Rights for this book: Public domain in the USA. This edition is published by Project Gutenberg. Originally issued by Project Gutenberg on 2019-02-03. To support the work of Project Gutenberg, visit their Donation Page. This free ebook has been produced by GITenberg, a program of the Free Ebook Foundation. If you have corrections or improvements to make to this ebook, or you want to use the source files for this ebook, visit the book's github repository. You can support the work of the Free Ebook Foundation at their Contributors Page. The Project Gutenberg EBook of Quelques dames du XVIe siècle et leurs peintres, by Henri Bouchot This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have to check the laws of the country where you are located before using this ebook. Title: Quelques dames du XVIe siècle et leurs peintres Author: Henri Bouchot Release Date: February 3, 2019 [EBook #58818] Language: French *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK QUELQUES DAMES DU XVIE *** Produced by Clarity, Christian Boissonnas and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/American Libraries.) Au lecteur Table des matières Illustrations MEMBRES DU COMITÉ DE LA SOCIÉTÉ DE PROPAGATION DES LIVRES D’ART 7, RUE CORNEILLE, PARIS. M. E. G UILLAUME , Membre de l’Institut, ancien Directeur des Beaux-Arts, Président d’honneur MM. D ARCEL (Alfred) O I, Président R OSSIGNEUX , Vice-Président F AYET , Vice-Président S ANDOZ (Gustave), Trésorier V ASNIER , Secrétaire du Comité M AUBAN (Georges), Secrétaire adjoint B LAIS Th.). C HAMPIER (Victor). C ORROYER É TIENNE (Lucien). F ALIZE F OURDINOIS G IERCKENS G UIFFREY (J.-J.). H A V ARD (Henri). H USSENOT M ACIET S ALIN (Patrice) I. V ILLEMINOT H ÉDOUIN (Edmond), Membre consultant G UÉRILLON (Ev.) A Secrétaire de la Société QUELQUES DAMES DU XVI e SIÈCLE ET LEURS PEINTRES SCEAUX.—IMPRIMERIE CHARAIRE ET FILS I MP . P HOT . A RON F RÈRES , P ARIS ÉLISABETH DUVAL, peintre de crayons, fille de M ARC D UVAL Crayon de la Bibliothèque Nationale attribué à François C LOUET HENRI BOUCHOT. QUELQUES DAMES DU XVI e SIÈCLE ET LEURS PEINTRES OUVRAGE ILLUSTRÉ DE 16 PLANCHES GRAVÉES EN FAC-SIMILÉ PARIS SOCIÉTÉ DE PROPAGATION DES LIVRES D’ART 7, RUE CORNEILLE, 7 1888 QUELQUES DAMES DU XVIe SIÈCLE ET LEURS PEINTRES. I. Comment les dames de Brantôme nous ont laissé leurs portraitures et quelques détails sur leurs peintres, leurs modes, leurs goûts et leurs plaisirs. Imaginez une cour créée de toutes pièces, une société polie de jeunes seigneurs et de belles filles succédant à la maison pleine de sévérité et de pruderie de la reine Anne de Bretagne, quelque chose comme une envolée joyeuse d’amourettes et d’adolescences laissées la bride sur le col, encouragées même par le nouveau maître, c’est, à ne rien exagérer, l’abbaye de Thélème, la cour du roi François I er de Valois-Angoulême. Et parmi ces têtes folles, les nouveaux venus des lettres et des arts, poètes diseurs de riens charmants, peintres accourus d’Italie, dessinateurs descendus des Flandres, qui ne chômeront point dans le brouhaha des fêtes; ceux-là occupés à chanter les déesses du jour sur le rythme doux des odes latines ou françaises, ceux-ci chargés de les peindre dans leurs allégories décoratives, d’autres désignés pour en conserver les traits dans des esquisses rapides. Et bientôt l’envie naîtra chez «un chacun» de garder par devers soi les visages charmants dont tout le monde parle; les provinciaux exilés, les heureux même vivant à la pleine lumière de la cour, tiendront à honneur de former des cahiers où le peintre favori jettera ses croquis. Pastels légers, périssables, œuvres à peine caressées, surprises à la hâte dans une cérémonie, parfois copiées sur d’autres plus anciennes, embellissant ou déformant le modèle, tous ces crayons , comme on disait, se répandirent à travers le monde. Ce fut un engouement irrésistible. Les plus délicats joignaient à ces figures un peu mornes, un peu trop posées, quelques devises à la mode du jour redisant les vices ou les vertus du personnage. Une légende depuis colportée [1] attribue au roi François lui-même la première idée de ces facéties. Hélène de Hangest-Genlis, femme du grand maître de Boisy, son précepteur, s’était mise à dessiner, elle aussi, la bonne dame, comme un simple homme de mestier. Elle avait ainsi réuni dans un album les gens célèbres du temps, depuis la grand’sénéchale, la belle Diane de Poitiers, alors dans tout l’éclat de ses vingt ans, jusqu’à Marguerite de Valois, sœur du roi, et plusieurs autres beautés célèbres. Agnès Sorel même, prise sur quelque travail ancien, apparaissait parmi les autres comme un motif de comparaison, avec sa calotte emboîtant la tête et son gros nez de fille plantureuse. Ému à la vue de la maîtresse royale, après s’être longuement extasié sur cette figure d’autrefois, François I er —qui jouait au poète comme M me de Boisy au peintre,—aurait écrit au bas le quatrain célèbre: Gentille Agnès plus de los tu mérite La cause estant de France recouvrer... Cet album inimitable, ce cahier merveilleux existe encore; on y retrouve la belle Agnès, le quatrain, la grand’sénéchale, tout le monde; il est à la bibliothèque Méjanes d’Aix en Provence. Et parlant de lui, je me prends à regretter mon scepticisme; je déplore de ne point accepter pour authentique la charmante histoire que je viens de conter, tout en notant pour ce qu’il vaut le très curieux recueil, le plus ancien, le mieux conservé qui soit. Mais s’il nous était montré d’une façon péremptoire que le roi l’a vu chez M me de Boisy, qu’il en tourna les feuillets et y écrivit ses réflexions sur les dames ou les seigneurs de son temps, il marquerait pour nous l’origine incontestable des crayons. Nous n’irions pas jusqu’à en donner l’honneur à la dame dont nous parlions; ces jeux n’étaient ni de son temps, ni de son sexe, mais pourquoi ne les reporterions-nous pas à ce Pierre Foulon, natif d’Anvers, dont les comptes nous ont gardé la mention, et qui travaillait en 1538, chez le fils de M me de Boisy [2] ? L’hypothèse n’a rien que de vraisemblable en soi, elle serait corroborée par ce fait que Foulon fit tige d’artistes, entra dans la famille des Clouet et laissa un fils aussi crayonneur et non moins médiocre que lui-même, dont nous aurons occasion de dire un mot tout à l’instant. Pourquoi faut-il ne procéder que par peut-être en ces matières? Il semble qu’un immense dédain ait enseveli à jamais le nom de ces hommes; eux-mêmes ne se considéraient guère plus que ne faisaient les maçons ou les menuisiers. Le pastel était une des branches de leur industrie; ils exécutaient la peinture sur panneaux,—sujets ou portraits,—le moulage sur nature après décès, le modelage; rien ne les rebutait; on les voyait enluminer des livres imprimés, peinturlurer des statues, mettre en couleur des piliers de cathédrale. De l’exquise finesse au vulgaire brossage, de la table du miniateur à l’échafaudage du plâtrier, ils allaient partout sans murmure. Jean Fouquet, l’artiste merveilleux et sublime, la gloire de l’école française du XV e siècle, coloriait les armoiries nécessaires aux fêtes de la ville de Tours, et dans l’intervalle composait un étourdissant chef-d’œuvre pour les Heures d’Étienne Chevalier, ou l’histoire des Juifs de Josèphe. Cent ans plus tard, rien n’était changé, et au temps où nous voici, les peintres sont demeurés les gens de métier modestes et tranquilles qu’étaient les vieux. Quand ils s’essayent à décrire dans leurs pastels les beautés à la mode, ils font une besogne commandée, une œuvre officielle, et ils quittent la palette pour les crayons, comme ils abandonneront ceux-ci pour autre chose encore. Ces hommes humbles et soumis viennent des Flandres; les Italiens, engoués de leurs formules hiératiques, amenés à grands frais pour composer des histoires singulières sur les murailles des châteaux, se fussent difficilement condamnés à la portraiture. Les artistes du Nord au contraire, moins idéalistes, recherchent volontiers la nature. Descendants de Van Eyck ou de Memling, ils impriment à la figure humaine la hautaine sévérité, et le regard abstrait des poses prolongées. Méticuleux à l’excès, ils fouillent le détail, précisent les joyaux, festonnent les dentelles avec un soin ingénieux et une délicatesse infinie. C’est le moyen le plus sûr de plaire aux dames, ils le savent, et les moins habiles jouent de ce procédé à défaut d’autre chose. Peu à peu leur manière spéciale s’affinera au contact des élégances françaises; ils seront moins durs, moins précis; les carnations flamandes d’abord imposées par eux à leurs modèles laisseront la place aux fraîcheurs moins excessives de nos contrées. Au bout de vingt ans de séjour ils auront oublié les leçons de leurs maîtres du Nord et seront devenus eux-mêmes; Jean Clouet à Paris et à Tours, Corneille de la Haye à Lyon, pour ne nommer qu’eux, créeront un genre, je n’ose dire une école, où leur génie trouvera des inspirations splendides. Mais ils ne savent que le portrait, l’imagination leur fait défaut pour les inventions compliquées. Autant ils analyseront une physionomie dans ses plus infimes recoins, mieux ils sauront dire le regard, le sourire, moins ils chercheront à paraphraser sur les conventions hiératiques des Italiens. Qui bénéficia de ces moyens particuliers? Ce furent les belles et nobles femmes des cours royales, les plus honnêtes suivant le mot, c’est-à-dire celles-là dont la chronique avait le plus à dire, les reines ou les maîtresses, femmes ou damoiselles. Elles sont venues jusqu’à nous parfois bien désillusionnantes, conservées par ces gens qui ne comptaient pas pour elles, et qui leur ont donné la seconde vie humaine, celle de la postérité. «Il suffist que ce soit un créon pour avoir plus tost fait», disait Catherine de Médicis. C’est cette presse qui amena l’emploi des pastels, et fit peu à peu tomber la peinture. Les femmes de cour trouvaient-elles jamais l’heure de poser devant un peintre? A peine levées elles saluent la reine, s’occupent de leur office, assistent à l’habillement; elles dînent, vont à la promenade, soupent, changent dix fois de toilette, courent sans cesse, babillent sans relâche. Le temps de demeurer immobile ne se rencontre jamais. Si l’artiste est chargé par un amoureux de dessiner sa dame au passage, il est posté dans un couloir, arrêté sur un escalier, caché derrière une tapisserie; il surprend plus qu’il ne prend. Quand il est connu on lui accorde quelques instants, il doit saisir l’occasion sans y faillir en rien; la moindre faute vue et revue par cent yeux indiscrets et gouailleurs, commentée et augmentée par des bouches malignes, serait le signal de sa perte. Pour peu que la qualité de ces esquisses dénote «la peinture d’après le vif», c’est-à-dire sur nature, elles nous donnent toute confiance. Si la ressemblance leur eût manqué, les remarques écrites eussent tombé dru comme grêle: Mieux contournée que paincte; Plus belle à voir s’elle estoit céans; Belle face et meschant créon , et autres pointes, signal définitif de la déchéance du malheureux crayonneur. Mais l’engouement ne s’en tint point à ces œuvres modestes et faciles, la mode élargit le cercle. Les cahiers de crayons, d’abord destinés à la curiosité, servirent à composer des travaux durables; ils devinrent plus simplement des recueils où les émailleurs, les miniaturistes ou les graveurs pouvaient trouver sans peine les éléments d’une commande officielle. Quand la reine Catherine de Médicis ordonne à son orfèvre de lui préparer une série de médaillons pour la duchesse de Savoie, sa belle-sœur, elle ne prend aucun soin de fournir à l’artiste les portraits demandés [3] . Celui-ci consultera ses albums anciens, il y découvrira que bien que mal les ressemblances du roi François, de Henri II, de la reine Claude. Et ce sont ces besognes de pratique, ces misérables copies de copies, ces assemblages bizarres de gens, de temps et de costumes divers, que nous retrouvons en grand nombre aujourd’hui à la Bibliothèque nationale, au Louvre, chez les particuliers. L’art n’a que faire de ces figures, mais l’histoire ou la chronique trouvent parfois leur compte au milieu de ce fatras. Par contre les peintres arrivés, les maîtres du genre, François Clouet pour ne parler que de lui, composèrent eux aussi des albums de crayons, des études sur nature destinées à des esquisses peintes, à des panneaux définitifs; mais ils ne les répandaient pas. C’étaient leurs archives, et à ce titre ils les gardaient chez eux pour pouvoir les reprendre en temps opportun. Peut-être la Bibliothèque conserve-t- elle aujourd’hui un de ces albums inimitables, celui auquel nous empruntons la plus grande partie de nos dessins, et que nous cherchions à identifier autrefois par des rapprochements et des comparaisons [4] . Une chose paraît acquise, c’est que ce livre passa aux mains de Benjamin Foulon, neveu de François Clouet, qui l’annota et mit sur les pages restées blanches des esquisses de sa façon singulièrement différentes des autres. Entre les belles dames choisies parmi les duchesses et les reines, François Clouet nous a gardé la physionomie enjouée d’une rivale modeste, cette Élisabeth Duval que des mentions partout éparpillées nous signalent comme un crayonneur célèbre. Et pourtant il faut renoncer à mettre son nom sur une œuvre quelconque, pas plus qu’on ne saurait montrer une esquisse indiscutable de ses contemporains, des Quesnel, de Caron, de Clouet lui-même. Un seul d’entre eux a signé, signé une fois, c’est Benjamin Foulon; mais son médiocre talent, la touche pénible à la fois et enfantine de son procédé lui assignent une bien petite place dans l’École française. Cette éclosion formidable de portraitures amena la satiété vers la fin du siècle. Ceux-là même qui avaient le plus recherché les effigies de leurs contemporains les délaissèrent. Les œuvres se banalisaient. Pierre de Lestoile, si curieux de ce monde «fraisé et gauderonné» de la cour des Valois, abandonne à Gabriel de Cerniolo, peintre italien, tout un lot de portraits pour quarante livres. Et il n’en a aucun regret: «Encore que je sçache, dit-il, que ces vieilles portraictures m’ont cousté bien davantage, si voudrois-je m’estre deffaict de tout le reste que j’en ay à pareil pris, tant pour l’affaire que j’ai d’argent, que pour l’inutillité de telle marchandise qui va tous les jours au rabais.» Si l’on s’ingénie à mettre un peu d’ordre dans ces éléments disparates, les plus naïfs savent encore nous intéresser. Un véritable artiste les dédaignerait, l’historien les interroge avec joie. Souvent même les plus innocents crayons sont ceux qui nous racontent le mieux le vieux temps, qui nous conservent le ragoût des choses. V oyez les dames de François I er dans les collections de la Bibliothèque nationale! Elles paraissent forgées sur le même moule. Coiffées de bandeaux, et du chaperon à templette enserrant la tête comme un diadème plat, uniformément placées, pareillement souriantes, décolletées de même, elle se ressemblent toutes; n’était la lettre mise au bas, on les prendrait les unes pour les autres. Mais à les fréquenter, chacune conserve son caractère propre et sa vie; le pastel effacé par le frottement des siècles laisse apparaître les personnalités; telle sourit, telle autre boude. Celle-là porte droite sa tête hautaine, celle-ci se montre bonne fille et joyeuse amie. Sans doute nous nous étonnons de certaines réputations de beauté, même la belle Diane de Poitiers n’est pas sans nous donner quelques regrets; mais à descendre au fond des choses nous voyons que le vieil artiste ne nous trompe pas; il parle en franchise avec la simplicité d’un âme candide, et nous arrivons à comprendre combien le beau est chose variable. Sous Charles VII le gros nez d’Agnès Sorel était la distinction suprême; sous Louis XII le front bombé de la reine Anne marquait la supériorité; sous François I er , la chair opulente triomphe. Et d’année en année le portrait note ainsi les fluctuations de la mode et les préférences officielles. Quelque jour Éléonore d’Autriche apportera d’Espagne les résilles castillanes que les Françaises adopteront; plus tard, Catherine de Médicis imposera son béguin de veuve, Marguerite de Valois—la reine Margot—inventera mille coquetteries aussitôt suivies et répandues. Aux échancrures égrillardes des corsages succéderont les emprisonnements pudiques. Des collerettes enfermeront le col, soulèveront le menton. Au temps de Margot les larges et opulentes poitrines ne sont plus de grâce, on les claquemure dans des armatures de fer ou de bois, on les écrase. C’est la torture, le carcan, mais le corps est délicieusement «espagnolisé», arrondi en cornet pointu. Parfois en ouvrant un cadavre Vésale rencontrait les côtes chevauchant les unes sur les autres, en suite de ce supplice monstrueux, mais qu’importe! Pas une coquette n’eût consenti à mettre de côté son buste de fer; il fallait qu’un corps de guêpe émergeât tout à coup des jupes très amples, que les vertugades ou paniers parussent de larges tonneaux. Quant à l’ajustement des cheveux, il se montre plus extraordinaire encore. Perruques moutonnées, poupinées, teintes en blond d’or, relevées en arcelets, frisottées, chargées de pierreries, d’escofions et de chaperons, tout se porte et se supporte. Le visage est peint au blanc, passé au rose, enfermé la nuit dans des masques de velours noir; aux oreilles, les perles ou les pendeloques macabres; au col, les chaînes d’or, les carcans de joaillerie et d’orfèvrerie; et quand les fraises raisonnables auront fait place aux incroyables fantaisies du règne de Henri III—quand on devra faire des cuillers spéciales pour manger le potage par-dessus ces «gauderons» forcenés—plus rien ne demeurera de la belle ordonnance des modes françaises du précédent règne. Ce sera là pourtant l’époque choisie par Brantôme comme le critérium du goût: «Vénus n’avait été si belle autrefois, disait- il, que pour s’être délicatement accoutrée.» Aussi mieux valait la reine Margot dans son brocart d’or, que non pas mille autres dames ou princesses en la nudité des déesses. Bien plus, elle surpassait les belles Romaines, les Grecques, la mère de Cupidon elle-même, et cela pour savoir s’affubler d’un chapeau de soie à aigrette, d’un corsage rond, d’une large collerette, d’une perruque rousse et de vertugades immenses! Les artistes nous les ont gardées ainsi et montrées telles quelles dans leurs atours sans y rien changer. Au temps du roi François, c’est Jean Clouet le père, dit Janet, c’est Pierre Foulon, c’est le vieux Robinet qui nous décrivent leurs épaules arrondies, leurs bonnes figures françaises un peu communes, leurs bouches épaisses et leurs nez retroussés. Puis ce seront Pierre Pilaty, Jean Scipion, peintre de la reine Catherine, Nicolas Denizot, crayonneur et miniaturiste chanté par Ronsard, François Clouet, le plus grand artiste et le plus complet du siècle, Corneille de La Haye, qui avait pris la cour entière à son passage à Lyon [5] , les Duval, les Dumonstier Côme et Étienne, les Quesnel père et fils, Jean de Court, successeur de Clouet, Benjamin Foulon et autres qui nous montreront les filles de Catherine de Médicis, les maîtresses royales, les héroïnes de la chronique scandaleuse, les femmes de la Ligue, et jusqu’aux tard venues du siècle, M me d’Estrées et sa fille, la belle Gabrielle, duchesse de Beaufort. Celles-ci se sont affinées; deux générations ont passé qui ont laissé leur empreinte polie, Brantôme les explique à sa fantaisie: «Quant à nos Françaises, écrit-il, on les a vues le temps passé fort grossières... mais depuis cinquante ans en ça elles ont emprunté et appris des autres nations tant de gentillesses et mignardises, d’attraits et de vertus, d’habits de belles grâce et lascivetez, ou d’elles-mêmes se sont si bien estudiées à se façonner, que maintenant il faut dire qu’elles surpassent toutes les autres en toute façon, et ainsi que j’ay ouy dire mesme aux estrangiers, elles valent beaucoup plus que les autres.» Mais au milieu d’elles toutes quelles sont les plus honnestes, c’est-à-dire, hélas!—entendez bien le mot, lecteur,—les plus hardies, les plus habiles, les plus audacieuses sur le fait, les moins scrupuleuses, les moins timides? Ce sont les dames de la cour de France, petites ou grandes, grosses ou maigres. Pourvu que le scandale ne soit point trop fort et ne dégénère pas en esclandre, les yeux les plus clairvoyants se ferment, les Catons eux-mêmes baissent le chef sans murmure. «L’on voit dans un bal un amant déclaré se tenir à genoux devant sa dame et avoir soin de lui agréer par sa bonne mine et par ses discours étudiés. Les autres qui, pour certains respects ne peuvent parler à celles qu’ils aiment et dont ils sont aimez se contentent du muet langage des œillades [6] .» Malheureusement on s’arrête rarement en si beau chemin, et les mécomptes ne sont pas rares; les portraitures sont parfois de gênants témoins pour les investigations malignes des courtisans en bonne gaîté. Brantôme a sauvé,—du moins il le prétend,—la reine d’Espagne d’une honte, car «elle avait une poussière en sa flûte» comme on dit, et les infantes ressemblaient à tout autre qu’au roi Philippe II. Et pourtant lui, le brave Gascon, de s’écrier que jamais plus enfant ne fut la miniature de son père, et de s’extasier à bon escient, sachant quel office il rendait à la petite reine effrayée [7] ; car tous ces princes étrangers, venus se pourvoir d’épouses agréables en France, n’étaient pas sans crainte pour leur couronne; Ferdinand de Médicis, marié à Christine de Lorraine, appela à son aide les plus habiles médecins de son duché, devant que de risquer la partie définitive; ceux-ci ne trouvèrent que tout bon et tout honnête, mais combien ils eussent été sots de soutenir le contraire. Et d’ailleurs les femmes de la cour, les princesses, les duchesses, les baronnes sont-elles seules à mener le branle? Brantôme rit à merveille de ces Méridionaux obtus qui, de son temps, eussent refusé de prendre une fille du Nord. Au delà du Port-de-Pile, en Poitou, plus rien n’était sûr pour eux à cause de la Touraine, du Blaisois et de l’Ile-de-France. Pauvre gens idiots! comme si la marchandise en question eût été plus rare aux rives de la Garonne! comme si dame Vénus n’habitait pas «jusque dans les cabanes des pastres et giron des bergères voire des plus simplettes!» Il en sait quelque chose, et s’il ne nomme pas les coupables ou les victimes de par là, ce n’est pas l’envie qui lui en manque. Claude Hatton, le curé de campagne qui nous a laissé de curieux mémoires sur les mœurs de son temps [8] , s’en prend à la cour du débordement croissant du luxe et de la bonne chère: «Il n’estoit question en France que de danser, jouer, gaudir et prendre bon temps, tant à la court du roy, des princes, que ès villes et villages.» Les ducs imitent les rois, les simples seigneurs jouent les princes, les bourgeois singent les gens d’épée. Tel hobereau, qui peut à grand’peine maintenir son train et relever les murs croulants de son castillon, se fait peindre en grand costume de soie, en pourpoint à crevés comme un gentilhomme de la Chambre. Ce sont ces inconnus majestueux, ces anonymes condamnés à l’oubli, qui font aujourd’hui le désespoir des archéologues. A les voir ainsi, plus braves que des Montmorency, on s’ingénie à leur chercher un état civil; leurs armoiries, le nom inscrit dans les marges de leurs portraitures font douter de l’attribution; les moins entreprenants d’entre les érudits modernes les décorent parfois de titres sonores et les baptisent magnifiquement. Le musée de Versailles abrite une légion de ces parvenus posthumes, qui doivent à leur bonne mine et à leur habit de passer pour des la Trémoille ou des d’Harcourt, tandis que leur modeste origine a seule pu les sauver du désastre. Les dames, plus que les hommes encore, ont bénéficié de leurs ajustements. Quelle tentation de reconnaître Diane de Poitiers dans une belle femme à nez droit! Quelle envie de retrouver Gabrielle d’Estrées dans une damoiselle à cheveux frisés et à collerette en éventail! Les meilleurs esprits ne résistent pas à aider l’histoire en pareil cas, et nous vivons un peu sur ces fantaisies. En ce qui concerne les artistes on est allé plus loin encore. Toutes les peintures du XVI e siècle représentant des personnages des règnes de François I er , de Henri II, de Charles IX, de Henri III, et même de Henri IV sont attribuées à Clouet dans les inventaires. A lui seul ce prodigieux travailleur, cet infatigable portraicturier eût mis la France entière sur toile ou sur panneau, en quatre-vingts ans de labeur soutenu. Les dates ne font rien à la chose, et on ne cherche pas à comprendre comment un artiste, autrefois occupé à peindre les héros de Pavie, Tournon, Bonnivet ou la Trémoille, dans le premier quart du siècle, eût conservé assez de souplesse pour nous montrer le Béarnais dans son âge mûr. C’est un peu ce qui arriverait si l’on donnait à Isabey ou à Prudhon les portraits exécutés par Bonnat ou par Cabanel. La vérité c’est qu’il y eut deux Clouet, le père et le fils, comme il y eut deux Foulon, trois Quesnel et quatre Dumonstier. V oilà déjà bon nombre d’aides qu’on ne connaît pas assez et qui eurent aussi leur réputation et leur gloire. En y ajoutant Corneille de la Haye, les Duval, Jean de Court, Caron, et ceux que nous nommions avec eux tout à l’heure, on peut s’expliquer sans peine les innombrables œuvres si différentes d’aspect, de main, d’époque et de mérite que renferment nos musées. Jean Clouet, le père, travailla surtout à la cour de François I er et mourut avant ce roi [9] . Son fils, François, hérita de sa charge et du sobriquet familier de Janet que lui donnaient les grands. Quand il mourut, en 1572 [10] Henri III n’était pas encore arrivé au trône; c’est donc une erreur que de lui faire honneur des panneaux représentant les mignons du roi, la reine Louise de Lorraine, les ligueurs ou les contemporains de Henri IV . Sous Henri III, c’est Jean de Court qui tient la place; après lui, ce sera Antoine Caron, les Dumonstier, les Quesnel et Benjamin Foulon. Et si grand qu’ait été François Clouet, si connu qu’il soit, je n’oserais lui attribuer une seule portraiture sans réserve; il y a des présomptions, des probabilités sérieuses en sa faveur, mais pas de preuve indiscutable. J’avais lu qu’un album de crayons, annoté par Brantôme, avait passé sous les yeux du collectionneur Mariette, vers le milieu du dernier siècle. Brantôme écrivant ses impressions sur des portraitures! Je m’étais imaginé que si cette pièce rarissime réapparaissait jamais, elle nous apporterait les révélations les plus piquantes, peut-être même des renseignements inédits. Brantôme avait une démangeaison d’écrire; il n’eût point manqué de noter chaque personnage, de fournir quelque anecdote sur lui, de le décrire. Comme le recueil avait disparu en Angleterre, je m’étais demandé si les crayons de Castle Howard, avec leur écriture particulière, longue et hâtive, n’étaient point cause d’une méprise de Mariette, et s’il n’avait point voulu parler d’eux dans la note citée à ce sujet. Depuis, le cahier a été heureusement retrouvé, et les appréciations de Mariette sont sur la première page. «Ce recueil... a appartenu sans doute à Brantôme; ce qui me le fait préjuger, c’est que plusieurs des inscriptions sont écrites de sa main; je m’en suis assuré par la confrontation que j’en ay faite avec un manuscrit authentique tout corrigé de la main de ce célèbre écrivain.» Malheureusement le conteur, ordinairement si prolixe, s’en serait tenu à la sèche énumération des noms, ce qui me fait croire à une erreur de Mariette. Et puis, si je n’ai point vu le cahier aujourd’hui conservé à Liverpool [11] , je puis bien dire qu’on y rencontre surtout des gens inconnus à Brantôme, même des seigneurs du XV e siècle tels que Montaigu exécuté à Montfaucon et le maréchal Pierre de Rohan. François I er , Claude de France, Louise de Savoie, Bonnivet, tué à Pavie, M me de Canaples, sont pour lui des ancêtres. A peine Diane de Poitiers représente-t-elle ses contemporains immédiats. Il y a, toutefois, une preuve plus forte contre l’attribution, c’est qu’on voit, dans le nombre, des femmes du règne de Louis XIII; Brantôme était mort depuis longtemps. Laissons donc une bonne fois cette question du cahier de portraitures possédé et annoté par Pierre de Bourdeille, qui a tourmenté nombre d’écrivains spéciaux depuis trente ans en çà. Mariette, amateur de gravures, n’était point un déchiffreur impeccable d’écritures. Contentons-nous de chercher ailleurs les gracieuses figures des femmes de Brantôme. Il y en a, et de telles, que le brave seigneur n’en eût su posséder de meilleures, ni de plus authentiques. II. DIANE DE POITIERS. De quelques «belles et honnestes» princesses, grandes dames et damoiselles, de leur vie et de leurs portraits. DIANE DE POITIERS en 1537 Crayon de la Bibliothèque Nationale copié d’après Jean C LOUET , le père C’est une physionomie toute de convention dans l’histoire de France que celle de la maîtresse de Henri II. Les légendes se sont formées sur elle de son vivant même, se sont grossies et sont venues jusqu’à nous, augmentées de jour en jour par mille fantaisies singulières. Un sculpteur de son temps, Jean Goujon, nous la montre dans la splendeur idéale d’une déesse antique; Brantôme, qui l’avait connue, la proclame une beauté merveilleuse, et, avec la passion qu’il mettait dans ses descriptions, il laisse entendre que cette charmeuse avait su tirer son père du plus mauvais pas qui soit, de l’échafaud où l’avaient entraîné ses accointances avec le connétable de Bourbon. De nos jours, Victor Hugo, enchérissant sur cette donnée, la prostituait toute jeune encore,—et jeune fille, s’entend—à François I er ; il cherchait par une habile transposition à rendre sympathique le Saint-Vallier hâbleur, poltron et traître de l’histoire au détriment du roi. Ce sont là jeux de poètes dont on a fait depuis longtemps justice [12] . Au temps où Jean de Poitiers, sieur de Saint-Vallier, embrassait la cause de Charles de Bourbon, Diane était mariée depuis neuf ans au grand sénéchal de Normandie, Louis de Brézé, petit-fils de Charles VII et d’Agnès Sorel par sa mère Charlotte, bâtarde de France. Quand elle épousa le grand sénéchal, elle n’avait pas quinze ans, étant née en décembre 1499, et François I er n’était pas encore monté sur le trône. A supposer que la belle Diane eût cherché, dix ans plus tard, à sauver son père de la peine capitale par les moyens spéciaux dont parle Brantôme, elle agissait à bon escient et non contrainte ni forcée par les circonstances. Malheureusement la lettre de rémission royale en faveur du condamné portait le nom du mari de Diane lui-même; c’est à la prière de Louis de Brézé que Saint-Vallier dut sa grâce. Toutes les histoires racontées à ce propos tombent d’elles-mêmes devant le fait. Qui ment sur un point peut aussi bien fausser le vrai sur un autre, et nous rejetterons comme apocryphe la prétendue exclamation de Saint-Vallier apprenant sa commutation de peine, que Brantôme nous a conservée dans sa forme gauloise. Le bon homme avait eu trop peur pour faire de l’esprit en pareille occurrence; il se contenta de baiser l’échafaud par trois fois, comme fou de joie, et rentra dans sa prison. Jean Goujon a joint son mensonge artistique à ces légendes bizarres, pour nous égarer sur les traits de Diane de Poitiers, comme d’autres nous trompaient sur ses mœurs de jeunesse. Le type de Diane chasseresse a été tenu pour authentique; les peintres, les graveurs l’ont copié à l’envi depuis trois siècles; aujourd’hui même encore, cette femme nue au corps svelte, au visage invraisemblablement régulier, est reprise à chaque instant par les sculpteurs en quête de reconstitutions, c’est le thème officiel. Et pourtant, jamais effigie ne trahit la vérité avec plus de sans-gêne. Ceux qui prétendent que le corps fut moulé directement sur celui de la sénéchale nous la baillent bonne! Diane de Poitiers, c’est le triomphe de la chair, la Française du XV e siècle, un peu Flamande de carnation, robuste d’aspect, assez vulgaire de physionomie, un type de paysanne madrée et plantureuse. En lieu de ce profil droit inventé par l’artiste, des lignes moins correctes, un front large, un nez légèrement retroussé, une bouche sensuelle et franche. Ses cheveux sont blonds: Cheveulx dorez, rayans sur le soleil Si très luysans qu’ils font esblouir l’œil Qui les regarde et les voit coulourez Non pas d’or fin, mais encor mieulx dorez De je ne sçais quelle couleur divine Qui luyt en eux et qui les illumine[13]. Deux ans après la misérable odyssée de son père, Diane de Poitiers a été portraite dans le célèbre album de M me de Boisy. Elle a vingt-cinq ans, elle est toute rayonnante de jeunesse, mais elle n’est point encore célèbre. Coiffée du chaperon à templette, qui allait devenir l’ajustement ordinaire des coquettes pendant près de vingt ans, décolletée au carré et laissant paraître sa gorge arrondie, la grand’sénéchale est une bourgeoise qui ne rit pas; rien ne peut faire prévoir la future dame d’Anet, la duchesse de Valentinois, la maîtresse redoutée du roi Henri. Au bas du dessin, l’auteur des devises écrit cette phrase ambiguë: Belle à la voir, Honneste à la hanter. Honneste à la hanter ne signifie malheureusement pas grand’chose dans la langue de Brantôme. Tant que son mari vécut, elle fit peu parler d’elle. Le sénéchal de Normandie n’était point homme à porter facilement l’infamie; on prétend d’ailleurs que Diane aimait son mari et qu’elle lui sacrifiait ses ambitions. Mais elle tenait à la cour un rang prépondérant; elle avait cette grâce suprême des femmes à la mode, une langue suffisamment affilée pour paraître spirituelle. Les poètes aimaient à jouer sur le nom de Diane, cher aux amis de l’antiquité. A trente ans, l’âge terrible, elle perdit Louis de Brézé et mena un deuil bruyant, éleva des mausolées dignes d’Artémise, sema ses tapisseries et ses livres de devises où l’on voyait un arbrisseau sortir d’une tombe avec la légende «sola vivit in illo», Elle vit en lui seul . Et puis l’apaisement se fit; elle reprit des charges à la cour, rentra dans la vie, plus libre, recherchée de tout le monde, assaillie d’amoureux trop médiocres pour qu’elle songeât de leur sacrifier la mémoire du sénéchal. Et tout à coup, vers les trente-six ou trente-sept ans, au moment précis où fut dessinée, par Jean Clouet peut-être, la figure ici reproduite, on la donna comme compagne au jeune Dauphin Henri, qui était demeuré un enfant triste et doux, sans volonté et sans initiative. Son rôle devait être de le dégourdir, ou comme on disait alors, de «moyenner» son éducation mondaine. Qu’y avait-il à craindre d’une dame dont les deux filles, à peu près du même âge que le prince, cherchaient des épouseurs depuis une ou deux années? Les relations commencèrent en tout bien tout honneur; le prince se laissa doucement caresser par cette opulente matrone qui avait le mot gai et la phrase leste, peu ou point de scrupules, et que les ambitions de l’âge mûr mordaient cruellement. Elle eût pu être sa mère, elle devint sa confidente, sa conseillère intime, et s’abandonna certain jour au jouvenceau, en pesant les conséquences probables de sa chute. C’est l’automne de sa vie, mais un automne plein de soleil et de fleurs; Marot le lui dit en vers charmants pour les étrennes de l’année 1538: Que voulez-vous, Diane bonne, Que vous donne? Vous n’eustes, comme j’entends, Jamais tant d’heür au printemps Qu’en automne! Elle est encore fraîche et agréable, mais elle a recours aux artifices italiens pour conserver son teint rose et ses joues rondes. Brantôme prétend qu’elle buvait des bouillons d’or pur; d’autres soutiennent qu’elle avait des philtres spéciaux, des herbes magiques. Le poète Vulteius, inféodé à son ennemie terrible, la duchesse d’Étampes, maîtresse de François I er , l’appelle «la Poitiers, vieille femme de la cour» et lui décoche en latin cette épigramme sanglante: «Tu es folle de te peindre le visage, de te mettre de fausses dents, de cacher la neige de ton poil sous un cheveu rapporté dans l’espoir de tromper la jeunesse.» Quant à M me d’Étampes, elle dit négligemment: «Je suis née l’année où M me la grand’sénéchale s’est mariée», ce qui était d’ailleurs absolument faux. Mais si conservée et agréable qu’elle fût, quand même son hiver, suivant Brantôme, eût valu «plus certes que les printemps, estez et automnes des autres», elle donnait mal l’idée de la Diane fine, distinguée, sortie du ciseau de Jean Goujon. Quand Henri II fut monté sur le trône, et qu’il l’eut faite duchesse de Valentinois, on frappa une médaille en son honneur. Quelle désillusion! Une commère grasse, replète, lourde, une figure banale et flasque, une duègne en un mot, qui ne saurait plus tromper personne. Les moins prévenus cherchent à comprendre quelle faiblesse tient le roi pour lui faire préférer cette femme de quarante-neuf ans, cette vieille coquette, cette grand’mère, à la reine Catherine de Médicis si désirable et si bien en point. On la croit maîtresse d’un charme, d’un talisman, et de Thou se fera plus tard l’écho de cette niaiserie. Quant à la reine, en bonne Italienne, elle suppose que Satan se mêle à l’histoire, qu’il est le serviteur très humble de la duchesse. Et elle sait à quoi s’en tenir sur l’amour du roi. Un jour, raconte Brantôme, la cour étant à Saint-Germain et la grand’sénéchale ayant son appartement au-dessous de celui de Catherine [14] , celle-ci fit un trou au plancher pour assister aux ébats de Henri II et de sa maîtresse. La pauvre délaissée en vit apparemment plus qu’elle n’eût voulu, car elle se releva les larmes aux yeux, et se prit à sangloter et à maudire cette créature si heureuse au prix d’elle! Arrivée au faîte de la puissance, la grand’sénéchale eut ses artistes spéciaux, ses peintres attitrés qui prodiguèrent ses effigies. Par une singulière anomalie, ses portraitures sont toutes antérieures à sa période d’influence, ou postérieures à elle. J’ai cité la plus ancienne, celle du recueil d’Aix; celle que nous donnons ici vient après, comme aussi celles de la collection Lallemand de Betz à la Bibliothèque nationale, celle de la Bibliothèque des arts et métiers (Me 3, vol. I, fol. 6), celle de Castle Howard, en Angleterre, publiée par lord Ronald Gower ( French portraits , I, fol. 76). Tous les autres nous montrent Diane dans le costume de veuve qu’elle adopta à la mort de Henri II, avec le béguin sur le front, et ce corsage noir «en soye tousjours, assurait Brantôme, affin qu’elle peust mieux adombrer et cacher son jeu. Et y paroissoit plus de mondanité que de refformation de veufve, et surtout monstroit tousjours sa belle gorge». Un crayon de Castle Howard la représente ainsi [15] ( French portraits , I, 39), mais elle n’a rien gardé de ses fleurs printanières, son front s’est ridé, ses yeux se sont plissés, de longs sillons creusent les joues; c’est une vieille belle qui n’a plus guère conservé que ses épaules et se raccroche à cette branche suprême de la splendeur passée. Elle mourut en 1566, «aussi belle, aussi fraîche et aussi aimable comme en l’âge de trente ans». Mais Brantôme qui donne, par politesse pour les filles, cette entorse énorme à la vérité, ne l’avait guère vue que préparée, émaillée, poudrée et gauderonnée comme une enseigne de coiffeur. Les ennuis avaient laissé leur trace ineffaçable. A la mort de Henri II, elle s’était enfuie, chassée de la cour, en grand danger de malheur pour elle. Tavannes voulait qu’on lui coupât le nez, ce qui était excessif, d’autres qu’on l’emprisonnât, ce qui ne l’était pas moins. M me la gran