autourdemoi dans l’actu 100 Côté Santé 60 Millions de Consommateurs a révélé, cette année, la présence de traces de molécules potentiellement toxiques dans des couches-culottes jetables pour bébés. De quoi sont-elles réellement composées ? Le port de couche durant la petite enfance comporte t-il des risques pour la santé ? Côté Santé fait le point sur les connaissances actuelles. Hélia Hakimi-Prévot Couches pour bébé : le grand scandale ? 100-102 CS109 Couches SR.indd 100 05/06/2017 00:26 Côté Santé 101 L ’organisme de l’enfant de zéro à trois ans est imma- ture, en plein développe- ment. Sa peau est particu- lièrement fragile, sujette aux irritations et aux rougeurs. Acné, croûtes de lait, sécheresse, eczé- ma..., les problèmes cutanés du bébé sont divers et variés et requièrent une bonne hygiène et des produits (crèmes, lotions, gels...) doux et respectueux de la peau. Les fesses du tout-petit ne font pas excep - tion ! Cette zone est, en effet, en contact permanent – sept jours sur sept, vingt- quatre heures sur vingt-quatre, pendant près de trois ans – avec une couche-cu - lotte. Cette fameuse bande absorbante qui retient l’urine de l’enfant de jour comme de nuit et permet de préserver la literie durant les longues heures où il se repose dans les bras de Morphée. De quoi se compose une couche pour bébé ? Lorsque l’on pose la questions aux pa - rents, dans le cadre d’un micro-trottoir, deux réponses sont fournies de façon ré - currente : « Je ne sais pas » ou encore « De coton ? ». Deux réponses qui mettent en exergue la méconnaissance de la popu - lation vis-à-vis de ce produit qui épouse la peau des fesses de l’enfant dès les pre- miers jours de vie. De la cellulose aux microbilles super absorbantes Une couche pour bébé est composée de quelques matières techniques. Elle com - porte, tout d’abord, un coussin (ou ma- telas absorbant). « C’est l’élément central d’une couche. Le coussin est conçu en al - liant deux matières : de la cellulose (ma - tière naturelle obtenue à partir de pâte à papier) et des microbilles absorbantes SAP (Super Absorbant Powder) compo - sées de polyacrylate de sodium issu de la pétrochimie », indique Céline Augusto, dirigeante de Love & Green, fabriquant de couches hypoallergéniques. Matière inerte, le SAP n’est pas toxique. Il réa - git comme l’argile. Lorsque l’on met de l’eau sur des microbilles SAP, celles-ci la captent et gonflent. C’est dans les an - nées 80 que Pampers et Huggies, deux grandes marques du secteur (deux frères ennemis) inventent la microbille de SAP, élément qui révolutionne complètement le change du tout-petit. « Grâce aux mi - crobilles de SAP, l’urine est captée et re - tenue : la couche devient alors infiniment plus performante », note Céline Augusto. Le bébé n’est plus en contact avec l’hu- midité de son urine. Il est enfin au sec ! Pas de réelle innovation depuis les années 90 De fait, avant l’invention des microbilles de SAP, les premières couches jetables des années 80 comprenaient uniquement un gros coussin en cellulose entouré de films en plastique. La couche était très épaisse, avec un maximum de cellulose. Or, cette dernière ressemble à du pa - pier essuie-tout : elle absorbe l’eau mais le bébé reste humide et les fuites sont fréquentes, surtout la nuit. Deuxième grande innovation : le voile d’acquisition qui voit le jour dans les années 90. Ce voile – inventé par Pampers – a pour par - ticularité de disperser l’urine et donc, de lui permettre de se répartir de façon ho - mogène sur l’ensemble du coussin absor- bant de la couche. Depuis les années 90, il n’y a pas eu d’autre innovation majeure concernant les couches pour bébé. Par ailleurs, aujourd’hui, tous les brevets sont tombés dans le domaine public. Toutes les couches disposent, plus ou moins, de microbilles SAP et d’un voile d’acquisi- tion : la différence en terme d’efficacité et de confort entre une couche de grande marque et une couche de marque distri- buteur est, ainsi, infime. Plastique, pétrolatum et colorants Les couches pour bébé ne seraient pas au complet sans le voile qui entoure le cous- sin absorbant. Également appelé voile de surface, ce dernier est en contact direct avec la peau de l’enfant. Actuellement, dans le coussin d’une couche classique, il n’y a souvent que 10 % de cellulose, le reste est constitué de microbilles SAP. « Nos couches contiennent 40 % environ de cellulose car cette matière est naturelle, non issue de la pétrochimie. Cela nous permet de prendre le moins de risque pos - sible pour la peau du bébé tout en étant très efficace », souligne Céline Augusto. Par ailleurs, tous les voiles des couches classiques sont en plastique (matière très irritante pour la peau du bébé). Pour compenser, certains industriels ajoutent une lotion sur le voile de surface de leurs couches. Or, cette lotion est composée de deux corps gras pétroliers : le petro - latum et la paraffine. Enfin, pour mas - quer la couleur jaunâtre de cette lotion, ils ajoutent des colorants (verts, violets, bleus...). Au final, le bébé va porter pen - dant près de 3 ans des couches contenant du plastique, des huiles minérales et des Un vide législatif Outre le cadre de Reach (directive européenne) qui concerne, de la même façon, tous les industriels fabriquant des produits de droguerie, de parfumerie et d’hygiène, aucune législation n’encadre spécifiquement la fabrication de couches pour bébé. Saisi par le ministère de l’écologie à la suite d’importantes polémiques concernant les produit d’hygiène féminine, l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail étudie actuellement l’impact des ingrédients des produits d’hygiène féminine. Une étude dont le champs a été étendu aux couches pour bébé à la suite de la parution de l’article de 60 Millions de Consommateurs. Pour sa part, Ségolène Royal a saisi l’ANSES, début 2017, concernant les résidus toxiques dans les couches. L’avis de l’agence sur ce dossier est attendu pour la fin de l’année. 100-102 CS109 Couches SR.indd 101 05/06/2017 00:26 autourdemoi dans l’actu 102 Côté Santé colorants dont on ne connait pas les effets à long terme sur la santé et sur la fertili- té, notamment. En effet, aussi étonnant que cela puisse paraître, aucune étude, à ce jour, n’a porté sur l’impact à long terme du port de couche durant la petite enfance. Une couche qui est, pourtant, en contact permanent avec l’organe génital de l’enfant, lieu du développement de la fonction endocrine et de la fertilité. Glyphosate, dioxines, HAP... Pour en savoir plus sur la composition des couches, le magazine 60 Millions de Consommateurs a mené une enquête (pu- bliée fin janvier dernier) sur douze mo - dèles de couches jetables pour bébé qui confirme non seulement la présence de plastique (polypropylène) au niveau du voile qui est directement en contact avec la peau du bébé, mais aussi, de substances potentiellement toxiques dans la plupart des modèles, qu’il s’agisse de couches de marques leader ou de marques de distri- buteur, conventionnelles ou écologiques. Des résidus de glyphosate (principe actif de l’herbicide Roundup) et d’autres pesti- cides ont ainsi été détectés dans certaines références. Étonnant lorsque l’on sait que ces pesticides sont potentiellement can- cérogènes. Dans certaines couches, des traces de dioxines – et de molécules de la même famille – ou d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) ont été mises en évidence. Des composés dont le potentiel toxique est prouvé scienti - fiquement. De nombreuses autres mo - lécules indésirables ont, par ailleurs, été retrouvées dans les couches pour bébé. « Si les concentrations restent en deçà des seuils fixés par la réglementation (quand les seuils existent !), l’exposition concerne des nourrissons et s’exerce au niveau du siège des bébés. Le principe de précaution doit prévaloir », indique 60 Millions de Consommateur. Viser le risque zéro Tout résidu à risque devrait, ainsi, être écarté des couches pour bébés d’autant que ceux-ci les portent en continu pendant plusieurs années. « Cet objectif est attei - gnable », assure 60 Millions de Consom - mateurs puisque deux références de l’essai n’incorporent aucune des molécules pré- occupantes recherchées. C’est notamment le cas des couches de marque distributeur E. Leclerc et de Love & Green, dont les pro - tections sont sans huiles minérales, sans colorants (à l’exception de la bande fron - tale indiquant la zone de positionnement des velcros, sans contact avec la peau) et sans allergènes. « Nos couches comportent près de 50 % de matières naturelles (soit jusqu’à 4 fois plus qu’une couche classique). Hypoallergéniques, elles ne contiennent pas de trace de HAP cancérigène. Nous souhai - tons mettre un maximum de matières na - turelles dans nos couches et militons pour le principe de précaution maximale. Car le sec - teur de la petite enfance doit être un pré car - ré qu’il faut préserver à tout prix », conclut Céline Augusto. n *Suite à l’appel de 60 Millions de Consommateurs, des fabricants ont accepté de publier la liste (plus ou moins précise) des ingrédients de leurs couches-culottes. Plus d’informations : www.60millions-mag.com/2017/02/08/ couches-bebe-la-verite-sur-leur-composition-10959 Trois questions au docteur Pierre Souvet* Médecin-fondateur de l’Association Santé Environnement France (ASEF). HAP, dioxines, glyphosates... Pourquoi les couches contiennent-elles des résidus toxiques ? Pour faciliter le process industriel, les entreprises utilisent trop de produits toxiques, parfois perturbateurs endocriniens ou cancérigènes. Ce qui est inacceptable. D’autant que les couches sont utilisées dès la naissance et sur une surface importante (celle des fesses du bébé). Le vide législatif (pas de réglementation encadrant les couches, pas d’information claire pour le consommateur) donne trop de liberté aux fabricants. Le jour où le consommateur n’achètera plus que des produits sûrs, dont il connaitra la composition, tous les industriels s’aligneront pour changer leurs process de fabrication et la composition de leurs produits. Les concentrations de toxiques restent, néanmoins, en deçà des seuils fixés par la réglementation. Est-ce, pour autant, un gage d’innocuité ? Non car les normes réglementaires ne sont pas sanitaires : elles ne tiennent pas compte de l’âge de l’enfant, de la durée de contact avec les couches et de l’effet « cocktail » induit par l’action combinée avec d’autres produits toxiques que rencontre l’enfant dans son environnement dont son alimentation. Que pensez-vous des couches écologiques ? Toutes les marques ne se valent pas. Nous encourageons les plus vertueuses à « faire toujours mieux » en matière de composition. Un jour, aucune couche ne devra contenir du plastique. De même, les microbilles absorbantes sont issues de la pétrochimie alors qu’il existe bien d’autres alternatives naturelles. Les chercheurs doivent accélérer leurs recherches afin que ces alternatives puissent, à l’avenir, être industrialisées. *Auteur de 200 alertes environnement-santé, les substances toxiques à la loupe : quels risques et comment s’en protéger ?, Éditions Guy Tredaniel. 100-102 CS109 Couches SR.indd 102 05/06/2017 00:26