The Project Gutenberg Etext of Zadig by Voltaire (#3 in our series by Voltaire) Copyright laws are changing all over the world. Be sure to check the copyright laws for your country before downloading or redistributing this or any other Project Gutenberg file. Please do not remove this header information. This header should be the first thing seen when anyone starts to view the eBook. Do not change or edit it without written permission. The words are carefully chosen to provide users with the information needed to understand what they may and may not do with the eBook. To encourage this, we have moved most of the information to the end, rather than having it all here at the beginning. **Welcome To The World of Free Plain Vanilla Electronic Texts** **eBooks Readable By Both Humans and By Computers, Since 1971** *****These eBooks Were Prepared By Thousands of Volunteers!***** Information on contacting Project Gutenberg to get eBooks, and further information, is included below. We need your donations. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a 501(c)(3) organization with EIN [Employee Identification Number] 64-6221541 Find out about how to make a donation at the bottom of this file. Title: Zadig Author: Voltaire Release Date: November, 2003 [Etext #4647] [Yes, we are more than one year ahead of schedule] [This file was first posted on February 20, 2002] Edition: 10 Language: French Character set encoding: ISO-Latin-1 The Project Gutenberg Etext of Zadig by Voltaire ******This file should be named 4647.txt or 4647.zip****** Project Gutenberg eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the US unless a copyright notice is included. Thus, we usually do not keep eBooks in compliance with any particular paper edition. The “legal small print” and other information about this book may now be found at the end of this file. 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ZADIG. ou LA DESTIN � E, HISTOIRE ORIENTALE. 1747 Pr י face de l’ � diteur Je poss ט de un volume petit in-8°, intitul י : Memnon, histoire orientale , Londres (Paris), 1747. Ce volume, r י imprim י sous le m ך me titre, en 1748, contient quinze chapitres, qui font partie de _Zadig, ou la Destin י e, histoire orientale_, 1748, in-12. Zadig a de plus que Memnon trois chapitres, qui sont aujourd’hui les XII, XIII, et XVII. L’ י dition encadr י e de I775 est la premi ט re qui contienne le chapitre VII. Deux autres chapitres, les XIV et XV, et des additions au chapitre vi, parurent pour la premi ט re fois dans les י ditions de Kehl. Colini, secr י taire de Voltaire en 1753, raconte[1] que les additions faites alors א Zadig, «les calomnies et les m י chancet י s des courtisans, la fausse interpr י tation donn י e par ceux-ci א des demi-vers trouv י s dans un buisson, la disgr ג ce du h י ros, sont autant d’all י gories dont l’explication se pr י sente naturellement.» Cependant, d ט s l’ י dition de 1747, le chapitre iv contient les demi-vers; les chapitres XIV et XV n’ont י t י , comme je l’ai dit, ajout י s qu’en 1785; les chapitres XII, XIII et XVII sont, comme on l’a vu, de 1748. Ce serait donc au chapitre VII que se borneraient les additions faites en 1753; et ce chapitre n’a י t י publi י qu’en 1775. [1] _Mon s י jour aupr ט s de Voltaire_, page 61. A l’occasion de Zadig, Longchamp raconte que Voltaire d י sirant faire imprimer ce roman pour son compte, mais craignant que les imprimeurs n’en tirassent des exemplaires au-del א du nombre convenu, et que le livre ne f � t r י pandu dans le public avant que l’auteur l’e � t offert א ses amis, eut recours au moyen suivant, pour parer aux inconv י nients qu’il redoutait. Il fit venir l’imprimeur Prault, et lui demanda quel serait le prix d’une י dition tir י e א mille exemplaires. Le prix parut trop י lev א י Voltaire; mais, d ט s le lendemain, Prault vint de lui-m ך me proposer une diminution d’un tiers dans le prix, et _Voltaire lui donna la premi ט re moiti י du roman de Zadig, qui י tait י crit sur des cahiers d י tach י s, dont le dernier se terminait avec la fin d’un chapitre_, annon ח ant que pendant que cette partie serait sous presse, il reverrait l’autre. Voltaire fit avertir Machuel, libraire de Rouen , momentan י ment א Paris, et apr ט s les conventions sur le prix, lui remit la fin de l’ouvrage, en indiquant א quelle page’ il devait commencer. Lorsque tout fut termin י , Voltaire fit brocher les exemplaires qu’il destinait א ses amis, en fit faire la distribution , et r י pondit aux plaintes des imprimeurs par l’expos י des craintes qu’il avait eues: J’ai abr י g י le r י cit de Longchamp, sans le rendre plus vrai. Je ne connais aucune י dition de Zadig qui le confirme, aucune dont une feuille se termine avec la fin d’un chapitre. –– Les notes sans signature, et qui sont indiqu י es par des lettres, sont de Voltaire. Les notes sign י es d’un K sont des י diteurs de Kehl, MM. Condorcet et Decroix. Il est impossible de faire rigoureusement la part de chacun. Les additions que j’ai faites aux notes de Voltaire ou aux notes des י diteurs de Kehl, en sont s י par י es par un—, et sont, comme mes notes, sign י es de l’initiale de mon nom. BEUCHOT. 4 octobre 1829. ZADIG. ou LA DESTIN � E, HISTOIRE ORIENTALE. 1747 APPROBATION[1]. Je soussign י , qui me suis fait passer pour savant, et m ך me pour homme d’esprit, ai lu ce manuscrit, que j’ai trouv י , malgr י moi, curieux, amusant, moral, philosophique, digne de plaire א ceux m ך mes qui ha ן ssent les romans. Ainsi je l’ai d י cri י , et j’ai assur י monsieur le cadi-lesquier que c’est un ouvrage d י testable. [1] Cette plaisanterie י tait dans l’ י dition de Zadig de 1748. Elle existait encore dans l’ י dition in-4° (tome XVII, publi י en 1771). Mais ayant י t י omise dans l’ י dition encadr י e de 1795, elle ne fut pas reproduite dans les י ditions de Kehl. La premi ט re des י ditions modernes o ש on la trouve est celle de M. Lequien, 1823. B. � PITRE D � DICATOIRE DE ZADIG A LA SULTANE SHERAA, PAR SADI. Le 10 du mois de schewal, l’an 837 de l’h י gire. –– Charme des prunelles, tourment des coeurs, lumi ט re de l’esprit, je ne baise point la poussi ט re de vos pieds, parceque vous ne marchez gu ט re, ou que vous marchez sur des tapis d’Iran ou sur des roses. Je vous offre la traduction d’un livre d’un ancien sage qui, ayant le bonheur de n’avoir rien א faire, eut celui de s’amuser י א crire l’histoire de Zadig, ouvrage qui dit plus qu’il ne semble dire. Je vous prie de le lire et d’en juger; car, quoique vous soyez dans le printemps de votre vie, quoique tous les plaisirs vous cherchent, quoique vous soyez belle, et que vos talents ajoutent א votre beaut י ; quoiqu’on vous loue du soir au matin, et que par toutes ces raisons vous soyez en droit de n’avoir pas le sens commun, cependant vous avez l’esprit tr ט s sage et le go � t tr ט s fin, et je vous ai entendue raisonner mieux que de vieux derviches א longue barbe et א bonnet pointu. Vous ך tes discr ט te et vous n’ ך tes point d י fiante; vous ך tes douce sans ך tre faible; vous ך tes bienfesante avec discernement; vous aimez vos amis, et vous ne vous faites point d’ennemis. Votre esprit n’emprunte jamais ses agr י ments des traits de la m י disance; vous ne dites de mal ni n’en faites, malgr י la prodigieuse facilit י que vous y auriez. Enfin votre ג me m’a toujours paru pure comme votre beaut י . Vous avez m ך me un petit fonds de philosophie qui m’a fait croire que vous prendriez plus de go � t qu’une autre א cet ouvrage d’un sage. Il fut י crit d’abord en ancien chald י en, que ni vous ni moi n’entendons. On le traduisit en arabe, pour amuser le c י l ט bre sultan Ouloug-beb. C’ י tait du temps o ש les Arabes et les Persans commen ח aient א י crire des Mille et une nuits , des Mille et un jours , etc. Ouloug aimait mieux la lecture de Zadig; mais les sultanes aimaient mieux les Mille et un . Comment pouvez-vous pr י f י rer, leur disait le sage Ouloug, des contes qui sont sans raison, et qui ne signifient rien? C’est pr י cis י ment pour cela que nous les aimons, r י pondaient les sultanes. Je me flatte que vous ne leur ressemblerez pas, et que vous serez un vrai Ouloug. J’esp ט re m ך me que, quand vous serez lasse des conversations g י n י rales, qui ressemblent assez aux Mille et un , א cela pr ט s qu’elles sont moins amusantes, je pourrai trouver une minute pour avoir l’honneur de vous parler raison. Si vous aviez י t י Thalestris du temps de Scander, fils de Philippe; si vous aviez י t י la reine de Sab י e du temps de Soleiman, c’eussent י t י ces rois qui auraient fait le voyage. Je prie les vertus c י lestes que vos plaisirs soient sans m י lange, votre beaut י durable, et votre bonheur sans fin. SADI. ZAD1G, ou LA DESTIN � E. –– CHAPITRE 1. Le borgne Du temps du roi Moabdar il y avait א Babylone un jeune homme nomm י Zadig, n י avec un beau naturel fortifi י par l’ י ducation. Quoique riche et jeune, il savait mod י rer ses passions; il n’affectait rien; il ne voulait point toujours avoir raison, et savait respecter la faiblesse des hommes. On י tait י tonn י de voir qu’avec beaucoup d’esprit il n’insult ג t jamais par des railleries א ces propos si vagues, si rompus, si tumultueux, א ces m י disances t י m י raires, א ces d י cisions ignorantes, א ces turlupinades grossi ט res, א ce vain bruit de paroles, qu’on appelait conversation dans Babylone. Il avait appris, dans le premier livre de Zoroastre, que l’amour-propre est un ballon gonfl י de vent, dont il sort des temp ך tes quand on lui a fait une piq � re. Zadig surtout ne se vantait pas de m י priser les femmes et de les subjuguer. Il י tait g י n י reux; il ne craignait point d’obliger des ingrats, suivant ce grand pr י cepte de Zoroastre, _Quand tu manges, donne א manger aux chiens, dussent-ils te mordre_. Il י tait aussi sage qu’on peut l’ ך tre; car il cherchait א vivre avec des sages. Instruit dans les sciences des anciens Chald י ens, il n’ignorait pas les principes physiques de la nature, tels qu’on les connaissait alors, et savait de la m י taphysique ce qu’on en a su dans tous les ג ges, c’est- א -dire fort peu de chose. Il י tait fermement persuad י que l’ann י e י tait de trois cent soixante et cinq jours et un quart, malgr י la nouvelle philosophie de son temps, et que le soleil י tait au centre du monde; et quand les principaux mages lui disaient, avec une hauteur insultante, qu’il avait de mauvais sentiments, et que c’ י tait ך tre ennemi de l’ י tat que de croire que le soleil tournait sur lui-m ך me, et que l’ann י e avait douze mois, il se taisait sans col ט re et sans d י dain. Zadig, avec de grandes richesses, et par cons י quent avec des amis, ayant de la sant י , une figure aimable, un esprit juste et mod י r י , un coeur sinc ט re et noble, crut qu’il pouvait ך tre heureux. Il devait se marier א S י mire, que sa beaut י , sa naissance et sa fortune rendaient le premier parti de Babylone. Il avait pour elle un attachement solide et vertueux, et S י mire l’aimait avec passion. Ils touchaient au moment fortun י qui allait les unir, lorsque, se promenant ensemble vers une porte de Babylone, sous les palmiers qui ornaient le rivage de l’Euphrate, ils virent venir א eux des hommes arm י s de sabres et de fl ט ches. C’ י taient les satellites du jeune Orcan, neveu d’un ministre, א qui les courtisans de son oncle avaient fait accroire que tout lui י tait permis. Il n’avait aucune des gr ג ces ni des vertus de Zadig; mais, croyant valoir beaucoup mieux, il י tait d י sesp י r י de n’ ך tre pas pr י f י r י . Cette jalousie, qui ne venait que de sa vanit י , lui fit penser qu’il aimait י perdument S י mire. Il voulait l’enlever. Les ravisseurs la saisirent, et dans les emportements de leur violence ils la bless ט rent, et firent couler le sang d’une personne dont la vue aurait attendri les tigres du mont Ima � s. Elle per ח ait le ciel de ses plaintes. Elle s’ י criait, Mon cher י poux! on m’arrache א ce que j’adore. Elle n’ י tait point occup י e de son danger; elle ne pensait qu’ א son cher Zadig. Celui-ci, dans le m ך me temps, la d י fendait avec toute la force que donnent la valeur et l’amour. Aid י seulement de deux esclaves, il mit les ravisseurs en fuite, et ramena chez elle S י mire י vanouie et sanglante, qui en ouvrant les yeux vit son lib י rateur. Elle lui dit: O Zadig! je vous aimais comme mon י poux, je vous aime comme celui א qui je dois l’honneur et la vie. Jamais il n’y eut un coeur plus p י n י tr י que celui de S י mire; jamais bouche plus ravissante n’exprima des sentiments plus touchants par ces paroles de feu qu’inspirent le sentiment du plus grand des bienfaits et le transport le plus tendre de l’amour le plus l י gitime. Sa blessure י tait l י g ט re; elle gu י rit bient פ t. Zadig י tait bless י plus dangereusement; un coup de fl ט che re ח u pr ט s de l’oeil lui avait fait une plaie profonde. S י mire ne demandait aux dieux que la gu י rison de son amant. Ses yeux י taient nuit et jour baign י s de larmes: elle attendait le moment o ש ceux de Zadig pourraient jouir de ses regards; mais un abc ט s survenu א l’oeil bless י fit tout craindre. On envoya jusqu’ א Memphis chercher le grand m י decin Herm ט s, qui vint avec un nombreux cort ט ge. Il visita le malade, et d י clara qu’il perdrait l’oeil; il pr י dit m ך me le jour et l’heure o ש ce funeste accident devait arriver. Si c’e � t י t י l’oeil droit, dit-il, je l’aurais gu י ri; mais les plaies de l’oeil gauche sont incurables. Tout Babylone, en plaignant la destin י e de Zadig, admira la profondeur de la science d’Herm ט s. Deux jours apr ט s l’abc ט s per ח a de lui-m ך me; Zadig fut gu י ri parfaitement. Herm ט s י crivit un livre o ש il lui prouva qu’il n’avait pas d � gu י rir. Zadig ne le lut point; mais, d ט s qu’il put sortir, il se pr י para א rendre visite א celle qui fesait l’esp י rance du bonheur de sa vie, et pour qui seule il voulait avoir des yeux. S י mire י tait א la campagne depuis trois jours. Il apprit en chemin que cette belle dame, ayant d י clar י hautement qu’elle avait une aversion insurmontable pour les borgnes, venait de se marier א Orcan la nuit m ך me. A cette nouvelle il tomba sans connaissance; sa douleur le mit au bord du tombeau; il fut long-temps malade, mais enfin la raison l’emporta sur son affliction; et l’atrocit י de ce qu’il י prouvait servit m ך me א le consoler. Puisque j’ai essuy י , dit-il, un si cruel caprice d’une fille י lev י e א la cour, il faut que j’ י pouse une citoyenne. Il choisit Azora, la plus sage et la mieux n י e de la ville; il l’ י pousa, et v י cut un mois avec elle dans les douceurs de l’union la plus tendre. Seulement il remarquait en elle un peu de l י g ט ret י , et beaucoup de penchant א trouver toujours que les jeunes gens les mieux faits י taient ceux qui avaient le plus d’esprit et de vertu. CHAPITRE II[1]. Le nez. [1] Le chapitre est imit י d’un conte chinois, que Durand a r י imprim י , en 1803, sons le titre de, La Matrone chinoise , א la suite de sa traduction de la _Satire de P י trone_, et que Du Halde avait d י j א imprim י dans le tome III de sa Description de la Chine . B. Un jour Azora revint d’une promenade, tout en col ט re, et fesant de grandes exclamations. Qu’avez- vous, lui dit-il, ma ch ט re י pouse? qui vous peut mettre ainsi hors de vous-m ך me? H י las! dit-elle, vous seriez indign י comme moi, si vous aviez vu le spectacle dont je viens d’ ך tre t י moin. J’ai י t י consoler la jeune veuve Cosrou, qui vient d’ י lever, depuis deux jours, un tombeau א son jeune י poux aupr ט s du ruisseau qui borde cette prairie. Elle a promis aux dieux, dans sa douleur, de demeurer aupr ט s de ce tombeau tant que l’eau de ce ruisseau coulerait aupr ט s. Eh bien! dit Zadig, voil א une femme estimable qui aimait v י ritablement son mari! Ah! reprit Azora, si vous saviez א quoi elle s’occupait quand je lui ai rendu visite! A quoi donc, belle Azora? Elle fesait d י tourner le ruisseau. Azora se r י pandit en des invectives si longues, י clata en reproches si violents contre la jeune veuve, que ce faste de vertu ne plut pas א Zadig. Il avait un ami, nomm י Cador, qui י tait un de ces jeunes gens א qui sa femme trouvait plus de probit י et de m י rite qu’aux autres: il le mit dans sa confidence, et s’assura, autant qu’il le pouvait, de sa fid י lit י par un pr י sent consid י rable. Azora ayant pass י deux jours chez une de ses amies א la campagne, revint le troisi ט me jour א la maison. Des domestiques en pleurs lui annonc ט rent que son mari י tait mort subitement, la nuit m ך me, qu’on n’avait pas os י lui porter cette funeste nouvelle, et qu’on venait d’ensevelir Zadig dans le tombeau de ses p ט res, au bout du jardin. Elle pleura, s’arracha les cheveux, et jura de mourir. Le soir, Cador lui demanda la permission de lui parler, et ils pleur ט rent tous deux. Le lendemain ils pleur ט rent moins, et d מ n ט rent ensemble. Cador lui confia que son ami lui avait laiss י la plus grande partie de son bien, et lui fit entendre qu’il mettrait son bonheur א partager sa fortune avec elle. La dame pleura, se f ג cha, s’adoucit; le souper fut plus long que le d מ ner; on se parla avec plus de confiance. Azora fit l’ י loge du d י funt; mais elle avoua qu’il avait des d י fauts dont Cador י tait exempt. Au milieu du souper, Cador se plaignit d’un mal de rate violent; la dame, inqui ט te et empress י e, fit apporter toutes les essences dont elle se parfumait, pour essayer s’il n’y en avait pas quelqu’une qui f � t bonne pour le mal de rate; elle regretta beaucoup que le grand Herm ט s ne f � t pas encore א Babylone; elle daigna m ך me toucher le c פ t י o ש Cador sentait de si vives douleurs. Etes-vous sujet א cette cruelle maladie? lui dit-elle avec compassion. Elle me met quelquefois au bord du tombeau, lui r י pondit Cador, et il n’y a qu’un seul rem ט de qui puisse me soulager: c’est de m’appliquer sur le c פ t י le nez d’un homme qui soit mort la veille. Voil א un י trange rem ט de, dit Azora. Pas plus י trange, r י pondit-il, que les sachets du sieur Arnoult[a] contre l’apoplexie. Cette raison, jointe א l’extr ך me m י rite du jeune homme, d י termina enfin la dame. Apr ט s tout, dit-elle, quand mon mari passera du monde d’hier dans le monde du lendemain sur le pont Tchinavar, l’ange Asrael lui accordera-t-il moins le passage parceque son nez sera un peu moins long dans la seconde vie que dans la premi ט re? Elle prit donc un rasoir; elle alla au tombeau de son י poux, l’arrosa de ses larmes, et s’approcha pour couper le nez א Zadig, qu’elle trouva tout י tendu dans la tombe. Zadig se rel ט ve en tenant son nez d’une main, et arr ך tant le rasoir de l’autre. Madame, lui dit-il, ne criez plus tant contre la jeune Cosrou; le projet de me couper le nez vaut bien celui de d י tourner un ruisseau. [a] Il y avait dans ce temps un Babylonien, nomm י Arnoult, qui gu י rissait el pr י venait toutes les apoplexies, dans les gazettes, avec un sachet pendu au cou.—Cette note est de 1748; on y lit, ainsi que dans le texte, Arnou . Mais l’ י dition de 1747, sous le titre de Memnon , dont j’ai parl י dans ma pr י face de ce volume, porte Arnoult , qui est le v י ritable nom: voyez tome XXVI, page 186. B. CHAPITRE III. Le chien et le cheval. Zadig י prouva que le premier mois du mariage, comme il est י crit dans le livre du Zend, est la lune du miel, et que le second est la lune de l’absinthe. Il fut quelque temps apr ט s oblig י de r י pudier Azora, qui י tait devenue trop difficile א vivre, et il chercha son bonheur dans l’ י tude de la nature. Rien n’est plus heureux, disait-il, qu’un philosophe qui lit dans ce grand livre que Dieu a mis sous nos yeux. Les v י rit י s qu’il d י couvre sont א lui: il nourrit et il י l ט ve son ג me, il vit tranquille; il ne craint rien des hommes, et sa tendre י pouse ne vient point lui couper le nez. Plein de ces id י es, il se retira dans une maison de campagne sur les bords de l’Euphrate. L א il ne s’occupait pas א calculer combien de pouces d’eau coulaient en une seconde sous les arches d’un pont, ou s’il tombait une ligne cube de pluie dans le mois de la souris plus que dans le mois du mouton. Il n’imaginait point de faire de la soie avec des toiles d’araign י e, ni de la porcelaine avec des bouteilles cass י es; mais il י tudia surtout les propri י t י s des animaux et des plantes, et il acquit bient פ t une sagacit י qui lui d י couvrait mille diff י rences o ש les autres hommes ne voient rien que d’uniforme. [1]Un jour, se promenant aupr ט s d’un petit bois, il vit accourir א lui un eunuque de la reine, suivi de plusieurs officiers qui paraissaient dans la plus grande inqui י tude, et qui couraient ח א et l א comme des hommes י gar י s qui cherchent ce qu’ils ont perdu de plus pr י cieux. Jeune homme, lui dit le premier eunuque, n’avez-vous point vu le chien de la reine? Zadig r י pondit modestement, C’est une chienne, et non pas un chien. Vous avez raison, reprit le premier eunuque. C’est une י pagneule tr ט s petite, ajouta Zadig; elle a fait depuis peu des chiens; elle boite du pied gauche de devant, et elle a les oreilles tr ט s longues. Vous l’avez donc vue? dit le premier eunuque tout essouffl י . Non, r י pondit Zadig, je ne l’ai jamais vue, et je n’ai jamais su si la reine avait une chienne. [1] L’_Ann י e litt י raire_, 1767, I, 145 et suiv., reproche א Voltaire d’avoir pris l’id י e de ce chapitre au chevalier de Mailly, auteur anonyme de _Le Voy ג ge et les Aventures des trois princes de Sarendip, traduits du persan_, 1719 (et non 1716), iii-12. B. Pr י cis י ment dans le m ך me temps, par une bizarrerie ordinaire de la fortune, le plus beau cheval de l’ י curie du roi s’ י tait י chapp י des mains d’un palefrenier dans les plaines de Babylone. Le grand-veneur et tous les autres officiers couraient apr ט s lui avec autant d’inqui י tude que le premier eunuque apr ט s la chienne. Le grand-veneur s’adressa א Zadig, et lui demanda s’il n’avait point vu passer le cheval du roi. C’est, r י pondit Zadig, le cheval qui galope le mieux; il a cinq pieds de haut, le sabot fort petit; il porte une queue de trois pieds et demi de long; les bossettes de son mors sont d’or א vingt-trois carats; ses fers sont d’argent א onze deniers. Quel chemin a-t-il pris? o ש est-il? demanda le grand-veneur. Je ne l’ai point vu, r י pondit Zadig, et je n’en ai jamais entendu parler. Le grand-veneur et le premier eunuque ne dout ט rent pas que Zadig n’e � t vol י le cheval du roi et la chienne de la reine; ils le firent conduire devant l’assembl י e du grand Desterham, qui le condamna au knout, et א passer le reste de ses jours en Sib י rie. A peine le jugement fut-il rendu qu’on retrouva le cheval et la chienne. Les juges furent dans la douloureuse n י cessit י de r י former leur arr ך t; mais ils condamn ט rent Zadig א payer quatre cents onces d’or, pour avoir dit qu’il n’avait point vu ce qu’il avait vu. Il fallut d’abord payer cette amende; apr ט s quoi il fut permis א Zadig de plaider sa cause au conseil du grand Desterham; il parla en ces termes: « � toiles de justice, ab מ mes de science, miroirs de v י rit י , qui avez la pesanteur du plomb, la duret י du fer, l’ י clat du diamant, et beaucoup d’affinit י avec l’or, puisqu’il m’est permis de parler devant cette auguste assembl י e, je vous jure par Orosmade, que je n’ai jamais vu la chienne respectable de la reine, ni le cheval sacr י du roi des rois. Voici ce qui m’est arriv י : Je me promenais vers le petit bois o ש j’ai rencontr י depuis le v י n י rable eunuque et le tr ט s illustre grand-veneur. J’ai vu sur le sable les traces d’un animal, et j’ai jug י ais י ment que c’ י taient celles d’un petit chien. Des sillons l י gers et longs, imprim י s sur de petites י minences de sable entre les traces des pattes, m’ont fait conna מ tre que c’ י tait une chienne dont les mamelles י taient pendantes, et qu’ainsi elle avait fait des petits il y a peu de jours. D’autres traces en un sens diff י rent, qui paraissaient toujours avoir ras י la surface du sable א c פ t י des pattes de devant, m’ont appris qu’elle avait les oreilles tr ט s longues; et comme j’ai remarqu י que le sable י tait toujours moins creus י par une patte que par les trois autres, j’ai compris que la chienne de notre auguste reine י tait un peu boiteuse, si je l’ose dire. «A l’ י gard du cheval du roi des rois, vous saurez que, me promenant dans les routes de ce bois, j’ai aper ח u les marques des fers d’un cheval; elles י taient toutes י א gales distances. Voil א , ai-je dit, un cheval qui a un galop parfait. La poussi ט re des arbres, dans une route י troite qui n’a que sept pieds de large, י tait un peu enlev י e א droite et א gauche, א trois pieds et demi du milieu de la route. Ce cheval, ai-je dit, a une queue de trois pieds et demi, qui, par ses mouvements de droite et de gauche, a balay י cette poussi ט re. J’ai vu sous les arbres qui formaient un berceau de cinq pieds de haut, les feuilles des branches nouvellement tomb י es; et j’ai connu que ce cheval y avait touch י , et qu’ainsi il avait cinq pieds de haut. Quant א son mors, il doit ך tre d’or א vingt-trois carats; car il en a frott י les bossettes contre une pierre que j’ai reconnue ך tre une pierre de touche, et dont j’ai fait l’essai. J’ai jug י enfin par les marques que ses fers ont laiss י es sur des cailloux, d’une autre esp ט ce, qu’il י tait ferr י d’argent א onze deniers de fin.» Tous les juges admir ט rent le profond et subtil discernement de Zadig; la nouvelle en vint jusqu’au roi et א la reine. On ne parlait que de Zadig dans les antichambres, dans la chambre, et dans le cabinet; et quoique plusieurs mages opinassent qu’on devait le br � ler comme sorcier, le roi ordonna qu’on lui rend מ t l’amende des quatre cents onces d’or א laquelle il avait י t י condamn י . Le greffier, les huissiers, les procureurs, vinrent chez lui en grand appareil lui rapporter ses quatre cents onces; ils en retinrent seulement trois cent quatre-vingt-dix-huit pour les frais de justice, et leurs valets demand ט rent des honoraires. Zadig vit combien il י tait dangereux quelquefois d’ ך tre trop savant, et se promit bien, א la premi ט re occasion, de ne point dire ce qu’il avait vu. Cette occasion se trouva bient פ t. Un prisonnier d’ י tat s’ י chappa; il passa sous les fen ך tres de sa maison. On interrogea Zadig, il ne r י pondit rien; mais on lui prouva qu’il avait regard י par la fen ך tre. Il fut condamn י pour ce crime א cinq cents onces d’or, et il remercia ses juges de leur indulgence, selon la coutume de Babylone. Grand Dieu! dit-il en lui-m ך me, qu’on est א plaindre quand on se prom ט ne dans un bois o ש la chienne de la reine et le cheval du roi ont pass י ! qu’il est dangereux de se mettre א la fen ך tre! et qu’il est difficile d’ ך tre heureux dans cette vie! CHAPITRE IV. L’envieux. Zadig voulut se consoler, par la philosophie et par l’amiti י , des maux que lui avait faits la fortune. Il avait, dans un faubourg de Babylone, une maison orn י e avec go � t, o ש il rassemblait tous les arts et tous les plaisirs dignes d’un honn ך te homme. Le matin sa biblioth ט que י tait ouverte א tous les savants; le soir, sa table l’ י tait א la bonne compagnie; mais il connut bient פ t combien les savants sont dangereux; il s’ י leva une grande dispute sur une loi de Zoroastre, qui d י fendait de manger du griffon. Comment d י fendre le griffon, disaient les uns, si cet animal n’existe pas? Il faut bien qu’il existe, disaient les autres, puisque Zoroastre ne veut pas qu’on en mange. Zadig voulut les accorder, en leur disant, S’il y a des griffons, n’en mangeons point; s’il n’y en a point, nous en mangerons encore moins; et par l א nous ob י irons tous א Zoroastre. Un savant qui avait compos י treize volumes sur les propri י t י s du griffon, et qui de plus י tait grand th י urgite, se h ג ta d’aller accuser Zadig devant un archimage nomm י Y י bor[1], le plus sot des Chald י ens, et partant le plus fanatique. Cet homme aurait fait empaler Zadig pour la plus grande gloire du soleil, et en aurait r י cit י le br י viaire de Zoroastre d’un ton plus satisfait. L’ami Cador (un ami vaut mieux que cent pr ך tres) alla trouver le vieux Y י bor, et lui dit: Vivent le soleil et les griffons! gardez-vous bien de punir Zadig: c’est un saint; il a des griffons dans sa basse-cour, et il n’en mange point; et son accusateur est un h י r י tique qui ose soutenir que les lapins ont le pied fendu, et ne sont point immondes. Eh bien! dit Y י bor en branlant sa t ך te chauve, il faut empaler Zadig pour avoir mal pens י des griffons, et l’autre pour avoir mal parl י des lapins. Cador apaisa l’affaire par le moyen d’une fille d’honneur א laquelle il avait fait un enfant, et qui avait beaucoup de cr י dit dans le coll ט ge des mages. Personne ne fut empal י ; de quoi plusieurs docteurs murmur ט rent, et en pr י sag ט rent la d י cadence de Babylone. Zadig s’ י cria: A quoi tient le bonheur! tout me pers י cute dans ce monde, jusqu’aux ך tres qui n’existent pas. Il maudit les savants, et ne voulut plus vivre qu’en bonne compagnie. [1] Anagramme de Boyer, th י atin, confesseur de d י votes titr י es, י v ך que par leurs intrigues, qui n’avaient pu r י ussir א le faire sup י rieur de son couvent; puis pr י cepteur du dauphin, et enfin ministre de la feuille, par le conseil du cardinal de Fleury, qui, comme tous les hommes m י diocres, aimait א faire donner les places א des hommes incapables de les remplir, mais aussi incapables de se rendre dangereux. Ce Boyer י tait un fanatique imb י cile qui pers י cuta M. de Voltaire dans plus d’une occasion. K. Il rassemblait chez lui les plus honn ך tes gens de Babylone, et les dames les plus aimables; il donnait des soupers d י licats, souvent pr י c י d י s de concerts, et anim י s par des conversations charmantes dont il avait su bannir l’empressement de montrer de l’esprit, qui est la plus s � re mani ט re de n’en point avoir, et de g ג ter la soci י t י la plus brillante. Ni le choix de ses amis, ni celui des mets, n’ י taient faits par la vanit י ; car en tout il pr י f י rait l’ ך tre au para מ tre, et par l א il s’attirait la consid י ration v י ritable, א laquelle il ne pr י tendait pas. Vis- א -vis sa maison demeurait Arimaze, personnage dont la m י chante ג me י tait peinte sur sa grossi ט re physionomie. Il י tait rong י de fiel et bouffi d’orgueil, et pour comble, c’ י tait un bel esprit ennuyeux. N’ayant jamais pu r י ussir dans le monde, il se vengeait par en m י dire[2]. Tout riche qu’il י tait, il avait de la peine א rassembler chez lui des flatteurs. Le bruit des chars qui entraient le soir chez Zadig l’importunait, le bruit de ses louanges l’irritait davantage. Il allait quelquefois chez Zadig, et se mettait א table sans ך tre pri י : il y corrompait toute la joie de la soci י t י , comme on dit que les harpies infectent les viandes qu’elles touchent. Il lui arriva un jour de vouloir donner une f ך te א une dame qui, au lieu de la recevoir, alla souper chez Zadig. Un autre jour, causant avec lui dans le palais, ils abord ט rent un ministre qui pria Zadig א souper, et ne pria point Arimaze. Les plus implacables haines n’ont pas souvent des fondements plus importants. Cet homme, qu’on appelait l’ Envieux dans Babylone, voulut perdre Zadig, parcequ’on l’appelait l’ Heureux . L’occasion de faire du mal se trouve