The Project Gutenberg EBook of L’Abbesse de Castro, by Stendhal This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org/license Title: L’Abbesse de Castro Author: Stendhal Posting Date: October 5, 2013 [EBook #797] Release Date: January, 1997 Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L’ABBESSE DE CASTRO *** Produced by Tokuya Matsumoto <toqyam@os.rim.or.jp> and ebooksgratuits.com Stendhal L’ABBESSE DE CASTRO Chroniques italiennes (1839) I Le m י lodrame nous a montr י si souvent les brigands italiens du seizi ט me si ט cle, et tant de gens en ont parl י sans les conna מ tre, que nous en avons maintenant les id י es les plus fausses. On peut dire en g י n י ral que ces brigands furent l’opposition contre les gouvernements atroces qui, en Italie, succ י d ט rent aux r י publiques du moyen ג ge. Le nouveau tyran fut d’ordinaire le citoyen le plus riche de la d י funte r י publique, et, pour s י duire le bas peuple, il ornait la ville d’ י glises magnifiques et de beaux tableaux. Tels furent les Polentini de Ravenne, les Manfredi de Faenza, les Riario d’Imola, les Cane de V י rone, les Bentivoglio de Bologne, les Visconti de Milan, et enfin, les moins belliqueux et les plus hypocrites de tous, les M י dicis de Florence. Parmi les historiens de ces petits ֹ tats, aucun n’a os י raconter les empoisonnements et assassinats sans nombre ordonn י s par la peur qui tourmentait ces petits tyrans; ces graves historiens י taient א leur solde. Consid י rez que chacun de ces tyrans connaissait personnellement chacun des r י publicains dont il savait ך tre ex י cr י (le grand duc de Toscane C פ me, par exemple, connaissait Strozzi), que plusieurs de ces tyrans p י rirent par l’assassinat, et vous comprendrez les haines profondes, les m י fiances י ternelles qui donn ט rent tant d’esprit et de courage aux Italiens du seizi ט me si ט cle, et tant de g י nie א leurs artistes. Vous verrez ces passions profondes emp ך cher la naissance de ce pr י jug י assez ridicule qu’on appelait l’honneur, du temps de madame de S י vign י , et qui consiste surtout א sacrifier sa vie pour servir le ma מ tre dont on est n י le sujet et pour plaire aux dames. Au seizi ט me si ט cle, l’activit י d’un homme et son m י rite r י el ne pouvaient se montrer en France et conqu י rir l’admiration que par la bravoure sur le champ de bataille ou dans les duels; et, comme les femmes aiment la bravoure et surtout l’audace, elles devinrent les juges supr ך mes du m י rite d’un homme. Alors naquit l’esprit de galanterie, qui pr י para l’an י antissement successif de toutes les passions et m ך me de l’amour, au profit de ce tyran cruel auquel nous ob י issons tous: la vanit י . Les rois prot י g ט rent la vanit י et avec grande raison: de l א l’empire des rubans. En Italie, un homme se distinguait par tous les genres de m י rite, par les grands coups d’ י p י e comme par les d י couvertes dans les anciens manuscrits: voyez P י trarque, l’idole de son temps; et une femme du seizi ט me si ט cle aimait un homme savant en grec autant et plus qu’elle n’e � t aim י un homme c י l ט bre par la bravoure militaire. Alors on vit des passions, et non pas l’habitude de la galanterie. Voil א la grande diff י rence entre l’Italie et la France, voil א pourquoi l’Italie a vu na מ tre les Rapha כ l, les Giorgion, les Titien, les Corr ט ge, tandis que la France produisait tous ces braves capitaines du seizi ט me si ט cle, si inconnus aujourd’hui et dont chacun avait tu י un si grand nombre d’ennemis. Je demande pardon pour ces rudes v י rit י s. Quoi qu’il en soit, les vengeances atroces et n י cessaires des petits tyrans italiens du moyen ג ne concili ט rent aux brigands le coeur des peuples. On ha ן ssait les brigands quand ils volaient des chevaux, du bl י , de l’argent, en un mot, tout ce qui leur י tait n י cessaire pour vivre; mais au fond le coeur des peuples י tait pour eux; et les filles du village pr י f י raient א tous les autres le jeune gar ח on qui, une fois dans la vie, avait י t י forc י d’andar alla macchia, c’est- א -dire de fuir dans les bois et de prendre refuge aupr ט s des brigands א la suite de quelque action trop imprudente. De nos jours encore tout le monde assur י ment redoute la rencontre des brigands: mais subissent-ils des ch ג timents, chacun les plaint. C’est que ce peuple si fin, si moqueur, qui rit de tous les י crits publi י s sous la censure de ses ma מ tres, fait sa lecture habituelle de petits po ט mes qui racontent avec chaleur la vie des brigands les plus renomm י s. Ce qu’il trouve d’h י ro ן que dans ces histoires ravit la fibre artiste qui vit toujours dans les basses classes, et, d’ailleurs, il est tellement las des louanges officielles donn י es א certaines gens, que tout ce qui n’est pas officiel en ce genre va droit א son coeur. Il faut savoir que le bas peuple, en Italie souffre de certaines choses que le voyageur n’apercevrait jamais, v י c � t-il dix ans dans le pays. Par exemple, il y a quinze ans, avant que la sagesse des gouvernements n’e � t supprim י les brigands[1], il n’ י tait pas rare de voir certains de leurs exploits punir les iniquit י s des gouverneurs de petites villes. Ces gouverneurs, magistrats absolus dont la paye ne s’ י l ט ve pas א plus de vingt י cus par mois, sont naturellement aux ordres de la famille la plus consid י rable du pays, qui, par ce moyen bien simple, opprime ses ennemis. Si les brigands ne r י ussissaient pas toujours א punir ces petits gouverneurs despotes, du moins ils se moquaient d’eux et les bravaient, ce qui n’est pas peu de chose aux yeux de ce peuple spirituel. Un sonnet satirique le console de tous ses maux, et jamais il n’oublia une offense. Voil א une autre des diff י rences capitales entre l’Italien et le Fran ח ais. [1] Gasparone, le dernier brigand, traita avec le gouvernement en 1826; il est enferm י dans la citadelle de Civita-Vecchia avec trente-deux de ses hommes. Ce fut le manque d’eau sur les sommets des Apennins, o ש il s’ י tait r י fugi י , qui l’obligea א traiter. C’est un homme d’esprit, d’une figure assez avenante. Au seizi ט me si ט cle, le gouverneur d’un bourg avait-il condamn א י mort un pauvre habitant en butte א la haine de la famille pr י pond י rante, souvent on voyait les brigands attaquer la prison et essayer de d י livrer l’opprim י . De son c פ t י , la famille puissante ne se fiant pas trop aux huit ou dix soldats du gouvernement charg י s de garder la prison, levait א ses frais une troupe de soldats temporaires. Ceux- ci, qu’on appelait des bravi, bivouaquaient dans les alentours de la prison, et se chargeaient d’escorter jusqu’au lieu du supplice le pauvre diable dont la mort avait י t י achet י e. Si cette famille puissante comptait un jeune homme dans son sein, il se mettait א la t ך te de ces soldats improvis י s. Cet י tat de la civilisation fait g י mir la morale, j’en conviens; de nos jours on a le duel, l’ennui, et les juges ne se vendent pas; mais ces usages du seizi ט me si ט cle י taient merveilleusement propres א cr י er des hommes dignes de ce nom. Beaucoup d’historiens, lou י s encore aujourd’hui par la litt י rature routini ט re des acad י mies, ont cherch י א dissimuler cet י tat de choses, qui, vers 1550, forma de si grands caract ט res. De leur temps, leurs prudents mensonges furent r י compens י s par tous les honneurs dont pouvaient disposer les M י dicis de Florence, les d’Este de Ferrare, les vice-rois de Naples, etc. Un pauvre historien, nomm י Giannone, a voulu soulever un coin du voile; mais, comme il n’a os י dire qu’une tr ט s petite partie de la v י rit י , et encore en employant des formes dubitatives et obscures, il est rest י fort ennuyeux, ce qui ne l’a pas emp ך ch י de mourir en prison א quatre-vingt-deux ans, le 7 mars 1758. La premi ט re chose א faire, lorsque l’on veut conna מ tre l’histoire d’Italie, c’est donc de ne point lire les auteurs g י n י ralement approuv י s; nulle part, on n’a mieux connu le prix du mensonge, nulle part, il ne fut mieux pay2] י ]. [2] Paul Jove, י v ך que de C פ me, l’Ar י tin et cent autres moins amusants, et que l’ennui qu’ils distribuent a sauv י de l’infamie, Robertson, Roscoe, sont remplis de mensonges. Guichardin se vendit א C פ me Ier, qui se moqua de lui. De nos jours, Coletta et Pignotti ont dit la v י rit י , ce dernier avec la peur constante d’ ך tre destitu י , quoique ne voulant ך tre imprim י qu’apr ט s sa mort. Les premi ט res histoires qu’on ait י crites en Italie, apr ט s la grande barbarie du neuvi ט me si ט cle, font d י j א mention des brigands, et en parlent comme s’ils eussent exist י de temps imm י morial (voyez le recueil de Muratori). Lorsque, par malheur pour la f י licit י publique, pour la justice, pour le bon gouvernement, mais par bonheur pour les arts, les r י publiques du moyen ג ge furent opprim י es, les r י publicains les plus י nergiques, ceux qui aimaient la libert י plus que la majorit י de leurs concitoyens, se r י fugi ט rent dans les bois. Naturellement le peuple vex י par les Baglioni, par les Malatesti, par les Bentivoglio, par les M י dicis, etc., aimait et respectait leurs ennemis. Les cruaut י s des petits tyrans qui succ י d ט rent aux premiers usurpateurs, par exemple, les cruaut י s de C פ me, premier grand-duc de Florence, qui faisait assassiner les r י publicains r י fugi י s jusque dans Venise, jusque dans Paris, envoy ט rent des recrues א ces brigands. Pour ne parler que des temps voisins de ceux o ש v י cut notre h י ro ן ne, vers l’an 1550, Alphonse Piccolomini, duc de Monte Mariano, et Marco Sciarra dirig ט rent avec succ ט s des bandes arm י es qui, dans les environs d’Albano, bravaient les soldats du pape alors fort braves. La ligne d’op י ration de ces fameux chefs que le peuple admire encore s’ י tendait depuis le P פ et les marais de Ravenne jusqu’aux bois qui alors couvraient le V י suve. La for ך t de la Faggiola, si c י l ט bre par leurs exploits, situ י e א cinq lieues de Rome, sur la route de Naples, י tait le quartier g י n י ral de Sciarra, qui, sous le pontificat de Gr י goire XIII, r י unit quelquefois plusieurs milliers de soldats. L’histoire d י taill י e de cet illustre brigand serait incroyable aux yeux de la g י n י ration pr י sente, en ce sens que jamais on ne voudrait comprendre les motifs de ses actes. Il ne fut vaincu qu’en 1592. Lorsqu’il vit ses affaires dans un י tat d י sesp י r י , il traita avec la r י publique de Venise et passa א son service avec ses soldats les plus d י vou י s ou les plus coupables, comme on voudra. Sur les r י clamations du gouvernement romain, Venise, qui avait sign י un trait י avec Sciarra, le fit assassiner, et envoya ses braves soldats d י fendre l’ מ le de Candie contre les Turcs. Mais la sagesse v י nitienne savait bien qu’une peste meurtri ט re r י gnait א Candie, et en quelques jours les cinq cents soldats que Sciarra avait amen י s au service de la r י publique furent r י duits א soixante-sept. Cette for ך t de la Faggiola, dont les arbres gigantesques couvrent un ancien volcan, fut le dernier th י ג tre des exploits de Marco Sciarra. Tous les voyageurs vous diront que c’est le site le plus magnifique de cette admirable campagne de Rome, dont l’aspect sombre semble fait pour la trag י die. Elle couronne de sa noire verdure les sommets du mont Albano. C’est א une certaine י ruption volcanique ant י rieure de bien des si ט cles א la fondation de Rome que nous devons cette magnifique montagne. א une י poque qui a pr י c י d י toutes les histoires, elle surgit au milieu de la vaste plaine qui s’ י tendait jadis entre les Apennins et la mer. Le Monte Cavi, qui s’ י l ט ve entour י par les sombres ombrages de la Faggiola, en est le point culminant; on l’aper ח oit de partout, de Terracine et d’Ostie comme de Rome et de Tivoli, et c’est la montagne d’Albano, maintenant couverte de palais, qui, vers le midi, termine cet horizon de Rome si c י l ט bre parmi les voyageurs. Un couvent de moines noirs a remplac י , au sommet du Monte Cavi, le temple de Jupiter F י r י trien, o ש les peuples latins venaient sacrifier en commun et resserrer les liens d’une sorte de f י d י ration religieuse. Prot י g י par l’ombrage de ch ג taigniers magnifiques, le voyageur parvient, en quelques heures, aux blocs י normes que pr י sentent les ruines du temple de Jupiter; mais sous ces ombrages sombres, si d י licieux dans ce climat, m ך me aujourd’hui, le voyageur regarde avec inqui י tude au fond de la for ך t; il a peur des brigands. Arriv י au sommet du Monte Cavi, on allume du feu dans les ruines du temple pour pr י parer les aliments. De ce point, qui domine toute la campagne de Rome, on aper ח oit, au couchant, la mer, qui semble א deux pas, quoique א trois ou quatre lieues; on distingue les moindres bateaux; avec la plus faible lunette, on compte les hommes qui passent א Naples sur le bateau א vapeur. De tous les autres c פ t י s, la vue s’ י tend sur une plaine magnifique qui se termine, au levant, par l’Apennin, au-dessus de Palestrine, et, au nord, par Saint-Pierre et les autres grands י difices de Rome. Le Monte Cavi n’ י tant pas trop י lev י , l’oeil distingue les moindres d י tails de ce pays sublime qui pourrait se passer d’illustration historique, et cependant chaque bouquet de bois, chaque pan de mur en ruine, aper ח u dans la plaine ou sur les pentes de la montagne, rappelle une de ces batailles si admirables par le patriotisme et la bravoure que raconte Tite-Live. Encore de nos jours l’on peut suivre, pour arriver aux blocs י normes, restes du temple de Jupiter F י r י trien, et qui servent de mur au jardin des moines noirs, la route triomphale parcourue jadis par les premiers rois de Rome. Elle est pav י e de pierres taill י es fort r י guli ט rement; et, au milieu de la for ך t de la Faggiola, on en trouve de longs fragments. Au bord du crat ט re י teint qui, rempli maintenant d’une eau limpide, est devenu le joli lac d’Albano de cinq א six milles de tour, si profond י ment encaiss י dans le rocher de lave, י tait situ י e Albe, la m ט re de Rome, et que la politique romaine d י truisit d ט s le temps des premiers rois. Toutefois ses ruines existent encore. Quelques si ט cles plus tard, א un quart de lieue d’Albe, sur le versant de la montagne qui regarde la mer, s’est י lev י e Albano, la ville moderne; mais elle est s י par י e du lac par un rideau de rochers qui cachent le lac א la ville et la ville au lac. Lorsqu’on l’aper ח oit de la plaine, ses י difices blancs se d י tachent sur la verdure noire et profonde de la for ך t si ch ט re aux brigands et si souvent nomm י e, qui couronne de toutes parts la montagne volcanique. Albano, qui compte aujourd’hui cinq ou six mille habitants, n’en avait pas trois mille en 1540, lorsque florissait, dans les premiers rangs de la noblesse, la puissante famille Campireali, dont nous allons raconter les malheurs. Je traduis cette histoire de deux manuscrits volumineux, l’un romain, et l’autre de Florence. A mon grand p י ril, j’ai os י reproduire leur style, qui est presque celui de nos vieilles l י gendes. Le style si fin et si mesur י de l’ י poque actuelle e � t י t י , ce me semble, trop peu d’accord avec les actions racont י es et surtout avec les r י flexions des auteurs. Ils י crivaient vers l’an 1598. Je sollicite l’indulgence du lecteur et pour eux et pour moi. II «Apr ט s avoir י crit tant d’histoires tragiques, dit l’auteur du manuscrit florentin, je finirai par celle de toutes qui me fait le plus de peine א raconter. Je vais parler de cette fameuse abbesse du couvent de la Visitation א Castro, H י l ט ne de Campireali, dont le proc ט s et la mort donn ט rent tant א parler א la haute soci י t י de Rome et de l’Italie. D י j א , vers 1555, les brigands r י gnaient dans les environs de Rome, les magistrats י taient vendus aux familles puissantes. En l’ann י e 1572, qui fut celle du proc ט s, Gr י goire XIII, Buoncompagni, monta sur le tr פ ne de saint Pierre. Ce saint pontife r י unissait toutes les vertus apostoliques; mais on a pu reprocher quelque faiblesse א son gouvernement civil; il ne sut ni choisir des juges honn ך tes, ni r י primer les brigands; il s’affligeait des crimes et ne savait pas les punir. Il lui semblait qu’en infligeant la peine de mort il prenait sur lui une responsabilit י terrible. Le r י sultat de cette mani ט re de voir fut de peupler d’un nombre presque infini de brigands les routes qui conduisent א la ville י ternelle. Pour voyager avec quelque s � ret י , il fallait ך tre ami des brigands. La for ך t de la Faggiola, א cheval sur la route de Naples par Albano, י tait depuis longtemps le quartier g י n י ral d’un gouvernement ennemi de celui de Sa Saintet י , et plusieurs fois Rome fut oblig י e de traiter, comme de puissance א puissance, avec Marco Sciarra, l’un des rois de la for ך t. Ce qui faisait la force de ces brigands, c’est qu’ils י taient aim י s des paysans leurs voisins. «Cette jolie ville d’Albano, si voisine du quartier g י n י ral des brigands, vit na מ tre, en 1542, H י l ט ne de Campireali. Son p ט re passait pour le patricien le plus riche du pays, et, en cette qualit י , il avait י pous י Victoire Carafa, qui poss י dait de grandes terres dans le royaume de Naples. Je pourrais citer quelques vieillards qui vivent encore, et ont fort bien connu Victoire Carafa et sa fille. Victoire fut un mod ט le de prudence et d’esprit; mais, malgr י tout son g י nie, elle ne put pr י venir la ruine de sa famille. Chose singuli ט re! Les malheurs affreux qui vont former le triste sujet de mon r י cit ne peuvent, ce me semble, ך tre attribu י s, en particulier, א aucun des acteurs que je vais pr י senter au lecteur: je vois des malheureux, mais, en v י rit י , je ne puis trouver des coupables. L’extr ך me beaut י et l’ ג me si tendre de la jeune H י l ט ne י taient deux grands p י rils pour elle, et font l’excuse de Jules Branciforte, son amant, tout comme le manque absolu d’esprit de monsignor Cittadini, י v ך que de Castro, peut aussi l’excuser jusqu’ א un certain point. Il avait d � son avancement rapide dans la carri ט re des honneurs eccl י siastiques א l’honn ך tet י de sa conduite, et surtout א la mine la plus noble et א la figure la plus r י guli ט rement belle que l’on p � t rencontrer. Je trouve י crit de lui qu’on ne pouvait le voir sans l’aimer. «Comme je ne veux flatter personne, je ne dissimulerai point qu’un saint moine du couvent de Monte Cavi, qui souvent avait י t י surpris, dans sa cellule, י lev א י plusieurs pieds au-dessus du sol, comme saint Paul, sans que rien autre que la gr ג ce divine p � t le soutenir dans cette position extraordinaire[3], avait pr י dit au seigneur de Campireali que sa famille s’ י teindrait avec lui, et qu’il n’aurait que deux enfants, qui tous deux p י riraient de mort violente. Ce fut א cause de cette pr י diction qu’il ne put trouver א se marier dans le pays et qu’il alla chercher fortune א Naples, o ש il eut le bonheur de trouver de grands biens et une femme capable, par son g י nie, de changer sa mauvaise destin י e, si toutefois une telle chose e � t י t י possible. Ce seigneur de Campireali passait pour fort honn ך te homme et faisait de grandes charit י s; mais il n’avait nul esprit, ce qui fit que peu א peu il se retira du s י jour de Rome, et finit par passer presque toute l’ann י e dans son palais d’Albano. Il s’adonnait א la culture de ses terres, situ י es dans cette plaine si riche qui s’ י tend entre la ville et la mer. Par les conseils de sa femme, il fit donner l’ י ducation la plus magnifique א son fils Fabio, jeune homme tr ט s fier de sa naissance, et א sa fille H י l ט ne, qui fut un miracle de beaut י , ainsi qu’on peut le voir encore par son portrait, qui existe dans la collection Farn ט se. Depuis que j’ai commenc י א י crire son histoire, je suis all י au palais Farn ט se pour consid י rer l’enveloppe mortelle que le ciel avait donn י e א cette femme, dont la fatale destin י e fit tant de bruit de son temps, et occupe m ך me encore la m י moire des hommes. La forme de la t ך te est un ovale allong י , le front est tr ט s grand, les cheveux sont d’un blond fonc י L’air de sa physionomie est plut פ t gai; elle avait de grands yeux d’une expression profonde, et des sourcils ch ג tains formant un arc parfaitement dessin י Les l ט vres sont fort minces, et l’on dirait que les contours de la bouche ont י t י dessin י s par le fameux peintre Corr ט ge. Consid י r י e au milieu des portraits qui l’entourent א la galerie Farn ט se, elle a l’air d’une reine. Il est bien rare que l’air gai soit joint א la majest י [3] Encore aujourd’hui, cette position singuli ט re est regard י e, par le peuple de la campagne de Rome, comme un signe certain de saintet י . Vers l’an 1826, un moine d’Albano fut aper ח u plusieurs fois soulev י de terre par la gr ג ce divine. On lui attribua de nombreux miracles; on accourait de vingt lieues א la ronde pour recevoir sa b י n י diction; des femmes, appartenant aux premi ט res classes de la soci י t י , l’avaient vu se tenant, dans sa cellule, א trois pieds de terre. Tout א coup il disparut. «Apr ט s avoir pass י huit ann י es enti ט res, comme pensionnaire au couvent de la Visitation de la ville de Castro, maintenant d י truite, o ש l’on envoyait, dans ce temps-l א , les filles de la plupart des princes romains, H י l ט ne revint dans sa patrie, mais ne quitta point le couvent sans faire offrande d’un calice magnifique au grand autel de l’ י glise. A peine de retour dans Albano, son p ט re fit venir de Rome, moyennant une pension consid י rable, le c י l ט bre po ט te Cechino, alors fort ג g י ; il orna la m י moire d’H י l ט ne des plus beaux vers du divin Virgile, de P י trarque, de l’Arioste et du Dante, ses fameux י l ט ves.» Ici le traducteur est oblig י de passer une longue dissertation sur les diverses parts de gloire que le seizi ט me si ט cle faisait א ces grands po ט tes. Il para מ trait qu’H י l ט ne savait le latin. Les vers qu’on lui faisait apprendre parlaient d’amour, et d’un amour qui nous semblerait bien ridicule, si nous le rencontrions en 1839; je veux dire l’amour passionn י qui se nourrit de grands sacrifices, ne peut subsister qu’environn י de myst ט re, et se trouve toujours voisin des plus affreux malheurs. Tel י tait l’amour que sut inspirer א H י l ט ne, א peine ג g י e de dix-sept ans, Jules Branciforte. C’ י tait un de ses voisins, fort pauvre; il habitait une ch י tive maison b ג tie dans la montagne, א un quart de lieue de la ville, au milieu des ruines d’Albe et sur les bords du pr י cipice de cent cinquante pieds, tapiss י de verdure, qui entoure le lac. Cette maison, qui touchait aux sombres et magnifiques ombrages de la for ך t de la Faggiola, a depuis י t י d י molie, lorsqu’on a b ג ti le couvent de Palazzuola. Ce pauvre jeune homme n’avait pour lui que son air vif et leste, et l’insouciance non jou י e avec laquelle il supportait sa mauvaise fortune. Tout ce que l’on pouvait dire de mieux en sa faveur, c’est que sa figure י tait expressive sans ך tre belle. Mais il passait pour avoir bravement combattu sous les ordres du prince Colonne et parmi ses bravi, dans deux ou trois entreprises fort dangereuses. Malgr י sa pauvret י , malgr י l’absence de beaut י , il n’en poss י dait pas moins, aux yeux de toutes les jeunes filles d’Albano, le coeur qu’il e � t י t י le plus flatteur de conqu י rir. Bien accueilli partout, Jules Branciforte n’avait eu que des amours faciles, jusqu’au moment o ש H י l ט ne revint du couvent de Castro. «Lorsque, peu apr ט s, le grand po ט te Cechino se transporta de Rome au palais Campireali, pour enseigner les belles lettres א cette jeune fille, Jules, qui le connaissait, lui adressa une pi ט ce de vers latins sur le bonheur qu’avait sa vieillesse de voir de si beaux yeux s’attacher sur les siens, et une ג me si pure ך tre parfaitement heureuse quand il daignait approuver ses pens י es. La jalousie et le d י pit des jeunes filles auxquelles Jules faisait attention avant le retour d’H י l ט ne rendirent bient פ t inutiles toutes les pr י cautions qu’il employait pour cacher une passion naissante, et j’avouerai que cet amour entre un jeune homme de vingt-deux ans et une fille de dix-sept fut conduit d’abord d’une fa ח on que la prudence ne saurait approuver. Trois mois ne s’ י taient pas י coul י s lorsque le seigneur de Campireali s’aper ח ut que Jules Branciforte passait trop souvent sous les fen ך tres de son palais (que l’on voit encore vers le milieu de la grande rue qui monte vers le lac).» La franchise et la rudesse, suites naturelles de la libert י que souffrent les r י publiques, et l’habitude des passions franches, non encore r י prim י es par les moeurs de la monarchie, se montrent א d י couvert dans la premi ט re d י marche du seigneur de Campireali. Le jour m ך me o ש il fut choqu י des fr י quentes apparitions du jeune Branciforte, il l’apostropha en ces termes: «Comment oses-tu bien passer ainsi sans cesse devant ma maison, et lancer des regards impertinents sur les fen ך tres de ma fille, toi qui n’as pas m ך me d’habits pour te couvrir? Si je ne craignais que ma d י marche ne f � t mal interpr י t י e des voisins, je te donnerais trois sequins d’or, et tu irais א Rome acheter une tunique plus convenable. Au moins ma vue et celle de ma fille ne seraient plus si souvent offens י es par l’aspect de tes haillons.» Le p ט re d’H י l ט ne exag י rait sans doute: les habits du jeune Branciforte n’ י taient point des haillons, ils י taient faits avec des mat י riaux fort simples; mais, quoique fort propres et souvent bross י s, il faut avouer que leur aspect annon ח ait un long usage. Jules eut l’ ג me si profond י ment navr י e par les reproches du seigneur de Campireali, qu’il ne parut plus de jour devant sa maison. Comme nous l’avons dit, les deux arcades, d י bris d’un aqueduc antique, qui servaient de murs principaux א la maison b ג tie par le p ט re de Branciforte, et par lui laiss י e א son fils, n’ י taient qu’ א cinq ou six cents pas d’Albano. Pour descendre de ce lieu י lev א י la ville moderne, Jules י tait oblig י de passer devant le palais Campireali; H י l ט ne remarqua bient פ t l’absence de ce jeune homme singulier, qui, au dire de ses amies, avait abandonn י toute autre relation pour se consacrer en entier au bonheur qu’il semblait trouver א la regarder. Un soir d’ י t י , vers minuit, la fen ך tre d’H י l ט ne י tait ouverte, la jeune fille respirait la brise de mer qui se fait fort bien sentir sur la colline d’Albano, quoique cette ville soit s י par י e de la mer par une plaine de trois lieues. La nuit י tait sombre, le silence profond; on e � t entendu tomber une feuille. H י l ט ne, appuy י e sur sa fen ך tre, pensait peut- ך tre א Jules, lorsqu’elle entrevit quelque chose comme l’aile silencieuse d’un oiseau de nuit qui passait doucement tout contre sa fen ך tre. Elle se retira effray י e. L’id י e ne lui vint point que cet objet p � t ך tre pr י sent י par quelque passant: le second י tage du palais o ש se trouvait sa fen ך tre י tait א plus de cinquante pieds de terre. Tout א coup, elle crut reconna מ tre un bouquet dans cette chose singuli ט re qui, au milieu d’un profond silence, passait et repassait devant la fen ך tre sur laquelle elle י tait appuy י e; son coeur battit avec violence. Ce bouquet lui sembla fix א י l’extr י mit י de deux ou trois de ces cannes, esp ט ce de grands joncs, assez semblables au bambou, qui croissent dans la campagne de Rome, et donnent des tiges de vingt א trente pieds. La faiblesse des cannes et la brise assez forte faisaient que Jules avait quelque difficult א י maintenir son bouquet exactement vis- א -vis la fen ך tre o ש il supposait qu’H י l ט ne pouvait se trouver, et d’ailleurs, la nuit י tait tellement sombre, que de la rue l’on ne pouvait rien apercevoir א une telle hauteur. Immobile devant sa fen ך tre, H י l ט ne י tait profond י ment agit י e. Prendre ce bouquet, n’ י tait-ce pas un aveu? Elle n’ י prouvait d’ailleurs aucun des sentiments qu’une aventure de ce genre ferait na מ tre, de nos jours, chez une jeune fille de la haute soci י t י , pr י par י e א la vie par une belle י ducation. Comme son p ט re et son fr ט re Fabio י taient dans la maison, sa premi ט re pens י e fut que le moindre bruit serait suivi d’un coup d’arquebuse dirig י sur Jules; elle eut piti י du danger que courait ce pauvre jeune homme. Sa seconde pens י e fut que, quoiqu’elle le conn � t encore bien peu, il י tait pourtant l’ ך tre au monde qu’elle aimait le mieux apr ט s sa famille. Enfin, apr ט s quelques minutes d’h י sitation, elle prit le bouquet, et, en touchant les fleurs dans l’obscurit י profonde, elle sentit qu’un billet י tait attach א י la tige d’une fleur; elle courut sur le grand escalier pour lire ce billet א la lueur de la lampe qui veillait devant l’image de la Madone. «Imprudente! se dit-elle lorsque les premi ט res lignes l’eurent fait rougir de bonheur, si l’on me voit, je suis perdue, et ma famille pers י cutera א jamais ce pauvre jeune homme.» Elle revint dans sa chambre et alluma sa lampe. Ce moment fut d י licieux pour Jules, qui, honteux de sa d י marche et comme pour se cacher m ך me dans la profonde nuit, s’ י tait coll י au tronc י norme d’un de ces ch ך nes verts aux formes bizarres qui existent encore aujourd’hui vis- א -vis le palais Campireali. Dans sa lettre, Jules racontait avec la plus parfaite simplicit י la r י primande hurlante qui lui avait י t י adress י e par le p ט re d’H י l ט ne. «Je suis pauvre, il est vrai, continuait-il, et vous vous figurerez difficilement tout l’exc ט s de ma pauvret י . Je n’ai que ma maison que vous avez peut- ך tre remarqu י e sous les ruines de l’aqueduc d’Albe; autour de la maison se trouve un jardin que je cultive moi-m ך me, et dont les herbes me nourrissent. Je poss ט de encore une vigne qui est afferm י e trente י cus par an. Je ne sais, en v י rit י , pourquoi je vous aime; certainement je ne puis pas vous proposer de venir partager ma mis ט re. Et cependant, si vous ne m’aimez point, la vie n’a plus aucun prix pour moi; il est inutile de vous dire que je la donnerais mille fois pour vous. Et cependant, avant votre retour du couvent, cette vie n’ י tait point infortun י e: au contraire, elle י tait remplie des r ך veries les plus brillantes. Ainsi je puis dire que la vue du bonheur m’a rendu malheureux. Certes, alors personne au monde n’e � t os י m’adresser les propos dont votre p ט re m’a fl י tri; mon poignard m’e � t fait prompte justice. Alors, avec mon courage et mes armes, je m’estimais l’ י gal de tout le monde; rien ne me manquait. Maintenant tout est bien chang י : je connais la crainte. C’est trop י crire; peut- ך tre me m י prisez-vous. Si, au contraire, vous avez quelque piti י de moi, malgr י les pauvres habits qui me couvrent, vous remarquerez que tous les soirs, lorsque minuit sonne au couvent des Capucins au sommet de la colline, je suis cach י sous le grand ch ך ne, vis- א -vis la fen ך tre que je regarde sans cesse, parce que je suppose qu’elle est celle de votre chambre. Si vous ne me m י prisez pas comme le fait votre p ט re, jetez-moi une des fleurs du bouquet, mais prenez garde qu’elle ne soit entra מ n י e sur une des corniches ou sur un des balcons de votre palais.» Cette lettre fut lue plusieurs fois; peu א peu les yeux d’H י l ט ne se remplirent de larmes; elle consid י rait avec attendrissement ce magnifique bouquet dont les fleurs י taient li י es avec un fil de soie tr ט s fort. Elle essaya d’arracher une fleur mais ne put en venir א bout; puis elle fut saisie d’un remords. Parmi les jeunes filles de Rome, arracher une fleur, mutiler d’une fa ח on quelconque un bouquet donn י par l’amour, c’est s’exposer א faire mourir cet amour. Elle craignait que Jules ne s’impatient ג t, elle courut א sa fen ך tre; mais, en y arrivant, elle songea tout א coup qu’elle י tait trop bien vue, la lampe remplissait la chambre de lumi ט re. H י l ט ne ne savait plus quel signe elle pouvait se permettre; il lui semblait qu’il n’en י tait aucun qui ne d מ t beaucoup trop. Honteuse, elle rentra dans sa chambre en courant. Mais le temps se passait; tout א coup, il lui vint une id י e qui la jeta dans un trouble inexprimable: Jules allait croire que, comme son p ט re, elle m י prisait sa pauvret י ! Elle vit un petit י chantillon de marbre pr י cieux d י pos י sur la table, elle le noua dans son mouchoir, et jeta ce mouchoir au pied du ch ך ne vis- א -vis sa fen ך tre. Ensuite, elle fit signe qu’on s’ י loign ג t; elle entendit Jules lui ob י ir; car, en s’en allant, il ne cherchait plus א d י rober le bruit de ses pas. Quand il eut atteint le sommet de la ceinture de rochers qui s י pare le lac des derni ט res maisons d’Albano, elle l’entendit chanter des paroles d’amour; elle lui fit des signes d’adieu, cette fois moins timides, puis se mit א relire sa lettre. Le lendemain et les jours suivants, il y eut des lettres et des entrevues semblables; mais, comme tout se remarque dans un village italien, et qu’H י l ט ne י tait de bien loin le parti le plus riche du pays, le seigneur de Campireali fut averti que tous les soirs, apr ט s minuit, on apercevait de la lumi ט re dans la chambre de sa fille; et, chose bien autrement extraordinaire, la fen ך tre י tait ouverte, et m ך me H י l ט ne s’y tenait comme si elle n’e � t י prouv י aucune crainte des zinzare (sorte de cousins, extr ך mement incommodes et qui g ג tent fort les belles soir י es de la campagne de Rome. Ici je dois de nouveau solliciter l’indulgence du lecteur. Lorsque l’on est tent י de conna מ tre les usages des pays י trangers, il faut s’attendre א des id י es bien saugrenues, bien diff י rentes des n פ tres). Le seigneur de Campireali pr י para son arquebuse et celle de son fils. Le soir, comme onze heures trois quarts sonnaient, il avertit Fabio, et tous les deux se gliss ט rent, en faisant le moins de bruit possible, sur un grand balcon de pierre qui se trouvait au premier י tage du palais, pr י cis י ment sous la fen ך tre d’H י l ט ne. Les piliers massifs de la balustrade en pierre les mettaient א couvert jusqu’ א la ceinture des coups d’arquebuse qu’on pourrait leur tirer du dehors. Minuit sonna: le p ט re et le fils entendirent bien quelque bruit sous les arbres qui bordaient la rue vis- א -vis leur palais; mais, ce qui les remplit d’ י tonnement, il ne parut pas de lumi ט re א la fen ך tre d’H י l ט ne. Cette fille, si simple jusqu’ici et qui semblait un enfant א la vivacit י de ses mouvements, avait chang י de caract ט re depuis qu’elle aimait. Elle savait que la moindre imprudence compromettrait la vie de son amant; si un seigneur de l’importance de son p ט re tuait un pauvre homme tel que Jules Branciforte, il en serait quitte pour dispara מ tre pendant trois mois, qu’il irait passer א Naples; pendant ce temps, ses amis de Rome arrangeraient l’affaire, et tout se terminerait par l’offrande d’une lampe d’argent de quelques centaines d’ י cus א l’autel de la Madone alors א la mode. Le matin, au d י jeuner, H י l ט ne avait vu א la physionomie de son p ט re qu’il avait un grand sujet de col ט re, et, א l’air dont il la regardait quand il croyait n’ ך tre pas remarqu י , elle pensa qu’elle entrait pour beaucoup dans cette col ט re. Aussit פ t, elle alla jeter un peu de poussi ט re sur les bois des cinq arquebuses magnifiques que son p ט re tenait suspendues aupr ט s de son lit. Elle couvrit י galement d’une l י g ט re couche de poussi ט re ses poignards et ses י p י es. Toute la journ י e elle fut d’une gaiet י folle, elle parcourait sans cesse la maison du haut en bas; א chaque instant, elle s’approchait des fen ך tres, bien r י solue de faire א Jules un signe n י gatif, si elle avait le bonheur de l’apercevoir. Mais elle n’avait garde: le pauvre gar ח on avait י t י si profond י ment humili י par l’apostrophe du riche seigneur de Campireali, que de jour il ne paraissait jamais dans Albano; le devoir seul l’y amenait le dimanche pour la messe de la paroisse. La m ט re d’H י l ט ne, qui l’adorait et ne savait lui rien refuser, sortit trois fois avec elle ce jour-l א , mais ce fut en vain: H י l ט ne n’aper ח ut point Jules. Elle י tait au d י sespoir. Que devint-elle lorsque, allant visiter sur le soir les armes de son p ט re, elle vit que deux arquebuses avaient י t י charg י es, et que presque tous les poignards et י p י es avaient י t י mani י s! Elle ne fut distraite de sa mortelle inqui י tude que par l’extr ך me attention qu’elle donnait au soin de para מ tre ne se douter de rien. En se retirant א dix heures du soir, elle ferma א clef la porte de sa chambre, qui donnait dans l’antichambre de sa m ט re, puis elle se tint coll י e א sa fen ך tre et couch י e sur le sol, de fa ח on א ne pouvoir pas ך tre per ח ue du dehors. Qu’on juge de l’anxi י t י avec laquelle elle entendit sonner les heures; il n’ י tait plus question des reproches qu’elle se faisait souvent sur la rapidit י avec laquelle elle s’ י tait attach י e א Jules, ce qui pouvait la rendre moins digne d’amour א ses yeux. Cette journ י e-l א avan ח a plus les affaires du jeune homme que six mois de constance et de protestations. « ְ quoi bon mentir? se disait H י l ט ne. Est-ce que je ne l’aime pas de toute mon ג me?» A onze heures et demie, elle vit fort bien son p ט re et son fr ט re se placer en embuscade sur le grand balcon de pierre au-dessous de sa fen ך tre. Deux minutes apr ט s que minuit eut sonn י au couvent des Capucins, elle entendit fort bien aussi les pas de son amant, qui s’arr ך ta sous le grand ch ך ne; elle remarqua avec joie que son p ט re et son fr ט re semblaient n’avoir rien entendu: il fallait l’anxi י t י de l’amour pour distinguer un bruit aussi l י ger. «Maintenant, se dit-elle, ils vont me tuer, mais il faut א tout prix qu’ils ne surprennent pas la lettre de ce soir; ils pers י cuteraient א jamais ce pauvre Jules.» Elle fit un signe de croix et, se retenant d’une main au balcon de fer de sa fen ך tre, elle se pencha au dehors, s’avan ח ant autant que possible dans la rue. Un quart de minute ne s’ י tait pas י coul י lorsque le bouquet, attach י comme de coutume א la longue canne, vint frapper sur son bras. Elle saisit le bouquet; mais, en l’arrachant vivement א la canne sur l’extr י mit י de laquelle il י tait fix י , elle fit frapper cette canne contre le balcon en pierre. A l’instant partirent deux coups d’arquebuse suivis d’un silence parfait. Son fr ט re Fabio, ne sachant pas trop, dans l’obscurit י , si ce qui frappait violemment le balcon n’ י tait pas une corde א l’aide de laquelle Jules descendait de chez sa soeur, avait fait feu sur son balcon; le lendemain, elle trouva la marque de la balle, qui s’ י tait aplatie sur le fer. Le seigneur de Campireali avait tir י dans la rue, au bas du balcon de pierre, car Jules avait fait quelque bruit en retenant la canne pr ך te א tomber. Jules, de son c פ t י , entendant du bruit au-dessus de sa t ך te, avait devin י ce qui allait suivre et s’ י tait mis א l’abri sous la saillie du balcon. Fabio rechargea rapidement son arquebuse, et, quoi que son p ט re p � t lui dire, courut au jardin de la maison, ouvrit sans bruit une petite porte qui donnait sur une rue voisine, et ensuite s’en vint, א pas de loup, examiner un peu les gens qui se promenaient sous le balcon du palais. A ce moment, Jules, qui ce soir-l י א tait bien accompagn י , se trouvait א vingt pas de lui, coll י contre un arbre. H י l ט ne, pench י e sur son balcon et tremblante pour son amant, entama aussit פ t une conversation א tr ט s haute voix avec son fr ט re, qu’elle entendait dans la rue; elle lui demanda s’il avait tu י les voleurs. —Ne croyez pas que je sois dupe de votre ruse sc י l י rate! lui cria celui-ci de la rue, qu’il a