VEILLE JURIDIQUE L’ARRÊT H.W. C. FRANCE (CEDH, 23 JANVIER 2025) E.L Faits et porcédure : 01 En 2012 , une épouse de 69 ans et mère de 4 enfants demande le divorce. Son mari sollicite le prononcé du divorce aux torts exclusifs de sa femme, au motif que celle-ci lui refuse tout rapport sexuel depuis des années. En juillet 2018 , le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Versailles considère que le divorce ne peut pas être prononcé pour faute et que les problèmes de santé de cette femme sont de nature à justifier l’absence durable de sexualité au sein du couple. Le mari saisit la cour d’appel de Versailles qui, en 2019 , prononce le divorce aux torts exclusifs de l’épouse, retenant comme une faute son refus de relation intime avec son mari. Celle-ci forme un pourvoi en cassation, qui est rejeté aux motifs que les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain non seulement pour constater les causes du divorce pour faute, mais aussi pour apprécier si les faits constituent une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage. Elle saisit alors la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme) en 2021 , avec le soutien du Collectif féministe contre le viol et de la fondation des femmes. La Cour d’appel de Versailles, en 2019, rend son jugement sur le fondement du devoir conjugal, rattaché aujourd’hui aux dispositions de l’article 215 du Code civil. Rédigé dans les années 1970 et jamais retouché depuis, le premier alinéa dispose que les époux s’engagent à une communauté de vie traditionnellement considérée comme revêtant trois dimensions : une communauté de droit : les époux s’engagent à faire résidence commune ; une communauté d’intérêts ; et enfin une communauté de lit : c’est celle qui fonde l’existence de ce devoir d’entretenir avec son conjoint des relations sexuelles. Il n’y a donc aucun texte qui édicte le devoir conjugal ; le droit qui est condamné ici, c’est la doctrine et la jurisprudence françaises. Cette obligation implicite pour chaque époux d’entretenir avec son conjoint des rapports sexuels puise ses fondements dans le droit canonique. Originellement, le mariage avait une fonction biologique : la fondation d’une famille au sens procréatif ; il fallait que les époux entretiennent des rapports sexuels, d’où l’existence de ce devoir conjugal. Un devoir qui s’est perpétué quand bien même l’institution du mariage a été sécularisée. La Cour de cassation admettait donc que le divorce puisse être prononcé aux torts exclusifs de l’époux qui ne satisfaisait pas à ce devoir conjugal. Néanmoins, avec la prise en compte parallèle, notamment en droit pénal, de l’existence du viol entre époux et de la possibilité de le sanctionner, les saisines des juridictions en matière de divorce sur le fondement d’un manquement au devoir conjugal ont progressivement diminué. La Cour de cassation avait par ailleurs admis qu’il pouvait exister des situations dans lesquelles un époux pouvait se soustraire à son devoir conjugal, notamment pour des raisons de santé. Une jurisprudence archaïque ? Condamnation : Le 23 janvier 2025 , la CEDH condamne la France et donne raison à la requérante, sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cet article protège le droit au respect de la vie privée et familiale, garantissant la liberté sexuelle, le droit de disposer librement de son corps, ainsi qu’une obligation positive incombant aux États en matière de lutte contre les violences domestiques et sexuelles. La CEDH condamne le devoir conjugal comme impliquant une forme de présomption de consentement . Elle précise qu’on ne peut pas, quel que soit le contexte, consentir par anticipation, dans la mesure où « le consentement doit traduire la libre volonté d’avoir une relation sexuelle déterminée au moment où elle intervient et en tenant compte de ses circonstances ». Pour la Cour européenne, il ne peut donc pas y avoir de consentement par avance aux relations sexuelles futures. C’est le refus de ce devoir conjugal comme étant une obligation d’entretenir des relations avec son conjoint au motif que l’on aurait, au jour de la célébration du mariage, de manière totalement implicite, consenti par la suite à entretenir des relations sexuelles avec son conjoint. La France doit donc se conformer aux consignes européennes et mettre en adéquation les lois sur le viol, notamment conjugal, et la jurisprudence civile. C’est la fin d’une contradiction entre le développement d’une législation venant réprimer pénalement le viol entre conjoints et l’existence d’un devoir conjugal sous-tendant un « oui » permanent. Vers une évolution jurisprudentielle : Letouzé Emilie. VEILLE JURIDIQUE L’ARRÊT H.W. C. FRANCE (CEDH, 23 JANVIER 2025) E.L « Nous irons dans le sens de l’histoire et nous adapterons notre droit. » 02 En réalité, le droit ne doit pas nécessairement être modifié dans la mesure où le devoir conjugal n’est pas expressément consacré par le Code civil. Cependant, la jurisprudence prendra très certainement acte de la solution de la CEDH et refusera désormais de considérer les relations sexuelles comme étant une obligation du mariage, et donc refusera de prononcer le divorce aux torts exclusifs de l’époux qui se refuserait à son conjoint. Enfin, aller « dans le sens de l’histoire » , c’est ce que nous force à faire la CEDH face au statut institutionnel du mariage qui a totalement changé de physionomie. Le mariage avait pour mission originelle la création d’une famille et donc la procréation. Aujourd’hui, ce n’est plus du tout la fonction principale du mariage. D’une part, la famille peut tout à fait être normalement constituée en dehors du cadre du mariage, dans la mesure où, aujourd’hui, on ne fait plus de distinction entre la filiation naturelle (enfant né hors mariage) et la filiation légitime (enfant né durant le mariage). Il n’est plus nécessaire de se marier pour offrir à son enfant un cadre juridique protecteur. La famille peut donc tout à fait se construire en dehors du mariage. D’autre part, le mariage aujourd’hui n’a plus, socialement parlant, pour vocation la construction d’une famille. Les gens se marient tout simplement pour sceller leur amour sans pour autant avoir l’intention d’avoir des enfants. Le mariage ayant changé de visage, certains devoirs qui apparaissaient initialement comme fondamentaux ont aujourd’hui perdu leur caractère essentiel, ce qui justifie cette évolution. C’est en plaçant le consentement au cœur de sa décision que la CEDH nous rappelle que le principe du rapport non consenti n’est pas posé dans la loi française. Pourtant, depuis des années, les Nations unies, le Conseil de l’Europe et l’Union européenne ont recommandé à la France de modifier sa législation sur le viol, avec une définition harmonisée basée sur l’absence de consentement ; un socle, une norme éthique commune sur laquelle on pourrait éduquer les filles et les garçons. Or, aujourd’hui, on ne criminalise que les actes de pénétration qui sont commis par violences, contraintes, menaces ou surprise. Ainsi, si on ne peut pas rapporter la preuve de l’un de ces concepts, il est impossible d’entrer en condamnation. Et le constat est sans appel : la Commission nationale consultative des droits de l’homme, dans son amicus curiae , explique que la loi française est inadaptée au phénomène massif que représentent les 247 000 viols et tentatives de viol par an en moyenne en France, pour 1 143 condamnations en 2021. Bien que l’indignation dans la société civile soit profonde face à cette décision ainsi qu’au retentissement du procès Mazan, la classe politique doit aussi avancer. Une initiative parlementaire très encourageante de la Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale a présenté une proposition de loi transpartisane, en posant un principe : un viol est un rapport sexuel non consenti. Le rappel d’une loi inadaptée : Tous nos voisins européens ont déjà changé leur loi. 🇧🇪 La Belgique, en 2022, pose le principe du consentement: une victime endormie ou paralysée est réputée non consentante, sans qu’il soit nécessaire de démontrer une intentionnalité supplémentaire dans une société pétrie de culture du viol et de stéréotypes de genre. 🇪🇸 L’Espagne , avec sa loi «Solo sí es sí» également en 2022 place le « oui » éclairé au cœur de sa reforme, L’Angleterre, le Pays de Galles et l’Écosse reconnaissent depuis les années 2000 le viol comme une pénétration sans consentement, obligeant l’auteur à prouver qu’il croyait légitimement à son existence. 🇮🇪 L’Irlande, dès 2017 , et 🇱🇺 le Luxembourg, dès 2011 , ont consacré la même approche. Partout, ces réformes font reculer l’impunité, renforcent l’éducation à l’égalité et contribuent à briser le silence sur un phénomène massif. International : Déclarait le Garde des Sceaux Gérald Darmanin suite à cette condamnation. Veille juridique rédigée dans le cadre d’un stage pour Legal Clinic, avec la confiance de l’ISIT, par une étudiante en droit à Paris 2 Panthéon-Assas, Letouzé Émilie.