OSSATURE, ENVELOPPES CHARNELLES ET ACTES DES SOULÈVEMENTS DE LA TERRE 1 Brochure éditée par les soulèvements de la terre. 3 A. PETITE HISTOIRE STRUCTURELLE DES SOULÈVEMENTS DE LA TERRE - COMMENT LE MOUVEMENT SE TIENT-IL ? // Actes fondateurs Le mouvement est né d’une assemblée réunissant 200 personnes en janvier 2021 sur la zad de Notre-Dame-des-Landes au sortir du second confinement. Différents types de groupes ont été invités sur une base de cooptation : des collectifs d’habitant.es en lutte, organisations paysannes et fermes, des groupes du mouvement climat et écologistes, des collectifs et espaces autonomes, des réseaux d’enquête et d’intervention sur les questions foncières. Certains de ces groupes avaient déjà été en lien et dans un travail de composition commun sur certaines luttes, d’autres ne se connaissaient que très peu. Mais de premières rencontres de visu à l’occasion de débats ou d’actions avaient déjà eu lieu avant les invitations. La participation à l’assemblée était portée depuis un engagement dans un groupe et pas depuis une présence individuelle. Cette assemblée inaugurale décide de partir à la fois d’ambitions démesurées — fonder un mouvement qui bouleverse réellement la donne sur les enjeux d’accaparement et d’artificialisation des terres — et d’une relative prudence en se donnant pour principe d’en éprouver pas à pas la possibilité avec de première mobilisations communes. C’est dans cet état d’esprit que se lance une première saison comprenant 5 actions d’envergure nationale incluant chacune des modalités d’occupation de terres ou de blocage de chantiers et d’industries. Il s’agissait de se focaliser sur des formes d’intervention collectives directement impactantes, conçues dans un cadre de composition entre différentes forces politiques. Elles répondaient à la fois à des besoins en termes de passage de seuil et d’urgences contextuelles de luttes locales, ainsi qu’à l’ambition de produire un effet de propagation possible au-delà du périmètre de celles-ci. (cf cadre actuel d’élaboration et de décision sur les actes hexagonaux des Soulèvements de la terre p.12). Certaines de ces propositions d’action avaient été anticipéees et préparées avant l’assemblée, d’autres se sont élaborées par alignement des astres et volontarisme sur le fil au cours du week-end. De premières commissions se forment au cours de l’assemblée : communication, sécrétariat, manifeste, lien avec la Confédération paysanne (cf. présentation exhaustive des commissions actuelles p.20). 4 Un texte d’appel posant certains fondamentaux initiaux du mouvement est publié quelques semaines après. Le choix était que ce texte puisse être signé par un ensemble large de personnalités, organisations et fermes. Celles-ci indiquent alors ainsi soutenir et se reconnaitre dans l’énoncé politique et stratégique global des Soulèvements de la terre. Pour autant, la signature de ce texte ne signifiait pas un engagement ni une nécessité de validation de chacun des groupes signataires pour décider des actes d’une saison. Ces actes devraient rester validés lors des interludes et par le biais d’une participation active à leur mise en œuvre. À l’issue de cette assemblée, nous nous donnons rendez-vous pour un premier interlude 6 mois plus tard afin d’évaluer l’ampleur de ce qui s’est joué la saison précédente, le désir de continuer et penser les évolutions à donner au fil du temps à l’armature initiale du mouvement. L’idée générale était de se donner une forme qui permette de se mettre en mouvement, en assumant ses imperfections et ses contradictions, et en prenant soin qu’elle soit souple. Puis de l’éprouver en action, et de l’entraîner dans des mutations régulières à mesure que de nouveaux besoins et horizons se trouvaient. Jusqu’ici chaque interlude a décidé de reconduire l’aventure avec un certain enthousiasme, indissociable d’une telle décision. Si certaines des grandes bases du mouvement sont restées relativement stables depuis l’assemblée initiale de janvier 2021, des évolutions structurelles et excroissances heureuses se sont progressivement révélées au cours des saisons et interludes qui ont suivi.. Nous allons tenter de les résumer à grands traits ici pour situer d’abord dans le temps ce qui nous constitue aujourd’hui, et appuyer l’idée qu’une structure organisationelle est avant tout un art des conséquences et une histoire en mouvement. // Étapes Lors du premier interlude en août 2021 toujours sur la zad de Notre-Dame- des-Landes, il est décidé de créer un espace de suivi intercommissions. Cette formalisation vise alors à permettre une meilleure coordination entre les commissions et avec les coalitions locales pour la tenue du calendrier d’actions entre chaque interlude. Il s’agissait notamment de faciliter le fait que cette tâche ne revienne pas à un nombre trop restreint de personnes, en fonction de leur proximité géographique et de leurs interconnaissances préalables mais que la charge puisse être plus clairement rejoignable, mieux partagée et ainsi effectuée par un groupe plus diversifié. Cette coordination était initialement et est toujours composé de personnes participant activement aux diverses commissions du mouvement. 5 Suite à l’action de blocage et démantèlement simultané de plusieurs cimenteries dans le port de Gennevilliers en juin 2021, un débat a lieu sur la question des actions qualifiées de «désarmement». L’interlude décide d’intégrer pleinement cette modalité d’action à celles des Soulèvements de la terre, sur des bases discutées au cas par cas en assemblée en fonction des contextes et enjeux de chaque lutte. Le second interlude se déroule en janvier 2022 à l’espace autogéré des Tanneries à Dijon, au lendemain de l’occupation d’une vigne laissée à la spéculation foncière dans le Jura. La Confédération paysanne y annonce vouloir maintenir des liens forts avec les Soulèvements de la terre, ainsi qu’une participation aux interludes tout en décidant au cas par cas d’un engagement ou pas dans les différents actes des saisons. En lien avec la volonté de convergences plus massives pour les mobilisations du printemps contre Monsanto à Lyon et contre les bassines dans les Deux- Sèvres, une commission caravane est lancée pour assurer des soirées de présentation des Soulèvements de la terre en divers lieux. Elle se dote d’un support numérique évolutif avec des photos et textes qui puissent être transmis à qui le souhaitait localement. Même si à ce stade, les actions portées par les Soulèvements de la terre ont encore subit très peu de répression, nous en sentons le spectre se rapprocher, avec les premières enquêtes visibles sur les actions bassones notamment. Des camarades plus ou moins expérimentées dansl’univers juridiques, nous permettent alors d’établir enfin une «commission anti-rép» digne de ce nom. Les 3e et 4e saisons sont marquées par la participation plus importante aux actes et interludes de groupes dont les thématiques premières n’étaient pas celles de l’écologie, du foncier ou des luttes paysannes mais qui souhaitent s’associer durablement à la dynamique des Soulèvements de la terre et y relier leurs enjeux. Cela a pu être le cas de syndicats comme Solidaires ou de groupes antifascistes. Lors du 3e interlude à l’été 2022 dans une ferme du Var, un accent particulier est mis sur les besoins de formation dans le mouvement afin de prendre à bras le corps le transmission de divers cumuls d’expérience, faire gagner les coalitions locales en autonomie et diffuser les possibles prises de responsabilité dans le mouvement. De premières séries de formation sur la communication, le rapport aux médias et l’élaboration des actions sont ainsi expérimentées au cours de la saison 4. La proposition d’une coordination bretonne de former une coalition régionale Soulèvements de la terre avec des actions à cette échelle est mise en suspens. 6 Le mouvement ne se sent pas encore assez solide pour assumer toutes les conséquences de ce changement d’échelle. Les camarades breton.es décideront alors de porter une dynamique proche mais autonome du nom de «Reprendre la Bretagne aux machines» C’est aussi au cours de cet interlude qu’est posé le désir de construire sur une plus longue durée la possibilité d’actes nationaux des Soulèvements de la terre avec des rencontres régulières entre commissions des Soulèvements de la terre et coalitions. Des propositions de mobilisation contre des projets routiers à Rouen et Castres- Toulouse sont ainsi mises en travail non pas pour la saison suivante, mais en vue de pouvoir être reproposées de manière plus consistante pour la saison 5. L’intensité du compagnonage avec la lutte anti-bassines amène à ce moment là à statuer sur la défense de l’eau commme enjeu central des Soulèvements au même titre que la défense de terres face à leur accaparement et à leur artificialisation. Le lendemain, l’assemblée commence directement à se pencher sur des formes de productions liquides en allant presser du jus de raisin sur les vignes de Bernard Arnault. Lors du 4e interlude début février 2023 de nouveau sur la zad de Notre-Dame- des-Landes, une réflexion collective sur les comités locaux et leurs possibles rôles est relancée à partir de la jeune mais enthousiaste expérience du comité rennais. Quelques premiers autres comités locaux annoncent leur naissance. Des discussions en groupes ont lieu sur une meilleure prise en compte, au- delà des questions d’appui juridique, du soin dans les mobilisations des Soulèvements . La dynamique Riots Fight Sexism , parente du Festivities Fight Sexism se constitue en lien avec l’organisation des mobilisations bassines puis d’autres pour prévenir et répondre aux situations d’agressions sexistes et sexuelles. C’est aussi au cours de cet interlude que des dynamiques alliées et cousines des Soulèvements de la terre, nées dans le sillage des premières saisons, affirment leur rôle dans le mouvement. C’est le cas de l’intercantine de l’Ouest qui nourrit depuis plusieurs mois déjà avec une capacité relativement exponentielle les mobilisations anti-bassines ou des Naturalistes des Terres qui après une action inaugurale de bouchage de buse pour sauver une tourbière asséchée par un drainage agro-intensif, fédèrent aujourd’hui à travers le pays plus d’un millier de camarades des éphémères, mousses, oiseaux migrateurs, capricornes, loutres et autres busards cendrés. (cf. https://www.terrestres.org/2023/02/09/lappel-des-naturalistes-des-terres/) Avec la préparation de la mobilisation internationale de Sainte-Soline, de l’organisation de tournées d’info italiennes et de quelques interventions dans 7 d’autres pays limitrophes, ou des invitations faites par certains camarades à des représentants de luttes autochtones et paysannes à venir prendre la parole le 25 et 26 mars à Sainte-Soline, les prémisses d’une commission internationale se mettent en place. Le 28 mars, 3 jours après la seconde manifestation de Sainte-Soline, le ministre de l’Intérieur annonce amorcer la procédure de dissolution des Soulèvements de la terre. Elle sera suspendue courant mai suite à un ensemble de mobilisations, réactions et métamorphoses visant à en neutraliser l’effet. Durant cette période, 200 comités locaux se forment à travers le pays, des centaines de point-relais s’annoncent, 150 000 personnes et des dizaines d’organisations au niveau national affirment être partie prenante des Soulèvements de la terre. Des médias acceptent de se faire le relais de la parole des Soulèvements en cas d’interdiction du mouvement. Un livre avec des textes de 40 voix pour les Soulèvements de la terre est publié et diffusé à des dizaines de milliers d’exemplaires. La dynamique de liaisons transnationales se renforce avec la publication d’une tribune de soutien aux Soulèvements de la terre et à la lutte anti-bassines signée par plus de 200 organisations de par le monde dont l’EZLN, le MST, et l’apparition de groupes inspirés par la dynamique des Soulèvements de la terre dans un certain nombre de pays et surtout des échanges stratégiques renforcés avec des groupes existants. Des discussions au sein de la coordination inter-commissions et en interaction avec les comités locaux amènent à décider d’ouvrir le cadre d’actions des Soulèvements de la terre. Nous tenons à ce jour le choix stratégique initial de faire converger des forces à quelques moments choisis et charnières lors d’un certain nombre d’actes hexagonaux tous les 6 mois. Mais en parallèle nous invitions les comités locaux à porter leurs propres actions locales. Elles s’organisent alors de manière autonome et revendiquées comme une actions locales Soulèvements de la terre, avec un arrimage géographique spécifié. Ces actions doivent correspondre aux modalités (occupation, blocage, désarmement, attention à la composition) et aux axes politiques des Soulèvements (artificialisation ou accaparement des terres, ou de l’eau. (cf. doc sur le cadre d’actions locales / national - Les comités passent à l’action ! https://lessoulevementsdelaterre.org/comites/les- comites-passent-a-l-action) Toutes les actions prévues lors de la saison 5 se déroulent malgré et avec la menace de la dissolution. Des assemblées de comités locaux ont lieu lors de chacune de ces mobilisations. Le convoi du 11 juin contre les carrières 8 de sable à Saint-Colomban et les actions menées contre des acteurs de l’agro-industrie servent de prétexte à la FNSEA pour forcer le gouvernement à relancer la procédure de dissolution en urgence. Celle-ci est effectivement décrétée le 21 juin 2023, deux jours après une seconde vague d’arrestations effectuée notamment par la Sous-Direction-Anti-Terroriste et visant 15 nouvelles personnes en lien avec des manifestations anti-bassines et le désarmement d’une cimenterie Lafarge à Bouc-Bel-Air. (https://lessoulevementsdelaterre.org/blog/bilan-des-arrestations- concommitantes-a-la-dissolution-au-desarmement-d-une-usine-lafarge-et- la-manifestation-de-sainte-soline) Malgré le délit de maintien ou reconstitution de ligue dissoute passible d’un an d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, les comités locaux s’organisent, multiplient les rassemblements de soutien, engagent de premières actions tandis que les commissions du mouvement prennent des mesures diverses pour ne pas bloquer leur activité pour autant. Le 11 août, peu de temps après de nouvelles rencontres des comités locaux sur le Larzac et une petite montagne de travail politico-juridique, le décret de dissolution est suspendu par le Conseil d’Etat. Un jugement définitif devrait être rendu sur le fond après une nouvelle audience à l’automne. (https://lessoulevementsdelaterre.org/blog/suspension-du-decret-de- dissolution-par-le-conseil) Il est alors décidé de fusionner la rencontre intercomités hexagonale prévue pour la fin septembre 2023 avec un interlude des Soulèvements de la terre, d’établir un cadre ad-hoc et de voir ce que ça va donner. L’importance accrue du nombre de groupes qui se reconnaissent dans la dynamique portée par les Soulèvements de la terre et s’y relient, et le soutien inouï qui s’est exprimé face à la menace de dissolution, nous invitent à rappeler que nous ne souhaitons ni nous substituer aux différentes organisations et réseaux existants, ni les aplanir, ni les chapeauter. L’histoire nous amène à considérer qu’il est nécessaire d’oser prendre en consistance et s’amplifier pour bouleverser l’ordre existant. Il l’est tout autant de se garder de toute visées hégémoniques dans l’écologie des mouvements de transformation de nos mondes. Deux ans et demi après leur naissance, les Soulèvements de la terre se tiennent dans une bâtisse politique hybride entre coalition, mouvement, réseau de résistance et organisation. Les premières poutres posées en vue des étages à venir portent à croire que l’on ne s’apprête pas à trancher de sitôt parmi ces différentes lignes architecturales, mais plutôt à trouver de nouvelles manières de les enchâsser. 9 Nous percevons les Soulèvements de la terre comme une hypothèse et sa mise à l’épreuve. Nous pourrions la définir comme un espace de coordination et de composition large qui se donne pour autant les moyens d’une élaboration stratégique commune et d’un passage à l’action constant. Un espace qui tente de trouver un chemin praticable entre son ouverture, son aspiration à l’aggrégation et la construction de certaines bases de confiances indispensables au fait de pouvoir agir au cœur d’un conflit face à des forces puissament adverses. Il est incessament question ici de ce qui permet à la fois de continuer à construire des mobilisations populaire et une confiance dans l’action collective, tout en se ménageant de possibles effets de surprises face aux dispositifs policiers et un certain nombre de filtres face à l’ampleur des moyens de surveillance déployés à notre encontre. Les Soulèvements n’ont pas de solution idéale à niveau, seulement un certain nombre d’expériences plus ou moins réussies et quelques échecs dont nous devons tirer des leçons. Les Soulèvements ne prétendent pas agir sur tous les plans qui nous semblent par ailleurs cruciaux politiquement, mais chercher des leviers, à partir de la question par ailleurs transversale des terres et en revivifiant des modalités d’actions directes de masse. Nous tenons fermement à ce que d’autres hypothèses se déploient avec leurs propres nécessités et convictions, leurs styles et leurs mesures. 12 B. OSSATURE ACTUELLE ET ENVELOPPES CHARNELLES // En résumé, l’ossature actuelle des Soulèvements de la terre est à ce jour constituée : - d’interludes : assemblées tous les 6 mois après lesquelles est annoncé un calendrier d’action hexagonales. - d’un ensemble de commissions existantes ou en construction : communication, formation, antirep’, enquête, international, caravane, liens avec les orgas, compta, secrétariat... - d’un groupe de coordination intercommissions. - d’une coordination de saisons constituée de représentant.es des coalitions locales portant les actes inscrits dans le calendrier de la saison en cours. - d’un réseaux de 200 comités locaux, dont certains en Suisse ou Belgique, appuyés par un comité de suivi et un secrétariat, ainsi que d’autres outils en construction et qui peuvent de manière autonome lancer des actions locales à partir du moment où celle-ci entre dans les enjeux thématiques, modalités d’actions et attention à la composition des Soulèvements de la terre. - d’une sommes de groupes, orgas locales et nationales, de lieux, fermes et zones occupées qui se revendiquent comme partie prenante du mouvement ou proches appuis. - de plus de 150 000 persones ayant adhéré officiellement au mouvement depuis mars 2023 par le biais de la tribune « Nous sommes les Soulèvements de la terre ». - de dynamiques cousines ou alliées : l’intercantine de luttes de l’Ouest, les Naturalistes des terres, Riots Fight Sexism... - d’espaces de diffusion, d’accueil, de débats et de relais d’information : site internet, résaux sociaux, lettre d’infos avec 150 000 abonné.es, points relais, lieux publics, fermes amies et zones occupées, médias libres qui se sont engagés à donner des nouvelles du mouvement en cas d’interdiction. - d’un ensemble de ressources matérielles en propre ou de contacts pour permettre la mise en place de campement, caravane, manifestations... - de greniers des Soulèvements de la terre, autrement dit des réseaux de mutualisation et de ravitaillement en gestation suite à un appel du R2R du pays rennais et du comité rennais des SDT : https://lessoulevementsdelaterre. org/comites/appel-a-constituer-des-greniers-des-soulevements 13 // Terres, actions directes de masses et composition - Précisions sur les raisons de quelques fondamentaux / Le choix de prendre appui sur les terres Les actions des Soulèvements de la terre se déploient sur certains enjeux politiques spécifiques : * l’artificialisation des terres; * l’accaparement des terres par l’agro-industrie; * la question de la défense et du partage de l’eau, qui a pris chemin faisant une consistance de plus en plus importante dans un certain nombre de mobilisations des Soulèvements de la terre; Nous ne pensons pas, loin de là, que ce soient les seuls axes pertinents, prioritaires ou sur lesquels il nous semble urgent d’agir dans le champ politique. Mais cela répond à une volonté de tirer la pelote du front écologique et social par un certain fil, avec ses croisements, et d’y concentrer des énergies en vue de produire un certain nombre de bouleversements. Depuis la saison 1, nous constatons également que ces thèmes ne sont pas enfermant, mais sont suffisamment larges pour lier nombre de luttes locales (béton, projets inutiles, routes et LGV, pesticides, extractivisme, tous les méfaits de l’agro-industrie, etc.). Nous partons de la question de la terre parce qu’elle nous apparaît comme forcément transversale « La terre, l’enjeu de ses usages et de son partage, des manières de la choyer et de la travailler, voilà bien une question politique cruciale. Elle se situe à la croisée de la question sociale, de la question écologique et de la question coloniale. Question sociale, parce que nous avons besoin d’arracher la terre aux mains de ceux qui la concentrent et l’exploitent aveuglément, de bâtir des espaces où réinventer la vie, de retrouver les moyens de notre subsistance pour ne plus être dépendants de bullshit jobs, de l’extraire des imaginaires réactionnaires et patriarcaux. Question écologique parce que nous avons besoin de la protéger face au béton, de défendre les terres agricoles et des lieux où la libre floraison et la vie animale ont encore leur place. Question coloniale, parce que les ex- colonies sont les premières à subir les conséquences désastreuses d’un mode de vie métropolitain et consumériste qui détruit la subsistance et l’autonomie paysanne dont les populations du Sud dépendent encore majoritairement ; parce que la richesse de l’occident se fonde encore et toujours sur le pillage de leur sol. » 14 / Nos formes d’interventions Convenons d’abord que l’intervention est au cœur du projet des Soulèvements de la terre. Ceci comme l’affirmation que l’action ne saurait être l’apanage des gouvernements ni donc que notre action n’aurait de légitimité qu’à les alerter, qu’à chercher la visibilité. Nous pensons fermement qu’il est plus que temps de nous emparer des désastres et de ne pas attendre d’autorisation pour les mettre à l’arrêt. Ces actions ne se font pas cependant sans un souci de comprendre le milieu au sein duquel nous intervenons. En cela il s’agit toujours de viser dans la profondeur, dans le temps, dans la détermination d’une sortie du ravage. Les formes d’interventions des Soulèvements de la terre sur ces différents sujets sont: * l’occupation de terres c’est-à-dire, le fait d’investir des zones humides, prairies, forêts ou terres agricoles menacées d’artificialisation ou d’accaparement agro-industriel. Ces occupations peuvent se traduire par des mises en culture, des installations d’espace de vie, de jeux, d’organisation qui permettent de s’y relier plus densément, de les défendre face aux tractopelles, de permettre l’installation de paysan·nes en lieu et place d’un agrandissement d’une exploitation agro-industrielle ; * le blocage c’est à dire la suspension plus ou moins longue d’une activité directe de ravage. Rendre muette une autoroute, empêcher l’accès à un site industriel, stopper un chantier : le blocage grippe les flux ; * le désarmement, c’est à dire la mise a l’arrêt ou le démantèlement d’infrastructures ou chantiers responsables du ravage écologique par des gestes qui permettent une neutralisation plus ou moins durable de ces dispositifs. Elles se situent dans une recherche de formes d’actions dans lesquelles le plus grand nombre de personnes possibles puissent participer du geste d’intervention. Cela ne signifie pas que nous dédaignons l’importance et la complémentarité d’autres formes d’actions, qu’il s’agisse de recours juridiques, campagnes d’information, happenings symboliques ou de sabotages diurnes ou nocturnes menés en petit groupe dans la plus grande discrétion. Mais cela vient marquer le fait que nous croyons nécessaire et urgent de réintroduire dans le champ d’action politique une habitude de manifestions/ actions qui aient un impact direct sur leur objectif avec une large participation. C’est dans cette recherche là que se situent les actions (mises en places et revendiquées par) des Soulèvements de la terre. Soulignons aussi que si ces 3 formes d’actions (blocage, occupation, désarmement/démantèlement) dessinent une sorte de typologie des gestes politiques fondamentaux de notre mouvement, elles ne sont pas son apanage, mais sont pratiquées, comme une sorte de nouvelle grammaire contestataire 15 populaire, par des franges de plus en plus massives des mouvements sociaux et écologiques et des luttes locales un peu partout sur le territoire. En ce sens, nous recommandons vivement aux comités locaux d’aller, autant qu’ils le peuvent, à la rencontre de tous les sujets en lutte de leur territoire qui partagent ces pratiques afin de coconstruire ces actions et de franchir ensemble des obstacles que nous rencontrons. Ces actions se situent dans une volonté d’emporter un certain nombres de victoires très concrètes – terres préservées, arrêt de certains projets – tout autant que de s’inscrire dans la montée en puissance d’un rapport de force global face aux politiques et entreprises responsables du ravage écologique et social. / ce que nous entendons par composition Les actions se construisent ensuite dans une certaine attention à ce que nous nommerons composition, c’est à dire au désir de faire avec des groupes, avec des mondes, qui ont des pratiques d’actions, des imaginaires, des cultures politiques différentes : l’attention à la composition, au sens où nous l’entendons, exige donc non seulement de faire de la place à une diversité de pratiques, de modes d’engagement, de sensibilités, mais aussi de ne pas se contenter de leur simple juxtaposition, qui les laisserait morcelés et isolés, et de chercher à élaborer des formes, des situations qui permettent de les articuler, de penser leur renforcement mutuel, leur entrée en synergie. Cette attention se traduit donc par une culture du tact et du décentrement, par une capacité à se laisser altérer et à apprécier réellement ce que ces autres pratiques peuvent apporter et jouer en terme de complémentarité. Elle est une appréciation du parcours commun nécessaire pour établir un rapport de force ancré dans un territoire. La composition pousse donc à une capacité pragmatique à adapter les modalités d’action à chaque situation. Elle se défie de fétichismes identitaires et de copié-collé décontextualisés. // Critères, cadre de décision et d’accompagnement des actions en vue de les inscrire dans un calendrier hexagonal Pour que des actions puissent être intégrées dans les actes d’une saison, plusieurs critères et tout un processus ont été éprouvés et précisés depuis deux ans et demi. Il s’agit ici de les résumer pour les rendre les plus explicites et intelligibles possible, aussi pour ne pas laisser dans l’ombre tout le «travail» invisible qui existe parfois plusieurs mois en amont d’une action. 16 Un acte des Soulèvements doit répondre à plusieurs critères : - rentrer dans les grands thèmes/axes des Soulèvements : accaparement et artificialisation des terres et de l’eau - contenir une action qui soit une occupation, un blocage, ou un désarmement - correspondre dans le processus suivi par une lutte à un besoin de passage de seuil en termes d’évolution des modalités d’actions, de visibilité, ou de convergence de forces. Trouver une réponse à une urgence contextuelle – de type démarrage d’un chantier, risque imminent de démarrage de chantier, d’accaparement ou de bétonnage de terres. Revenir enfoncer le clou sur un processus d’appui d’une lutte par la coalition nationale des Soulèvements de la terre et marquer un suivi en vue d’aller vers un tournant dans le rapport de force (exemple : moratoire bassines, route ou arrêt d’extension des carrières stco). La proposition d’un acte hexagonal et son choix doit dans tous les cas être mue par une évaluation réciproque de la coordination locale de la lutte et des commissions du mouvement sur le fait qu’un appui hexagonal dans le cadre des Soulèvements de la terre permettraient de contribuer à apporter des éléments nouveaux et éventuellement déterminants pour la suite - s’appuyer sur une coordination locale dont les forces propres soient suffisantes pour permettre un équilibre dans le partage de l’organisation de la mobilisation entre ce qu’apporte l’appui de la coordination nationale des Soulèvements de la terre et ce qui sera pris en charge localement. - avoir une attention à ce que cette coordination locale puisse avoir une dimension de composition dans laquelle puisse se retrouver un certain nombre des forces politiques avec lesquelles se construisent les soulèvement de la terre : réseaux et syndicat paysan.nes, mouvement climat, habitant.es en lutte, collectifs autonomes... - pouvoir être soutenu, du côté des Soulèvements, a minima par des membres des commissions anti rep’, communication, formation, caravane Pour que ces critères soient réunis il faut souvent plus d’une saison. C’est pour cette raison que nous demandons aux luttes qui veulent porter une action hexagonale de prévenir les commissions et de rencontrer des personnes actives dans les Soulèvements assez longtemps à l’avance. C’est pour ces mêmes raisons que nombre de rencontres sur un interlude donnent lieu à des actes, non pas à la saison suivante, mais souvent une ou deux saisons plus tard. 17 Entre l’interlude de février 2023 et la préparation de celui de septembre, le combat contre la dissolution, la tenue du calendrier très dense de la saison 5, et la mise en place d’outils accompagnant l’émergence des comités, ont fortement limité le temps consacré habituellement à des rencontres préalables avec des luttes pour mettre en travail des propositions d’actes hexagonaux. C’est notamment pour ces raisons que nous imaginons que les propositions qui pourraient rentrer dans le calendrier de la saison 6 (entre octobre et février) et répondre aux divers critères soient limitées. C’est pour cette même raison que nous imaginons à priori que cet interlude/intercomité de septembre soit, en termes d’actions hexagonale, essentiellement dédiée à l’exposé et à la mise en travail d’actes nationaux possibles et forts pour la saison du printemps 2024 et que la saison d’automne soit à ce titre moins dense que la précédente. Ceci ne doit surtout pas empêcher la construction et la prolifération d’actions locales des Soulèvements de la terre dont la possibilité s’est ouverte et le cadre précisé dans ce printemps. (cf document «les comités passent à l’action») En ce qui concerne le moment de l’interlude et l’élaboration d’actes hexagonaux, nous commençons généralement par un temps d’accueil pour discuter avec les personnes qui veulent proposer un acte possible à intégrer à un calendrier hexagonal pour les saisons suivantes. Puis, les luttes qui veulent présenter des actes les exposent en assemblée plénière. Ce temps de présentation en plénière est aussi un temps de questions et de réactions de l’assemblée sur les propositions. Ces présentations sont suivies d’un temps de travail en plus petit groupes pour commencer à former une coordination d’action. À la suite de ces différents moments, les personnes déjà engagées dans les différentes commissions du mouvement- et comptant continuer à s’y engager pour la saison d’après - se réunissent. Elles évaluent ensemble s’il est possible d’intégrer ou non une proposition d’action dans le calendrier hexagonal de la saison suivante, si telle est la demande, ou si la proposition reste en travail pour les saisons d’après. Cette évaluation se fait à partir des critères exposés précédemment, et aussi en fonction des personnes réellement disponibles pour s’engager dans l’accompagnement de l’acte, avant, pendant et après quand c’est nécessaire (notamment sur la communication, l’appui à la formation et donc à la coordination de l’action, le soin et les enjeux légaux). Le travail dans les commissions et donc la participation à ce cadre de décision en intercommission est évidemment rejoignable pour la saison et l’interlude suivant. 18 Ce sont tous ces moments et tout ce processus qui permettent de décider si une proposition d’action devient un acte d’une saison. Ce cadre de décision correspond à un choix politique qui tente de conjuguer un certain nombre de critères et parti-pris : 1. prendre le temps des rencontres préalables et de l’élaboration avant une décision. 2. se donner des cadres de présentation, réactions et échanges en assemblées larges qui doivent pouvoir informer et orienter les décisions. 3. remettre la décision finale entre les mains : a) de celles et ceux qui se retrouvent assurément engagé.es à en assumer le plus directement les conséquences et la mise en oeuvre depuis les commissions du mouvement, c’est-à-dire à assumer les charges de «travail» relatives à l’organisation des dites actions. b) de personnes qui ont déjà pris le temps d’une expérience concrète d’engagement dans les structures du mouvement, dans l’élaboration de certaines actions et semblent plus à même d’avoir une idée des enjeux de l’élaboration des suivantes. Nous faisons à ce titre et à contrario le choix politique d’éviter des situations ou des personnes ou groupes, présents lors d’une assemblée mais qui n’assumeraient pas ensuite politiquement et logistiquement la mise en oeuvre concrète et les conséquences d’une décision, puissent trop fortement influer sur celle-ci ou la bloquer. 4. s’assurer que les commissions de travail du mouvement aient un mandat clair et puissent être rejoint durant les interludes par les personnes qui souhaitent y assurer un travail régulier. Faire en sorte que cet espace de décision sur les actes des saisons puisse être rejoints à l’interlude suivant par les personnes qui le souhaitent et sont engagées dans les commissions. En fonction de la sensibilité de certains enjeux, certaines commissions, qui nécessitent des critères d’intégration plus exigeants (legal, secrétariat et compta notamment) se sont données des cadres de cooptation explicites. L’objectif est que ces commissions soient rejointes pour élargir au fil des saisons le cercle de décision chargé de synthétiser les propositions qui émanent de l’assemblée et de trancher - le cas échéant - sur l’inscription de telle ou telle action au calendrier national d’une saison. C’est également d’être de plus en plus nombreux-euses à se rencontrer et à se former à prendre en charge des tâches d’organisations. L’objectif c’est aussi de ne pas promettre un engagement dans un nombre d’action supérieur à nos capacités réelles d’organisation. Cela aboutirait à ce que des actions revêtent un genre de « label Soulèvements » sans que l’appui concret ne soit à la hauteur. Par ailleurs, le fait qu’une action n’entre pas dans le calendrier national 19 n’empêche nullement qu’elle se tienne et qu’elle soit soutenue à diverses auyres échelles par les comités locaux des Soulèvements. Nous avons choisi de tester ce fonctionnement cette année, il n’est pas gravé dans le marbre. 5. garder en tête que : a) le mouvement permet une force d’appui et d’élaboration stratégique commune pour une action à la demande d’une coalition locale ou sur proposition du mouvement à une coalition. b) le choix de faire en commun demande une prise en compte attentive et réciproque des enjeux de la coalition locale et du mouvement dans le procesus de construction de l’action c) si des visions trop divergentes apparaissent en cours de route, c’est à la coalition locale et à celles et ceux qui vont en assumer les conséquences sur le long terme et sur le terrain que doit revenir la primauté des choix stratégiques. // Les interludes, les commissions & l’espace inter-commissions / Les interludes Les interludes visent à prolonger des rencontres et se présenter au reste du mouvement, faire un bilan stratégique de la saison qui vient de s’écouler, présenter des propositions d’actes pour des saisons à venir et commnencer à les mettre en travail en constituant des groupes d’appuis, déterminer un calendrier pour la saison à venir, appronfondir les grands axes stratégiques et penser les évolutions structurelles du mouvement, faire vivre un certain nombre de débats de fond, rejoindre les commissions existantes et commencer à structurer leur travail pour la saison à venir, se donner des moments de transmission et de travail sur différents outils et campagnes de fond du mouvement, s’enjailler, se raconter des histoires et goûter du vin nature. / Les commissions Certaines de ces commissions sont ouvertes et rejoignables lors des interludes sur la base d’un engagement actif et tenu. La participation à d’autres commissions dont certains enjeux sont spécifiquement sensibles - antirep’ ou secrétariat par exemple - exigent un niveau de confiance plus important et une cooptation plus stricte. L’ouverture de chaque commission est spécifiée lors de l’interlude et avant les groupes de travail dédiés. # LA COMMISSION COM’ La commission à pour fonction d’animer et penser les outils de communication 20 du mouvement. Elle communique en amont sur les actions de la saison et sur la stratégie générale des SDT via nos propres outils de communication (réseaux sociaux, sites, newsletter), via des médias libres et réseaux camarades et via des réponses et communiqués à des médias mainstreams... Elle accompagne et forme les collectifs dans la mise en place d’outils de communication sur les événements de la saison : élaborations de tracts, affiches, textes, vidéos d’annonces, dossier de presse, constitution de dossier de fond... Elle aide à former des équipes pour le moment des actions en elles-mêmes qui permettent une couverture sous diverses formes de l’action : photo, vidéo, récit RS, communiqué de presse, conférence de presse et réponses aux journalistes présents. Elle participe au fil des échanges lors des interludes et avec le groupe de suivi à diffuser des lignes et positionnements politiques du mouvement sur des sujets non directement liés à des actions du calendrier (ex. positionnement sur l’affaire Hugo Clément et l’extrême droite, sur la réforme des retraites, la révolte après la meurtre de Nahel...). Elle se mêle avec d’autres à l’élaboration de contenus à la durée de vie plus longue autour des Soulèvements de la terre (brochures, textes de présentation et d’analyse, livres...) # LA COMMISSION FORMATION Elle pense l’importance cruciale de la transmission d’expériences et de savoir- faire dans l’autonomie du mouvement, sa diffusion et son renouvellement. Elle élabore et donne des formations (construction et ccordination des actions, outils de communication, porte-parolat, base arrière) aux collectifs qui organisent des actes des Soulèvements de la terre, aux comités locaux et à d’autres formateurs.ices. # LA COMMISSION ANTIREP’ Elle diffuse des conseils (formation, briefs écrits & oraux) en amont des manifestations afin d’informer et de visibiliser la réalité de la répression, et se coordonne avec les groupes locaux et éventuelles équipes juridiques locales pour organiser l’antirep’ dans le cadre des actes des Soulèvements. Elle fait le lien au sein des diverses bases arrières des actions afin d’avoir une cohérence des différents pôles. Elle accompagne les personnes blessées par la police dans leurs démarches, soutient les interpellé.es, trouve des avocat.es militant.es pour casser l’isolement face à la justice. Elle oeuvre à la mise en place d’une stratégie de défense collective, en lien avec les collectifs locaux et le mouvement et l’animation des procès. Elle fait de la veille juridique et participe aux réseaux antirep (type RAJ Collective).