T H È S E P R O F E S S I O N N E L L E LE TEMPS DES MÉTAMORPHOSES MBA DIGITAL BUSINESS & MARKETING EFAP PARIS ANNÉE UNIVERSITAIRE 2019-2020 G A B R I E L S A H L I - A U T R A N @ G a b S L A T R L’INDUSTRIE MUSICALE À L’ÉPREUVE DU NUMÉRIQUE INDUSTRIES MUSICALES EUROPÉENNE ET FRANÇAISE - LE TEMPS DES MÉTAMORPHOSES LA FILIÈRE MUSICALE À L’ÉPREUVE DU NUMÉRIQUE MBA DIGITAL BUSINESS & MARKETING EFAP PARIS ANNÉE UNIVERSITAIRE 2019-2020 GABRIEL SAHLI AUTRAN @GABSLATR #PIRATERIE #DEVARTISTE #MARKETINGSONORE #VINYLE #VUES #PODCAST #WEBRADIO #A&R #EDUCATIONMUSICALE #DISQUE #COLLABORATION #M.A.O #CRISEDUDISQUE #CD #RÉEDITION #EUROPE #CREATIVITÉ #DESIGNSONORE #CATALOGUE #SYNCHRO #DIFFUSION #PODCASTS #LIVESTREAM #AUDIENCES #SPOTIFY #PASSION #CULTURE #ICC #PARCOURSUTILISATEUR #INTERNETDESOBJETS #5G #AR #VR #IA #MUSICSUPERVISOR #REPERTOIRE #INSPIRANT #SYNTHESE #AGREGATEUR #MODULATIONS #RYTHMES #BANDEORIGINALE #DISTRIBUTION #ENTREPREUNARIATCULTUREL #AUDIO #INDEPENDANT #EUROPECREATIVE #EU #SHENZEN #MARCHECOMMUN #INSPIRATION #FESTIVALS #P2P #PIRACY #ARTISTDEV #SOUNDMARKETING #VINYLE #BUSINESSDEVELOPMENT #MUSICSUPERVISOR #STREAMING #PODCASTS #WEBRADIO #A&R #SAMPLING #MUSICEDUCATION #MUSICPRODUCTION #COLLABORATIVE #M.A.O #HOMESTUDIO #ALBUMS #VINYLE #REEDITION #EUROPE #CREATIVITY #SOUNDDESIGN #SYNCH #BROADCASTING#PODCASTS #LIVESTREAM #VENUES #SPOTIFY #ENTERTAINMENT #PASSION #CULTURE #MUSICINDUSTRY #USERCENTRIC #INTERNETOFTHINGS #5G #AR #VR #CULTUREGROWTH #MUSICSUPERVISOR #REPERTOIRE #INSPIRED #OSCILLATOR #AGGREGATOR #MODULATIONS #SYNTHS #ORIGINALSOUNDTRACK #ARTISTICENTREPENEUR #BINGELISTENING #INDIE #EUROPECREATIVE #EU #SHENZEN #MARCHECOMMUN #INSPIRATION #BEATGENERATION #P2P #MUSICPRODUCTIO #SOUNDD #VENUES #S #C #USER #INSPIRED #OS #MODULAT EN BREF La nouvelle économie de la musique tourne autour de 3 points : la flexiblité de l’offre, l’engagement de l’audience et la multiplication des canaux d’écoutes. Par la diversité des imaginaires, l’aspiration créative de plus en plus fréquente et accessible aux populations, et l’environnement légal favorable à la création, la France et l’Europe disposent d’atouts décisifs pour l’éclosion d’un marché européen de la culture. C’est ce qui est défendu à travers cet écrit. Avec un nouvel environnement émergent, de nouveaux acteurs naissent, qui souvent sont extérieurs aux industries musicales et culturelles. C’est le cas aujourd’hui, avec l’entrée des grandes entreprises du numériques sur le marché, autrefois détenu par des maisons de disques historiques. Ces maisons de disques, après avoir été ébranlée par la Crise du disque ont été en capacité de se renouveler. Une crise causée par les transformations liées au numérique devient alors un nouveau levier de développement. En cela, ma thèse repose sur un rapport de complémentarité, et non pas d’opposition, entre les technologies du numérique et la filière musicale. Ce renouvellement ne va pas sans concessions. Le revenu apporté à l’industrie par de nouveaux canaux d’écoutes comme le streaming ne sont qu’infimes comparés à ceux générés par la vente de supports physiques. S’il est donc une industrie du numérique et une industrie de la musique auparavant, cette frontière tend à s’effacer avec le temps. Au fur et à mesure que des thèmes comme le Big Data, la Blockchain, l’Internet des Objets ou la réalité altérée viennent s’insérer dans les activités de la filière musicale, les métiers et les expertises changent. Ces changements, la filière musicale peut les aborder et conquérir de nouveaux publics. À cela on peut apposer un contexte culturel et légal, celui de la France, de l’Union Européenne, où un particularisme fort structure la création et les industries culturelles. C’est dans ce terreau fertile que doit, à l’humble avis de l’auteur, venir s’inscrire une démarche de protection, de stimulation et d’export, pour ce joyaux précieux qu’est l’industrie culturelle européenne. Là se situe le coeur de l’atout, de par le patrimoine riche dont il dispose, de sa capacité à repenser le présent, et dont la rare diversité est une voie de développement loyale pour sa prospérité à venir. #SOUNDDESIGN #VENUES #SPOTIFY #CULTU #USERCENTRI #OSCILLAT #MODULATIONS TL;DR The new economy of music revolves around 3 points: the flexibility of the offer, the engagement of the audience and the multiplication of listening channels. Thanks to the diversity of imaginations, the creative aspiration that is increasingly frequent and accessible to the population, and the legal environment favorable to creation, France and Europe have decisive assets for the emergence of a European cultural market. This is what is defended through this paper. With a new environment emerging, new players are coming on board, sometimes coming from outside the sector impacted by these changes. This is the case today, with the entry of major digital companies into the market, formerly owned by historic record companies. These record companies, after being shaken by the Record Crisis, itself linked to the transformations brought about by digital technology, have been able to renew themselves. Such renewal is not without concessions, because the revenue brought to the industry by new listening channels such as streaming is only tiny compared to that generated by the sale of physical media. So while it used to be a digital industry and a music industry before, this boundary tends to fade over time. As themes such as Big Data, the Blockchain, the Internet of Things or Altered Reality become part of the music industry’s activities, the professions and expertise change. The music industry can address these changes and conquer new audiences. To this we can add a cultural and legal context, that of France and the European Union, where a strong particularism structures creation and cultural industries. It is in this fertile ground that must, in the humble opinion of the author, come a step of protection, stimulation and export, because this precious jewel that is the European cultural industry. There lies the heart of the asset, because of its rich heritage, its ability to rethink the present, and whose rare diversity is a loyal path of development for its future prosperity. #PODCASTS #COLL #CREA #LIVESTREAM #VEN #C #USER #INSPIRED #OS RECO C ette étude ambitionne de démontrer que les voies de développement pour l’industrie française et européenne sont nombreuses et qu’il ne tient qu’aux créateurs, aux producteurs et aux autorités publiques de se saisir de ces techniques et de ces thèmes. Les industries culturelles et en particulier celle de la musique, sont parmi les potentiels de croissance les plus viables pour les prochaines décennies. Difficiles à automatiser, compatibles avec nos économies tertiarisées, et fidèles à une tradition européenne multi- centenaire. Imaginer que l’on puisse restreindre les activités de la filière et les empêcher de réaliser leur potentiel est un préjudice par inaction. Inaction car l’intégration, la simplification et le développement de nouveaux moyens de diffusion et de génération de revenus est une démarche active. Cette démarche dépend également de nombreux acteurs, qui ont parfois des intérêts divergents. C’est pour cette raison que l’auteur recommande premièrement une création d’un marché commun de la culture, avec la disparition des coûts structurels inter-États pour les activités liées aux industries culturelles et créatives. Cette idée ne pourrait être complète qu’avec l’encouragement et le financement d’organismes dont l’objectif est de mettre en lien, d’imaginer des ponts et de les construire, entre les différents marchés de l’Union. Ces expressions, caractérisées par des traits communs comme la francophonie, les échanges de proximité ou des rendez-vous culturels réguliers, sont le ciment d’un sentiment d’unité et l’essence de la stimulation des échanges intra-communautaires. Il serait idéal enfin, que ces mises en commun se fassent dans un esprit d’ouverture, envers les nouvelles techniques et méthodes d’apprentissage, de création et de diffusion. Tout cela implique également quelques concessions de la part de certains acteurs, pour trouver un moyen d’égaliser la répartition des revenus issus des écoutes numériques; pour rendre plus accessible la culture et les formations à ses métiers et pour désacraliser ainsi un ensemble d’activités souvent vues comme inaccessibles. Ainsi, peut-être, pourrons-nous voir une Europe de la culture, qui défend son modèle de création et s’en sert pour rayonner plus encore. #SOUNDDESIG #VENUES #SPOT #CULT #USERCENT #INSPIRED #OSCILL REMERCIEMENTS Tous mes remerciements à Adrien Belkout, Anne-Sophie Bertrand, Bertrand Burgalat, Corinne Sadki, Charles-Antoine Hurel, Christophe Langris, Daniel Johannson, Emmanuelle Flahault-Franc, Nicolas «Nick Green» Dufriche, Sophian Fanen, Sophie Waldteufel, Yvan Boudillet, Fabien Saubrement, Marion Langumier, Delphine Autran-Sahli, Kaddour Sahli, Mathilde Gaschet, Anthony Rival, Claire Delacote, Arnaud Leroux, Arnault Chatel, Vincent Montet, Sophie Guignier et à toute l’équipe du MBA Digital Marketing & Business. Sans vous, cette traversée aurait été bien solitaire. TABLE DES MATIÈRES En Bref 5 Tl;dr 6 Reco 7 Remerciements 8 Table des matières 9 Introduction 13 PREMIÈRE MÉTAMORPHOSE 17 Une industrie née de son support physique 18 L’innovation technique, moteur de cette industrie 21 L’industrie du live 22 Le grand bouleversement 25 La Crise du Disque 26 La Crise du Disque, fer de lance de la transformation des industries culturelles 28 Le rôle de l’éditeur, acteur émergent des suites de la Crise du Disque 29 L’émergence d’un nouvel équilibre 31 La Crise du Disque 35 La Copie Privée 36 Perspectives pour le marché de la musique enregistrée 37 SECONDE MÉTAMORPHOSE 40 La Grande décentralisation 41 We don’t need no education - l’éducation artistique, entre cours augmentés et auto-apprentissage 43 L’artiste polyvalent et indépendant 45 Video killed the radio star 46 “C’était mieux avant” 47 Écoute et promotion par les réseaux sociaux, l’artiste-influenceur 51 La maison de disque, un appareil désuet ? 53 Quelle place pour le spectacle vivant dans une industrie dématérialisée ? 56 L’expérience utilisateur, centre de gravité des producteurs 56 “Video Games” 57 L’expérience utilisateur en constant renouvellement 58 TROISIÈME MÉTAMORPHOSE 60 Les menaces d’un nouvel environnement 60 Limites et risques de ce nouveau paradigme 61 Après la post-rareté vient la Longue Traîne 62 Sur-concentration et appauvrissement du secteur 63 Les dérives de l’artiste-influenceur 64 L’influenceur-artiste - Exemple de la K-Pop 65 SEO - Streaming Engine Optimization 68 Optimiser l’image de marque, un enjeu marketing 69 L’essor des artistes locaux et l’export, deux courants opposés ? 70 Déséquilibre entre musique enregistrée et spectacle vivant 72 La Crise Sanitaire - révélatrice de vulnérabilités pour la filière 74 Souveraineté économique et culturelle européenne 79 Le caractère transnational des industries créatives 80 Plusieurs modèles en concurrence 81 Le modèle américain, un défi pour la filière culturelle européenne 82 L’avènement de l’artiste local 83 L’industrie musicale et la financiarisation de l’économie 83 Soft power et musique européenne, l’exemple de l’Eurovision 85 Music Moves Europe 86 Pourquoi il est urgent de faire émerger une scène européenne 86 Europe Créative 90 QUATRIÈME MÉTAMORPHOSE 91 La musique sociale et sensorielle 91 Vers une écoute expérientielle, sensorielle et interactive 91 Le streaming social 92 Big Data, Huge Sound 94 Internet des objets : La petite musique des choses 95 Robot Rock 96 I.A “faible” - Force de proposition 96 I.A “forte” - la force de création ? 97 Le live augmenté et l’hologramme de 2pac 99 Un usage en festival et en concert augmenté 99 La réalité altérée, une écoute en 3 dimensions 100 La réalité augmentée de la musique 101 La Production collaborative 104 CONCLUSION 105 Sources Articles 110 Études 112 Audiovisuel 112 Annexes 115 TABLE DES MATIÈRES TABLE DES FIGURES La Nuit des Temps, René Barjavel, 1968, éditions de poche 13 Une partition de chants grégoriens, XIVème siècle 14 Johann Sebastian Bach, portrait par Elias Gottlob Haussmann, 1746 17 Ces disques de contrefaçon sont devenus les "bone records" 19 Tubes de cire Edison, ancêtre du disque vinyle 20 Joe Cocker en pleine performance au festival de Woostock, 1969 21 Disco Demolition Night, Chicago, 12 juillet 1979 22 Le CCETT (Centre Commun d'Etudes de Télévision et de Télécommunications) à Rennes 24 Évolution du nombre de titres pouvant être stockés sur un disque dur à €350 27 Comprendre la Copie Privée en 1 minute, vidéo réalisée par l'association Copie Privée 34 Session d'Ableton Live, logiciel de production musical le plus répandu parmi les producteurs amateurs 37 Courbe comparative entre le nombre de disques diffusés et les chiffres d'affaire généré 41 Un cours de production musicale animé par les intervenants du programme Future Songwriting 42 Gorillaz, un groupe né de l'imagination d'un illustrateur et d'un compositeur 44 Daniel Ek, PDG de Spotify 45 Concert du groupe de funnk Vulfpeck au Madison Square Garden, le 28 septembre 2019 50 Le live "Unplugged" du groupe de rock Nirvana, sur MTV, le 18 novembre 1993 51 Le Capitol Records Building en 1956 52 Variation du chiffre d'affaire des différentes ICC entre 2013 et 2018 53 Certains gestes de danse du groupe sud-coréen BTS ont été intégrés au jeu Fortnite 65 Evolution des revenus du live de 2012 à 2020 69 Évolution comparative des revenus mondiaux de la musique enregistrée 72 Évolution du C.A des entreprises du spectacle 74 Concert de Mathieu Chedid donné en livestream sur Facebook 75 Revenu en € de la filière musicale par segment et par pays, en 2018 et 2019 78 Nombre d'abonnés au global des principales plateformes de streaming 82 Part de la musique dans le revenu par habitant dans les pays européens, 2017 88 Capture du clip de Rick Astley pour le titre Never Gonna Give You Up 92 Extrait de partition du "clavier bien programmé" d'Emily Howell, I.A Compositrice 97 Concert de Travis Scott dans l'univers de Fortnite, du 23 au 25 avril 2020 101 Concert de The Weeknd sur l'application TikTok en août 2020 102 Endless, une application de production collaborative sur iOS 104 INTRODUCTION “Ils et elles, poussés par leur instinct vers une nouvelle naissance, s’enfermaient, avant l’expulsion, dans des matrices chaudes et demi- obscures où, secoués par des pulsations sonores, ils perdaient les derniers fragments de préjugés et de conventions qui leur collaient encore par- ci par-là aux articulations, au sexe ou à la cervelle. [...] Six mille garçons et filles. Un seul orchestre, mais douze haut-parleurs qui faisaient vibrer en bloc l’air de la cave comme l’intérieur d’un saxo-ténor. Yuni debout devant le clavier de la sono, dans la chaire d’aluminium accrochée au mur au-dessus de l’orchestre, une oreille cachée par un énorme écouteur en chou-fleur, écoutait tous les orchestres de l’éther, et, quand il en trouvait un qui brûlait, le branchait sur les haut-parleurs à la place de l’orchestre. Les yeux fermés, il écoutait.” René Barjavel, La Nuit des Temps, 1968 1 3 D ans son ouvrage d’anticipation La Nuit des Temps, René Barjavel expose une vue sur une fête, une soirée un peu particulière, pour un lecteur des années 1960. Cette scène, prémonitoire à bien des égards, n’est pas sans rappeler les soirées prenant place dans toutes les villes du monde, animées par un orchestre invisible, mais omniprésent, dont le chef mène à la baguette les nombreuses sonorités tirées d’un éther qui nous est maintenant si familier. Cet extrait pour moi fonde et justifie tout l’engagement et le temps que j’ai passé à m’intéresser et à travailler sur la musique, tant dans ses disciplines que dans ses sujets d’étude. La musique, qu’elle soit pratiquée ou écoutée (une frontière qui d’ailleurs s’opacifie, mais nous y reviendrons) est une libération physique, politique, émotionnelle. En cette dimension libératrice, elle rejoint ainsi le second thème de cette thèse ; l’apport de l’économie numérique pour augmenter, rendre durable et sécuriser les revenus de la filière musicale, faisant ainsi de l’une des principales industries culturelles un fleuron de l’économie européenne. Le principe d’émancipation lié aux outils numériques se conjugue ainsi à l’esprit de libération qui anime, dès les années 1960, les pères et mères d’un état d’esprit qui perdure encore aujourd’hui dans les entreprises du numérique. Il m’a souvent été raconté comment vouloir contribuer et participer à la culture musicale moderne était un projet anachronique : « c’est un secteur bouché, tu ne trouveras pas d’emploi », « pour ça il faut avoir beaucoup de réseau, c’est comme ça », et il ne s’agit là que de quelques exemples de dogmatismes, de prêts-à-penser. Pour celles et ceux nés entre 1990 et 2000, il est souvent attendu d’affronter un contexte structuré principalement par les crises des décennies précédentes. Crise des Subprimes , de l’immobilier, migratoire ou climatique, mais, quelle que soit la nature de ces crises, des facteurs extérieurs, du contexte de leur émergence, elles créent des réactions de reflux ou d’exacerbation des conservatismes qui les prolongent, voire les aggravent. À toutes ces crises s’ajoutent, aux jeunes gens désireux de faire de la musique leur métier, la crise du disque. Cette crise ne faisait que poser une question simple, mais fondamentale, que nous avions prise pour acquise depuis le début du marché de la musique enregistrée : pourquoi écoute-t- on de la musique ? Dès lors, à l’époque où j’écoute mes premiers disques, durant les années 2000, je suis confronté déjà à un conflit aussi bien personnel que professionnel. Comment trouver de la musique variée, se construire une culture musicale, tout en assurant à celles et ceux qui en sont la source, les contributeurs, de pouvoir continuer à l’être ? La filière musicale est un secteur d’esthète. Que l’on soit fondu de Michel Sardou pendant la tisane ou que l’on écume les HellFest et autres Motocultor à la recherche Introduction La Nuit des Temps, René Barjavel, 1968, édition de poche 1 4 de la meilleure bière craft, en tant que pierre dans l’édifice culturel commun, la musique se place en médiateur populaire. Toutefois, cette médiation n’est pas un fait acquis, car il ne s’agit pas ici d’un produit fini, immobile, communément accepté dans sa forme ou dans sa fonction. La musique un objet immatériel stocké sur un support physique. Ces deux notions sont donc indissociables, et structurent son histoire. La musique, dans sa forme la plus conceptuelle, est définie par le dictionnaire Larousse comme l’art permettant à l’Homme de s’exprimer par l’intermédiaire de sons, la production de cet art étant l’œuvre musicale. Des premières notations musicales structurant les chants grégoriens aux plateformes de streaming mondialisées, la musique, jusque dans sa dimension formelle, est affectée, conditionnée par son support physique. En tant que compositeur et musicien, ces problématiques me touchent directement, le lien entre l’accélération des échanges, la plus grande connectivité, l’évolution des moyens de production et diffusion de musique est un domaine qui pousse sans cesse à la remise en question. En tant que professionnel du marketing et de la communication à l’ère du numérique, la musique représente l’un des secteurs les plus transformés et les plus innovants quant à la transformation digitale du monde. De par sa résilience, sa capacité à se réinventer, et ses nombreuses et diverses perspectives, l’industrie musicale constitue le sujet d’étude idéal. Après le temps de crise vient le temps des métamorphoses. C’est ce temps-là qu’il s’agit ici d’explorer à travers cet écrit où producteurs, auteurs, compositeurs, managers et nombreux d’autres acteurs s’expriment sur les thématiques d’innovation, de transformation numérique et d’entrepreneuriat dans cette grande mission de diffusion et de valorisation de la matière ici abordée. À partir du grand tournant du numérique, l’ancien support physique venant à sa fin de vie, l’économie de la musique est ébranlée. Il n’était pas évident de se renouveler, mais dorénavant de nouvelles méthodes et un nouveau modèle de rentabilité émergent, car après la crise, vient le temps des métamorphoses. Cette prise de conscience, et cette évolution des usages, amènent l’industrie à penser la distribution, mais aussi la production musicale sous un œil nouveau. Désormais, il n’est plus question d’être en capacité de limiter la diffusion d’un disque à un seul territoire, il n’est plus possible de suivre et de contenir le désir de partage du public, ni de considérer ce public comme un simple récepteur. Introduction Une partition de chants grégoriens, XIVème siècle 1 5 Ainsi donc, j’ai choisi d’aborder l’industrie musicale française, mais aussi, dans une démarche prospective, européenne, puisqu’il est de mon avis, de ma conviction, qu’une industrie musicale française forte et diverse ne pourra s’accomplir sur la scène internationale qu’à travers une mise en réseau et une mise en commun de ses ressources et compétences avec le reste du marché commun. Il s’agit là démarche déjà présente, biens-sûr, mais à mon sens encore plein de potentiel. L’échange et l’enrichissement mutuel étant ses principes premiers, les industries culturelles, tant dans leur exercice que dans leur exposition publique, peuvent également s’en saisir. La relation s’égalise et les problématiques se complexifient. Avec cette complexification, multiplications des acteurs et multiplication des canaux, viennent aussi des opportunités, offertes par l’ouverture des moyens de production, de diffusion, mais aussi de retours de la part du public. En prenant en compte ces lames de fond apparaît alors un problème de taille : ce nouvel environnement empêche la pleine réalisation du potentiel de l’industrie musicale. Un chiffre illustrant ce propos que nous détaillerons plus bas : en France, seulement 20 % de la population est abonnée payant à un service de streaming musical. À titre de comparaison, dans les pays scandinaves (Suède, Norvège, Finlande) la moyenne est de 40 %. Cela nous montre d’une part, que l’industrie musicale française n’a pas fini sa transition, mais d’autre part qu’elle porte en elle un potentiel de croissance considérable, voire même vital si les conditions de tenue (ou plutôt d’annulation) des événements physiques venaient à se prolonger. Ma thèse repose alors sur une observation et trois partis pris : I - L’industrie musicale française et européenne a subi de plein fouet le piratage et la Crise du Disque des années 2000. Elle se retrouve au début de la décennie 2010, amputée de la moitié de son chiffre d’affaires, et donc de son potentiel de promotion, de diffusion et de soutien à divers artistes et esthétiques. II - La source de revenus issue des supports physiques, qui prévaut jusque-là, est dorénavant périphérique, il est maintenant indispensable d’imaginer et d’expérimenter de nouveaux leviers de croissance, qui feront la part belle aux canaux dématérialisés. III - Grâce à ces canaux, et dans une logique de diversification des sources de revenus, la filière musicale peut atteindre et dépasser son pic de profitabilité, atteint juste avant la crise du disque. IV - L’industrie musicale française ne peut s’accomplir pleinement que par le prisme du marché européen, à travers une « union toujours plus étroite » avec les industries musicales et culturelles européennes. Ce projet permettrait aux artistes français d’atteindre l’échelle nécessaire pour se mesurer à leurs homologues des espaces asiatiques et américains. La question centrale est dès lors de savoir en quoi l’industrie musicale française peut trouver un modèle de distribution varié, centré sur l’utilisateur, et assurant une rétribution juste et équitable aux parties prenantes de la filière, supportées par une croissance stable et pérenne ? Introduction Introduction PREMIÈRE MÉTAMORPHOSE D’un art naît une industrie _ 1 7 UNE INDUSTRIE NÉE DE SON SUPPORT PHYSIQUE La condition du musicien, entre artiste et artisan J usqu’à l’émergence de supports de reproduction physique, il est difficile d’imaginer qu’un artiste puisse vivre par d’autres ressources que celles du clergé, de l’aristocratie, ou de grandes familles bourgeoises. La grande majorité va en effet de concert en concert, et est épaulée par leurs contributeurs, ou est titulaires d’une fonction de compositeur, ou de chef de chœur, dans une des cours européennes. Ces deux statuts ne sont pas mutuellement exclusifs et des compositeurs comme Antonio Salieri ou Johann Sebastian Bach, sont respectivement compositeur officiel de la couronne autrichienne, à Vienne, et maître de chapelle pour de nombreux chœurs. L’Europe vit alors aux heures de l’humanisme, des mécènes et d’une caste d’initiés, souvent issus d’une famille aisée, pouvant se permettre de pratiquer la musique et ainsi développer une pratique « professionnelle » de leurs connaissances théoriques comme de leur pratique instrumentale. Il est alors important de souligner que jusqu’au XXe siècle, la musique dite « savante » est réservée à une élite, et que la plupart des musiciens exercent leur art au prix d’une extrême indigence, la musique populaire ne bénéficiant d’aucune reconnaissance ni d’aucun soutien de la part des pouvoirs établis. Néanmoins la musique joue déjà un rôle social évident, sa présence dans les fêtes communes, dans les établissements de débit de boisson, de jeu, ou dans les festivals populaires, permet l’émergence d’un patrimoine musical commun, de la chanson paillarde à l’hymne militant, voire révolutionnaire. Aux racines de l’industrie de la musique contemporaine se trouve une question centrale, qui aujourd’hui encore est sujet à innovation : comment diffuser, au plus grand nombre, un choix de musique varié ? Et par extension, comment faire vivre l’écosystème d’artiste, source première de cette proposition ? Il faut déjà rappeler le rôle de la musique comme marqueur social, ce marqueur et la strate qu’il représente conditionnent l’apprentissage, la pratique et l’esthétique de la musique qui est jouée. Un marin apprenant un chant d’équipage sur son D'un art naît une industrie Johann Sebastian Bach, portrait par Elias Gottlob Haussmann, 1746 1 8 bateau, pour l’interpréter durant le travail, se distingue forcément de l’apprentissage rigoureux du solfège qu’un bourgeois ou un noble aura à suivre dans son initiation aux humanités. La musique, au même titre que le cinéma ou les choix vestimentaires, se constitue en fonction de son environnement et de son entourage, et c’est le cas jusqu’à ce que les moyens de diffusions permettent une diversification de l’offre et donc, dans un monde idéal, la diversification des écoutes du public. Cette logique est celle des moyens de distribution du siècle dernier. Dans un premier temps le disque vinyle permet d’écouter ce que l’on souhaite à n’importe quel moment, mais parmi le choix limité du magasin de disques. Dans un second temps, la radio amène jusque dans les foyers un choix recherché de titres, les chaînes tendant à devenir plus nombreuses avec le temps, les esthétiques de niche peuvent y trouver leur compte (parfois même grâce à des radios dites « pirates », émettant sans autorisation ni cadre légal). Enfin la cassette et le CD permettent à l’industrie de proposer au public des formats plus compacts et donc plus faciles à stocker, et accessoirement se trouvent être moins chers à produire. Au fil de ces évolutions, la place de l’artiste est subordonnée à l’influence de la maison de disque. C’est la maison de disque qui finance les coûts considérables de production. À titre d’exemple, Pet Sounds l’album des Beach Boys sorti en 1966 coûte à Capitol Records plus de 70 000 $, ce qui équivaut à 500 000 $ en prenant compte de l’inflation. Une avance est donnée à l’artiste prélevée ensuite sur les premières ventes de l’album. Une fois l’avance remboursée après la sortie, les revenus du disque peuvent être versés aux artistes. Au moment de la sortie de Pet Sounds, le mouvement hippie entre dans son apogée au sein des universités d’Amérique du Nord et Européennes. La jeunesse lie la musique à un climat d’angoisse, sur fond de guerre froide et d’enlisement américain au Vietnam, mais aussi sur fond d’exploration culturelle. C’est notamment à cette époque que l’école de Palo Alto pose les bases de ce qui deviendra plus tard l’économie numérique. Je digresse. L’objet de notre étude se vit comme on a pu le voir rarement hors du cadre d’une communauté, qui a ses codes, ses rituels, ses valeurs, mais qui n’est pas forcément homogène. Au fur et à mesure que les moyens de diffusion se rendent accessibles, c’est l’imperméabilité des communautés qui est remise en question. Ces communautés réunies autour d’artistes participent aussi à un système de pensée, d’art de vivre ou juste un imaginaire valorisé par l’artiste. À partir des années 1950 et la mise en pratique des premières stratégies de promotion et de marketing en maison disque, le musicien, la star, devient pilier de l’influence culturelle américaine et du modèle capitaliste libéral, un soft Power qui a sans doute contribué à la chute de l’URSS. D'un art naît une industrie 1 9 À partir de là, l’artiste n’est plus au sens traditionnel une personne dédiée, sans le souci monétaire, dédié à sa discipline, hors du temps pour atteindre les hautes sphères de la création. L’artiste est dès lors tributaire d’un public large qu’il lui faut convaincre à chaque nouvelle parution de titres. S’il est compositeur ou auteur, il dépend de ses contacts, de sa réputation et de son pedigree. En cela la frontière entre l’artiste et l’artisan se fait de plus en plus mince, la « commande » de plus en plus fréquente, qu’il s’agisse de cinéma, de théâtre, d’opéra ou plus récemment de jeu vidéo, ces exercices nous prouvent que cette logique de commande ne contraint pas nécessairement l’artiste, au contraire, ils lui donnent un cadre d’excellence, parfois conditionné par la qualité de la commande, mais dont il tient à l’artiste de transcender. Comment envisager Star Wars sans la musique de John Williams ? Le système de la musique depuis la révolution industrielle s’inscrit donc dans une logique d’interdépendance des différents acteurs, et d’une répartition à la hauteur de leur valeur ajoutée à la sortie d’un projet. La source de rémunération d’un créatif (compositeur ou auteur) se trouve dans les valeurs de performance et de reproduction de leur œuvre. La performance implique également une forme de reproduction. Par exemple, si un artiste interprète des titres qu’il a composés, il est rémunéré au titre de l’interprétation, par un cachet fixé en accord avec le producteur, et une rémunération au titre du droit d’auteur, fixé par sa société de gestion collective. Le rôle de ces sociétés de gestion de droit d’auteur est de gérer et distribuer la part de revenu due aux compositeurs, auteurs et éditeurs de musique, entre autres. De manière générale, toutes les professions ayant trait à produire une œuvre de l’esprit pouvant amenée à être interprétée et reproduite, peuvent jouir de leur droit d’auteur. C’est ce mode de rémunération qui risque fort de dominer les sources de revenus des créatifs dans les années à venir. En effet, les ventes physiques n’entraînent plus les revenus de marge élevée qui ont structuré le marché dans sa phase prénumérique. Ainsi, lorsqu’il s’agit de trouver de nouvelles sources de revenus il a vite été vu que retourner aux marges du CD serait illusoire. Dorénavant, question arrivée à un équilibre au travers duquel le droit d’auteur récupéré par des artistes d’horizons divers est suffisant afin de garantir un panorama vaste et autosuffisant pour l’économie musicale de demain. D'un art naît une industrie Les habitants d'URSS ne pouvant se procurer des vinyles importés de l'Ouest légalement, les albums de rock étaient reproduits sur des analyses médicales. Ces disques de contrefaçon sont devenus les "bone records" 2 0 L’INNOVATION TECHNIQUE, MOTEUR DE CETTE INDUSTRIE La musique au rythme du marché A u XIXème siècle, l’invention par Thomas Edison du cylindre phonographique marque un changement profond dans la manière dont la musique est étudiée, pratiquée, jouée et diffusée. Jusque là fait rare et souvent réservé aux oreilles les plus privilégiées, la musique se fait progressivement une place dans les foyers, et permet la conservation et la vente d’enregistrement. Cependant, la qualité relativement mauvaise du rendu oblige à la mesure. Le plus souvent, ce sont des discours qui sont enregistrés, la voix humaine étant plus facile à reproduire de manière satisfaisante. De cette première innovation, la diffusion et l’évolution des supports est complexe, mais tend vers généralement à un rapport de plus en plus favorable entre l’espace de stockage d’un support et son coût de production. Le but est de mettre le plus d’information possible sur le support le plus modeste possible. Cette mission est un facteur structurant, économiquement bien sûr, mais esthétiquement aussi, les producteurs étant, jusqu’au développement du CD, limités à 30 minutes de musique par face pour un vinyle 33 tours, donnant ainsi comme cadre une heure de musique. Place aux LP, ou long Play, sur 33 tours, et aux EP, pour Extended Play, sur 45 tours. De là, un marché naît. À la faveur du développement des grilles électriques, venant alimenter les foyers, et des progrès de la biochimie, débouchant sur les premiers matériaux de synthèse, on aplatit le cylindre de cire pour en faire un disque de plastique, et les jouer sur les premiers phonogrammes. Les fabricants de phonogrammes, voulant promouvoir et développer leur marché, commencent à enregistrer les orchestres de musique classique, afin de diversifier leur offre. Les premières maisons de disques sont nées. Ces bases, ce sont celles qui structurent le marché durant tout le XXème siècle, d’un côté les artistes, qui interprètent, les producteurs, qui enregistrent, et les distributeurs, qui font arriver ces produits jusque dans les mains des consommateurs. Ces activités se couplent à partir des années 1950 à de nouveaux formats de concerts, en plein air, et avec plusieurs scènes adjacentes, les premiers festivals de musique. Ce développement a aussi fait naître toute une branche professionnelle de « roadies », professionnels du son, de la lumière, de la scénographie, attachée à une tournée, parcourant les routes du monde avec les artistes, assurant à chaque date le spectacle promis à une foule venue, non seulement pour écouter, mais aussi pour voir. D'un art naît une industrie Tubes de cire Edison, ancêtre du disque vinyle