1 Une équipe bien accordée Par Marine Agogué et Jean-François Soublière Mise en situation Janvier 2022, rue Ontario, Montréal. Olivier Paquette, fondateur et propriétaire de « Lutherie OPA » 1 , étudie les comptes de l’année 2021. Il y a trois ans et demi, en 2018, Olivier ouvrait les portes de son atelier. Dans 18 mois, il devra renouveler le bail commercial de son local et encaisser une augmentation de loyer qui lui semble inévitable dans le contexte immobilier actuel. 2 Il doit trouver une façon de stabiliser sa croissance. Une partie de son activité, le service de réparation et d’entretien d’instruments de musique, semble bien établie. Mais la seconde partie, la fabrication de guitares acoustiques et électriques, peine à trouver sa place. Avec une petite équipe qui se met progressivement en place autour de lui, Olivier s’interroge sur les suites à donner à son entreprise pour structurer son activité. Avoir la meilleure équipe possible sera la clé de sa croissance. Le parcours d’Olivier Paquette Olivier Paquette grandit en Estrie, dans une famille d’enseignants. De nature curieuse et créative, il se passionne très tôt pour l’astronomie et la musique. Cherchant sa place dans un système scolaire qui ne lui convient pas vraiment, il décide de miser sur son goût pour la guitare et s’inscrit au CEGEP Limoilou, à Québec, pour intégrer l’École Nationale de Lutherie. Il y suit une formation complète englobant tous les aspects du métier, orientée vers les réalités du milieu de la lutherie, notamment concernant le développement d’une activité économique. Au cœur de la formation : la fabrication de guitares. Son intérêt est piqué par un de ses cours qui parle du processus créatif, ce qui le motive à déménager à Montréal pour faire un Bac en design industriel à l’Université de Montréal. Pour Olivier, cette poursuite des études universitaires est essentielle : il sait que ses compétences d’artisanat en lutherie ne suffiront pas à la réussite de ses projets entrepreneuriaux, quand bien même lesdits projets ne sont pas encore bien clairs. D’ailleurs, Olivier aime à dire que la lutherie, ce n’est pas sa passion. Plutôt, c’est un vecteur pour créer sa propre activité entrepreneuriale, ce qui le motive bien plus ! Olivier obtient son diplôme universitaire en 2012. Il signe ses premiers contrats d’ébénistes pour créer des décors pour la télévision et le cinéma, enchaînant un boulot après l’autre pour subvenir à ses besoins. Il travaille souvent avec son ami Phil, lui aussi ébéniste. En parallèle, il établit une activité de lutherie à temps partiel depuis l’une des chambres de son appartement du quartier d’Hochelaga-Maisonneuve. Cette activité ponctuelle lui permet de commencer à rencontrer des musiciens de son quartier et de développer des compétences dans l’entretien et 1 Ce cas est un cas fictif issu de faits réels – vous ne trouverez pas OPA sur la rue Ontario ! Mais ce cas est construit suite à des entretiens avec plusieurs personnes travaillant dans le milieu de la lutherie, au Québec et ailleurs. 2 A la différence des baux résidentiels, il n’y a pas de bail type pour un bail commercial. Ces beaux ne sont pas enregistrés au registre foncier, ce qui permet aux propriétaires de locaux commerciaux d’augmenter facilement les loyers. « On a constaté que certains propriétaires abusent de la situation en spéculant de façon éhontée, en augmentant sans vergogne les loyers de petits commerçants », ce qui force certains à jeter la serviette, déplore le conseiller Richard Ryan, président de la Commission sur le développement économique et urbain et l’habitation, qui évoque des hausses de loyers pouvant atteindre 250 %. Voir : https://www.lapresse.ca/actualites/grand- montreal/2021-04-19/montreal-veut-proteger-les-locataires-residentiels-et-commerciaux.php 2 la réparation d’instruments – une activité qu’il avait peu rencontré dans ses études mais qui se révèle être un service très en demande par la clientèle avoisinante. Entre 2016 et 2018, Olivier est embauché comme adjoint à la direction dans une compagnie de fabrication de meubles. Son rôle lui donne une vision transversale du fonctionnement de l’entreprise, ce qu’il apprécie énormément, mais l’univers commercial lui pèse. Par exemple, le code vestimentaire qu’on lui impose et les pratiques de gestion assez paternalistes du propriétaire de l’entreprise s’alignent difficilement avec ses valeurs. Olivier se prend à rêver d’ouvrir son propre atelier lutherie, mais il hésite. Il sait que la compétition sera dure. L’industrie de fabrication de guitare est une industrie mature avec des fabricants bien établis sur un marché international. La consommation de masse est dominée par la fabrication industrielle, qui permet d’offrir à grande échelle un large éventail de produits pour tous les styles musicaux. Peu de luthiers disposent des moyens techniques et financiers pour rivaliser avec la grande diversité et réputation des marques existantes. 3 Cependant, certains luthiers misent plutôt sur une fabrication artisanale pour offrir des instruments audacieux à une clientèle à la recherche d’instruments extravagants. 4 La fabrication artisanale est un pari risqué, mais peut-être qu’Oliver saura relever le défi ? Encouragé par son ami Phil et sa conjointe, Cyrielle, détentrice d’un MBA de HEC Montréal et consultante en stratégie dans un grand cabinet, Olivier se décide enfin à se lancer en affaires. Il œuvrera dans une entreprise, oui, mais la sienne : sans cravate, sans prétention et sans niaisage ! Cyrielle met une mise de fond dans le projet d’Olivier, qui quitte alors son emploi début 2018. Il trouve un local sur la rue Ontario, puis déménage ses outils. La lutherie ouvre ses portes en août 2018, grâce notamment à une petite subvention de la SODEC 5 pour l’installation d’ateliers d’artisan. La « Lutherie OPA » 2018 – 2019 : La fondation La lutherie OPA – pour Olivier Paquette Atelier – ne paie pas de mine sur la rue Ontario, mais démontre un grand effort de réflexion dans la configuration de l’espace. Chaque chose est à sa place. Premièrement, au rez-de-chaussée, Olivier mène ses activités d’entretien-réparation. Une grande vitrine laisse entrer le soleil et permet de mettre en valeur les deux principaux établis de l’atelier. La rue Ontario est animée, avec ses commerces et ses restaurants, et les passants 3 À titre d’exception, le luthier québécois Robert Godin est l’un des plus importants fabricants de guitares en Amérique du Nord. Ses usines produisent chaque année près de 200 000 guitares, basses et autres instruments, qui sont ensuite vendus dans une centaine de pays. Le prix d’entrée de gamme d’une guitare Godin est inférieur à 1000$. D’ailleurs, la production de masse de guitares est en croissance depuis le milieu des années 2010 en Amérique du Nord (https://www.rollingstone.com/pro/news/guitars-are-getting-more-popular-so-why-do-we- think-theyre-dying-630446/). 4 Quelques luthiers québécois se font connaître pour leurs instruments uniques et hors normes, qui peuvent se vendre pour plusieurs milliers de dollars (https://www.lapresse.ca/arts/musique/2020-12-29/lutherie- quebecoise/des-guitares-completement-givrees.php). 5 La Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) est une société d'État québécoise qui a pour mandat de promouvoir et de soutenir le développement des entreprises culturelles au Québec et à l’étranger. 3 s’arrêtent souvent pour observer par la vitre le luthier travailler sur ses instruments, au milieu des copeaux de bois. Quand on pousse la lourde porte d’entrée, un bruit de clochette, et Olivier accueille ses clients derrière une grande table en bois blanche, où les clients peuvent déposer l’étui de leurs instruments pour les faire examiner. De chaque côté, des étagères remplies de pièces métalliques, de morceaux de bois de toutes les tailles, d’outils aux formes compliquées. Une guitare électrique Fender Stratocaster attend sur un établi que des cordes lui soient posées. Les premiers clients d’Olivier sont d’abord attirés par ce service. Certains clients veulent simplement dépoussiérer et ajuster leurs instruments, ce qui se fait assez rapidement. D’autres veulent réassembler une guitare cassée en deux, ce qui nécessite un travail de plusieurs semaines. La clientèle de musiciens, qui habitent habituellement le quartier, découvre souvent la boutique en marchant devant, ou en allant au pub en face de l’atelier, tenu par Kevin qui n’hésite jamais à référencer des clients à OPA. La réputation se construit rapidement par bouche à oreille, tant les clients apprécient les prix raisonnables d’OPA mais surtout la qualité du service qui est offert. D’ailleurs, dans un atelier de réparation d’instruments, il est rare que ce soit le luthier qui accueille les clients. Mais c’est justement ça, la marque de fabrique d’OPA ! Tablier en cuir noué autour de la taille, Olivier offre un service personnalisé : il examine chaque instrument, diagnostique les soins nécessaires, et conseille tous ses clients. Interagir avec la personne qui va s’occuper de l’instrument est un gage de sérieux et de qualité, à laquelle s’ajoute la rapidité d’exécution du service : les instruments sont souvent réparés en moins de 15 jours, sauf pour les plus gros chantiers qui peuvent s’étaler parfois sur plus d’un mois. Deuxièmement, au sous-sol, Olivier mène ses activités de fabrication. L’escalier au fond de la boutique descend à un espace de 700 pieds carrés dédié à la fabrication d’instruments uniques et originaux. Comme Olivier aime rappeler à ses clients, il n’est pas seulement luthier, mais aussi designer. Les machines-outils côtoient les planches de bois, des manches de guitares et des outils en tout genre. Puis, quand Olivier termine la confection de ses guitares, il les expose au rez-de-chaussée près de sa grande table blanche pour inviter les clients à les essayer. Les guitares d’Olivier sont à l’image de leur créateur : originales et atypiques, avec un design résolument punk-rock moderne qui rompt avec certaines conventions du design des guitares. Olivier mixe dans ses projets des matériaux de haute qualité, un savoir-faire traditionnel et des inspirations éclectiques, pour mettre des instruments dans les mains d’une clientèle qui veut s’offrir une guitare d’exception pour plusieurs milliers de dollars. Et pour avoir un instrument signé OPA, il faut souvent savoir attendre : une guitare acoustique a besoin de 120 heures de travail étalées sur 8 semaines, pour permettre au bois de réagir, de coller, de sécher. Olivier se fait tranquillement un nom en ayant, en 2018, un de ses instruments dans les mains d’un célèbre guitariste américain, lui donnant une certaine visibilité sur les réseaux sociaux et suscitant des appels de partout sur la planète pour commander une guitare. Pour les clients, acheter une guitare chez OPA, c’est avant tout une expérience. Pendant la première année d’opération, les services de réparation deviennent rapidement le moteur principal de l’activité de l’atelier 6 . Tout ce qui a des cordes se répare chez OPA, sauf les pianos bien sûr ! Mais les réparations rapportent peu et prennent un temps conséquent, surtout que s’ajoutent nombre de tâches administratives. En effet, Olivier doit s’occuper de se monter une liste de prix, un site web, un fichier Excel de facturation, une visibilité sur les réseaux sociaux... Quant aux activités de fabrication, elles permettent de dégager des marges 6 L’activité de réparation et entretien représente en 2021 autour de 90% du chiffre d’affaires, avec 250 guitares entretenues par an, pour un prix moyen de réparation de 190$. 4 très intéressantes, mais les ventes sont très imprévisibles et nécessitent un investissement conséquent en temps pour susciter l’intérêt sur les instruments fabriqués chez OPA. Pour l’instant, peu de clients lui ont passé de commandes pour des instruments à un prix aussi élevé, et plusieurs de ces guitares cherchent toujours preneurs. Olivier réalise que pour que son atelier soit rentable, il doit gagner en efficacité. Il en discute en Cyrielle, sa conjointe, qui est toujours heureuse de lui offrir ses conseils. Ensemble, ils réfléchissent à une façon d’optimiser l’entretien et la réparation des instruments : chaque service est déconstruit en une suite d’étapes à faire dans un certain ordre, avec des objectifs de temps passé pour chaque action sur l’instrument. Cyrielle propose d’avoir une fiche par instrument, avec une liste des opérations à faire, ainsi qu’une heure de début et une heure de fin de travail sur l’instrument. Olivier est plus réticent à un tel processus, qui lui semble trop rigide pour la réalité de son métier : une guitare, c’est un objet en bois, unique, qui peut se comporter de façon inattendue – une corde qui lâche, un sillet qui fend, du vernis qui s’écaille. Mais malgré ses réticences initiales, Olivier est convaincu du résultat. Après quelques essais, l’ajustement complet d’une guitare électrique (le meilleur vendeur de l’atelier) devient une activité cadencée et minutieuse d’exactement 1h25. Un gain de 56% ! Dès l’été 2019, un an après l’ouverture, le service de réparation permet de couvrir tous les coûts fixes de l’atelier. 7 Mais ce qui est encore plus important, c’est que Olivier s’est libéré du temps, qu’il peut alors consacrer à la fabrication de guitares électriques et acoustiques. 2019 – 2020 : Première embauches, premiers départs Un an après l’ouverture, Olivier réalise qu’il ne peut pas travailler seul : l’atelier étant installé, il faut faire rouler les affaires ! Si la première année, il a pu compter sur son ami Phil qui lui a donné un coup de main de temps en temps, il a désormais besoin de main d’œuvre de façon pérenne. Recruter du personnel n’est jamais difficile pour Olivier : la lutherie est un métier passion, et les amateurs de guitare sont nombreux à vouloir baigner dans leur hobby au quotidien. Olivier peut aussi compter sur la réputation grandissante de l’atelier, reconnu pour la qualité de ses services d’entretien-réparation et pour la créativité des instruments signés OPA. En 2019, il recrute à quelques semaines d’écart deux jeunes luthiers fraîchement sortis de l’école : Fred, qui vient de terminer sa formation au CEGEP de Limoilou à Québec, et Sam qui lui est diplômé de l’École-atelier Lutherie-Guitare Bruand à Longueil. Malheureusement, Fred et Sam démontrent très peu d’intérêt pour la réparation, qui constitue 80% de leurs tâches. Très attachés aux façons de faire qui leur ont été enseignées dans leurs études, ils n’ont pas l’habitude de travailler pour quelqu’un qui fixe les règles du jeu – notamment concernant le design des guitares et les processus de travail. Olivier doit régulièrement leur expliquer comment il veut que les choses soient, ce qui ne manque jamais de créer des débats sur la différence entre les façons de faire d’Olivier et la théorie dispensée par les professeurs de lutherie. Face à la difficulté de susciter de la motivation chez ces deux jeunes luthiers, Olivier demande de son avis à Cyrielle, qui lui suggère de jouer sur des incitatifs financiers. Olivier change alors le mode de rémunération de Fred et Sam pour le travail opéré sur l’entretien et la réparation d’instruments. Plutôt que d’être rémunérés au temps, ils seraient payés à la tâche, et ce peu importe le temps passé à entretenir un instrument. Les deux employés quittent l’atelier au bout 7 Voir Annexe A. 5 de quelques semaines, l’un pour s’établir à son compte en Montérégie, l’autre pour travailler chez Guitares Montréal, un concurrent d’OPA 8 Se rappelant à quel point il appréciait autrefois les coups de main de son ami ébéniste Phil, Olivier décide alors de changer de profil pour son prochain employé. Il embauche Stéphanie, une ébéniste avec 3 ans d’expérience, pour faire avancer spécifiquement la fabrication de guitares électriques. Olivier se dit que certaines étapes de fabrication ne demandent pas de savoir-faire spécifique en lutherie, et que Stéphanie, avec son profil polyvalent et son expérience dans la confection de meubles, pourrait très bien les accomplir. Mais finalement, la courbe d’apprentissage s’avère être très abrupte pour Stéphanie, qui ne maîtrise pas les courbes du bois nécessaires à la fabrication de guitares. Olivier passe beaucoup de temps à coacher Stéphanie, et le carnet d’entretien-réparation commence à prendre du retard. Cyrielle suggère que pour soutenir la rentabilité de l’atelier et assurer le besoin en fonds de roulement, il faut qu’Olivier puisse garder la régularité de son travail d’entretien-réparation. Cyrielle souligne aussi à Olivier que gérer, c’est aussi prendre des décisions difficiles : il licencie Stéphanie en décembre 2019. Olivier se retrouve seul à l’atelier au début de l’année 2020. 2020 – 2021 : Une nouvelle équipe sur de nouvelles bases En mars 2020, la crise de la Covid-19 se déclare. Olivier est dans un premier temps très soucieux de l’avenir de son entreprise, mais il constate que le flux de clientèle ne diminue pas : les gens, confinés, ont plus de temps pour jouer de la musique, et la prestation canadienne d’urgence (PCU) donne des fonds immédiats aux musiciens amateurs. Si Olivier tire son épingle du jeu, la pandémie frappe le pub d’en face qui ferme ses portes. Olivier propose alors à Kevin, le propriétaire du pub, de lui donner un coup de main dans son atelier. Kevin n’a aucune expérience dans le travail du bois, mais fait du ménage dans l’atelier. Puis, il se met à préparer les entretiens de guitare en nettoyant les instruments avant que Olivier ne les règle. Olivier réalise alors qu’en séparant l’entretien d’une guitare du temps de nettoyage opéré par Kevin, il peut se concentrer exclusivement à faire les réglages de l’instrument. Olivier apprécie rapidement le soin que Kevin met à faire briller les guitares. Le duo trouve rapidement son rythme et se met à pouvoir traiter de plus en plus d’instruments chaque semaine. Olivier se décide à offrir à Kevin de prendre plus de responsabilités, notamment en lui proposant une implication dans la fabrication de guitares, mais Kevin ne se montre pas intéressé : travailler deux jours par semaine, sans engagement, lui convient très bien et lui permet de réfléchir à d’autres projets en dehors d’OPA, comme la réouverture de son pub. Début 2021, la charge de travail continue d’augmenter chez OPA. Kevin recommande alors à Olivier d’embaucher un de ses amis qui rêve d’être luthier depuis tout petit. Passionné par les guitares, Gregory entre donc à temps partiel chez OPA pour nettoyer lui aussi les instruments. Petit à petit, sur les demandes explicites de Gregory, Olivier lui délègue les premières opérations d’entretien des guitares et lui montre les ficelles du métier. Grégory est alors aux anges. Lui qui ne connaissait rien à la lutherie, il prend de l’expérience avec Olivier. De plus, 8 Le secteur de la lutherie artisanale au Québec est composé d’une multitude d’artisans indépendants qui réparent et/ou fabriquent de façon artisanale des instruments. Si certains sont installés à leur compte dans divers quartiers de Montréal, d’autres se sont regroupés au sein de l’Atelier de la Corde, une coopérative installée sur le Plateau Mont-Royal. Des magasins qui vendent des guitares de nombreuses marques, comme Archambault ou Steeve Musique, proposent également des services de réparation et entretien. 6 il travaille avec son bon ami Kevin. Ces deux-là se motivent l’un l’autre, les blagues fusent et Olivier ne s’ennuie jamais à les entendre parler musique. Ils vont même jusqu’à se faire des compétitions de vitesse sur le nettoyage et la pose des cordes sur les instruments. En parallèle, pour développer un inventaire d’instruments à vendre, Olivier prend pour une année une apprentie, Lucie, qui a mis sur pause sa formation en lutherie à l’École-atelier Lutherie-Guitare Bruand à cause des incertitudes liées à la Covid et de l’évolution de l’enseignement en ligne. Dès son arrivée en septembre 2021, elle semble très l’aise avec la sableuse, le ban de scie, la polisseuse, tout comme avec les petits outils de finition. Elle apprend très rapidement en calquant ses gestes sur ceux de son patron, et ce pratiquement sans coaching. Extrêmement minutieuse, son approche de la lutherie s’avère très rassurante pour Olivier. Quand Olivier et Lucie se plongent dans le travail de précision de sabler un manche ou de poser des incrustations de nacre dans un morceau d’érable, le duo fonctionne presqu’au ralenti, avec toute la précision nécessaire. Olivier a l’impression que son atelier opère à deux rythmes : d’un côté, il apprécie la rapidité de l’entretien des guitares; de l’autre, il s’épanouit davantage dans le calme de la fabrication. Malgré les ratés de l’année précédente, Olivier semble enfin avoir mis sur pied une équipe gagnante. Mais l’année suivante lui réservait bien des surprises. 2022 : Une équipe fracturée? L’année 2022 s’ouvre sur une bonne note. Après le congé des fêtes, Olivier est heureux de retrouver son équipe. Les routines de travail sont bien établies dans les deux équipes. Olivier descend à l’atelier de fabrication. Il y trouve Lucie, silencieuse, qui conçoit de nouveaux modèles de guitare dans un calepin. Une fois que le duo est au travail, Lucie annonce qu’elle songe à son avenir : « J’aime beaucoup ça travailler ici, Olivier. Je commence à perfectionner ma technique et j’aimerais commencer à faire mes propres guitares. J’en ai dessiné plusieurs pendant les fêtes et j’aimerais ça te montrer ce que j’ai en tête. Mais je sais qu’on a déjà de la difficulté à vendre toutes les guitares qu’on fabrique ensemble. Des fois, je me demande si je ne devrais pas retourner à l’école Bruand ? Peut-être qu’en finissant ma formation, je pourrais me partir à mon compte. Je ne sais pas. Si seulement les ventes pouvaient enfin lever cette année ! » Olivier lui répond qu’il comprend parfaitement sa position et qu’il songe à une solution. Lui aussi aimerait que l’atelier de fabrication prenne son envol. Pour y arriver, il faut absolument constituer un inventaire d’instruments. Il faut aussi dédier du temps aux activités qui en permettront la vente, comme établir des partenariats avec des revendeurs, développer son réseau auprès d’artistes, puis créer du contenu pour les réseaux sociaux. Ce sont des activités critiques, mais Olivier peine à les prioriser. Avec la comptabilité de l’entreprise, la recherche de subventions, le soutien à l’atelier de réparation et l’accueil des clients en boutique, Olivier a toujours le sentiment de courir après son temps. Après un bon avant-midi de travail, Oliver monte à l’atelier de réparation. Kevin nettoie un banjo ténor alors que Grégory ajuste la tension dans le manche d’une basse acoustique. Voyant que tout est sous contrôle, Olivier décide d’aller dîner à l’extérieur. Au moment où il s’apprête 7 à franchir la porte, Grégory lui demande s’il peut l’accompagner. Une fois à table, Grégory lui fait une proposition : « Tu sais que je suis vraiment hyper motivé. J’ai toujours trouvé ça trippant le métier de luthier, et je pense que je suis prêt pour faire de la fabrication ! Aujourd’hui, je travaille 14h par semaine, mais je pourrais lâcher mon autre job de vendeur pour être à temps plein chez OPA. J’ai beaucoup de fun à travailler avec Kevin, mais je commence à trouver ça un peu routinier dans l’atelier d’entretien. Je sais que c’est Lucie que tu as choisi comme apprentie, et c’est vrai que je n’ai pas sa formation, mais je suis capable de faire bien plus que changer des cordes ! Je suis toujours partant quand tu me montres des nouvelles affaires. C’est pas comme Lucie. Moi, je la trouve un peu au-dessus de ses affaires, toujours à rêvasser... t’sais, c’est pas elle qui mettrait les mains dans la saleté ou qui nettoierait les étuis des guitares quand on est dans l’rush ! » Olivier savait que Grégory voulait développer son expertise de lutherie, mais il n’avait pas pressenti que Grégory voyait Lucie comme une rivale. Pour le rassurer, Olivier lui rappelle qu’il est un pilier important de l’atelier. D’ailleurs, il touche une rémunération beaucoup plus élevée que celle de Kevin ou Lucie. En revanche, si Olivier aimerait miser sur la motivation de Grégory, il voit mal où il pourrait trouver le temps de lui montrer le métier de travail du bois avec des machines, surtout que le travail soigné de finition, ce n’est pas trop la spécialité de Grégory. Sans s’avancer davantage, Olivier lui promet de réfléchir à une façon de le former sur la scie à ruban, qui est difficile à maîtriser. De retour à l’atelier, Olivier n’a pas le cœur à l’ouvrage. Il songe aux enjeux de Lucie et à la proposition de Grégory. D’un côté, s’il ne s’occupe du développement de l’atelier de fabrication, Olivier risque de perdre l’aide précieuse Lucie. Olivier se souvient qu’il s’était retrouvé complétement débordé quand Fred et Sam avaient claqué la porte. D’un autre côté, Olivier s’imagine difficilement comment il pourrait trouver le temps de former Grégory sans délaisser l’atelier de réparation. Par ailleurs, les erreurs de Stéphanie, son ancienne apprentie, avaient été très coûteuses dans le passé et Olivier anticipait la formation de Grégory apporterait son lot de défis. Olivier s’était enfin entouré d’une équipe compétente, mais serait-il capable de concilier les intérêts de ses employés avec ceux de son entreprise? Plus de trois ans après l’inauguration de l’atelier, la croissance se devait d’être au rendez-vous. Le patron d’OPA a certes remboursé ses dettes, mais il ne se tire pas encore de salaire. Avec le renouvellement de son bail commercial dans 18 mois, Olivier s’attend aussi à une augmentation salée. Par ailleurs, Cyrielle lui a signifié qu’avec l’arrivée de jumeaux prévus pour l’été, un deuxième revenu serait apprécié. La tête lourde, Olivier se demande comment structurer ses activités d’entretien et de fabrication pour favoriser l’essor de son entreprise. 8 ANNEXE A – Éléments comptables de la lutherie OPA