The Project Gutenberg Etext of L’Ingenu by Voltaire (#7 in our series by Voltaire) Copyright laws are changing all over the world. Be sure to check the copyright laws for your country before downloading or redistributing this or any other Project Gutenberg file. Please do not remove this header information. This header should be the first thing seen when anyone starts to view the eBook. Do not change or edit it without written permission. The words are carefully chosen to provide users with the information needed to understand what they may and may not do with the eBook. To encourage this, we have moved most of the information to the end, rather than having it all here at the beginning. **Welcome To The World of Free Plain Vanilla Electronic Texts** **eBooks Readable By Both Humans and By Computers, Since 1971** *****These eBooks Were Prepared By Thousands of Volunteers!***** Information on contacting Project Gutenberg to get eBooks, and further information, is included below. 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Please read this important information, as it gives you specific rights and tells you about restrictions in how the file may be used. *** Produced by Carlo Traverso. We thank the Bibliotheque Nationale de France that has made available the image files at www://gallica.bnf.fr, authorizing the preparation of the etext through OCR. Nous remercions la Biblioth ט que Nationale de France qui a mis א dispositions les images dans www://gallica.bnf.fr, et a donn י l’authorization א les utilizer pour preparer ce texte. OEUVRES DE VOLTAIRE. TOME XXXIII DE L’ IMPRIMERIE DE A. FIRMIN DIDOT, RUE JACOB, N° 24. OEUVRES DE VOLTAIRE PR ֹ FACES, AVERTISSEMENTS, NOTES, ETC. PAR M. BEUCHOT. TOME XXXIII. ROMANS. TOME I. A PARIS, CHEZ LEF ָ VRE, LIBRAIRE, RUE DE L’ ֹ PERON, K° 6. WERDET ET LEQUIEN FILS, RUE DU BATTOIR, N° 2O. MDCCCXXIX. L’ING ֹ NU, HISTOIRE V ֹ RITABLE TIR ֹ E DES MANUSCRITS DU P. QUESNEL. 1767. Pr י face de l’ ֹ diteur L’ING ֹ NU, _histoire v י ritable, tir י e des manuscrits du P. Quesnel_, 1767, deux parties, petit in-8°, fut, dans quelques י ditions, intitul י : _Le Huron, ou l’Ing י nu_. L’ouvrage se vendait publiquement en septembre 1767, mais au bout de huit ou dix jours il fut saisi; et le prix, qui י tait de trois livres, monta א vingt-quatre[1]. [1] M י moires secrets, du 13 septembre 1767. Trois ans apr ט s, on vit para מ tre _L’ Ing י nue, ou l’Encensoir des dames, par la ni ט ce א mon oncle_, Gen ט ve et Paris, chez Desventes, 1770, in-12. –– Les notes sans signature, et qui sont indiqu י es par des lettres, sont de Voltaire. Les notes sign י es d’un K sont des י diteurs de Kehl, MM. Condorcet et Decroix. Il est impossible de faire rigoureusement la part de chacun. Les additions que j’ai faites aux notes de Voltaire ou aux notes des י diteurs de Kehl, en sont s י par י es par un—, et sont, comme mes notes, sign י es de l’initiale de mon nom. BEUCHOT. 4 octobre 1829. L’ING ֹ NU. CHAPITRE I. Comment le prieur de Notre-Dame de la Montagne et mademoiselle sa soeur rencontr ט rent un Huron. Un jour saint Dunstan, Irlandais de nation et saint de profession, partit d’Irlande sur une petite montagne qui vogua vers les c פ tes de France, et arriva par cette voiture א la baie de Saint-Malo. Quand il fut א bord, il donna la b י n י diction א sa montagne, qui lui fit de profondes r י v י rences, et s’en retourna en Irlande par le m ך me chemin qu’elle י tait venue. Dunstan fonda un petit prieur י dans ces quartiers-l א , et lui donna le nom de prieur י de la Montagne, qu’il porte encore, comme un chacun sait. En l’ann י e 1689, le 15 juillet au soir, l’abb י de Kerkabon, prieur de Notre-Dame de la Montagne, se promenait sur le bord de la mer avec mademoiselle de Kerkabon, sa soeur, pour prendre le frais. Le prieur, d י j א un peu sur l’ ג ge, י tait un tr ט s bon eccl י siastique, aim י de ses voisins, apr ט s l’avoir י t י autrefois de ses voisines. Ce qui lui avait donn י surtout une grande consid י ration, c’est qu’il י tait le seul b י n י ficier du pays qu’on ne f � t pas oblig י de porter dans son lit quand il avait soup י avec ses confr ט res. Il savait assez honn ך tement de th י ologie; et quand il י tait las de lire saint Augustin, il s’amusait avec Rabelais: aussi tout le monde disait du bien de lui. Mademoiselle de Kerkabon, qui n’avait jamais י t י mari י e, quoiqu’elle e � t grande envie de l’ ך tre, conservait de la fra מ cheur א l’ ג ge de quarante-cinq ans; son caract ט re י tait bon et sensible; elle aimait le plaisir et י tait d י vote. Le prieur disait א sa soeur, en regardant la mer: H י las! c’est ici que s’embarqua notre pauvre fr ט re avec notre ch ט re belle-soeur madame de Kerkabon, sa femme, sur la fr י gate l’Hirondelle , en 1669, pour aller servir en Canada. S’il n’avait pas י t י tu י , nous pourrions esp י rer de le revoir encore. Croyez-vous, disait mademoiselle de Kerkabon, que notre belle-soeur ait י t י mang י e par les Iroquois, comme on nous l’a dit? Il est certain que si elle n’avait pas י t י mang י e, elle serait revenue au pays. Je la pleurerai toute ma vie; c’ י tait une femme charmante; et notre fr ט re qui avait beaucoup d’esprit aurait fait assur י ment une grande fortune.” Comme ils s’attendrissaient l’un et l’autre א ce souvenir, ils virent entrer dans la baie de Rance un petit b ג timent qui arrivait avec la mar י e: c’ י taient des Anglais qui venaient vendre quelques denr י es de leur pays. Ils saut ט rent א terre, sans regarder monsieur le prieur ni mademoiselle sa soeur, qui fut tr ט s choqu י e du peu d’attention qu’on avait pour elle. Il n’en fut pas de m ך me d’un jeune homme tr ט s bien fait qui s’ י lan ח a d’un saut par-dessus la t ך te de ses compagnons, et se trouva vis- א -vis mademoiselle. Il lui fit un signe de t ך te, n’ י tant pas dans l’usage de faire la r י v י rence. Sa figure et son ajustement attir ט rent les regards du fr ט re et de la soeur. Il י tait nu-t ך te et nu-jambes, les pieds chauss י s de petites sandales, le chef orn י de longs cheveux en tresses, un petit pourpoint qui serrait une taille fine et d י gag י e; l’air martial et doux. Il tenait dans sa main une petite bouteille d’eau des Barbades, et dans l’autre une esp ט ce de bourse dans laquelle י tait un gobelet et de tr ט s bon biscuit de mer. Il parlait fran ח ais fort intelligiblement. Il pr י senta de son eau des Barbades א mademoiselle de Kerkabon et א monsieur son fr ט re; il en but avec eux: il leur en fit reboire encore, et tout cela d’un air si simple et si naturel, que le fr ט re et la soeur en furent charm י s. Ils lui offrirent leurs services, en lui demandant qui il י tait et o ש il allait. Le jeune homme leur r י pondit qu’il n’en savait rien, qu’il י tait curieux, qu’il avait voulu voir comment les c פ tes de France י taient faites, qu’il י tait venu, et allait s’en retourner. Monsieur le prieur jugeant א son accent qu’il n’ י tait pas Anglais, prit la libert י de lui demander de quel pays il י tait. Je suis Huron, lui r י pondit le jeune homme. Mademoiselle de Kerkabon, י tonn י e et enchant י e de voir un Huron qui lui avait fait des politesses, pria le jeune homme א souper; il ne se fit pas prier deux fois, et tous trois all ט rent de compagnie au prieur י de Notre-Dame de la Montagne. La courte et ronde demoiselle le regardait de tous ses petits yeux, et disait de temps en temps au prieur: Ce grand gar ח on-l א a un teint de lis et de rose! qu’il a une belle peau pour un Huron! Vous avez raison, ma soeur, disait le prieur. Elle fesait cent questions coup sur coup, et le voyageur r י pondait toujours fort juste. Le bruit se r י pandit bient פ t qu’il y avait un Huron au prieur י . La bonne compagnie du canton s’empressa d’y venir souper. L’abb י de Saint-Yves y vint avec mademoiselle sa soeur, jeune basse- brette, fort jolie et tr ט s bien י lev י e. Le bailli, le receveur des tailles, et leurs femmes furent du souper. On pla ח a l’ י tranger entre mademoiselle de Kerkabon et mademoiselle de Saint-Yves. Tout le monde le regardait avec admiration; tout le monde lui parlait et l’interrogeait א -la-fois; le Huron ne s’en י mouvait pas. Il semblait qu’il e � t pris pour sa devise celle de milord Bolingbroke, Nihil admirari Mais א la fin, exc י d י de tant de bruit, il leur dit avec assez de douceur, mais avec un peu de fermet י : Messieurs, dans mon pays on parle l’un apr ט s l’autre; comment voulez-vous que je vous r י ponde quand vous m’emp ך chez de vous entendre? La raison fait toujours rentrer les hommes en eux-m ך mes pour quelques moments: il se fit un grand silence. Monsieur le bailli, qui s’emparait toujours des י trangers dans quelque maison qu’il se trouv ג t, et qui י tait le plus grand questionneur de la province, lui dit en ouvrant la bouche d’un demi-pied: Monsieur, comment vous nommez-vous? On m’a toujours appel י l’Ing י nu, reprit le Huron, et on m’a confirm י ce nom en Angleterre, parceque je dis toujours na ן vement ce que je pense, comme je fais tout ce que je veux. Comment, י tant n י Huron, avez-vous pu, monsieur, venir en Angleterre? C’est qu’on m’y a men י ; j’ai י t י fait, dans un combat, prisonnier par les Anglais, apr ט s m’ ך tre assez bien d י fendu; et les Anglais, qui aiment la bravoure, parcequ’ils sont braves et qu’ils sont aussi honn ך tes que nous, m’ayant propos י de me rendre א mes parents ou de venir en Angleterre, j’acceptai le dernier parti, parceque de mon naturel j’aime passionn י ment א voir du pays. Mais, monsieur, dit le bailli avec son ton imposant, comment avez-vous pu abandonner ainsi p ט re et m ט re? C’est que je n’ai jamais connu ni p ט re ni m ט re, dit l’ י tranger. La compagnie s’attendrit, et tout le monde r י p י tait, _Ni p ט re, ni m ט re!_ Nous lui en servirons, dit la ma מ tresse de la maison א son fr ט re le prieur: que ce monsieur le Huron est int י ressant! L’Ing י nu la remercia avec une cordialit י noble et fi ט re, et lui fit comprendre qu’il n’avait besoin de rien. Je m’aper ח ois, monsieur l’Ing י nu, dit le grave bailli, que vous parlez mieux fran ח ais qu’il n’appartient א un Huron. Un Fran ח ais, dit-il, que nous avions pris dans ma grande jeunesse en Huronie, et pour qui je con ח us beaucoup d’amiti י , m’enseigna sa langue; j’apprends tr ט s vite ce que je veux apprendre. J’ai trouv י en arrivant א Plymouth un de vos Fran ח ais r י fugi י s que vous appelez huguenots , je ne sais pourquoi; il m’a fait faire quelques progr ט s dans la connaissance de votre langue; et d ט s que j’ai pu m’exprimer intelligiblement, je suis venu voir votre pays, parceque j’aime assez les Fran ח ais quand ils ne font pas trop de questions. L’abb י de Saint-Yves, malgr י ce petit avertissement, lui demanda laquelle des trois langues lui plaisait davantage, la hurone, l’anglaise, ou la fran ח aise. La hurone, sans contredit, r י pondit l’Ing י nu. Est-il possible? s’ י cria mademoiselle de Kerkabon; j’avais toujours cru que le fran ח ais י tait la plus belle de toutes les langues apr ט s le bas-breton. Alors ce fut א qui demanderait א l’Ing י nu comment on disait en huron du tabac, et il r י pondait taya : comment on disait manger, et il r י pondait essenten . Mademoiselle de Kerkabon voulut absolument savoir comment on disait faire l’amour; il lui r י pondit trovander [a]; et soutint, non sans apparence de raison, que ces mots-l א valaient bien les mots fran ח ais et anglais qui leur correspondaient. Trovander parut tr ט s joli א tous les convives. [a] Tous ces noms sont en effet hurons. Monsieur le prieur, qui avait dans sa biblioth ט que la grammaire hurone dont le r י v י rend P. Sagar Th י odat, r י collet, fameux missionnaire, lui avait fait pr י sent, sortit de table un moment pour l’aller consulter. Il revint tout haletant de tendresse et de joie; il reconnut l’Ing י nu pour un vrai Huron. On disputa un peu sur la multiplicit י des langues, et on convint que, sans l’aventure de la tour de Babel, toute la terre aurait parl י fran ח ais. L’interrogant bailli, qui jusque-l א s’ י tait d י fi י un peu du personnage, con ח ut pour lui un profond respect; il lui parla avec plus de civilit י qu’auparavant, de quoi l’Ing י nu ne s’aper ח ut pas. Mademoiselle de Saint-Yves י tait fort curieuse de savoir comment on fesait l’amour au pays des Hurons. En fesant de belles actions, r י pondit-il, pour plaire aux personnes qui vous ressemblent. Tous les convives applaudirent avec י tonnement. Mademoiselle de Saint-Yves rougit et fut fort aise. Mademoiselle de Kerkabon rougit aussi, mais elle n’ י tait pas si aise; elle fut un peu piqu י e que la galanterie ne s’adress ג t pas א elle; mais elle י tait si bonne personne, que son affection pour le Huron n’en fut point du tout alt י r י e. Elle lui demanda, avec beaucoup de bont י , combien il avait eu de ma מ tresses en Huronie. Je n’en ai jamais eu qu’une, dit l’Ing י nu; c’ י tait mademoiselle Abacaba, la bonne amie de ma ch ט re nourrice; les joncs ne sont pas plus droits, l’hermine n’est pas plus blanche, les moutons sont moins doux, les aigles moins fiers, et les cerfs ne sont pas si l י gers que l’ י tait Abacaba. Elle poursuivait un jour un li ט vre dans notre voisinage, environ א cinquante lieues de notre habitation; un Algonquin mal י lev י , qui habitait cent lieues plus loin, vint lui prendre son li ט vre; je le sus, j’y courus, je terrassai l’Algonquin d’un coup de massue, je l’amenai, aux pieds de ma ma מ tresse, pieds et poings li י s. Les parents d’Abacaba voulurent le manger, mais je n’eus jamais de go � t pour ces sortes de festins; je lui rendis sa libert י , j’en fis un ami. Abacaba fut si touch י e de mon proc י d י qu’elle me pr י f י ra א tous ses amants. Elle m’aimerait encore si elle n’avait pas י t י mang י e par un ours: j’ai puni l’ours, j’ai port י longtemps sa peau; mais cela ne m’a pas consol י Mademoiselle de Saint-Yves, א ce r י cit, sentait un plaisir secret d’apprendre que l’Ing י nu n’avait eu qu’une ma מ tresse, et qu’Abacaba n’ י tait plus; mais elle ne d י m ך lait pas la cause de son plaisir. Tout le monde fixait les yeux sur l’Ing י nu; on le louait beaucoup d’avoir emp ך ch י ses camarades de manger un Algonquin. L’impitoyable bailli, qui ne pouvait r י primer sa fureur de questionner, poussa enfin la curiosit י jusqu’ א s’informer de quelle religion י tait M. le Huron; s’il avait choisi la religion anglicane, ou la gallicane, ou la huguenote? Je suis de ma religion, dit-il, comme vous de la v פ tre. H י las! s’ י cria la Kerkabon, je vois bien que ces malheureux Anglais n’ont pas seulement song א י le baptiser. Eh! mon Dieu, disait mademoiselle de Saint-Yves, comment se peut-il que les Hurons ne soient pas catholiques? Est-ce que les r י v י rends p ט res j י suites ne les ont pas tous convertis? L’Ing י nu l’assura que dans son pays on ne convertissait personne; que jamais un vrai Huron n’avait chang י d’opinion, et que m ך me il n’y avait point dans sa langue de terme qui signifi ג t inconstance . Ces derniers mots plurent extr ך mement א mademoiselle de Saint-Yves. Nous le baptiserons, nous le baptiserons, disait la Kerkabon א M. le prieur; vous en aurez l’honneur, mon cher fr ט re; je veux absolument ך tre sa marraine: M. l’abb י de Saint-Yves le pr י sentera sur les fonts: ce sera une c י r י monie bien brillante; il en sera parl י dans toute la Basse-Bretagne, et cela nous fera un honneur infini. Toute la compagnie seconda la ma מ tresse de la maison; tous les convives criaient: Nous le baptiserons! L’Ing י nu r י pondit qu’en Angleterre on laissait vivre les gens א leur fantaisie. Il t י moigna que la proposition ne lui plaisait point du tout, et que la loi des Hurons valait pour le moins la loi des Bas-Bretons; enfin il dit qu’il repartait le lendemain. On acheva de vider sa bouteille d’eau des Barbades, et chacun s’alla coucher. Quand on eut reconduit l’Ing י nu dans sa chambre, mademoiselle de Kerkabon et son amie mademoiselle de Saint-Yves ne purent se tenir de regarder par le trou d’une large serrure pour voir comment dormait un Huron. Elles virent qu’il avait י tendu la couverture du lit sur le plancher, et qu’il reposait dans la plus belle attitude du monde. CHAPITRE II Le Huron, nomm י l’Ing י nu, reconnu de ses parents. L’Ing י nu, selon sa coutume, s’ י veilla avec le soleil, au chant du coq, qu’on appelle en Angleterre et en Huronie la trompette du jour . Il n’ י tait pas comme la bonne compagnie, qui languit dans un lit oiseux jusqu’ א ce que le soleil ait fait la moiti י de son tour, qui ne peut ni dormir ni se lever, qui perd tant d’heures pr י cieuses dans cet י tat mitoyen entre la vie et la mort, et qui se plaint encore que la vie est trop courte. Il avait d י j א fait deux ou trois lieues, il avait tu י trente pi ט ces de gibier א balle seule, lorsqu’en rentrant il trouva monsieur le prieur de Notre-Dame de la Montagne et sa discr ט te soeur, se promenant en bonnet de nuit dans leur petit jardin. Il leur pr י senta toute sa chasse, et en tirant de sa chemise une esp ט ce de petit talisman qu’il portait toujours א son cou, il les pria de l’accepter en reconnaissance de leur bonne r י ception. C’est ce que j’ai de plus pr י cieux, leur dit-il; on m’a assur י que je serais toujours heureux tant que je porterais ce petit brimborion sur moi, et je vous le donne afin que vous soyez toujours heureux. Le prieur et mademoiselle sourirent avec attendrissement de la na ן vet י de l’Ing י nu. Ce pr י sent consistait en deux petits portraits assez mal faits, attach י s ensemble avec une courroie fort grasse. Mademoiselle de Kerkabon lui demanda s’il y avait des peintres en Huronie. Non, dit l’Ing י nu; cette raret י me vient de ma nourrice; son mari l’avait eue par conqu ך te, en d י pouillant quelques Fran ח ais du Canada qui nous avaient fait la guerre; c’est tout ce que j’en ai su. Le prieur regardait attentivement ces portraits; il changea de couleur, il s’ י mut, ses mains trembl ט rent. Par Notre-Dame de la Montagne, s’ י cria-t-il, je crois que voil א le visage de mon fr ט re le capitaine et de sa femme! Mademoiselle, apr ט s les avoir consid י r י s avec la m ך me י motion, en jugea de m ך me. Tous deux י taient saisis d’ י tonnement et d’une joie m ך l י e de douleur; tous deux s’attendrissaient; tous deux pleuraient; leur coeur palpitait; ils poussaient des cris; ils s’arrachaient les portraits; chacun d’eux les prenait et les rendait vingt fois en une seconde; ils d י voraient des yeux les portraits et le Huron; ils lui demandaient l’un apr ט s l’autre, et tous deux א -la-fois, en quel lieu, en quel temps, comment ces miniatures י taient tomb י es entre les mains de sa nourrice; ils rapprochaient, ils comptaient les temps depuis le d י part du capitaine; ils se souvenaient d’avoir eu nouvelle qu’il avait י t י jusqu’au pays des Hurons, et que depuis ce temps ils n’en avaient jamais entendu parler. L’Ing י nu leur avait dit qu’il n’avait connu ni p ט re ni m ט re. Le prieur, qui י tait homme de sens, remarqua que l’Ing י nu avait un peu de barbe; il savait tr ט s bien que les Hurons n’en ont point. Son menton est cotonn י , il est donc fils d’un homme d’Europe; mon fr ט re et ma belle-soeur ne parurent plus apr ט s l’exp י dition contre les Hurons, en 1669: mon neveu devait alors ך tre א la mamelle: la nourrice hurone lui a sauv י la vie et lui a servi de m ט re. Enfin, apr ט s cent questions et cent r י ponses, le prieur et sa soeur conclurent que le Huron י tait leur propre neveu. Ils l’embrassaient en versant des larmes; et l’Ing י nu riait, ne pouvant s’imaginer qu’un Huron f � t neveu d’un prieur bas-breton. Toute la compagnie descendit; M. de Saint-Yves, qui י tait grand physionomiste, compara les deux portraits avec le visage de l’Ing י nu; il fit tr ט s habilement remarquer qu’il avait les yeux de sa m ט re, le front et le nez de feu monsieur le capitaine de Kerkabon, et des joues qui tenaient de l’un et de l’autre. Mademoiselle de Saint-Yves, qui n’avait jamais vu le p ט re ni la m ט re, assura que l’Ing י nu leur ressemblait parfaitement. Ils admiraient tous la Providence et l’encha מ nement des י v י nements de ce monde. Enfin on י tait si persuad י , si convaincu de la naissance de l’Ing י nu, qu’il consentit lui-m ך me א ך tre neveu de monsieur le prieur, en disant qu’il aimait autant l’avoir pour oncle qu’un autre. On alla rendre gr ג ce א Dieu dans l’ י glise de Notre-Dame de la Montagne, tandis que le Huron d’un air indiff י rent s’amusait א boire dans la maison. Les Anglais qui l’avaient amen י , et qui י taient pr ך ts א mettre א la voile, vinrent lui dire qu’il י tait temps de partir. Apparemment, leur dit-il, que vous n’avez pas retrouv י vos oncles et vos tantes; je reste ici; retournez א Plymouth, je vous donne toutes mes hardes, je n’ai plus besoin de rien au monde, puisque je suis le neveu d’un prieur. Les Anglais mirent א la voile, en se souciant fort peu que l’Ing י nu e � t des parents ou non en Basse-Bretagne. Apr ט s que l’oncle, la tante, et la compagnie, eurent chant י le Te Deum ; apr ט s que le bailli eut encore accabl י l’Ing י nu de questions; apr ט s qu’on eut י puis י tout ce que l’ י tonnement, la joie, la tendresse, peuvent faire dire, le prieur de la Montagne et l’abb י de Saint-Yves conclurent א faire baptiser l’Ing י nu au plus vite. Mais il n’en י tait pas d’un grand Huron de vingt-deux ans, comme d’un enfant qu’on r י g י n ט re sans qu’il en sache rien. Il fallait l’instruire, et cela paraissait difficile; car l’abb י de Saint- Yves supposait qu’un homme qui n’ י tait pas n י en France n’avait pas le sens commun. Le prieur fit observer א la compagnie que, si en effet M. l’Ing י nu, son neveu, n’avait pas eu le bonheur de na מ tre en Basse-Bretagne, il n’en avait pas moins d’esprit; qu’on en pouvait juger par toutes ses r י ponses, et que s � rement la nature l’avait beaucoup favoris י , tant du c פ t י paternel que du maternel. On lui demanda d’abord s’il avait jamais lu quelque livre. Il dit qu’il avait lu Rabelais traduit en anglais, et quelques morceaux de Shakespeare qu’il savait par coeur; qu’il avait trouv י ces livres chez le capitaine du vaisseau qui l’avait amen י de l’Am י rique א Plymouth, et qu’il en י tait fort content. Le bailli ne manqua pas de l’interroger sur ces livres. Je vous avoue, dit l’Ing י nu, que j’ai cru en deviner quelque chose, et que je n’ai pas entendu le reste. L’abb י de Saint-Yves, א ce discours, fit r י flexion que c’ י tait ainsi que lui-m ך me avait toujours lu, et que la plupart des hommes ne lisaient gu ט re autrement. Vous avez sans doute lu la Bible ? dit-il au Huron. Point du tout, monsieur l’abb י ; elle n’ י tait pas parmi les livres de mon capitaine; je n’en ai jamais entendu parler. Voil א comme sont ces maudits Anglais, criait mademoiselle de Kerkabon, ils feront plus de cas d’une pi ט ce de Shakespeare, d’un plum-pudding et d’une bouteille de rum que du Pentateuque. Aussi n’ont-ils jamais converti personne en Am י rique. Certainement ils sont maudits de Dieu; et nous leur prendrons la Jama ן que et la Virginie avant qu’il soit peu de temps. Quoi qu’il en soit, on fit venir le plus habile tailleur de Saint-Malo pour habiller l’Ing י nu de pied en cap. La compagnie se s י para; le bailli alla faire ses questions ailleurs. Mademoiselle de Saint-Yves, en partant, se retourna plusieurs fois pour regarder l’Ing י nu; et il lui fit des r י v י rences plus profondes qu’il n’en avait jamais fait[1] א personne en sa vie. [1] Plusieurs י ditions de 1767 portent: faites . B. Le bailli, avant de prendre cong י , pr י senta א mademoiselle de Saint-Yves un grand nigaud de fils qui sortait du coll ט ge; mais א peine le regarda-t-elle, tant elle י tait occup י e de la politesse du Huron. CHAPITRE III. Le Huron, nomm י l’Ing י nu, converti. Monsieur le prieur voyant qu’il י tait un peu sur l’ ג ge, et que Dieu lui envoyait un neveu pour sa consolation, se mit en t ך te qu’il pourrait lui r י signer son b י n י fice, s’il r י ussissait א le baptiser, et א le faire entrer dans les ordres. L’Ing י nu avait une m י moire excellente. La fermet י des organes de Basse-Bretagne, fortifi י e par le climat du Canada, avait rendu sa t ך te si vigoureuse, que quand on frappait dessus, א peine le sentait-il; et quand on gravait dedans, rien ne s’effa ח ait; il n’avait jamais rien oubli י . Sa conception י tait d’autant plus vive, et plus nette, que son enfance n’ayant point י t י charg י e des inutilit י s et des sottises qui accablent la n פ tre, les choses entraient dans sa cervelle sans nuage. Le prieur r י solut enfin de lui faire lire le nouveau Testament . L’Ing י nu le d י vora avec beaucoup de plaisir; mais ne sachant ni dans quel temps ni dans quel pays toutes les aventures rapport י es dans ce livre י taient arriv י es, il ne douta point que le lieu de la sc ט ne ne f � t en Basse-Bretagne; et il jura qu’il couperait le nez et les oreilles א Ca ן phe et א Pilate, si jamais il rencontrait ces marauds-l א Son oncle, charm י de ces bonnes dispositions, le mit au fait en peu de temps; il loua son z ט le; mais il lui apprit que ce z ט le י tait inutile, attendu que ces gens-l י א taient morts il y avait environ seize cent quatre-vingt-dix ann י es. L’Ing י nu sut bient פ t presque tout le livre par coeur. Il proposait quelquefois des difficult י s qui mettaient le prieur fort en peine. Il י tait oblig י souvent de consulter l’abb י de Saint- Yves, qui, ne sachant que r י pondre, fit venir un j י suite bas-breton pour achever la conversion du Huron. Enfin la gr ג ce op י ra; l’Ing י nu promit de se faire chr י tien; il ne douta pas qu’il ne d � t commencer par ך tre circoncis; car, disait-il, je ne vois pas dans le livre qu’on m’a fait lire un seul personnage qui ne l’ait י t י ; il est donc י vident que je dois faire le sacrifice de mon pr י puce; le plus t פ t c’est le mieux. Il ne d י lib י ra point: il envoya chercher le chirurgien du village, et le pria de lui faire l’op י ration, comptant r י jouir infiniment mademoiselle de Kerkabon et toute la compagnie, quand une fois la chose serait faite. Le frater, qui n’avait point encore fait cette op י ration, en avertit la famille, qui jeta les hauts cris. La bonne Kerkabon trembla que son neveu, qui paraissait r י solu et exp י ditif, ne se f מ t lui-m ך me l’op י ration tr ט s maladroitement, et qu’il n’en r י sult ג t de tristes effets, auxquels les dames s’int י ressent toujours par bont י d’ ג me. Le prieur redressa les id י es du Huron; il lui remontra que la circoncision n’ י tait plus de mode; que le bapt ך me י tait beaucoup plus doux et plus salutaire; que la loi de gr ג ce n’ י tait pas comme la loi de rigueur. L’Ing י nu, qui avait beaucoup de bon sens et de droiture, disputa, mais reconnut son erreur; ce qui est assez rare en Europe aux gens qui disputent; enfin il promit de se faire baptiser quand on voudrait. Il fallait auparavant se confesser; et c’ י tait l א le plus difficile. L’Ing י nu avait toujours en poche le livre que son oncle lui avait donn י . Il n’y trouvait pas qu’un seul ap פ tre se f � t confess י , et cela le rendait tr ט s r י tif. Le prieur lui ferma la bouche en lui montrant, dans l’ י p מ tre de saint Jacques-le-Mineur, ces mots qui font tant de peine aux h י r י tiques: _Confessez vos p י ch י s les uns aux autres_. Le Huron se tut, et se confessa א un r י collet. Quand il eut fini, il tira le r י collet du confessionnal, et saisissant son homme d’un bras vigoureux, il se mit א sa place, et le fit mettre א genoux devant lui: Allons, mon ami, il est dit: Confessez-vous les uns aux autres ; je t’ai cont י mes p י ch י s, tu ne sortiras pas d’ici que tu ne m’aies cont י les tiens. En parlant ainsi, il appuyait son large genou contre la poitrine de son adverse partie. Le r י collet pousse des hurlements qui font retentir l’ י glise. On accourt au bruit, on voit le cat י chum ט ne qui gourmait le moine au nom de saint Jacques-le-Mineur. La joie de baptiser un Bas- Breton huron et anglais י tait si grande, qu’on passa par-dessus ces singularit י s. Il y eut m ך me beaucoup de th י ologiens qui pens ט rent que la confession n’ י tait pas n י cessaire, puisque le bapt ך me tenait lieu de tout. On prit jour avec l’ י v ך que de Saint-Malo, qui, flatt י comme on peut le croire de baptiser un Huron, arriva dans un pompeux י quipage, suivi de son clerg י . Mademoiselle de Saint-Yves, en b י nissant Dieu, mit sa plus belle robe, et fit venir une coiffeuse de Saint-Malo, pour briller א la c י r י monie. L’interrogant bailli accourut avec toute la contr י e. L’ י glise י tait magnifiquement par י e; mais quand il fallut prendre le Huron pour le mener aux fonts baptismaux, on ne le trouva point. L’oncle et la tante le cherch ט rent partout. On crut qu’il י tait א la chasse, selon sa coutume. Tous les convi י s א la f ך te parcoururent les bois et les villages voisins: point de nouvelles du Huron. On commen ח ait א craindre qu’il ne f � t retourn י en Angleterre. On se souvenait de lui avoir entendu dire qu’il aimait fort ce pays-l א . Monsieur le prieur et sa soeur י taient persuad י s qu’on n’y baptisait personne, et tremblaient pour l’ ג me de leur neveu. L’ י v ך que י tait confondu et pr ך t א s’en retourner; le prieur et l’abb י de Saint-Yves se d י sesp י raient; le bailli interrogeait tous les passants avec sa gravit י ordinaire; mademoiselle de Kerkabon pleurait; mademoiselle de Saint-Yves ne pleurait pas, mais elle poussait de profonds soupirs qui semblaient t י moigner son go � t pour les sacrements. Elles se promenaient tristement le long des saules et des roseaux qui bordent la petite rivi ט re de Rance, lorsqu’elles aper ח urent au milieu de la rivi ט re une grande figure assez blanche, les deux mains crois י es sur la poitrine. Elles jet ט rent un grand cri et se d י tourn ט rent. Mais la curiosit י l’emportant bient פ t sur toute autre consid י ration, elles se coul ט rent doucement entre les roseaux; et quand elles furent bien s � res de n’ ך tre point vues, elles voulurent voir de quoi il s’agissait. CHAPITRE IV. L’Ing י nu baptis י Le prieur et l’abb י י tant accourus demand ט rent א l’Ing י nu ce qu’il fesait l א . Eh parbleu! messieurs, j’attends le bapt ך me: il y a une heure que je suis dans l’eau jusqu’au cou, et il n’est pas honn ך te de me laisser morfondre. Mon cher neveu, lui dit tendrement le prieur, ce n’est pas ainsi qu’on baptise en Basse-Bretagne; reprenez vos habits et venez avec nous. Mademoiselle de Saint-Yves, en entendant ce discours, disait tout bas א sa compagne: Mademoiselle, croyez-vous qu’il reprenne sit פ t ses habits? Le Huron cependant repartit au prieur: Vous ne m’en ferez pas accroire cette fois-ci comme l’autre; j’ai bien י tudi י depuis ce temps-l א , et je suis tr ט s certain qu’on ne se baptise pas autrement. L’eunuque de la reine Candace[1] fut baptis י dans un ruisseau; je vous d י fie de me montrer dans le livre que vous m’avez donn י qu’on s’y soit jamais pris d’une autre fa ח on. Je ne serai point baptis י du tout, ou je le serai dans la rivi ט re. On eut beau lui remontrer que les usages avaient chang י , l’Ing י nu י tait t ך tu, car il י tait breton et huron. Il revenait toujours א l’eunuque de la reine Candace; et quoique mademoiselle sa tante et mademoiselle de Saint-Yves, qui l’avaient observ י entre les saules, fussent en droit de lui dire qu’il ne lui appartenait pas de citer un pareil homme, elles n’en firent pourtant rien, tant י tait grande leur discr י tion. L’ י v ך que vint lui-m ך me lui parler, ce qui est beaucoup; mais il ne gagna rien: le Huron disputa contre l’ י v ך que. [1] Dans les premi ט res י ditions on avait mis: la reine de Candace . En corrigeant cette faute, Voltaire mit dans l’ errata un N. B. en ces termes: «Comment le P. Quesnel aurait-il ignor י que Candace י tait le nom des belles reines d’Ethiopie, comme Pharaon on Pharou י tait le ltitre des rois d’ ֹ gypte?» B. Montrez-moi, lui dit-il, dans le livre que m’a donn י mon oncle, un seul homme qui n’ait pas י t י baptis י dans la rivi ט re, et je ferai tout ce que vous voudrez. La tante, d י sesp י r י e, avait remarqu י que la premi ט re fois que son neveu avait fait la r י v י rence, il en avait fait une plus profonde א mademoiselle de Saint-Yves qu’ א aucune autre personne de la compagnie, qu’il n’avait pas m ך me salu י monsieur l’ י v ך que avec ce respect m ך l י de cordialit י qu’il avait t י moign א י cette belle demoiselle. Elle prit le parti de s’adresser א elle dans ce grand embarras; elle la pria d’interposer son cr י dit pour engager le Huron א se faire baptiser de la m ך me mani ט re que les Bretons, ne croyant pas que son neveu p � t jamais ך tre chr י tien s’il persistait א vouloir ך tre baptis י dans l’eau courante. Mademoiselle de Saint-Yves rougit du plaisir secret qu’elle sentait d’ ך tre charg י e d’une si importante commission. Elle s’approcha modestement de l’Ing י nu, et lui serrant la main d’une mani ט re tout- א - fait noble: Est-ce que vous ne ferez rien pour moi? lui dit-elle; et en pronon ח ant ces mots elle baissait les yeux, et les relevait avec une gr ג ce attendrissante. Ah! tout ce que vous voudrez, mademoiselle, tout ce que vous me commanderez; bapt ך me d’eau, bapt ך me de feu[2], bapt ך me de sang, il n’y a rien que je vous refuse. Mademoiselle de Saint-Yves eut la gloire de faire en deux paroles ce que ni les empressements du prieur, ni les interrogations r י it י r י es du bailli, ni les raisonnements m ך me de monsieur l’ י v ך que, n’avaient pu faire. Elle sentit son triomphe; mais elle n’en sentait pas encore toute l’ י tendue. [2] Voyez tome XXVII, page 289. B. Le bapt ך me fut administr י et re ח u avec toute la d י cence, toute la magnificence, tout l’agr י ment possibles. L’oncle et la tante c י d ט rent א monsieur l’abb י de Saint-Yves et א sa soeur l’honneur de tenir l’Ing י nu sur les fonts. Mademoiselle de Saint-Yves rayonnait de joie de se voir marraine. Elle ne savait pas א quoi ce grand titre l’asservissait; elle accepta cet honneur sans en conna מ tre les fatales cons י quences. Comme il n’y a jamais eu de c י r י monie qui ne f � t suivie d’un grand d מ ner, on se mit א table au sortir du bapt ך me. Les goguenards de Basse-Bretagne dirent qu’il ne fallait pas baptiser son vin. Monsieur le prieur disait que le vin, selon Salomon, r י jouit le coeur de l’homme. Monsieur l’ י v ך que ajoutait que le patriarche Juda devait lier son ג non א la vigne, et tremper son manteau dans le sang du raisin, et qu’il י tait bien triste qu’on n’en p � t faire autant en Basse-Bretagne, א laquelle Dieu avait d י ni י les vignes. Chacun t ג chait de dire un bon mot sur le bapt ך me de l’Ing י nu, et des galanteries א la marraine. Le bailli, toujours interrogant, demandait au Huron s’il serait fid ט le א ses promesses. Comment voulez-vous que je manque א mes promesses, r י pondit le Huron, puisque je les ai faites entre les mains de mademoiselle de Saint-Yves? Le Huron s’ י chauffa; il but beaucoup א la sant י de sa marraine. Si j’avais י t י baptis י de votre main, dit- il, je sens que l’eau froide qu’on m’a vers י e sur le chignon m’aurait br � l י . Le bailli trouva cela trop po י tique, ne sachant pas combien l’all י gorie est famili ט re au Canada. Mais la marraine en fut extr ך mement contente. On avait donn י le nom d’Hercule au baptis י . L’ י v ך que de Saint-Malo demandait toujours quel י tait ce patron dont il n’avait jamais entendu parler. Le j י suite, qui י tait fort savant, lui dit que c’ י tait un saint qui avait fait douze miracles. Il y en avait un treizi ט me qui valait les douze autres, mais dont il ne convenait pas א un j י suite de parler; c’ י tait celui d’avoir chang י cinquante filles en femmes en une seule nuit. Un plaisant qui se trouva l א releva ce miracle avec י nergie. Toutes les dames baiss ט rent les yeux, et jug ט rent א la physionomie de l’Ing י nu qu’il י tait digne du saint dont il portait le nom. CHAPITRE V. L’Ing י nu amoureux. Il faut avouer que depuis ce bapt ך me et ce d מ ner mademoiselle de Saint-Yves souhaita passionn י ment que monsieur l’ י v ך que la f מ t encore participante de quelque beau sacrement avec M. Hercule l’Ing י nu. Cependant, comme elle י tait bien י lev י e et fort modeste, elle n’osait convenir tout- א -fait avec elle- m ך me de ses tendres sentiments; mais, s’il lui י chappait un regard, un mot, un geste, une pens י e, elle enveloppait tout cela d’un voile de pudeur infiniment aimable. Elle י tait tendre, vive, et sage. D ט s que monsieur l’ י v ך que fut parti, l’Ing י nu et mademoiselle de Saint-Yves se rencontr ט rent sans avoir fait r י flexion qu’ils se cherchaient. Ils se parl ט rent sans avoir imagin י ce qu’ils se diraient. L’Ing י nu lui dit d’abord qu’il l’aimait de tout son coeur, et que la belle Abacaba, dont il avait י t י fou dans son pays, n’approchait pas d’elle. Mademoiselle lui r י pondit, avec sa modestie ordinaire, qu’il fallait en parler au plus vite א monsieur le prieur son oncle et א mademoiselle sa tante, et que de son c פ t י elle en dirait deux mots א son cher fr ט re l’abb י de Saint-Yves, et qu’elle se flattait d’un consentement commun. L’Ing י nu lui r י pond qu’il n’avait besoin du consentement de personne, qu’il lui paraissait extr ך mement ridicule d’aller demander א d’autres ce qu’on devait faire; que, quand deux parties sont d’accord, on n’a pas besoin d’un tiers pour les accommoder. Je ne consulte personne, dit-il, quand j’ai envie de d י jeuner, ou de chasser, ou de dormir: je sais bien qu’en amour il n’est pas mal d’avoir le consentement de la personne א qui on en veut: mais, comme ce n’est ni de mon oncle ni de ma tante que je suis amoureux, ce n’est pas א eux que je dois m’adresser dans cette affaire, et, si vous m’en croyez, vous vous passerez aussi de monsieur l’abb י de Saint-Yves. On peut juger que la belle Bretonne employa toute la d י licatesse de son esprit א r י duire son Huron aux termes de la biens י ance. Elle se f ג cha m ך me, et bient פ t se radoucit. Enfin on ne sait comment aurait fini cette conversation, si, le jour baissant, monsieur l’abb י n’avait ramen י sa soeur א son abbaye. L’Ing י nu laissa coucher son oncle et sa tante, qui י taient un peu fatigu י s de la c י r י monie et de leur long d מ ner. Il passa une partie de la nuit א faire des vers en langue hurone pour sa bien-aim י e; car il faut savoir qu’il n’y a aucun pays de la terre o ש l’amour n’ait rendu les amants po ט tes. Le lendemain son oncle lui parla ainsi apr ט s le d י jeuner, en pr י sence de mademoiselle de Kerkabon, qui י tait tout attendrie: Le ciel soit lou י de ce que vous avez l’honneur, mon cher neveu, d’ ך tre chr י tien et Bas-Breton! mais cela ne suffit pas; je suis un peu sur l’ ג ge; mon fr ט re n’a laiss י qu’un petit coin de terre qui est tr ט s peu de chose; j’ai un bon prieur י ; si vous voulez seulement vous faire sous-diacre, comme je l’esp ט re, je vous r י signerai mon prieur י , et vous vivrez fort א votre aise, apr ט s avoir י t י la consolation de ma vieillesse. L’Ing י nu r י pondit: Mon oncle, grand bien vous fasse! vive