune, il se contredit aussi souvent qu’il parle. Certes, ce n’est pas expliquer comment et en quel sens ’évolution naturelle qui précède le sujet humain est, cependant, comme tous les phénomènes qu’elle inclut, intérieure à la sphère du Moi ou du Nous, de quelle manière une abstraction unilatérale permet seule de la réaliser en elle-même. A supposer que nous puissions montrer comment tout présuppose explicitement ou implicitement le sujet, nous ne pourrions pas le faire ici. Mais le fait peut être connu et il l’est sans que l’on fasse appel à la philosophie. En denier lieu, pourquoi affirmer qu’une conception qui contredit nécessairement lorsqu’elle s’exprime est fausse ? Simplement parce que l’on admet que le lan- gage représente la pensée, que faux en parole signifie faux en pensée et que faux en pensée signifie faux en fait. Nous ne pouvons penser que dans le langage et, ici, il est hors de propos de faire valoir que des stades supérieurs de la pensée ne peuvent pas s’exprimer dans des stades élémentaires du langage. De plus, l’irréel n’est pas ce que, de manière relative, on ne peut pas nommer mais seule- ment ce que ’on ne peut absolument pas nommer, ce qui est en contradiction avec soi-même. Quant à la dernière partie de l’hypothèse qui veut que ce qui est vrai ou faux en pensée ou en théorie soit vrai et faux en réalité,