The Project Gutenberg EBook of La Duchesse de Palliano, by Stendhal This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org/license Title: La Duchesse de Palliano Author: Stendhal Posting Date: October 5, 2013 [EBook #803] Release Date: February, 1997 Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA DUCHESSE DE PALLIANO *** ebooksgratuits.com Stendhal LA DUCHESSE DE PALLIANO Chroniques italiennes (1839) Palerme, le 22 juillet 1838. Je ne suis point naturaliste, je ne sais le grec que fort m י diocrement; mon principal but, en venant voyager en Sicile, n’a pas י t י d’observer les ph י nom ט nes de l’Etna, ni de jeter quelque clart י , pour moi ou pour les autres, sur tout ce que les vieux auteurs grecs ont dit de la Sicile. Je cherchais d’abord le plaisir des yeux, qui est grand en ce pays singulier. Il ressemble, dit-on, א l’Afrique; mais ce qui, pour moi, est de toute certitude, c’est qu’il ne ressemble א l’Italie que par les passions d י vorantes. C’est bien des Siciliens que l’on peut dire que le mot impossible n’existe pas pour eux d ט s qu’ils sont enflamm י s par l’amour ou la haine, et la haine, en ce beau pays, ne provient jamais d’un int י r ך t d’argent. Je remarque qu’en Angleterre, et surtout en France, on parle souvent de la passion italienne, de la passion effr י n י e que l’on trouvait en Italie aux seizi ט me et dix-septi ט me si ט cles. De nos jours, cette belle passion est morte, tout א fait morte, dans les classes qui ont י t י atteintes par l’imitation des moeurs fran ח aises et des fa ח ons d’agir א la mode א Paris ou א Londres. Je sais bien que l’on peut dire que, d ט s l’ י poque de Charles-Quint (1530), Naples, Florence, et m ך me Rome, imit ט rent un peu les moeurs espagnoles; mais ces habitudes sociales si nobles n’ י taient-elles pas fond י es sur le respect infini que tout homme digne de ce nom doit avoir pour les mouvements de son ג me? Bien loin d’exclure l’ י nergie, elles l’exag י raient, tandis que la premi ט re maxime des fats qui imitaient le duc de Richelieu, vers 1760, י tait de ne sembler י mus de rien. La maxime des dandies anglais, que l’on copie maintenant א Naples de pr י f י rence aux fats fran ח ais, n’est-elle pas de sembler ennuy י de tout, sup י rieur א tout? Ainsi la passion italienne ne se trouve plus, depuis un si ט cle, dans la bonne compagnie de ce pays-l א Pour me faire quelque id י e de cette passion italienne, dont nos romanciers parlent avec tant d’assurance, j’ai י t י oblig י d’interroger l’histoire; et encore la grande histoire faite par des gens א talent, et souvent trop majestueuse, ne dit presque rien de ces d י tails. Elle ne daigne tenir note des folies qu’autant qu’elles sont faites par des rois ou des princes. J’ai eu recours א l’histoire particuli ט re de chaque ville; mais j’ai י t י effray י par l’abondance des mat י riaux. Telle petite ville vous pr י sente fi ט rement son histoire en trois ou quatre volumes in-4÷ imprim י s, et sept ou huit volumes manuscrits; ceux-ci presque ind י chiffrables, jonch י s d’abr י viations, donnant aux lettres une forme singuli ט re, et, dans les moments les plus int י ressants, remplis de fa ח ons de parler en usage dans le pays, mais inintelligibles vingt lieues plus loin. Car dans toute cette belle Italie o ש l’amour a sem י tant d’ י v י nements tragiques, trois villes seulement, Florence, Sienne et Rome, parlent א peu pr ט s comme elles י crivent; partout ailleurs la langue י crite est א cent lieues de la langue parl י e. Ce qu’on appelle la passion italienne, c’est- א -dire, la passion qui cherche א se satisfaire, et non pas א donner au voisin une id י e magnifique de notre individu, commence א la renaissance de la soci י t י , au douzi ט me si ט cle, et s’ י teint du moins dans la bonne compagnie vers l’an 1734. A cette י poque, les Bourbons vinrent r י gner א Naples dans la personne de don Carlos, fils d’une Farn ט se, mari י e, en secondes noces, א Philippe V, ce triste petit-fils de Louis XIV, si intr י pide au milieu des boulets, si ennuy י , et si passionn י pour la musique. On sait que pendant vingt-quatre ans le sublime castrat Farinelli lui chanta tous les jours trois airs favoris, toujours les m ך mes. Un esprit philosophique peut trouver curieux les d י tails d’une passion sentie א Rome ou א Naples, mais j’avouerai que rien ne me semble plus absurde que ces romans qui donnent des noms italiens א leurs personnages. Ne sommes-nous pas convenus que les passions varient toutes les fois qu’on avance de cent lieues vers le Nord? L’amour est-il le m ך me א Marseille et א Paris? Tout au plus peut- on dire que les pays soumis depuis longtemps au m ך me genre de gouvernement offrent dans les habitudes sociales une sorte de ressemblance ext י rieure. Les paysages, comme les passions, comme la musique, changent aussi d ט s qu’on s’avance de trois ou quatre degr י s vers le Nord. Un paysage napolitain para מ trait absurde א Venise, si l’on n’ י tait pas convenu, m ך me en Italie, d’admirer la belle nature de Naples. A Paris, nous faisons mieux, nous croyons que l’aspect des for ך ts et des plaines cultiv י es est absolument le m ך me א Naples et א Venise, et nous voudrions que le Canaletto, par exemple, e � t absolument la m ך me couleur que Salvator Rosa. Le comble du ridicule, n’est-ce pas une dame anglaise dou י e de toutes les perfections de son מ le, mais regard י e comme hors d’ י tat de peindre la haine et l’amour, m ך me dans cette מ le: madame Anne Radcliffe donnant des noms italiens et de grandes passions aux personnages de son c י l ט bre roman: le Confessionnal des P י nitents noirs? Je ne chercherai point א donner des gr ג ces א la simplicit א , י la rudesse parfois choquante du r י cit trop v י ritable que je soumets א l’indulgence du lecteur; par exemple, je traduis exactement la r י ponse de la duchesse de Palliano א la d י claration d’amour de son cousin Marcel Capecce. Cette monographie d’une famille se trouve, je ne sais pourquoi, א la fin du second volume d’une histoire manuscrite de Palerme, sur laquelle je ne puis donner aucun d י tail. Ce r י cit, que j’abr ט ge beaucoup, א mon grand regret (je supprime une foule de circonstances caract י ristiques), comprend les derni ט res aventures de la malheureuse famille Carafa, plut פ t que l’histoire int י ressante d’une seule passion. La vanit י litt י raire me dit que peut- ך tre il ne m’e � t pas י t י impossible d’augmenter l’int י r ך t de plusieurs situations en d י veloppant davantage, c’est- א -dire en devinant et racontant au lecteur, avec d י tails, ce que sentaient les personnages. Mais moi, jeune Fran ח ais, n י au nord de Paris, suis-je bien s � r de deviner ce qu’ י prouvaient ces ג mes italiennes de l’an 1559? Je puis tout au plus esp י rer de deviner ce qui peut para מ tre י l י gant et piquant aux lecteurs fran ח ais de 1838. Cette fa ח on passionn י e de sentir ce qui r י gnait en Italie vers 1559 voulait des actions et non des paroles. On trouvera donc fort peu de conversations dans les r י cits suivants. C’est un d י savantage pour cette traduction, accoutum י s que nous sommes aux longues conversations de nos personnages de roman; pour eux, une conversation est une bataille. L’histoire pour laquelle je r י clame toute l’indulgence du lecteur montre une particularit י singuli ט re introduite par les Espagnols dans les moeurs d’Italie. Je ne suis point sorti du r פ le de traducteur. Le calque fid ט le des fa ח ons de sentir du seizi ט me si ט cle, et m ך me des fa ח ons de raconter de l’historien, qui, suivant toute apparence, י tait un gentilhomme appartenant א la malheureuse duchesse de Palliano, fait, selon moi, le principal m י rite de cette histoire tragique, si toutefois m י rite il y a. L’ י tiquette espagnole la plus s י v ט re r י gnait א la cour du duc de Palliano. Remarquez que chaque cardinal, que chaque prince romain avait une cour semblable, et vous pourrez vous faire une id י e du spectacle que pr י sentait, en 1559, la civilisation de la ville de Rome. N’oubliez pas que c’ י tait le temps o ש le roi Philippe II, ayant besoin pour une de ses intrigues du suffrage de deux cardinaux, donnait א chacun d’eux deux cent mille livres de rente en b י n י fices eccl י siastiques. Rome, quoique sans arm י e redoutable, י tait la capitale du monde. Paris, en 1559, י tait une ville de barbares assez gentils. TRADUCTION EXACTE D’UN VIEUX RECIT ֹ CRIT VERS 1566 Jean-Pierre Carafa, quoique issu d’une des plus nobles familles du royaume de Naples, eut des fa ח ons d’agir ג pres, rudes, violentes et dignes tout- א -fait d’un gardeur de troupeaux. Il prit l’habit long (la soutane) et s’en alla jeune א Rome, o ש il fut aid י par la faveur de son cousin Olivier Carafa, cardinal et archev ך que de Naples. Alexandre VI, ce grand homme qui savait tout et pouvait tout, le fit son cameriere ( א peu pr ט s ce que nous appellerions, dans nos moeurs, un officier d’ordonnance). Jules II le nomma archev ך que de Chieti; le pape Paul le fit cardinal, et enfin, le 23 de mai 1555, apr ט s des brigues et des disputes terribles parmi les cardinaux enferm י s au conclave, il fut cr י י pape sous le nom de Paul IV; il avait alors soixante-dix-huit ans. Ceux m ך mes qui venaient de l’appeler au tr פ ne de Saint-Pierre fr י mirent bient פ t en pensant א la duret י et א la pi י t י farouche, inexorable, du ma מ tre qu’ils venaient de se donner. La nouvelle de cette nomination inattendue fit r י volution א Naples et א Palerme. En peu de jours Rome vit arriver un grand nombre de membres de l’illustre famille Carafa. Tous furent plac י s; mais, comme il est naturel, le pape distingua particuli ט rement ses trois neveux, fils du comte de Montorio, son fr ט re. Don Juan, l’a מ n י , d י j א mari י , fut fait duc de Palliano. Ce duch י , enlev א י Marc-Antoine Colonna, auquel il appartenait, comprenait un grand nombre de villages et de petites villes. Don Carlos, le second des neveux de Sa Saintet י , י tait chevalier de Malte et avait fait la guerre; il fut cr י י cardinal, l י gat de Bologne et premier ministre. C’ י tait un homme plein de r י solution; fid ט le aux traditions de sa famille, il osa ha ן r le roi le plus puissant du monde (Philippe II, roi d’Espagne et des Indes), et lui donna des preuves de sa haine. Quant au troisi ט me neveu du nouveau pape, don Antonio Carafa, comme il י tait mari י , le pape le fit marquis de Montebello. Enfin, il entreprit de donner pour femme א Fran ח ois, Dauphin de France et fils du roi Henri II, une fille que son fr ט re avait eue d’un second mariage; Paul IV pr י tendait lui assigner pour dot le royaume de Naples, qu’on aurait enlev א י Philippe II, roi d’Espagne. La famille Carafa ha ן ssait ce roi puissant, lequel, aid י des fautes de cette famille, parvint א l’exterminer, comme vous le verrez. Depuis qu’il י tait mont י sur le tr פ ne de saint Pierre, le plus puissant du monde, et qui, א cette י poque, י clipsait m ך me l’illustre monarque des Espagnes, Paul IV, ainsi qu’on l’a vu chez la plupart de ses successeurs, donnait l’exemple de toutes les vertus. Ce fut un grand pape et un grand saint; il s’appliquait א r י former les abus dans l’ ֹ glise et י א loigner par ce moyen le concile g י n י ral, qu’on demandait de toutes parts א la cour de Rome, et qu’une sage politique ne permettait pas d’accorder. Suivant l’usage de ce temps trop oubli י du n פ tre, et qui ne permettait pas א un souverain d’avoir confiance en des gens qui pouvaient avoir un autre int י r ך t que le sien, les ֹ tats de Sa Saintet י י taient gouvern י s despotiquement par ses trois neveux. Le cardinal י tait premier ministre et disposait des volont י s de son oncle; le duc de Palliano avait י t י cr י י g י n י ral des troupes de la sainte ֹ glise; et le marquis de Montebello, capitaine des gardes du palais, n’y laissait p י n י trer que les personnes qui lui convenaient. Bient פ t ces jeunes gens commirent les plus grands exc ט s; ils commenc ט rent par s’approprier les biens des familles contraires א leur gouvernement. Les peuples ne savaient א qui avoir recours pour obtenir justice. Non seulement ils devaient craindre pour leurs biens, mais, chose horrible א dire dans la patrie de la chaste Lucr ט ce, l’honneur de leurs femmes et de leurs filles n’ י tait pas en s � ret י . Le duc de Palliano et ses fr ט res enlevaient les plus belles femmes; il suffisait d’avoir le malheur de leur plaire. On les vit, avec stupeur, n’avoir aucun י gard pour la noblesse du sang, et, bien plus, ils ne furent nullement retenus par la cl פ ture sacr י e des saints monast ט res. Les peuples, r י duits au d י sespoir, ne savaient pas א qui faire parvenir leurs plaintes, tant י tait grande la terreur que les trois fr ט res avaient inspir י e א tout ce qui approchait du pape: ils י taient insolents m ך me envers les ambassadeurs. Le duc avait י pous י , avant la grandeur de son oncle, Violante de Cardone, d’une famille originaire d’Espagne, et qui, א Naples, appartenait א la premi ט re noblesse. Elle comptait dans le Seggio di nido. Violante, c י l ט bre pour sa rare beaut י et par les gr ג ces qu’elle savait se donner quand elle cherchait א plaire, l’ י tait encore davantage par son orgueil insens י . Mais il faut ך tre juste, il e � t י t י difficile d’avoir un g י nie plus י lev י , ce qu’elle montra bien au monde en n’avouant rien, avant de mourir, au fr ט re capucin qui la confessa. Elle savait par coeur et r י citait avec une gr ג ce infinie l’admirable Orlando de messer Arioste, la plupart des sonnets du divin P י trarque, les contes du Pecorone, etc. Mais elle י tait encore plus s י duisante quand elle daignait entretenir sa compagnie des id י es singuli ט res que lui sugg י rait son esprit. Elle eut un fils appel י le duc de Cavi. Son fr ט re, D. Ferrand, comte d’Aliffe, vint א Rome, attir י par la haute fortune de ses beaux-fr ט res. Le duc de Palliano tenait une cour splendide; les jeunes gens des premi ט res familles de Naples briguaient l’honneur d’en faire partie. Parmi ceux qui lui י taient les plus chers, Rome distingua, par son admiration, Marcel Capecce (du Seggio di nido), jeune cavalier c י l ט bre א Naples par son esprit, non moins que par la beaut י divine qu’il avait re ח ue du ciel. La duchesse avait pour favorite Diane Brancaccio, ג g י e alors de trente ans, proche parente de la marquise de Montebello, sa belle-soeur. On disait dans Rome que, pour cette favorite, elle n’avait plus d’orgueil; elle lui confiait tous ses secrets. Mais ces secrets n’avaient rapport qu’ א la politique; la duchesse faisait na מ tre des passions, mais n’en partageait aucune. Par les conseils du cardinal Carafa, le pape fit la guerre au roi d’Espagne, et le roi de France envoya au secours du pape une arm י e command י e par le duc de Guise. Capecce י tait depuis longtemps comme fou; on lui voyait commettre les actions les plus י tranges; le fait est que le pauvre jeune homme י tait devenu passionn י ment amoureux de la duchesse sa ma מ tresse, mais il n’osait se d י couvrir א elle. Toutefois il ne d י sesp י rait pas absolument de parvenir א son but, il voyait la duchesse profond י ment irrit י e contre un mari qui la n י gligeait. Le duc de Palliano י tait tout- puissant dans Rome, et la duchesse savait, א n’en pas douter, que presque tous les jours les dames romaines les plus c י l ט bres par leur beaut י venaient voir son mari dans son propre palais, et c’ י tait un affront auquel elle ne pouvait s’accoutumer. Parmi les chapelains du saint pape Paul IV se trouvait un respectable religieux avec lequel il r י citait son br י viaire. Ce personnage, au risque de se perdre, et peut- ך tre pouss י par l’ambassadeur d’Espagne, osa bien un jour d י couvrir au pape toutes les sc י l י ratesses de ses neveux. Le saint pontife fut malade de chagrin; il voulut douter; mais les certitudes accablantes arrivaient de tous c פ t י s. Ce fut le premier jour de l’an 1559 qu’eut lieu l’ י v י nement qui confirma le pape dans tous ses soup ח ons, et peut- ך tre d י cida Sa Saintet י . Ce fut donc le propre jour de la Circoncision de Notre-Seigneur, circonstance qui aggrava beaucoup la faute aux yeux d’un souverain aussi pieux, qu’Andr י Lanfranchi, secr י taire du duc de Palliano, donna un souper magnifique au cardinal Carafa, et, voulant qu’aux excitations de la gourmandise ne manquassent pas celles de la luxure, il fit venir א ce souper la Martuccia, l’une des plus belles, des plus c י l ט bres et des plus riches courtisanes de la noble ville de Rome. La fatalit י voulut que Capecce, le favori du duc, celui-l א m ך me qui en secret י tait amoureux de la duchesse, et qui passait pour le plus bel homme de la capitale du monde, se f � t attach י depuis quelque temps א la Martuccia. Ce soir-l א , il la chercha dans tous les lieux o ש il pouvait esp י rer la rencontrer. Ne la trouvant nulle part, et ayant appris qu’il y avait un souper dans la maison Lanfranchi, il eut soup ח on de ce qui se passait, et sur le minuit se pr י senta chez Lanfranchi, accompagn י de beaucoup d’hommes arm י s. La porte lui fut ouverte, on l’engagea א s’asseoir et א prendre part au festin; mais, apr ט s quelques paroles assez contraintes, il fit signe א la Martuccia de se lever et de sortir avec lui. Pendant qu’elle h י sitait, toute confuse et pr י voyant ce qui allait arriver, Capecce se leva du lieu o ש il י tait assis, et, s’approchant de la jeune fille, il la prit par la main, essayant de l’entra מ ner avec lui. Le cardinal, en l’honneur duquel elle י tait venue, s’opposa vivement א son d י part; Capecce persista, s’effor ח ant de l’entra מ ner hors de la salle. Le cardinal premier ministre, qui, ce soir-l א , avait pris un habit tout diff י rent de celui qui annon ח ait sa haute dignit י , mit l’ י p י e א la main, et s’opposa avec la vigueur et le courage que Rome enti ט re lui connaissait au d י part de la jeune fille. Marcel, ivre de col ט re, fit entrer ses gens; mais ils י taient Napolitains pour la plupart, et, quand ils reconnurent d’abord le secr י taire du duc et ensuite le cardinal que le singulier habit qu’il portait leur avait d’abord cach י , ils remirent leurs י p י es dans le fourreau, ne voulurent point se battre, et s’interpos ט rent pour apaiser la querelle. Pendant ce tumulte, Martuccia, qu’on entourait et que Marcel Capecce retenait de la main gauche, fut assez adroite pour s’ י chapper. D ט s que Marcel s’aper ח ut de son absence, il courut apr ט s elle, et tout son monde le suivit. Mais l’obscurit י de la nuit autorisait les r י cits les plus י tranges, et dans la matin י e du 2 janvier, la capitale fut inond י e des r י cits du combat p י rilleux qui aurait eu lieu, disait-on, entre le cardinal neveu et Marcel Capecce. Le duc de Palliano, g י n י ral en chef de l’arm י e de l’ ֹ glise, crut la chose bien plus grave qu’elle n’ י tait, et comme il n’ י tait pas en tr ט s bons termes avec son fr ט re le ministre, dans la nuit m ך me il fit arr ך ter Lanfranchi, et, le lendemain, de bonne heure, Marcel lui-m ך me fut mis en prison. Puis on s’aper ח ut que personne n’avait perdu la vie, et que ces emprisonnements ne faisaient qu’augmenter le scandale, qui retombait tout entier sur le cardinal. On se h ג ta de mettre en libert י les prisonniers, et l’immense pouvoir des trois fr ט res se r י unit pour chercher י א touffer l’affaire. Ils esp י r ט rent d’abord y r י ussir; mais, le troisi ט me jour, le r י cit du tout vint aux oreilles du pape. Il fit appeler ses deux neveux et leur parla comme pouvait le faire un prince aussi pieux et profond י ment offens י Le cinqui ט me jour de janvier, qui r י unissait un grand nombre de cardinaux dans la congr י gation du Saint Office, le saint pape parla le premier de cette horrible affaire, il demanda aux cardinaux pr י sents comment ils avaient os י ne pas la porter א sa connaissance: —Vous vous taisez! et pourtant le scandale touche א la dignit י supr ך me dont vous ך tes rev ך tus! Le cardinal Carafa a os י para מ tre sur la voie publique couvert d’un habit s י culier et l’ י p י e nue א la main. Et dans quel but? Pour se saisir d’une inf ג me courtisane? On peut juger du silence de mort qui r י gnait parmi tous ces courtisans durant cette sortie contre le premier ministre. C’ י tait un vieillard de quatre-vingts ans qui se f ג chait contre un neveu ch י ri ma מ tre jusque-l א de toutes ses volont י s. Dans son indignation, le pape parla d’ פ ter le chapeau א son neveu. La col ט re du pape fut entretenue par l’ambassadeur du grand-duc de Toscane, qui alla se plaindre א lui d’une insolence r י cente du cardinal premier ministre. Ce cardinal, nagu ט re si puissant, se pr י senta chez Sa Saintet י pour son travail accoutum י . Le pape le laissa quatre heures enti ט res dans l’antichambre, attendant aux yeux de tous, puis le renvoya sans vouloir l’admettre א l’audience. On peut juger de ce qu’eut א souffrir l’orgueil immod י r י du ministre. Le cardinal י tait irrit י , mais non soumis; il pensait qu’un vieillard accabl י par l’ ג ge, domin י toute sa vie par l’amour qu’il portait א sa famille, et qui enfin י tait peu habitu א י l’exp י dition des affaires temporelles, serait oblig י d’avoir recours א son activit י . La vertu du saint pape l’emporta; il convoqua les cardinaux, et, les ayant longtemps regard י s sans parler, א la fin il fondit en larmes et n’h י sita point א faire une sorte d’amende honorable: —La faiblesse de l’ ג ge, leur dit-il, et les soins que je donne aux choses de la religion, dans lesquelles, comme vous savez, je pr י tends d י truire tous les abus, m’ont port א י confier mon autorit י temporelle א mes trois neveux; ils en ont abus י , et je les chasse א jamais. On lut ensuite un bref par lequel les neveux י taient d י pouill י s de toutes leurs dignit י s et confin י s dans de mis י rables villages. Le cardinal premier ministre fut exil א י Civita Lavinia, le duc de Palliano א Soriano, et le marquis א Montebello; par ce bref, le duc י tait d י pouill י de ses appointements r י guliers, qui s’ י levaient א soixante-douze mille piastres (plus d’un million de 1838). Il ne pouvait pas ך tre question de d י sob י ir א ces ordres s י v ט res: les Carafa avaient pour ennemis et pour surveillants le peuple de Rome tout entier qui les d י testait. Le duc de Palliano, suivi du comte d’Aliffe, son beau-fr ט re, et de L י onard del Cardine, alla s’ י tablir au village de Soriano, tandis que la duchesse et sa belle-m ט re vinrent habiter Gallese, mis י rable hameau א deux petites lieues de Soriano. Ces localit י s sont charmantes; mais c’est un exil, et l’on י tait chass י de Rome o ש nagu ט re on r י gnait avec insolence. Marcel Capecce avait suivi sa ma מ tresse avec les autres courtisans dans le pauvre village o ש elle י tait exil י e. Au lieu des hommages de Rome enti ט re, cette femme, si puissante quelques jours auparavant, et qui jouissait de son rang avec tout l’emportement de l’orgueil, ne se voyait plus environn י e que de simples paysans dont l’ י tonnement m ך me lui rappelait sa chute. Elle n’avait aucune consolation; son oncle י tait si ג g י que probablement il serait surpris par la mort avant de rappeler ses neveux, et, pour comble de mis ט re, les fr ט res se d י testaient entre eux. On allait jusqu’ א dire que le duc et le marquis qui ne partageaient point les passions fougueuses du cardinal, effray י s par ses exc ט s, י taient all י s jusqu’ א le d י noncer au pape leur oncle. Au milieu de l’horreur de cette profonde disgr ג ce, il arriva une chose qui, pour le malheur de la duchesse et de Capecce lui-m ך me, montra bien que, dans Rome, ce n’ י tait pas une passion v י ritable qui l’avait entra מ n י sur les pas de la Martuccia. Un jour que la duchesse l’avait fait appeler pour lui donner un ordre, il se trouva seul avec elle, chose qui n’arrivait peut- ך tre pas deux fois dans toute une ann י e. Quand il vit qu’il n’y avait personne dans la salle o ש la duchesse le recevait, Capecce resta immobile et silencieux. Il alla vers la porte pour voir s’il y avait quelqu’un qui p � t les י couter dans la salle voisine, puis il osa parler ainsi: —Madame, ne vous troublez point et ne prenez pas avec col ט re les paroles י tranges que je vais avoir la t י m י rit י de prononcer. Depuis longtemps je vous aime plus que la vie. Si, avec trop d’imprudence, j’ai os י regarder comme amant vos divines beaut י s, vous ne devez pas en imputer la faute א moi mais א la force surnaturelle qui me pousse et m’agite. Je suis au supplice, je br � le; je ne demande pas du soulagement pour la flamme qui me consume, mais seulement que votre g י n י rosit י ait piti י d’un serviteur rempli de d י f י rence et d’humilit י La duchesse parut surprise et surtout irrit י e: —Marcel, qu’as-tu donc vu en moi, lui dit-elle, qui te donne la hardiesse de me requ י rir d’amour? Est- ce que ma vie, est-ce que ma conversation se sont tellement י loign י es des r ט gles de la d י cence, que tu aies pu t’en autoriser une telle insolence? Comment as-tu pu avoir la hardiesse de croire que je pouvais me donner א toi ou א tout autre homme, mon mari et seigneur except י ? Je te pardonne ce que tu m’as dit, parce que je pense que tu es un fr י n י tique; mais garde-toi de tomber de nouveau dans une pareille faute, ou je te jure que je te ferai punir א la fois pour la premi ט re et pour la seconde insolence. La duchesse s’ י loigna transport י e de col ט re, et r י ellement Capecce avait manqu י aux lois de la prudence: il fallait faire deviner et non pas dire. Il resta confondu, craignant beaucoup que la duchesse ne racont ג t la chose א son mari. Mais la suite fut bien diff י rente de ce qu’il appr י hendait. Dans la solitude de ce village, la fi ט re duchesse de Palliano ne put s’emp ך cher de faire confidence de ce qu’on avait os י lui dire א sa dame d’honneur favorite, Diane Brancaccio. Celle-ci י tait une femme de trente ans, d י vor י e par des passions ardentes. Elle avait les cheveux rouges (l’historien revient plusieurs fois sur cette circonstance qui lui semble expliquer toutes les folies de Diane Brancaccio). Elle aimait avec fureur Domitien Fornari, gentilhomme attach י au marquis de Montebello. Elle voulait le prendre pour י poux; mais le marquis et sa femme, auxquels elle avait l’honneur d’appartenir par les liens du sang, consentiraient-ils jamais א la voir י pouser un homme actuellement א leur service? Cet obstacle י tait insurmontable, du moins en apparence. Il n’y avait qu’une chance de succ ט s: il aurait fallu obtenir un effort de cr י dit de la part du duc de Palliano, fr ט re a מ n י du marquis, et Diane n’ י tait pas sans espoir de ce c פ t י . Le duc la traitait en parente plus qu’en domestique. C’ י tait un homme qui avait de la simplicit י dans le coeur et de la bont י , et il tenait infiniment moins que ses fr ט res aux choses de pure י tiquette. Quoique le duc profit ג t en vrai jeune homme de tous les avantages de sa haute position, et ne f � t rien moins que fid ט le א sa femme, il l’aimait tendrement, et, suivant les apparences, ne pourrait lui refuser une gr ג ce si celle-ci la lui demandait avec une certaine persistance. L’aveu que Capecce avait os י faire א la duchesse parut un bonheur inesp י r א י la sombre Diane. Sa ma מ tresse avait י t י jusque-l א d’une sagesse d י sesp י rante; si elle pouvait ressentir une passion, si elle commettait une faute, א chaque instant elle aurait besoin de Diane, et celle-ci pourrait tout esp י rer d’une femme dont elle conna מ trait les secrets. Loin d’entretenir la duchesse d’abord de ce qu’elle se devait א elle-m ך me, et ensuite des dangers effroyables auxquels elle s’exposerait au milieu d’une cour aussi clairvoyante, Diane, entra מ n י e par la fougue de sa passion, parla de Marcel Capecce א sa ma מ tresse, comme elle se parlait א elle-m ך me de Domitien Fornari. Dans les longs entretiens de cette solitude, elle trouvait moyen, chaque jour, de rappeler au souvenir de la duchesse les gr ג ces et la beaut י de ce pauvre Marcel qui semblait si triste; il appartenait, comme la duchesse, aux premi ט res familles de Naples, ses mani ט res י taient aussi nobles que son sang, et il ne lui manquait que ces biens d’un caprice de la fortune pouvait lui donner chaque jour, pour ך tre sous tous les rapports l’ י gal de la femme qu’il osait aimer. Diane s’aper ח ut avec joie que le premier effet de ces discours י tait de redoubler la confiance que la duchesse lui accordait. Elle ne manqua pas de donner avis de ce qui se passait א Marcel Capecce. Durant les chaleurs br � lantes de cet י t י , la duchesse se promenait souvent dans les bois qui entourent Gallese. A la chute du jour, elle venait attendre la brise de mer sur les collines charmantes qui s’ י l ט vent au milieu de ces bois et du sommet desquelles on aper ח oit la mer א moins de deux lieues de distance. Sans s’ י carter des lois s י v ט res de l’ י tiquette, Marcel pouvait se trouver dans ces bois; il s’y cachait, dit- on, et avait soin de ne se montrer aux regards de la duchesse que lorsqu’elle י tait bien dispos י e par les discours de Diane Brancaccio. Celle-ci faisait un signal א Marcel. Diane, voyant sa ma מ tresse sur le point d’ י couter la passion fatale qu’elle avait fait na מ tre dans son coeur, c י da elle-m ך me א l’amour voilent que Domitien Fornari lui avait inspir י . D י sormais elle se tenait s � re de pouvoir l’ י pouser. Mais Domitien י tait un jeune homme sage, d’un caract ט re froid et r י serv י ; les emportements de sa fougueuse ma מ tresse, loin de l’attacher, lui sembl ט rent bient פ t d י sagr י ables. Diane Brancaccio י tait proche parente des Carafa; il se tenait s � r d’ ך tre poignard י au moindre rapport qui parviendrait sur ses amours au terrible cardinal Carafa qui, bien que cadet du duc de Palliano, י tait, dans le fait, le v י ritable chef de la famille. La duchesse avait c י d י depuis quelque temps א la passion de Capecce, lorsqu’un beau jour on ne trouva plus Domitien Fornari dans le village o י ש tait rel י gu י la cour du marquis de Montebello. Il avait disparu: on sut plus tard qu’il s’ י tait embarqu י dans le petit port de Nettuno; sans doute il avait chang י de nom, et jamais depuis on n’eut de ses nouvelles. Qui pourrait peindre le d י sespoir de Diane? Apr ט s avoir י cout י avec bont י ses plaintes contre le destin, un jour la duchesse de Palliano lui laissa deviner que ce sujet de discours lui semblait י puis י . Diane se voyait m י pris י e par son amant; son coeur י tait en proie aux mouvements les plus cruels; elle tira la plus י trange cons י quence de l’instant d’ennui que la duchesse avait י prouv י en entendant la r י p י tition de ses plaintes. Diane se persuada que c’ י tait la duchesse qui avait engag י Domitien Fornari א la quitter pour toujours, et qui, de plus, lui avait fourni les moyens de voyager. Cette id י e folle n’ י tait appuy י e que sur quelques remontrances que jadis la duchesse lui avait adress י es. Le soup ח on fut bient פ t suivi de la vengeance. Elle demanda une audience au duc et lui raconta tout ce qui se passait entre sa femme et Marcel. Le duc refusa d’y ajouter foi. —Songez, lui dit-il, que depuis quinze ans je n’ai pas eu le moindre reproche א faire א la duchesse; elle a r י sist י aux s י ductions de la cour et א l’entra מ nement de la position brillante que nous avions א Rome: les princes les plus aimables, et le duc de Guise lui-m ך me, g י n י ral de l’arm י e fran ח aise, y ont perdu leurs pas, et vous voulez qu’elle c ט de א un simple י cuyer? Le malheur voulut que le duc s’ennuyant beaucoup א Soriano, village o ש il י tait rel י gu י , et qui n’ י tait qu’ א deux petites lieues de celui qu’habitait sa femme, Diane put en obtenir un grand nombre d’audiences, sans que celles-ci vinssent א la connaissance de la duchesse. Diane avait un g י nie י tonnant; la passion la rendait י loquente. Elle donnait au duc une foule de d י tails; la vengeance י tait devenue son seul plaisir. Elle lui r י p י tait que, presque tous les soirs, Capecce s’introduisait dans la chambre de la duchesse sur les onze heures, et n’en sortait qu’ א deux ou trois heures du matin. Ces discours firent d’abord si peu d’impression sur le duc, qu’il ne voulut pas se donner la peine de faire deux lieues א minuit pour venir א Gallese et entrer א l’improviste dans la chambre de sa femme. Mais un soir qu’il se trouvait א Gallese, le soleil י tait couch י , et pourtant il faisait encore jour, Diane p י n י tra tout י chevel י e dans le salon o י ש tait le duc. Tout le monde s’ י loigna, elle lui dit que Marcel Capecce venait de s’introduire dans la chambre de la duchesse. Le duc, sans doute mal dispos י en ce moment, prit son poignard et courut א la chambre de sa femme, o ש il entra par une porte d י rob י e. Il y trouva Marcel Capecce. A la v י rit י , les deux amants chang ט rent de couleur en le voyant entrer; mais du reste, il n’y avait rien de r י pr י hensible dans la position o ש ils se trouvaient. La duchesse י tait dans son lit occup י e א noter une petite d י pense qu’elle venait de faire; une cam י riste י tait dans la chambre; Marcel se trouvait debout א trois pas du lit. Le duc furieux saisit Marcel א la gorge, l’entra מ na dans un cabinet voisin, o ש il lui commanda de jeter א terre la dague et le poignard dont il י tait arm י . Apr ט s quoi le duc appela des hommes de sa garde, par lesquels Marcel fut imm י diatement conduit dans les prisons de Soriano. La duchesse fut laiss י e dans son palais, mais י troitement gard י e. Le duc n’ י tait point cruel; il para מ t qu’il eut la pens י e de cacher l’ignominie de la chose, pour n’ ך tre pas oblig י d’en venir aux mesures extr ך mes que l’honneur exigerait de lui. Il voulut faire croire que Marcel י tait retenu en prison pour une tout autre cause, et prenant pr י texte de quelques crapauds י normes que Marcel avait achet י s א grand prix deux ou trois mois auparavant, il fit dire que ce jeune homme avait tent י de l’empoisonner. Mais le v י ritable crime י tait bien trop connu, et le cardinal, son fr ט re, lui fit demander quand il songerait א laver dans le sang des coupables l’affront qu’on avait os י faire א leur famille. Le duc s’adjoignit le comte d’Aliffe, fr ט re de sa femme, et Antoine Torando, ami de la maison. Tous trois, formant comme une sorte de tribunal, mirent en jugement Marcel Capecce, accus י d’adult ט re avec la duchesse. L’instabilit י des choses humaines voulut que le pape Pie IV, qui succ י da א Paul IV, appart מ nt א la faction d’Espagne. Il n’avait rien א refuser au roi Philippe II, qui exigea de lui la mort du cardinal et du duc de Palliano. Les deux fr ט res furent accus י s devant les tribunaux du pays, et les minutes du proc ט s qu’ils eurent א subir nous apprennent toutes les circonstances de la mort de Marcel Capecce. Un des nombreux t י moins entendus d י pose en ces termes: —Nous י tions א Soriano; le duc, mon ma מ tre, eut un long entretien avec le comte d’Aliffe... Le soir, fort tard, on descendit dans un cellier au rez-de-chauss י e, o ש le duc avait fait pr י pare les cordes n י cessaires pour donner la question au coupable. L א se trouvaient le duc, le comte d’Aliffe, le seigneur Antoine Torando et moi. Le premier t י moin appel י fut le capitaine Camille Grifone, ami intime et confident de Capecce. Le duc lui parla ainsi: —Dis la v י rit י , mon ami. Que sais-tu de ce que Marcel a fait dans la chambre de la duchesse? —Je ne sais rien; depuis plus de vingt jours je suis brouill י avec Marcel. Comme il s’obstinait א ne rien dire de plus, le seigneur duc appela du dehors quelques-uns de ses gardes. Grifone fut li א י la corde par le podestat de Soriano. Les gardes tir ט rent les cordes, et, par ce moyen, enlev ט rent le coupable א quatre doigts de terre. Apr ט s que le capitaine eut י t י ainsi suspendu un bon quart d’heure, il dit: —Descendez-moi, je vais dire ce que je sais. Quand on l’eut remis א terre, les gardes s’ י loign ט rent et nous rest ג mes seuls avec lui. —Il est vrai que plusieurs fois j’ai accompagn י Marcel jusqu’ א la chambre de la duchesse, dit le capitaine, mais je ne sais rien de plus, parce que je l’attendais dans une cour voisine jusque vers les une heure du matin. Aussit פ t on rappela les gardes, qui, sur l’ordre du duc, l’enlev ט rent de nouveau, de fa ח on que ses pieds ne touchaient pas la terre. Bient פ t le capitaine s’ י cria: —Descendez-moi, je veux dire la v י rit י . Il est vrai, continua-t-il, que, depuis plusieurs mois, je me suis aper ח u que Marcel fait l’amour avec la duchesse, et je voulais en donner avis א Votre Excellence ou א D. L י onard. La duchesse envoyait tous les matins savoir des nouvelles de Marcel; elle lui faisait tenir de petits cadeaux, et, entre autres choses, des confitures pr י par י es avec beaucoup de soin et fort ch ט res; j’ai vu א Marcel de petites cha מ nes d’or d’un travail merveilleux qu’il tenait י videmment de la duchesse. Apr ט s cette d י position, le capitaine fut renvoy י en prison. On amena le portier de la duchesse, qui dit ne rien savoir; on le lia א la corde, et il fut י lev י en l’air. Apr ט s une demi-heure, il dit: —Descendez-moi, je dirai ce que je sais. Une fois א terre, il pr י tendit ne rien savoir; on l’ י leva de nouveau. Apr ט s une demi-heure on le descendit; il expliqua qu’il y avait peu de temps qu’il י tait attach י au service particulier de la duchesse. Comme il י tait possible que cet homme ne s � t rien, on le renvoya en prison. Toutes ces choses avaient pris beaucoup de temps א cause des gardes que l’on faisait sortir א chaque fois. On voulait que les gardes crussent qu’il s’agissait d’une tentative d’empoisonnement avec le venin extrait des crapauds. La nuit י tait d י j א fort avanc י e quand le duc fit venir Marcel Capecce. Les gardes sortis et la porte d � ment ferm י e א clef: —Qu’avez-vous א faire, lui dit-il, dans la chambre de la duchesse, que vous y restez jusqu’ א une heure, deux heures, et quelquefois quatre heures du matin? Marcel nia tout; on appela les gardes, et il fut suspendu; la corde lui disloquait les bras; ne pouvant supporter la douleur, il demanda ך א tre descendu; on le pla ח a sur une chaise; mais une fois l א , il s’embarrassa dans son discours, et proprement ne savait ce qu’il disait. On appela les gardes qui le suspendirent de nouveau; apr ט s un long temps, il demanda ך א tre descendu. —Il est vrai, dit-il, que je suis entr י dans l’appartement de la duchesse א des heures indues; mais je faisais l’amour avec la signora Diane Brancaccio, une des dames de Son Excellence, avec laquelle j’avais donn י la foi de mariage, et qui m’a tout accord י , except י les choses contre l’honneur. Marcel fut reconduit א sa prison, o ש on le confronta avec le capitaine et avec Diane, qui nia tout. Ensuite on ramena Marcel dans la salle basse; quand nous f � mes pr ט s de la porte: —Monsieur le duc, dit Marcel, Votre Excellence se rappellera qu’elle m’a promis la vie sauve si je dis toute la v י rit י . Il n’est pas n י cessaire de me donner la corde de nouveau; je vais tout vous dire. Alors il s’approcha du duc, et, d’une voix tremblante et א peine articul י e, il lui dit qu’il י tait vrai qu’il avait obtenu les faveurs de la duchesse. A ces paroles, le duc se jeta sur Marcel et le mordit א la joue; puis il tira son poignard et je vis qu’il allait en donner des coups au coupable. Je dis alors qu’il י tait bien que Marcel י criv מ t de sa main ce qu’il venait d’avouer, et que cette pi ט ce servirait א justifier Son Excellence. On entra dans la salle basse, o ש se trouvait ce qu’il fallait pour י crire; mais la corde avait tellement bless י Marcel au bras et א la main, qu’il ne put י crire que ce peu de mots: Oui, j’ai trahi mon seigneur; oui, je lui ai פ t י l’honneur!