La métaphysique biblique Author(s): CLAUDE TRESMONTANT Source: Esprit, MARS 1957, Nouvelle série, No. 248 (3) (MARS 1957), pp. 430-464 Published by: Editions Esprit Stable URL: https://www.jstor.org/stable/24254353 JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and .facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at https://about.jstor.org/terms is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Esprit This content downloaded from 47.200.122.189 on Sat, 26 Jul 2025 17:45:16 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms La métaphysique biblique PAR CLAUDE TRESMONTANT Cette expression est insolite. Existe-t-il une métaphy sique biblique ? Le terme de « métaphysique » est-il bien celui qui convient ? C'est l'objet de cet article que de montrer que la pensée biblique est pourvue d'une struc ture qui ne peut être appelée que métaphysique, parce qu'aucun autre terme ne convient ; qu'il existe une structure métaphysique de la théologie biblique, et cela non pas d'une manière adventice ou accidentelle, mais, l'analyse le montrera, par nécessité organique. La théologie biblique ne serait pas possible, le message de la Révélation biblique n'existerait pas, s'ils n'étaient structurés métaphysiquement. L'existence même de cette théologie, de cette révélation, implique une certaine structure métaphysique, qui est prérequise. Mais l'objection se porte alors sur l'aspect formel de la question : nous avons pris l'habitude, en Occident, d'appeler « métaphysique » un cer tain type de réflexion dont le modèle nous a été donné histo riquement par les livres d'Aristote consacrés à la « philosophie première » et que l'éditeur a placés « à côté » ou « après » les livres consacrés à la « physique » (ces livres contiennent d'ail leurs eux-mêmes des analyses concernant la philosophie pre mière). Certains hésitent à parler de métaphysique, à propos de la pensée de Platon, par exemple, à cause de ce modèle typique donné par Aristote : seule, disent-ils, une réflexion située dans l'ordre et la problématique de la « philosophie première » d'Aristote, mérite d'être appelée proprement métaphysique. C'est là cependant une position extrême. En fait, on convient généralement d'étendre le terme de métaphy sique à des types de recherche et de réflexion qui ne sont pas précisément aristotéliciens. Ainsi l'on parle de la métaphysique de Platon, de Plotin, de Leibnitz, de Hegel et de Bergson. On parle aussi, depuis un siècle, de la métaphysique ou des méta physiques indiennes. C'est cette extension, analogique, du 430 This content downloaded from 47.200.122.189 on Sat, 26 Jul 2025 17:45:16 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms LA METAPHYSIQUE BIBLIQUE terme de métaphysique que nous revendiquerons aussi pour la pensée biblique. Mais les métaphysiques de Platon, d'Aristote, de Plotin, de Leibnitz, etc... ont au moins ceci de commun qu'elles sont pré sentées, proposées, pour elles-mêmes, d'une manière explicite, conceptuelle, technique, scolastique, c'est-à-dire propre à être enseignée dans les écoles de philosophie. Elles constituent une réflexion. Il n'en va pas, semble-t-il, de même en ce qui concerne la « métaphysique biblique ». Celle-ci, dans les Livres saints, n'est pas exposée à part, pour elle-même, d'une manière expli cite, ni conceptuelle. Certaines thèses métaphysiques sont, il est vrai, posées explicitement, encore que tardivement, dans la Bible, comme par exemple l'idée de création (« en un commencement Dieu créa le ciel et la terre... » ; Code sacer dotal). Mais le plus souvent, cette « métaphysique » biblique, cette infra-structure métaphysique de la pensée et du message bibliques, doivent être dégagées par une analyse qui porte cette métaphysique, de son mode naturel d'existence, au niveau de l'explicitation, de la formulation conceptuelle, celui du « traité » auquel nous sommes habitués par l'histoire de la philosophie occidentale. La métaphysique biblique, dans son état naturel, est contenue dans un « milieu », dans un con texte, qui ne sont pas celui du traité de métaphysique : elle est contenue, d'une manière le plus souvent implicite, dans l'ensemble de la tradition des écrits historiques prophétiques, et sapientiels de la Bible. Pour présenter cette métaphysique selon les modalités qui nous sont habituelles, il faut l'extraire de sa gangue, dans laquelle elle est contenue, — si toutefois on peut appeler gangue la vie elle-même d'un peuple exprimée dans un langage éminemment concret, pauvre remarquable ment en termes abstraits. La métaphysique biblique n'est pas, pour employer le langage des chimistes, isolée, en son état naturel, à la manière de nos métaphysiques occidentales. Elle est contenue, d'une manière le plus souvent implicite mais cependant réelle, sous les espèces sensibles, dans le pain et le vin du réel, de l'histoire, dans la tradition d'un Peuple qui porte une Parole. Le logos est contenu dans une réalité char nelle. Nous ne trouvons pas dans la Bible de traité de méta physique consacré à l'être, au temps, à l'éternité, à l'un et au multiple, à la causalité et à la finalité, au devenir, au sensible, à l'existence corporelle, à la liberté, à la pensée et à l'action, — mais il existe cependant dans la Bible, l'analyse le découvre, une métaphysique cohérente et systématique, tout au long de son développement, et parfaitement consciente d'elle-même, 431 This content downloaded from 47.200.122.189 on Sat, 26 Jul 2025 17:45:16 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms CLAUDE TRESMONTANT de l'Etre incréé et de l'être créé, du temps et de l'éternité, de l'un et du multiple, de la causalité et de la finalité, du sensible et du devenir, de l'existence corporelle, de la liberté, de la pensée et de l'action, tout ce qui constitue une métaphysique au grand complet. Ne soyons pas dupes de nos habitudes intellectuelles. Ne confondons pas implicite et inconscient. La métaphysique biblique est le plus souvent implicite, impliquée dans un mes sage qui n'a pas précisément pour objet un enseignement techniquement métaphysique ; elle est cependant consciente d'elle-même, et réfléchie. La preuve, c'est qu'elle s'est déve loppée, pendant plusieurs siècles, dans une tradition historique, en demeurant homogène, et en rejetant les éléments étrangers incompatibles avec sa propre structure. Mais il est vrai qu'elle n'est pas présentée pour elle-même. Elle fait partie d'un ensemble, dont la fin propre est théolo gique : les auteurs de l'histoire biblique comme les prophètes visent à communiquer un enseignement théologique, concer nant le Dieu d'Israël, et les relations de son Peuple avec Dieu. Mais la question est précisément de savoir si cet enseignement théologique peut être proposé sans qu'il comporte et implique, par son existence même, une certaine structure métaphysique, autrement dit si cet enseignement théologique peut exister sans être métaphysiquement structuré. Hypothèse qui, nous allons le montrer, est absurde. La structure métaphysique de la pensée biblique est donc communiquée en même temps que l'enseignement théolo gique, à l'intérieur même de cet enseignement. La métaphy sique biblique est contenue dans l'enseignement même des historiographes, des prophètes et des sages d'Israël, mais elle a ceci de particulier qu'elle est communicable, sous les espèces sensibles d'un enseignement concret, historique ou prophé tique ou sapientiel, à des hommes qui ne sont pas des « lettrés > mais des bergers, des paysans, des artisans. C'est ce qui confère à la métaphysique biblique sa valeur d'universa lité. Elle est communicable à tout homme venant en ce monde, elle n'a partie liée avec aucune « culture » particulière. C'est au philosophe, et singulièrement au philosophe chrétien, que revient le soin de dégager la métaphysique biblique de son mode naturel d'existence pour la présenter sous la forme explicite et conceptuelle à laquelle nous sommes accoutumés, et à laquelle nous tenons légitimement, depuis les écoles philosophiques de la Grèce. L'intérêt en est purement tech nique. Mais cet intérêt technique est grand. Il n'est pas néces saire d'être mathématicien ou physicien ou astronome pour 432 This content downloaded from 47.200.122.189 on Sat, 26 Jul 2025 17:45:16 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms LA METAPHYSIQUE BIBLIQUE vivre dans un Univers qui a incontestablement une structure mathématique, physique, astronomique. C'est au mathémati cien que revient le soin de dégager, pour ceux que cela inté resse, cette structure physico-mathématique de l'Univers et de la matière. Mais le Réel a aussi une structure métaphysique. Il est loisible au philosophe d'analyser la structure métaphy sique de cette réalité concrète. C'est là le métier du métaphysi cien. Mais les univers de pensée ont aussi une structure méta physique, diverses selon les cultures et les civilisations. Il n'est pas nécessaire d'être métaphysicien pour vivre, penser et s'exprimer dans un univers de pensée dont la structure méta physique est bien déterminée. C'est à l'historien des métaphy siques que revient le soin de dégager ces structures métaphy siques, et de nous dire cet essentiel inaperçu en lequel nous vivons, nous nous mouvons et nous sommes. Ainsi les hébreux nomades installés en terre de Canaan n'avaient nul besoin d'être initiés à une école philosophique pour vivre, penser et agir dans un univers de pensée dont la structure était origi nale par rapport à celle de leurs voisins cananéens, égyptiens ou mésopotamiens. C'est l'enseignement des prophètes d'Israël qui a constitué pour ce peuple hébreu cette vision du monde et cet univers de pensée dont la structure ne peut être appelée que métaphysique, parce qu'il n'existe pas d'autre mot pour nommer une doctrine de l'Etre, du temps, du sensible etc... Notons en passant que l'objection faite à l'expression « métaphysique biblique » pourrait se retourner contre celle de « théologie biblique », puisqu'on ne trouve pas non plus dans la Bible de traité de Deo uno, ou de Gratia. Cependant une connaissance de Dieu se manifeste au travers de ces textes, et une doctrine de la Grâce y apparaît, mais les élé ments nécessaires pour constituer une « théologie biblique » doivent être recherchés dans une multitude de textes épars, dégagés d'un ensemble. Là aussi un travail d'explicitation est nécessaire. Que la métaphysique biblique ne soit pas, dans l'Ecriture, traitée à part, qu'elle soit intimement dépendante d'une théo logie dont elle constitue l'infra-structure, cela ne constitue pas une tare qui la disqualifie aux yeux du philosophe. Nous verrons en effet qu'il en va de même pour toute métaphy sique : toute métaphysique se relie organiquement à une cer taine conception de l'Absolu, et dépend de cette conception de l'Absolu. Cette relation organique entre la métaphysique et la théologie bibliques n'a d'ailleurs rien d'une servitude ni d'une oppression, lesquelles seraient incompatibles avec la 433 This content downloaded from 47.200.122.189 on Sat, 26 Jul 2025 17:45:16 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms CLAUDE TRESMONTANT dignité et avec l'autonomie de l'ordre proprement métaphy sique. Mais cette relation exprime simplement une exigence logique inéluctable d'homogénéité et de cohérence : n'importe quelle métaphysique n'est pas compatible avec n'importe quelle théologie, d'une part. Et, d'autre part, nous le verrons dans la seconde partie de notre article, n'importe quelle méta physique, et donc n'importe quelle théologie, ne sont pas compatibles avec n'importe quelle conception du Réel, avec n'importe quelle cosmologie, avec n'importe quelle anthropo logie. Si les ordres sont distincts entre métaphysique et théolo gie, ils ne sont cependant pas séparés : des implications mutuelles et des exigences réciproques constituent un ensemble d'inter-relations proprement vitales : sans elles, ni l'un ni l'autre ordre ne sauraient se concevoir. Ainsi une métaphysique qui enseigne la suffisance ontolo gique du monde, considéré comme incréé, éternel, impérissable, (Aristote) implique une certaine conception de l'Absolu : c'est le monde lui-même qui est l'Absolu, le divin. Natura sive Deus. Une telle métaphysique est évidemment incompatible avec une métaphysique de structure biblique, qui considère ce monde comnïe profane, non-divin, mais créé par un Dieu qui est autre que ce monde sensible. La théologie biblique va se manifester à nous comme impliquant ou excluant certaines thèses métaphysiques. Cet ensemble d'implications et d'ex clusions constitue la substructure métaphysique de la théologie biblique. Cette substructure ne saurait être quelconque. La philosophie chrétienne qui se trouve par rapport à la théorie biblique- dans la même relation que la méthaphysique biblique, a tout intérêt à analyser cette structure méthaphysique impliquée et prérequise par la théologie biblique. En effet, cette structure fondamentale de la métaphysique biblique, c'est la structure même de la philosophie chrétienne, qui est, par nature et par essence, identique à la métaphysique biblique. La philosophie chré tienne, c'est la métaphysique biblique, qui s'est développée dans un contexe culturel, dans un milieu philosophique, autres que ceux auxquels eut affaire Israël. Le langage, la formulation technique, pourront être différentes, la structure essentielle demeure la même, parce qu'elle exprime ce que Blondel a appelé les exigences philosophiques du Christia nisme. 434 This content downloaded from 47.200.122.189 on Sat, 26 Jul 2025 17:45:16 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms LA METAPHYSIQUE BIBLIQUE LA STRUCTURE DE LA METAPHYSIQUE BIBLIQUE Nous avons cru pouvoir, en deux études antérieures 1, assi gner comme point de départ à l'analyse de la métaphysique biblique, la notion de création. Ce point de départ est-il bien choisi ? C'est ce que l'expérience montrera. Si, à partir de ce point de départ, l'analyse de la métaphysique biblique se développe d'une manière intelligible, exhaustive, systématique, si chacune des thèses métaphysiques découvertes et attestées dans la pensée hébraïque par les textes trouve son explication et sa raison d'être dans cette perspective dont la notion de création est le centre, alors notre point de départ pourra être considéré comme satisfaisant. Un autre point de départ à l'analyse pourrait sans doute être choisi : l'homme, ou le monde, mais nous reviendrons vite de ces analyses particu lières à notre point de vue initial, à savoir la création, qui se retrouve au fond et au terme de chaque analyse latérale, et se découvre ainsi comme un foyer central vers lequel convergent spontanément toutes les analyses de la pensée biblique, et duquel procède toute la vision biblique du monde. Cela est tout à fait normal. Le point de départ du réel, c'est la créa tion. Le point de départ de l'analyse métaphysique du réel, c'est la notion de création. Si vraiment l'univers tout entier dépend par création de Dieu, il est normal que l'analyse méta physique de chaque être en particulier, comme de l'ensemble du réel, nous conduise à cette notion radicale. La notion de création définit la relation qui existe entre Dieu et le monde, entre l'ordre de la théologie et l'ordre de la métaphysique. C'est une notion, si l'on peut dire, à double entrée : elle débouche, d'un côté sur le mystère et l'intimité de Dieu ; de l'autre, sur le monde. Seul l'Esprit de Dieu, la Parole de Dieu, peuvent nous dire pourquoi Dieu a créé le monde, quel est le sens et le dessein de l'Œuvre divine. Le mystère de la paternité de Dieu relève de la théologie. Mais, à partir du monde, il nous 1. Essai sur la pensée hébraïque, éd. du Cerf, 1953 ; Etudes de méta physique biblique, Gabalda, 1955.- Nous récapitulons, dans le présent article, les analyses faites dans ces deux études, sans donner les textes bibliques sur lesquels elles se fondent. Ces reprises ne sont pas inutiles si elles permettent de circonscrire d'une manière synoptique l'ensemble d'un problème, pour en pousser plus avant l'examen, en laissant de côté les développements secondaires et en ne l'attachant qu'à l'essentiel, au cœur de la question. 435 This content downloaded from 47.200.122.189 on Sat, 26 Jul 2025 17:45:16 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms CLAUDE TRESMONTANT est loisible d'étudier comment, en fait et historiquement, la création s'est constituée, comme elle continue de s'opérer, quels desseins elle manifeste, dans quel sens, humainement parlant, elle semble s'orienter. L'intelligence humaine, par ses propres démarches, et en dehors de toute révélation, est capable, par une analyse correcte de ce qui lui apparaît, de reconnaître l'insuffisance ontologique de tout le réel sensible, et de discerner l'opération créatrice, l'intelligence créatrice à l'œuvre à l'intérieur même du créé qu'elle continue de promou voir et d'inventer. L'intelligence humaine, par ses démarches propres, rejoint donc l'enseignement de la Parole de Dieu adressée aux prophètes d'Israël. La Parole de Dieu complète l'enseignement donné par le réel, elle nous dit ce qui dépasse toute espérance, ce qui relève de la liberté et de la gracieuse bonté de Dieu. La notion de création, qui définit une certaine relation entre Dieu et le monde, apparaît donc liée organiquement à une certaine théologie. Elle n'est possible, pensable qu'à partir de cette théologie, en fonction de cette théologie. Elle signifie que le monde sensible n'est pas l'Absolu, qu'il n'est pas dieu, mais qu'il dépend de Dieu d'une manière radicale. Dieu peut le réduire à néant. Dieu est libre par rapport à son œuvre. La notion de création implique, requiert, une certaine concep tion de Dieu, une connaissance de Dieu, une connaissance de l'Absolu reconnu comme étant personnel, transcendant par rapport au monde, libre. La notion métaphysique de création est intimement liée à une théologie du Dieu vivant. Si cette théologie est méconnue ou rejeté, la notion de création est aussi méconnue ou rejetée comme dépourvue de toute signi fication. Si la notion de création est méconnue ou rejetée, c'est que l'on considère le monde comme étant l'absolu ou une modalité de l'absolu. On estime, dans ce cas, que le monde est suffisant, ontologiquement, qu'il est donc éternel et impéris sable. On ne conçoit pas un monde éphémère qui soit en même temps suffisant. La notion de création est intrinsèquement liée à une théolo gie du Dieu vivant, et c'est seulement là où cette théologie a été connue que la notion de création a été conçue. C'est seulement là où l'Absolu a été connu comme Quelqu'un, trans cendant et personnel, qu'il a cessé d'être identifié à tout ou partie du monde, et qu'il a été reconnu comme autre que le monde : le monde a été conçu comme son œuvre. La notion de création apparaît, historiquement, comme absolument originale et propre à la pensée biblique. En fait, et historiquement, c'est seulement à l'intérieur du Peuple de 436 This content downloaded from 47.200.122.189 on Sat, 26 Jul 2025 17:45:16 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms LA METAPHYSIQUE BIBLIQUE Dieu que l'intelligence d'un rapport de création entre le monde et Dieu est apparue, et cela est tout à fait normal, puisque c'est seulement à l'intérieur de son Peuple que Dieu s'est laissé connaître. C'est en se manifestant, en se laissant connaître pour ce qu'il est, le Dieu vivant, que Dieu permet tait à l'intelligence humaine de découvrir cette relation qui existe entre le monde et l'Absolu, la création. Cela ne signifie pas que l'intelligence humaine, en dehors de la Révélation, ait été ou soit incapable de découvrir par ses propres démarches cette relation. Au contraire, nous pensons que, par une ana lyse positive du réel, l'intelligence humaine doit être conduite à reconnaître à la fois la richesse, l'intelligibilité, et le sens du réel, mais aussi l'insuffisance radicale, du point de vue de l'existence, de ce réel, c'est-à-dire à découvrir le Dieu créateur qui opère à l'intérieur du monde, sous nos yeux. Découvrir la relation de création qui existe entre le monde et Dieu, c'est découvrir par l'intelligence, à partir du monde créé, le Dieu vivant, par ses œuvres, (cf. Romains, I, 18 et sq.) Supposer que la notion de création ait été connue dans une civilisation ou une philosophie qui n'ait pas eu connaissance du Dieu vivant, c'est une contradiction dans les termes. Mais cela ne signifie pas que tel ou tel individu, en dehors du Peuple de Dieu, n'ait pas connu que le monde tout entier est créé : dans ce cas, il a connu aussi le Dieu vivant, et il appar tient, spirituellement, au Peuple de Dieu. La Bible dans cer tains textes qui reflètent de vieilles traditions semble nous indiquei que le Dieu d'Israël était connu par certains païens, prophètes même. De nos jours, un Bergson, par une réflexion positive sur le réel expérimental, psychologique, biologique et moral, est parvenu à cette connaissance, en dehors de toute révélation, et il a accepté cette révélation précisément parce que ses propres démarches, philosophiques et rationnelles l'avaient conduit au seuil du temple. En fait, l'histoire des civilisations et des métaphysiques nous montre que la connaissance du Dieu transcendant et créateur a été atteinte pleinement en Israël, et à l'intérieur du Peuple de Dieu seulement. Israël se définit et se différencie précisément par cette connaissance. Si l'intelligence humaine, par nature, avait été incapable d'atteindre à cette connais sance, aucune révélation n'aurait pu la lui conférer. La Révé lation aurait seulement pu imposer à l'intelligence humaine le joug, le diktat d'une croyance que l'intelligence aurait été incapable d'assimiler, d'intégrer. Un pain qùe nul ne pourrait manger. C'est en effet cette conception du « dogme » que se font certaines écoles théologiques, qui refusent à 437 This content downloaded from 47.200.122.189 on Sat, 26 Jul 2025 17:45:16 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms CLAUDE TRESMONTANT l'intelligence humaine le pouvoir d'atteindre à la connais sance de Dieu par ses propres moyens, en dehors de la Révélation. Elles oublient que, dans ces conditions, plus n'est besoin et point n'est légitime de parler de « vérités » révélées et d'intelligence qui les accepte. Qu'est-ce qu'une « vérité » qu'aucune intelligence ne peut intégrer en son ordre propre ? Il faut, dans ce cas, parler d'une « croyance » qu'on impose à une « volonté », par autorité. Dans la pensée biblique, l'intelligence humaine atteint réellement à la connaissance de Dieu, à partir de la création reconnue comme étant l'œuvre de la sagesse et de l'intelli gence de Dieu. Si cette connaissance de Dieu ne s'est réalisée en fait qu'à l'intérieur du Peuple de Dieu, ce n'est pas que l'intelligence humaine, par nature, fût incapable d'atteindre à cette connaissance, mais c'est parce que Dieu a libéré son peuple de la servitude des idoles, et régénéré, par là-même, l'intelligence humaine captive du néant. C'est à l'intérieur du Peuple de Dieu que l'intelligence humaine est parvenue à la plénitude et à l'intégrité de son exercice normal. En d'autres termes, l'exercice de l'intelligence n'est pas indépendant de l'être total de l'homme, de son mode d'existence. L'intelli gence, la connaissance de Dieu, sont indissociables de la sain teté. C'est en libérant l'homme de la vanité, de l'injustice, du mal, que Dieu a rendu l'homme capable de Le connaître. L'intelligence humaine subit la même servitude que la liberté de l'homme : la servitude de l'homme qui maintient la vérité prisonnière dans l'injustice, qui sacrifie l'homme son frère aux idoles et au néant, entraîne un obscurcissement de l'intelli gence. La liberté, la sagesse et l'intelligence, ne se reconquiè rent que simultanément. C'est là l'enseignement constant de tous les prophètes d'Israël, enseignement repris par saint Paul au début de l'Epître aux Romains 1. Les nations, les civi lisations païennes qui sacrifiaient, qui sacrifient encore aujourd'hui leurs enfants aux idoles, ne pouvaient évidem ment connaître le Dieu d'Israël. Israël est un peuple, délivré 1. L'intelligence humaine peut préférer les ténèbres à la lumière, selon l'expression du Quatrième Evangile. L'intelligence n'est pas dissociable d'une option intime, au plus secret du cœur. L'intelligence peut s'obs curcir, comme le dit Paul dans le passage cité de l'Epître aux Romains • « Ils ont maintenu la vérité prisonnière dans l'injustice, ils se sont égarés dans la vanité de leurs raisonnements, et leur cœur sans intelligence s'est enténébré. » L'intelligence n'est pas sans dépendre d'un choix fonda mental qui définit l'être même de l'homme. L'homme peut se trouvei des raisons pour justifier ce choix initial. C'est pourquoi il y a lieu, en métaphysique aussi, d'opérer un discernement des esprits. 438 This content downloaded from 47.200.122.189 on Sat, 26 Jul 2025 17:45:16 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms LA METAPHYSIQUE BIBLIQUE de l'idolâtrie, de la servitude, du mal et de l'injustice. C'est sa définition, sa nature. Il n'y a pas d'Israël en dehors de la fidélité à l'alliance de la justice avec Dieu. Israël est le commencement, le germe, d'une humanité sainte, d'une huma nité nouvelle, capable de participer à la vie de Dieu, qui est saint. La démarche initiale de la pensée biblique consiste à recon naître que le monde n'est pas Dieu, ni une modalité de la substance divine. La lutte contre l'idolâtrie est au principe de l'enseignement des prophètes d'Israël. Ni l'homme ni l'ani mal, ni les plantes ni les phénomènes naturels, ni le soleil ni la lune ni les étoiles ne sont Dieu. Rien de ce que nous voyons dans ce monde, ni le monde lui-même, ne sont adorables. Toutes les religions, toutes les mythologies antiques, et toutes les métaphysiques païennes, reposent sur ce qu'il laut bien appeler, du point de vue biblique, la confusion entre l'ordre du créé et l'ordre de l'incréé, la confusion entre le monde et l'Absolu. Aristote considère les astres comme des substances divines, incréées, échappant au devenir, et impérissables. Comme Platon, il considère l'univers comme un dieu, theos aisthêtos, dieu sensible. Le fétichisme consiste à prendre pour dieu un élément, une partie du monde : astre ou homme ou plante. Plus généralement, du point de vue métaphysique, le fétichisme, l'idolâtrie, consistent à attribuer à une partie ou à la totalité du monde des prédicats qui ne reviennent en droit qu'à l'Absolu : la suffisance ontologique, l'aséité. Toute la métaphysique païenne repose sur ce principe que le monde est ontologiquement suffisant, et donc éternel et impérissable. Natura sive deus. L'Univers est causa sui. La métaphysique qui est au fondement du « matérialisme dialectique », méta physique dont on néglige trop souvent l'examen au profit des analyses politiques et économiques qui lui sont associées, cette métaphysique reprend ces thèses fondamentales de la métaphysique païenne : la suffisance et l'éternité de l'Univers, l'éternité du devenir, l'éternité de la matière, l'infinité de l'espace et du temps. L'Univers est pourvu des prédicats de l'Absolu. Il est « un animal divin ». Cette divinité de l'Univers entraîne, aux yeux de cette métaphysique, l'éternité du devenir. Mais ce devenir, dans notre expérience, apparaît comme orienté dans un sens bien déterminé. Tout s'écoule, et le temps détruit tout ce qu'il touche. Il faut donc, pour maintenir la divinité de ce proces sus cosmique, l'éternité du devenir, poser que le devenir revient à son point de départ, qu'il recommence éternellement son cycle, que le temps, comme le serpent qui se mord la 439 This content downloaded from 47.200.122.189 on Sat, 26 Jul 2025 17:45:16 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms CLAUDE TRESMONTANT queue, se referme sur lui-même. Par cette image d'un devenir qui se referme sur lui-même pour recommencer éternellement son cycle, nous aurons un substitut de l'éternité et de la suffi sance de la substance divine. Ce thème d'un devenir qui se recommence indéfiniment se retrouve depuis les mythologies babyloniennes, les premières philosophies helléniques, depuis Héraclite, Platon et le Stoïcisme, jusqu'à Engels (1). Le premier acte de la métaphysique biblique, c'est une démythisation de l'Univers. L'univers biblique est un univers dépouillé des idoles, des divinités qui hantaient les sources, les collines, les arbres, qui se manifestaient sous forme d'animaux totémiques ; les rois égyptiens se laissaient adorer comme dieux, et dans les empires qui se succéderont en d'autres civi lisations la même divinisation de l'homme se reproduira. Israël n'a jamais adoré ses rois. Les rois ne sont pas des dieux. C'est Yhwh le Dieu d'Israël qui est roi. Les astres, le soleil, la lune et les étoiles ne sont pas non plus des dieux : tout cet univers et ce qu'il contient est l'œuvre du Dieu vivant et créateur. L'univers biblique est un univers profane, où la distinction est faite entre l'ordre de l'incréé divin et l'ordre du créé. L'univers biblique est déjà notre univers positif, où rien de ce qui est visible, sensible, ne peut prétendre à la divinité, un univers désacralisé. Nous n'admirons pas assez 1. Plutôt qu'aux textes religieux des mythologies orientales, plutôt qu'à Platon ou au Stoïcisme, il est pittoresque d'emprunter à l'un des Pères d'une philosophie qui se veut « scientifique » ces expressions can dides du vieux Mythe : « Conclusion ultime de la science, le cycle éternel de la matière en mouvement » (Engels, Dialectique de la Nature, Intro duction, trad. fr. Editions sociales, p. 37). « La nature se meut dans un flux et un cycle perpétuels » (ibid., p. 38). « Nous voici donc revenus à la façon de voir des grands fondateurs de la philosophie grecque, pour qui l'existence de la nature entière... consiste en une naissance et une mort éternelles, en un flux ininterrompu, en un mouvement et un chan gement sans répit » (p. 38). « Dire que la matière pendant toute son existence illiftiitée dans le temps ne se trouve qu'une seule fois, et pour un temps infiniment court au regard de son éternité, en mesure de diffé rencier son mouvement et de déployer ainsi l'entière richesse de ce mouve ment, dire qu'auparavant et par la suite elle reste limitée pour l'éternité au seul changement de lieu, — c'est affirmer que la matière est péris sable et le mouvement transitoire. L'indestructibilité du mouvement ne peut pas être conçue d'une façon seulement quantitative, elle doit l'être aussi de façon qualitative ; une matière dont le pur changement méca nique de lieu porte certes en elle la possibilité de se convertir, dans des conditions favorables, en chaleur, électricité, action chimique, vie, mais qui n'est pas capable de Aéer à partir d'elle-même ces conditions, une telle matière a perdu du mouvement ; un mouvement qui a perdu la faculté de se métamorphoser dans les diverses formes qui lui échoient a certes encore de la dynamis, mais il n'a plus d'energeia, et il a donc été 440 This content downloaded from 47.200.122.189 on Sat, 26 Jul 2025 17:45:16 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms LA METAPHYSIQUE BIBLIQUE quelle révolution la théologie et la pensée bibliques ont opéré dans la mentalité de l'homme antique. Ce dépouillement de toute idolâtrie et mythologie a permis la science moderne : l'astronomie comme science n'était pas possible tant que les astres étaient considérés comme des substances divines 1. Il n'est pas étonnant que les juifs et les chrétiens aient été persé cutés par les païens comme « athées ». Rappelons-nous la stupéfaction des soldats de Pompée pénétrant dans le Temple de Jérusalem, dans le Saint des Saints, et ne trouvant, au lieu des statues de dieux qu'ils attendaient, rien. Numériquement, si l'on peut dire, par rapport à la multitude des dieux païens, les juifs et les chrétiens sont athées, puisqu'ils ont dépouillé le monde des divinités qui le remplissaient. Et ce n'est pas sans ironie que saint Paul, à Athènes, félicite les Grecs de ce qu'ils sont « le plus religieux de tous les peuples ». Cette dé-divinisation du monde sensible est précieuse : elle permet à l'homme d'atteindre à son âge adulte, et de se déli vrer des cultes cruéls que les Baals et les Melechs de tous les temps réclament de lui, pour le délivrer de son Angoisse. Le psychologue appréciera la révolution opérée par la pensée biblique, qui permet à l'homme, s'il y consent, de se libérer de sa mentalité primitive et infantile. détruit » (p. 43-44). Le lecteur aura remarqué la conception que se fait Engels d'une « matière capable de créer », et l'a priori qui est au prin cipe de toute sa métaphysique : la suffisance radicale, et donc l'éternité du devenir cosmique qui est auto-créateur. La matière est causa sui, elle produit, elle crée la vie et la conscience. Il est nécessaire de l'admettre, faute de quoi nous serions rejetés vers l'hypothèse inadmissible de la Création : « Ou bien il nous faut recourir au Créateur, ou bien nous sommes obligés de conclure que la matière première incandescente des systèmes solaires... a été produite naturellement, par des transformations du mouvement qui sont inhérentes par nature à la matière en mouvement et dont, par conséquent, les conditions doivent être reproduites aussi par la matière, même si ce n'est que dans des millions et des millions d'années et plus ou moins au hasard mais avec la nécessité inhérente au hasard » (p. 44). L'éternité du devenir implique l'infinité de l'espace : « La succes sion des mondes éternellement répétée dans un temps infini n'est que le complément logique de la coexistence des mondes innombrables dans l'espace infini — proposition dont la nécessité s'impose » (p. 45). « C'est dans un cycle éternel que la matière se meut » (p. 46). » Nous avons la certitude que, dans toutes ses transformations, la matière reste éter nellement la même, qu'aucun de ses attributs ne peut jamais se perdre et que, par conséquent si elle doit sur terre exterminer un jour, avec une nécessité d'airain, sa floraison suprême, l'esprit pensant, il faut avec la même nécessité que quelque part ailleurs et à une autre heure ellç le reproduise » (p. 46). Voir toute l'Introduction. Le lecteur appréciera le lyrisme de cette profession de foi panthéiste. 1. Cf. Duhem, Le Système du Monde. 441 This content downloaded from 47.200.122.189 on Sat, 26 Jul 2025 17:45:16 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms CLAUDE TRESMONTANT Si l'on examine la manière dont la pensée biblique a utilisé et transformé les mythes qui régnaient dans le milieu culturel des Hébreux, on voit que la démarche constante de la tradi tion biblique a consisté à démythologiser cet apport étranger pour n'en conserver qu'une imagerie, une manière de s'expri mer populaire. L'apport étranger est corrigé, rectifié, afin d'être intégré. Cette correction porte sur la structure métaphysique du mythe. Théologiquement et métaphysiquement, le Peuple de Dieu n'assimile que ce qu'il peut intégrer à sa propre Pensée, transformer en sa propre substance, en rejetant ce qui est incompatible avec les normes autonomes de son organisme vivant. Le rejet de 1* « hérésie » manifeste la vie de cet orga nisme de pensée. Le Peuple de Dieu, soit sous le régime de l'ancienne alliance, soit au cours de la nouvelle alliance, n'acceptera pas n'importe quoi en matière de métaphysique. Le Peuple de Dieu, qui est le Peuple d'une Pensée, choisira ce qui lui convient avec une indépendance et une autorité souveraine. Les mythologies ont une certaine structure métaphysique, et certaines métaphysiques sont, par structure, identiques à d'anciennes mythologies. La pensée biblique a rejeté l'idée d'un chaos éternel, coéter nel à Dieu, d'un abîme incréé, d'une matière préexistante, à partir desquels, sur lesquels, ou contre lesquels le Créateur aurait réalisé son œuvre. Rien, en dehors de Dieu, n'est incréé. Il n'y a pas de matière incréée ni de désordre antérieur que le démiurge doit mettre en ordre. Rien en dehors du Dieu vivant n'est incréé, cela signifie que rien n'est ontologi quement suffisant en dehors de Dieu, autrement dit que rien n'est dieu en dehors de Celui dont le nom est Je suis. Le mono théisme biblique implique l'universalité de la création ; inver sement, la notion de création, pleinement comprise, requiert le monothéisme. Les thèmes de la matière éternelle, du chaos incréé et préexistant, du désordre que le dieu avait dû mettre en ordre, entraînent, dans les mythes qui les comportent, l'idée d'une lutte du dieu organisateur contre cette matière qui résiste, ce chaos qui se défend, cette ténèbre qui ne veut pas recevoir la lumière. Ainsi apparaissent les théomachies des mythologies égyptiennes, sumériennes, babyloniennes, cananéennes, phéni ciennes, perses, indo-européennes et helléniques. Le dieu qui organise entre en guerre contre le dieu de l'abîme et de la ténèbre. Le monde actuel est le résultat de cette lutte. Le désordre et le mal qui y régnent manifestent l'insuffisante vic toire du dieu bon contre le dieu mauvais. Il reste toujours 442 This content downloaded from 47.200.122.189 on Sat, 26 Jul 2025 17:45:16 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms LA METAPHYSIQUE BIBLIQUE dans ce monde matériel une tendance au désordre et au chaos qui rappelle cette lutte antique entre le principe bon et le principe mauvais. La Bible, dans certains textes anciens, garde le souvenir de ces mythologies. Mais elle a corrigé et rejeté ce qui était incompatible avec la théologie du Dieu unique et créateur. Tout, dans notre univers physique, est l'œuvre de Dieu, et Dieu a béni son œuvre : il a vu que le monde est très beau et très bon. Le mal ne vient pas de la matière physique, mais de la liberté de l'homme. La sainteté ne consistera donc pas à fuir ce monde, mais à se préserver de l'injustice et du mal. Le thème de la lutte entre le dieu organisateur et les divi nités ténébreuses est complété dans le Mythe par l'idée que le dieu bon ne s'achève, ne se réalise que dans cette lutte meur trière. L'idée d'une genèse du dieu, d'une théogonie, est géné ralement associée au thème de la théomachie. Cette idée d'une genèse de dieu se retrouve non seulement dans plu sieurs mythologies sémitiques et indo-européennes, mais aussi dans certaines métaphysiques. L'Absolu s'engendre lui-même en créant le monde. L'Absolu se crée en s'aliénant dans la nature, en se dispersant dans la matière, en s'exilant dans ce monde de ténèbres. La vie de l'Absolu, c'est la vie même de ce monde douloureux, la cosmogonie est théogonie. L'Absolu ne prend conscience de lui-même et n'accède à la plénitude de son être que dans le déchirement de l'histoire du monde, en subissant la médiation du négatif, du mal. La médiation du mal est nécessaire à la genèse de l'Absolu, qui ne deviendra vraiment lui-même qu'après avoir surmonté cette aliénation, cet exil. Cette mythologie gnostique que l'on retrouve chez les gnos tiques chrétiens, dans la gnose juive qu'est la Kabbale, chez Böhme, Schelling et Hegel, est pleine d'un charme tragique et wagnérien. Elle est si fascinante qu'elle a séduit nombre de grands philosophes. Elle const