LE SECRET DU MOULIN Chapitre 1 — Le silence des rues Le village semblait retenir son souffle. Depuis que les soldats allemands étaient arrivés, tout sonnait faux : les rires, les cloches, même le vent. Tom, 13 ans, marchait avec un panier vide vers le dépôt. Le pain manquait, comme tout le reste. Devant lui, des femmes attendaient en silence, serrant leurs tickets de rationnement. Sur les murs, une affiche rouge annonçait l’exécution de “résistants”. Tom détourna les yeux. Il aperçut un soldat qui cria “Achtung !” en riant. Il crut que ça voulait dire bonjour, alors il répondit, gêné. Le soldat se moqua. Sa mère travaillait pour la Kommandantur, toujours polie avec les Allemands. Elle disait : « Mieux vaut sourire que mourir. » Lui, il n’aimait pas cette phrase. Le soir, en rentrant, Tom nota dans son carnet : “Un jour, ce silence explosera.” Puis il souffla sa bougie. Dehors, le couvre-feu venait de tomber. Chapitre 2 — Les absences du père Le père de Tom partait toujours à la tombée du jour, sans un mot de trop. Il enfilait sa veste brune, vérifiait sa montre, puis glissait un regard vers la fenêtre avant de dire doucement : « Je rentre avant le matin. Dors bien, fiston. » Tom ne posait plus de questions. Parfois, il restait éveillé, écoutant les bruits du dehors. Une porte qui claque, un moteur au loin, puis plus rien. Un soir, en rangeant la table, il trouva dans la poche de la veste de son père un papier plié : “Rendez-vous moulin. Nuit claire.” Il sentit son cœur battre trop vite. Son père n’allait pas “au travail”. Il allait ailleurs. Tom rangea le mot sans le dire à sa mère. Pour la première fois, il comprit qu’à la maison, chacun gardait un secret. Chapitre 3 — La mère, le sourire forcé Sa mère rentrait toujours plus tard. Elle enlevait son manteau lentement, posait son sac, puis forçait un sourire. « Tout va bien, mon Tom. J’ai rapporté du savon. Un officier m’en a donné. Gentiment. » Gentiment. Ce mot sonnait faux. Tom la regardait, sans savoir s’il devait être fier ou honteux. Parfois, elle parlait allemand. Un soir, il osa lui demander : « Tu les aimes bien, les soldats ? » Elle serra les lèvres. « Je les supporte. C’est différent. » Il hocha la tête. Mais il pensa très fort : Papa, lui, ne les supporte pas. Chapitre 4 — La radio cachée Une nuit, Tom entendit un grésillement derrière la porte du salon. La voix venue du poste disait : “Ici Londres, les Français parlent aux Français...” Son cœur battait fort. Il aperçut son père, assis dans l’ombre, l’oreille collée à la radio, un crayon à la main. Tom retint sa respiration. Quand la porte grinça, la radio s’éteignit d’un coup. « Dors, Tom », dit son père sans se retourner. Tom remonta l’escalier, le ventre serré. Il comprit qu’il venait d’entendre quelque chose qu’il ne devait pas savoir. Chapitre 5 — Le papier plié Le lendemain, son père partit tôt. En rangeant sa veste, Tom sentit un bout de papier. Il le déplia : “Rendez-vous moulin. Nuit claire.” Le même message que la dernière fois. Il le remit en place, les mains tremblantes. Le soir, sa mère demanda : « Tu as vu ton père ? » — « Non, il est déjà parti », répondit Tom vite. Elle soupira, comme si elle savait déjà. Chapitre 6 — Le murmure du salon Une semaine plus tard, Tom surprit sa mère chuchotant avec un homme en manteau long. Elle disait : « Ils vont agir demain soir. Au vieux moulin. » L’homme hocha la tête. Tom sentit ses jambes flancher. Le moulin. Le même mot que sur le papier. Il recula doucement, sans bruit. Tout tournait dans sa tête. Sa mère savait... Et si c’était elle qui allait les dénoncer ? Chapitre 7 — Le déclic Cette nuit-là, il ne dormit pas. Il revoyait son père, la radio, le papier. Les mots de sa mère. Alors il décida. Il irait le prévenir. Même si c’était dangereux. Même si personne ne devait savoir. Il mit sa veste, attrapa une lampe, et sortit. La lune brillait fort. Une nuit claire, justement. Chapitre 8 — Le vent froid Le vent gelait ses doigts, mais il courait. Le moulin n’était pas loin, juste derrière la colline. Des silhouettes bougeaient dans l’ombre. — Papa ! chuchota-t-il. Une main le tira brusquement derrière un mur. — Tom ?! Mais qu’est-ce que tu fiches ici ?! — Maman a parlé du moulin ! Ils vont venir ! Le père pâlit. — Merci, mon fils. File maintenant. Et oublie tout ça. Tom voulut parler, mais son père l’embrassa sur le front et disparut dans la nuit. Chapitre 9 — Le secret du moulin Le lendemain, des camions allemands traversèrent le village à toute allure. Tom regarda depuis la fenêtre : direction la colline. Le moulin. Un bruit sourd. Des cris. Puis plus rien. Son cœur s’arrêta. Il passa la journée à guetter la porte. Son père ne revint pas. Sa mère non plus ne disait rien, mais ses mains tremblaient quand elle servait la soupe. Tom comprit que tout venait de changer. Chapitre 10 — L’aube brisée À l’aube, la Gestapo arriva. Trois soldats, le visage fermé. Ils fouillèrent la maison sans un mot. Un officier trouva un bout de papier : “Libération-Nord — transmission réussie.” Sa mère cria : « Ce n’est pas à nous ! » Mais personne n’écouta. Quand ils partirent, la maison sentait la peur. Tom serra son carnet contre lui. Il savait que son père n’était pas un criminel. Juste un homme qui se battait autrement. Chapitre 11 — Le vide Les semaines passèrent sans nouvelles. Le village reprit son silence. Plus de rires, plus de pain. La mère marchait tête basse. Certains voisins murmuraient : « On dit qu’elle travaillait pour eux... » Tom baissa les yeux. Il aurait voulu crier la vérité. Mais il n’avait aucune preuve, juste un cœur plein de trous. Chapitre 12 — Le billet du journal Un matin, en cherchant du papier pour allumer le feu, Tom tomba sur une vieille page du Petit Parisien. Une phrase griffonnée dessus : “Tiens bon. Je t’aime. — P.” Il reconnut l’écriture de son père. Il la serra fort, les yeux brillants. C’était comme un souffle venu de loin, un petit signe de vie au milieu de la peur. Chapitre 13 — L’arrestation Août 1944. Les cloches sonnèrent : la Libération. Les drapeaux sortirent des greniers, les gens criaient dans la rue. Tom courut dehors, le cœur léger. Mais au coin de la place, il vit deux hommes attraper sa mère. — Traîtresse ! cria quelqu’un. Elle ne se débattit pas. Tom voulut courir vers elle, mais une femme le retint. — Ne t’en mêle pas, petit. Il resta là, figé, pendant qu’on l’emmenait. Il ne savait plus qui il devait haïr. Chapitre 14 — Le vent tourne Les semaines après la Libération furent étranges. Les soldats allemands avaient disparu, remplacés par d’autres uniformes. Mais la peur, elle, restait dans les regards. Tom vivait seul maintenant. Sa mère avait été emmenée dans un camp de femmes accusées de collaboration. Certains disaient qu’elle méritait. Lui, il ne savait plus. Un jour, le maire du village vint lui parler : « Ton père était un brave. Il a aidé à sauver trois familles. » Tom resta muet. Son père, résistant. Sa mère, “collabo”. La vérité était plus compliquée que les rumeurs. Le soir, il monta au grenier. Sous une planche, il retrouva la vieille radio. Elle ne marchait plus, mais elle semblait encore vivante. Comme un souvenir qui refuse de s’éteindre. Chapitre 15 — La lettre du moulin Un matin d’hiver, le facteur lui remit une enveloppe abîmée. L’écriture lui coupa le souffle : c’était celle de son père. “Mon Tom, si tu lis ceci, c’est que la guerre est finie. J’ai fait ce que je croyais juste. Ta mère t’aime plus qu’elle n’a su le dire. Choisir le bien, c’est déjà se battre. Ne laisse jamais la peur décider pour toi. — Papa.” Tom relut la lettre plusieurs fois, les larmes brouillant les mots. Il la glissa dans son carnet, à côté du vieux ticket de rationnement. Puis il sortit. Le moulin était en ruines, mais debout. Comme lui. Il leva les yeux vers le ciel clair et murmura : « J’te promets, Papa. Je continuerai à choisir le bien. » Le vent souffla doucement, emportant ses mots vers la colline.