Les choix binaires et la liberté de conscience Lecture de rabbi Tresmontant et de rabbi Girard Qui n’a jamais entendu quelque grand de ce monde flétrir le manque de nuances dans les espérances du petit peuple d’un arrogant et hautain : « Et c'est justement parce que les esprits sont devenus binaires sur tout que notre société va si mal. » Or le petit peuple a raison, la liberté humaine ne porte que sur des choix binaires. Le bien et le mal sont fondamentalement deux choix binaires opposés : sacrifier le bouc émissaire ou (exclusif) sacrifier sa propre chair ; répondre à la violence par la violence ou tendre l'autre joue ; haïr et détruire ses ennemis ou les aimer en priant pour eux ; etc. Et on n'y peut rien puisque telle est la volonté de Dieu. Mais n’est-il pas possible de concilier les contraires ? La dialectique hégélienne, dont se réclame Macron, prétend les concilier. Fort étrangement les communistes chinois, disciples de Hegel, se sont déchirés à mort pour savoir si dans la contradiction c'est la division (un se divise en deux) ou la fusion (deux fusionnent en un) qui prédomine, qui est vraie. Mais « un se divise en deux » et « deux fusionnent en un » sont deux moments du même processus non pas dialectique mais sacrificiel et religieux. « Un se divise en deux » correspond au groupe social déchiré par la guerre de tous contre tous qui est le degré collectif et suprême du désir mimétique tandis que « deux fusionnent en un » est l'état qui suit le lynchage du bouc émissaire quand la catharsis sacrificielle a purifié le groupe des rivalités et violences intestines qui le déchiraient. Dans le premier état chaque sujet voit dans chacun des autres membres de son groupe un double mimétique qui a confisqué à son seul profit la divinité dont le sujet se sait dépourvu. Dans le second état qui suit l'extermination du bouc émissaire, rendue possible par la polarisation de tous contre un seul censé être la cause unique du mal, chaque membre du groupe a la certitude d'avoir libéré la divinité confisquée par le bouc émissaire et d'en bénéficier à titre individuel comme collectif. Ce mécanisme est universel. En Occident, par exemple, hier le bouc émissaire était un Juif, un Noir ou un Arabe, aujourd'hui c’est un Russe, un Chinois ou encore un être en gestation. L'humanité animale est enfermée dans une prison : la certitude de la vérité (la foi disent les curés) en la nature humaine (la chair disent les curés). Et l'humanité animale prétend se libérer de cette prison par le lynchage des boucs émissaires et le sacrifice humain. Or justement le désir mimétique, le lynchage des boucs émissaires et le sacrifice humain font non seulement partie de cette prison de l'esprit humain mais plus encore ils en constituent la clef de voûte qui a permis à l'humanité animale de perdurer depuis le péché originel. Mais de manière paradoxale l’humanité animale a raison, il existe bien un sacrifice très particulier qui libère l’homme. Car il n’y a qu’une seule manière pour sortir de cette prison qu'est la croyance en la vérité de la chair, en l'excellence des programmations animales inscrites dans le cerveau reptilien (le fameux serpent tentateur de Genèse 3), il n'y a qu'une seule voie de sortie : le sacrifice de Jésus sur la croix. Comment fonctionne-t-il ? Il faut d'abord comprendre ce qu'est le désir mimétique ou désir envieux théorisé par René Girard mais décrit dans la bible hébraïque (par exemple le Jugement de Salomon) ou la bible grecque (baignée dans la description du désir mimétique et de son évolution) ainsi que chez les plus grands romanciers chrétiens : Cervantès, Shakespeare, Dostoïevski et Guimarães Rosa pour ne citer que les plus grands mais il en est d'autres, presque aussi grands, comme La Fontaine, madame de La Fayette, Stendhal, Flaubert, Proust (seul juif), Joyce. L'homme a par création le désir de voir Dieu, désir qui se confond avec la certitude absolue de notre incomplétude (inachèvement) et de notre imperfection. Lorsque ha-adam a rejeté le commandement de Dieu pour placer sa foi dans les programmations animales inscrites dans son cerveau reptilien il a élevé dans son esprit, à la place qui revenait à Dieu, la nature humaine. Or tout homme a la certitude d'être lui-même imparfait. Mais puisqu'il a fait de la nature humaine son dieu il croit que la divinité est détenue par d'autres humains que lui-même. Et c'est à ce moment que le désir de voir Dieu devient envieux. Chez l'homme probablement théorique qui n'a pas encore péché la structure du désir mimétique est triangulaire : « Le sujet désire la divinité que Dieu lui offre. » Les trois sommets du triangle qui structurent le désir ontologique de tout homme sont : • le sujet : n'importe quel humain ; • l'objet : la divinité ; • le modèle : Dieu qui propose la divinité à tout homme. La divinité est liberté absolue. Elle ne peut donc pas être imposée à ha-adam (c'est l'homme ou l'humanité en hébreu). En effet si Dieu nous imposait la liberté absolue alors nous ne serions pas libres de manière absolue. Il y aurait là une contradiction donc un mensonge. Or Dieu est vérité absolue. Et donc puisqu'Il ne peut pas nous imposer la liberté absolue Il nous la propose. C'est ici que l'athée ratiocineur (je le sais, j'ai été moi- même athée jusqu'à l'âge de 25 ans environ et de la pire espèce, bien que je n'ai jamais, contrairement à mes parents et grands-parents, haï Dieu, son Fils et son Église) croit triompher. La bouche tordue par un rictus mauvais il se dresse, pointant un doigt accusateur contre le chrétien vaillant et s'exclame : « Mais bougre d'emplâtre à la graisse de hérisson, si Dieu nous propose la liberté absolue, c'est que cette liberté absolue nous l'avons déjà ! » Erreur mon brave athée. Dieu ne nous impose pas la liberté absolue d'un fils de Dieu et d'un dieu mais la liberté relative qui consiste à faire des choix binaires – nous y voilà – entre le commandement proposé par l'Esprit (l'Esprit c'est Dieu qui propose l'information créatrice à la liberté relative de l'homme) et la programmation animale inscrite par le Parler dans le cerveau reptilien (le Parler c'est Dieu qui impose l'information créatrice qui structure le monde et tout ce qu'il contient). Et cette liberté relative Dieu peut, sans se contredire, nous l'imposer. Mais revenons à nos moutons sacrificiels ! Quand l'homme rejette YHWH (lire Adonaï comme les Juifs, Kurios comme les Grecs, Dominus comme les Latins ou Seigneur comme les Français) il frustre son désir de voir Dieu. Et ce désir devient alors envieux puisqu'il cherche chez ses congénères humains la divinité dont il se sait lui-même dépourvu. Mais la structure triangulaire du désir mimétique demeure : • le sujet : n'importe quel humain ; • l'objet du désir : la divinité ; • le modèle : l'être humain qui est censé détenir la divinité. Et donc la loi du désir mimétique, c’est-à-dire du désir de voir Dieu (et d’en recevoir la divine perfection qu’Il nous propose) aliéné par le rejet de l’Esprit survenu lors du péché originel est : « Le sujet désire la divinité que son modèle humain est censé posséder. » Le désir mimétique est fondamentalement instable car frustré par le rejet de l’Esprit. Ce texte est déjà trop long aussi ne vais-je pas décrire ses diverses étapes qui vont du désir bénin au désir collectif hyper violent. Je recommande la lecture de René Girard (Vérité romanesque et mensonge romantique ou, plus dur, Shakespeare ou les feux de l'envie). Venons-en au point important : comment fonctionne le sacrifice de Jésus qui libère l'homme de la certitude en la divinité de la nature humaine et donc de la prison que constitue le désir mimétique et sa résolution hyper violente (le lynchage des boucs émissaires) ? Le sacrifice du Christ a deux effets : d'abord pour lui-même, ensuite pour les Goïm qui l'ont lynché. Le Christ enseigne que tous nous naissons imparfaits et que la seule manière d'atteindre la perfection est de sacrifier ce en quoi nous avons placé notre certitude : la chair, la nature humaine. Ce sacrifice n'est pas un suicide. Il consiste à pratiquer jusqu'à la mort les commandements donnés par l'Esprit qui parle par la bouche de Jésus, ces commandements impossibles qui s'opposent frontalement aux programmations animales. Prenons un exemple concret : Matthieu 5,38-48 38 vous avez entendu qu’il a été dit un oeil à la place d’un oeil et une dent à la place d’une dent 39 et moi je vous dis de ne pas vous opposer au méchant mais celui qui te frappe sur la joue droite présente-lui aussi l’autre 40 et à celui qui veut te faire condamner et prendre ta tunique laisse-lui ton manteau 41 et celui qui veut te contraindre à faire une corvée de un mille va et fais-en avec lui deux 42 à celui qui te demande donne et celui qui veut t’emprunter ne te détourne pas de lui 43 vous avez entendu qu’il a été dit tu aimeras ton compagnon et tu haïras ton ennemi 44 et moi je vous dis aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent 45 en sorte que vous soyez des fils pour votre père celui qui est dans les cieux car son soleil il le fait se lever sur les méchants et sur les bons et il fait pleuvoir sur les justes et sur les criminels 46 car si vous aimez ceux qui vous aiment que sera donc votre salaire est-ce que les collecteurs d’impôts n’en font pas autant 47 et si vous demandez ce qu’il en est de la paix à vos frères seulement qu’est-ce que vous faites d’extraordinaire est-ce que les païens n’en font pas autant 48 c’est pourquoi vous soyez parfaits comme votre père celui qui est dans les cieux il est parfait La programmation animale c'est oeil pour oeil, dent pour dent (répondre à l'agression par l'agression), haïr ses ennemis, avoir l'instinct de possession et d'accumulation, etc. Le commandement de l'Esprit c'est tendre l'autre joue, aimer nos ennemis et prier pour eux, donner sans retenue... Ces commandements sont impossible à pratiquer pour l'homme qui a la certitude de la vérité en la nature humaine. Et c'est ici qu'intervient une programmation animale extrêmement puissante : quand ils ont exterminé le bouc émissaire les lyncheurs ont la certitude d'avoir libéré sur eux la divinité que le bouc émissaire était censé avoir confisquée à son seul profit. Et donc le bouc émissaire devient pour les lyncheurs la source de la divinité : il est dieu mauvais de son vivant (il confisquait à son seul profit la divinité) et bon après sa mort (il a répandu sur le groupe humain pacifié sa divinité). Pour qualifier cette superposition quasi quantique (je plaisante) Girard parlait de l'ambivalence sacrificielle du bouc émissaire divinisé. Le premier effet du sacrifice du Christ est donc qu'il a permis à son Père de le ressusciter dans sa perfection de Fils et de Dieu parmi nous. Le sacrifice du Christ qui a pratiqué les commandements de Dieu jusqu'à la mort l'a rendu parfait « comme son père celui qui est dans les cieux il est parfait ». Le Christ n'est pas parfait dès sa conception comme le clament les chrétiens englués dans la gnose. Dès sa conception par le Parler le Christ est uni au Père dans le Parler. Mais tout comme nous il est doté d'un cerveau reptilien qui le tente à plusieurs reprises. Cependant le Christ est né saint d'une mère née sainte de parents qui l'ont conçue alors qu'ils étaient en état de sainteté. Et Joseph le mari de Mariam était saint lui aussi. Il aura fallu toute l'histoire de la révélation aux Hébreux pour créer cet îlot de sainteté au sein de l'humanité païenne. Et donc Dieu a pu s'incarner en un homme qui ne sera pas contaminé par le péché originel qui se transmet par la famille, le milieu social, l'éducation et la religion. Et c'est pourquoi Jésus a pu, contrairement aux autres hommes, pratiquer librement et volontairement les commandements donnés par son Père. Le sacrifice de Jésus sur la croix a fait que Jésus qui était uni au Père dans le Parler renaît de l'Esprit et est uni au Père dans le Parler et dans l'Esprit. Cette renaissance a fait de lui Dieu parmi nous. Le second effet du sacrifice du Christ est qu'il a été suivi de la conversion immédiate des Goïm qui l'ont lynché comme le narrent les évangiles synoptiques : Mt 27,54 54 et le chef de cent [soldats] et ceux qui étaient avec lui et qui gardaient ieschoua ils ont vu le tremblement de terre et tout ce qui est arrivé et ils ont eu très peur et ils ont dit véritablement le fils, de dieu il était celui-ci Mc 15,39 39 et il l'a vu le centurion qui se tenait debout en face de lui qu'il avait crié ainsi et que son âme était sortie de lui et il a dit c'est certainement vrai que cet homme c'est le fils de dieu Lc 23,47 47 et il a vu le chef de cent soldats ce qui est arrivé et il a glorifié dieu et il a dit vraiment cet homme c'était un juste Et tout homme qui communie dans le lynchage de Jésus en fait son dieu. Or le sacrifice de Jésus sur la croix a fait de Jésus Dieu parmi nous. Et donc les Goïm qui ont communié dans le lynchage de Jésus ont fait de Dieu leur dieu. Et c'est justement ce qui permettra le salut. Détail piquant : les premiers Goïm qui se sont convertis appelaient Jésus Lucifer, preuve qu'ils voyaient en lui une divinité païenne dotée de cette ambivalence sacrificielle relevée par Girard. Récapitulons Depuis le péché originel l'esprit de l'humanité animale est possédé par la certitude de la vérité en la nature humaine. Le sacrifice de Jésus fait de lui Dieu parmi nous non seulement pour Dieu mais aussi pour nous. Notre esprit est alors possédé par l'Esprit qui est Dieu. Mais les deux possessions ne sont pas identiques : la possession par le serpent (le cerveau reptilien) rend l'homme esclave de sa nature humaine au point qu'il ne parvient plus à exercer facilement sa liberté de conscience : seuls quelques rares individus y parviennent, des justes, des prophètes, des rois, des juges, des cohanim... Par contre la possession par l'Esprit n'oblige pas l'homme à se sauver en recevant, en assimilant et en pratiquant les commandements donnés par Jésus. La possession par l'Esprit restaure la liberté de conscience dans sa perfection et l'homme libéré par le sang du Christ est absolument libre de choisir. Dieu profite de sa liberté pour lui expliquer la finalité de la création et la raison pour laquelle elle ne peut se réaliser qu'au travers de la rude épreuve de la pratique des commandements. Mais Dieu ne contraint pas ha-adam. Et donc ce dernier est libre de choisir l'Esprit et de se sauver en pratiquant avec l'aide du Très-Haut les très difficiles commandements du Christ ou de choisir la foi dans les programmations animales inscrites dans la nature humaine, la chair, retombant ainsi dans sa prison et se damnant pour l'éternité. Tel est d'ailleurs le drame que connaît ce qui fut la Chrétienté blanche devenue l'Occident infiniment pire que l'antique paganisme (il s'agit aussi d'un enseignement du Christ). Retenons que la certitude que Jésus est Dieu n'est salvatrice que si nous recevons, assimilons et pratiquons ses commandements. Dans le cas contraire cette certitude demeure stérile et disparaît au profit d'une possession infiniment pire que celle de l'antique paganisme. J'arrête ici, ce texte est déjà trop long. Mais je devais justifier la raison des choix binaires, raison éminemment complexe pour les orgueilleux et vaniteux Goïm retombés en paganisme alors qu'elle est d'une simplicité et d'une logique bibliques !