CINE COLOMBIANO De la reconstruction d’une industrie à la conquête de nouveaux imaginaires Ivan RUA - Médiathécaire France Un cinéma longtemps bridé... puis libéré dans les années 90 On commence par rappeler qu’en Colombie, le cinéma a longtemps survécu tant bien que mal. Puis arrive un tournant décisif : “La loi cinématographique” impulsée par Sergio Cabrera dans les années 90, qui sera adoptée l’année 2003 - elle met en place un véritable soutien public au film, stabilise le secteur et encourage la formation d’une industrie. Cette loi ouvre un espace créatif totalement nouveau : on peut enfin produire avec ambition, viser l’international et développer une identité nationale solide. La poussée vers l’international : séduire l’Amérique, l’Europe - et L’ Amérique Latine? De cette période des films tels que ; I lona arrive avec la pluie, Inspiré du livre de Alvaro Mutis, Condores no entierran todos los dias , adaptation du livre éponyme de Gustavo Gardeazabal et dirigé par Francisco Norden. La stratégie de l’escargot de Sergio Cabrera ou même ; Chronique d’une morte annoncé, adaptation du livre du prix Nobel de littérature Gabriel Garcia Marquez dirigé par Francesco Rossi dont celui-ci ne compte pas pour un film colombien pour autant. La dimension est romanesque, les films sont aussi apothéotiques. Dans les années 1990–2000, le pays est traversé par la violence du narcotrafic, des guérillas, de l’État, du paramilitarisme. Le cinéma va naturellement s’en emparer. Víctor Gaviria La Vendedora de Rosas, Sumas y Restas : un regard social brut, quasi documentaire. María Llena Eres de Gracia : film américain mais tourné vers la Colombie, révélant mondialement la réalité des mules. Rodrigo D. No Futuro , etc. Ces films deviennent une vitrine internationale du conflit colombien, et construisent une image forte, parfois douloureuse, mais profondément humaine. Avec cette loi , l’objectif n’est pas seulement de relancer la production locale: il s’agit aussi d’atteindre des marchés européens. On voit émerger des films structurés pour les festivals, avec une attention nouvelle à la narration , à la photographie et aux themathiques sociales fortes. À côté de ça... un cinéma plus léger, plus populaire En parallèle, l’industrie essaie de séduire un public local avec des comédies, des histoires quotidiennes, des personnages hauts en couleur. C’est cette coexistence – violence sociale et comédie populaire – qui rend le cinéma colombien aussi imprévisible que riche. Arrive une nouvelle génération : poésie visuelle et profondeur narrative Dans les années 2010, un basculement important se produit. Des cinéastes cherchent à dépasser le récit du conflit. Et là, un nom domine à mon humble avis : Ciro Guerra, avec Los Viajes del Viento et El Abrazo de la Serpiente. Il propose une cinématographie contemplative, spirituelle, presque chamanique. Ces films touchent enfin les marchés internationaux pour leur esthétique, leur universalité, leur puissance visuelle — pas seulement leur contexte social. Ivan RUA - Médiathécaire France C’est dans cette dynamique qu’arrive Un Poète , produit par Medio de Contention maison de production colombienne geré par Manuel Ruiz Montealegre, un film s’inscrivant dans cette nouvelle maturité du cinéma colombien :Celle qui ne renie pas l’histoire violente du pays, mais qui mène la narration ailleurs : vers l’intime, l’humain, le sensible, en assumant une ambition esthétique destinée à toucher un public local et qui va transpercer par la suite le public international. Le film arrive donc comme la continuation logique de trente ans d’évolution : du cinéma de survie au cinéma de dénonciation à un cinéma poétique, mature, exportable. Un poète de Simon Mesa dresse le portrait intimiste d’un homme qui cherche sa place dans un quartier populaire de Medellín. Le film suit son quotidien entre petits boulots, aspirations artistiques et une réalité sociale parfois lourde. Avec une mise en scène très sensible, le réalisateur capte la fragilité et la dignité de son personnage. C’est un regard doux-amer sur le rêve de créer quand la vie ne fait pas de cadeaux. Ivan RUA - médiathécaire France