Violences sexuelles: plusieurs femmes accusent Eric Zemmour Lénaïg Bredoux 29 avril 2021 Après le récit d'une élue d'Aix-en-Provence publié le 24 avril sur les réseaux sociaux, Mediapart a recueilli les témoignages de plusieurs femmes qui dénoncent les agissements et le comportement du journaliste du Figaro et de CNews, que certains rêvent de voir candidat à la présidentielle. «Le poil est une trace, un marqueur, un symbole. De notre passé d’homme des cavernes, de notre bestialité, de notre virilité. De la différence des sexes. Il nous rappelle que la virilité va de pair avec la violence, que l’homme est un prédateur sexuel, un conquérant. » Ces mots sont ceux d’un journaliste et essayiste très connu, officiant au Figaro Magazine et sur CNews, plusieurs fois condamné par la justice pour provocation à la haine envers les musulmans, Éric Zemmour. À 62 ans, il est aujourd’hui mis en cause pour son comportement envers les femmes. Au cours des derniers mois, Mediapart a recueilli plusieurs récits, évoquant des baisers forcés, des gestes et des propos à connotation sexuelle. Contacté, Éric Zemmour a décliné notre demande d’entretien et nous a fait savoir qu’il ne répondrait pas à nos questions, portant sur l’ensemble des éléments recueillis ( lire notre Boîte noire ). Il est de nouveau au centre de l’attention depuis la publication d’un post Facebook d’une conseillère municipale d’opposition à Aix (Bouches-du-Rhône), Gaëlle Lenfant, samedi 24 avril. Cette ex- responsable du PS, en charge notamment des droits des femmes, y raconte une scène qui se serait déroulée à l’université d’été de La Rochelle de son parti : elle situe alors les faits « en 2004 » , au lendemain d’un dîner partagé avec plusieurs responsables socialistes et un journaliste du Figaro , Éric Zemmour. Ce dernier l’aurait retrouvée pour un atelier thématique organisé à l’Encan, le palais des congrès de la ville. Il « me reconnaît, me dit bonjour et me demande ce qu’il a raté. Je lui résume l’intervention. L’atelier se termine, je me lève, il se lève aussi. M’attrape par le cou. Me dit “cette robe te va très bien, tu sais ?”. Et m’embrasse. De force. Je me suis trouvée tellement sidérée que je n’ai rien pu faire d’autre que le repousser et m’enfuir en courant. Trembler. Pleurer. Me demander ce que j’avais bien pu faire » , écrit Gaëlle Lenfant. « Je n’avais rien fait, rien dit, rien montré, rien voulu. Je n’étais bien sûr pour rien là-dedans. J’étais juste une chose dont celui qui se définit lui-même comme “prédateur sexuel violent” avait eu envie, et quand on a envie, dans son monde, on se sert. Il s’est servi » , dit- elle encore. Avant de préciser : « C’était il y a des années, mais le dégoût ne s’en va pas. » © Djamel Achour / Mediapart Depuis, son message a suscité des milliers de commentaires : beaucoup de soutiens mais aussi de nombreuses critiques – Gaëlle Lenfant est tour à tour accusée de mentir, de vouloir régler des comptes politiques avec un homme devenu célèbre, que certains rêvent de voir à la présidence de la République – et certains messages menaçants. Jeudi 29 avril, selon nos informations, elle a déposé plainte pour « menace de crime » C’est une affiche, brièvement installée à Aix samedi, sur le cour Mirabeau, qui a déclenché la prise de parole publique de l’élue municipale (photo ci-contre). « À l’époque, je n’ai jamais pensé à porter plainte... Puis il est devenu connu. Ses propos sur les femmes dans ses livres et à la télévision faisaient à chaque fois écho à ce qu’il avait fait. Mais je m’en tenais loin. Là, avec l’énorme affiche dans ma ville, j’ai eu besoin de le dire... » , explique-t-elle. Prise depuis dans un tourbillon de sollicitations médiatiques, qu’elle a toutes refusées hormis Mediapart, elle ajoute : « Je n’ai pas mesuré la portée médiatique, ni la portée symbolique de ce que je faisais. Quand j’ai écrit ce post, je n’ai pas pensé à Éric Zemmour, la personnalité publique, mais à Éric Zemmour, la personne que j’accuse aujourd’hui. » Dans le fil des commentaires suivant son post, plusieurs de ses proches – amis ou camarades – ont affirmé que l’élue de gauche leur avait déjà confié cet épisode. Interrogé par Mediapart, l’ex-mari de Gaëlle Lenfant se souvient précisément : « Je me rappelle très bien. Nous étions mariés à l’époque. C’était un samedi ou un dimanche, fin août, en 2005. Je jardinais. Elle m’a appelé en début d’après-midi, à la fois paniquée et en colère. Elle m’a raconté qu’il l’avait embrassée de force. » Il ajoute : « Nous ne sommes pas en bons termes avec Gaëlle, et nous sommes divorcés. Mais je sais qu’elle n’a pas inventé cela. » Il est en revanche fréquent, dans ces affaires, que les personnes concernées, ou les témoins, ne se souviennent plus très bien des détails, ou des dates – surtout de longues années après. L’ex-mari de Gaëlle Lenfant est quant à lui certain que les faits rapportés ont eu lieu en 2005. Une date qui correspond par ailleurs à des articles du Figaro , écrits par Éric Zemmour depuis La Rochelle, et retrouvés par Libé , et aux souvenirs du journaliste de Politis Michel Soudais. Lui aussi a été alerté, dans un cadre privé, du récit de Gaëlle Lenfant. « Son agression m’avait été rapportée en 2005, quasiment au moment où elle s’est produite » , explique-t-il aujourd’hui. Celle qui était alors militante du PS dans les Bouches-du-Rhône – elle a depuis quitté le parti – s’est également confiée à une de ses plus proches amies de l’époque : Hélène Le Cacheux, aujourd’hui co- coordinatrice du Parti de gauche. « Elle m’en a parlé d’abord, entre deux portes, elle était choquée. Puis, de retour à Aix, chez moi, on en a longuement discuté. Elle répétait en boucle : “Mais je te jure, je n’ai rien fait pour ça.” “Tu me connais, j’y suis pour rien.” “Tu me crois toi ?” » Au fil du temps, Gaëlle Lenfant s’en ouvre parfois, mais seulement dans le cadre privé. « J’ai tout de suite reconnu les faits quand j’ai lu son post : elle m’avait raconté » , affirme Geneviève Couraud, militante féministe et socialiste. Avec des amis, qui, plusieurs années après, évoquent les prestations d’Éric Zemmour sur le plateau d’ « On n’est pas couché » , Gaëlle Lenfant en reparle, selon Jean- Dominique : « Elle nous a parlé des compliments sur la petite robe et du baiser forcé. À l’époque, je dois avouer, à ma honte, que cela ne m’a pas fait sursauter... Il nous a fallu apprendre qu’un baiser est aussi un viol d’intimité ; c’est toute l’utilité de #MeToo. » Tous les proches de l’élue le rappellent : personne alors ne pense à porter plainte ; le prix à payer semble démesuré et les faits sont souvent minimisés par les intéressé · e · s. Questionné sur ces faits, Éric Zemmour n’a pas répondu. Selon France Info , qui a cité son « entourage » , le journaliste n’aurait « aucun souvenir de cette scène » et estimerait que c’est « une affaire politique qui sort au moment où chacun sait qu’il y a des velléités autour de lui » L’histoire de Gaëlle Lenfant a reçu beaucoup d’écho auprès d’Aurore Van Opstal, une journaliste et autrice belge, qui a publié ce tweet le 27 avril : Jointe par Mediapart, la journaliste de 31 ans explique avoir voulu témoigner « par solidarité féminine et féministe » après avoir lu le récit de l’élue. « Si je parle aujourd’hui, c’est aussi parce que les féministes nous ont appris que le privé est aussi politique » , ajoute- t-elle. Elle estime que les idées développées par Éric Zemmour dans ses écrits seraient corrélées du comportement qu’elle dénonce aujourd’hui : « Il est sexiste, il défend le système patriarcal. Selon lui, les femmes sont par essence vouées à être dans l’émotionnel et non dans la raison. » Le 5 février 2019, elle sollicite le journaliste du Figaro pour faire une « surprise » à son père, un ouvrier de Charleroi (Belgique) né les mêmes jour et année qu’Éric Zemmour, et adorant « la télé, les gens médiatiques » . Dans son mail intitulé « Demande de rencontre » , elle se présente comme une « une amie de Michel Onfray » , indique qu’elle et son père « admir[ent] beaucoup [son] travail » et propose un déjeuner tous les trois. Le 18 février, Éric Zemmour accepte et suggère « un café tous les trois, après le déjeuner, vers Le Figaro » , selon des mails consultés par Mediapart. La rencontre aurait eu lieu un mois plus tard, le 18 mars, dans un café, selon la jeune femme. Elle prétend qu’Éric Zemmour lui aurait « caressé le genou avec sa main » , sous la table, serait « remonté jusque l’entrejambe » , « tout en parlant à [son] père » , assis en face, sur la banquette. « Il a fait comme ça deux allers-retours. J’étais tétanisée, sous le choc, je ne comprenais pas ce qu’il se passait, je le connaissais depuis trois minutes. Il avait 60 ans, j’en avais 29 » , explique-t-elle. D’après la journaliste, il l’aurait « regardée » , en lui disant « discrètement “je peux” » et il aurait « continué à [la] caresser en répondant à [son] père » . « Le “je peux” est arrivé beaucoup trop tard et de toute façon je n’ai rien su dire », assure Aurore Van Opstal. Éric Zemmour et Jean-Paul Van Opstal, lors de la rencontre. Selon elle, dans cette « discussion à bâtons rompus » , son père n’a rien entendu. Aurore Van Opstal explique qu’ayant été victime durant son enfance de pédocriminalité et de violences intrafamiliales, cet épisode lui a « paru anecdotique » : « Sur le coup, j’étais choquée. Et en quelques secondes dans ma tête je me suis dit ce n’est pas grave. » Elle indique avoir « continué à discuter » avec Éric Zemmour, avoir « même pris une photo de lui et [son] père » Contacté, Jean-Paul Van Opstal confirme la rencontre, et affirme ne s’être « rendu compte de rien » Il précise que lorsqu’il a ensuite demandé « des nouvelles » du journaliste, sa fille lui a fait « des sous-entendus », expliquant qu’il aurait été « un peu insistant et que c’était un homme qui aimait bien les femmes ». Ce n’est que le 27 avril qu’elle lui a relaté les détails, avant de témoigner publiquement. Aurore Van Opstal dit avoir par la suite sollicité elle-même le journaliste pour des raisons professionnelles. Le 19 avril 2019, lorsqu’elle lui écrit pour un conseil relatif à une pige, il conclut son mail d’un : « Je serai ravi de vous revoir à Paris. Je vous embrasse. » Le 2 décembre 2020, elle le contacte pour une « interview courte par mail » sur « la négrophobie structurelle », et conclut d’un « Baisers » . Le journaliste décline et ajoute : « Content chère Aurore d’avoir de nouveau de vos nouvelles vous vous éclipsées [sic] quand notre conversation devenait intéressante » « À aucun moment, je n’ai voulu avoir des rapports plus qu’intellectuels » , affirme-t-elle à Mediapart. La journaliste s’est ouverte de ces faits auprès de plusieurs ami · e · s et confrères ces deux dernières années. Deux l’ont confirmé à Mediapart. L’un de ses amis, un universitaire belge, explique qu’elle s’était confiée à lui « à son retour de Paris » , lui en parlant « avec une certaine légèreté » . Olivier Mukuna, un journaliste belge avec lequel elle a travaillé, confirme qu’elle lui a relaté les faits « au début de l’année 2021 », « au détour d’une conversation ». « Elle m’a dit que longtemps, elle s’était autoaccusée elle-même, ou persuadée que ce n’était pas si grave que cela. Je la connais bien, sa parole est crédible » , ajoute-t-il. Quant à l'essayiste Michel Onfray, interpellé sur le sujet, il a refusé de nous répondre sur le fond et s’est fendu d’ un communiqué «Bon, ta cravate tu vas te la faire tout seul.» Anne*, également journaliste, rapporte, sous couvert d’anonymat pour des raisons professionnelles, des faits semblables. Elle nous les a racontés au téléphone, avant de fouiller dans ses archives personnelles dans la pile de ses journaux intimes. À la date du 13 mai 2005, elle décrit, de manière détaillée, « un élément extrêmement déstabilisant » . Celle qui est alors une toute jeune journaliste raconte avoir vu Éric Zemmour dans l’émission « Arrêt sur images » de Daniel Schneidermann à propos du traité constitutionnel européen. « Comme à son habitude, il a été politiquement incorrect, a taxé les journalistes d’aliénés. Enfin bref, j’ai adoré ! » , écrit celle qui assume toujours une sensibilité « de droite » Extrait du journal intime, daté du 13 mai 2005. Anne raconte à son journal intime avoir alors écrit à Zemmour, au Figaro « Et bien ce dernier m’a appelé[e] juste après avoir reçu ma lettre, soit le mardi. Il voulait me rencontrer, donc on s’est vus jeudi. » Dans ses souvenirs, c’était un café, en face du siège du journal, rue du Louvre. « Je me réjouissais, je me disais qu’on allait reparler de son intervention, de ma lettre. J’avais même noté quelques arguments pour ne pas être trop ridicule devant ce “super” journaliste » , écrit la jeune femme dans son journal. « La rencontre, malheureusement, ne s’est pas vraiment déroulée comme je l’avais prévu » , poursuit Anne. Dans son journal, elle note : « Il n’a pas arrêté de me draguer. [...] Moi j’étais hyper troublée. Mal. Je l’ai repoussé gentiment au départ [...] mais il revenait à la charge, profitant de son statut. Et moi, intimidée mais aussi flattée quelque part, je n’arrivais pas à lui dire un non ferme. » Anne l’aurait ensuite remercié d’avoir payé l'addition : « Il m’a demandé de le remercier autrement, s’est penché et m’a embrassé[e]. Il a mis sa langue et tout ! Je l’ai repoussé encore mais pas assez franchement. Quand nous sommes sortis du café, il m’a réembrassée et je me suis laissée faire. [...] Quel goujat ! C’est incroyable d’être comme ça. Pour qui se prend-il ? [...] Moi, je me dégoûte, je me trouve trop débile d’avoir cédé à ses avances. [...] J’étais paniquée quand je suis rentrée. » Anne se confie alors à plusieurs proches, dont deux amies que Mediapart a interrogées. « Elle m’a appelée en sortant et je m’en souviens comme si c’était hier , raconte Julie , restée proche d’Anne depuis des études communes. Elle était très choquée. C’est très salissant, c’est dégradant d’aller à un tel rendez-vous, dont elle se réjouissait, et moi avec elle, pour son avenir professionnel, et de se retrouver avec quelqu’un qui ne souhaitait qu’une seule chose, l’embrasser de force. » « Elle m’en a parlé immédiatement après... Nous étions choquées. Elle était si contente de rencontrer une plume du Figaro pour parler journalisme , se souvient la journaliste Sylvie Corbet Après, on n’a jamais eu l’idée de porter plainte : nous étions de jeunes journalistes et, à l’époque, on s’est juste dit qu’on ne s’approcherait plus de lui. » © JOEL SAGET / AFP Le comportement d’Éric Zemmour est aussi questionné dans plusieurs rédactions dans lesquelles il évolue. Au Figaro par exemple, où il tient la plume depuis 1996, les femmes sollicitées évoquent des situations équivoques. « Il y avait beaucoup de rumeurs sur lui. Lors de mes années au journal, ce n’est pas un homme avec qui je voulais me retrouver seule dans l’ascenseur » , se souvient une journaliste qui a quitté la rédaction depuis. C’était quelqu’un dont les « jeunes femmes du Figaro » se méfiaient, selon elle. En 2012, Jade*, qui préfère garder l’anonymat, entame un stage au sein du journal. Elle se souvient d’un « type très courtois, poli » , mais dont le comportement « pouvait bousculer » . Elle a en tête deux anecdotes. Une fois à l’été de la même année, lorsqu’elle a pris l'ascenseur pour rejoindre son bureau, « il est monté avec moi et a immédiatement fixé mon décolleté de manière vraiment lubrique, manifeste, pendant des secondes » , témoigne la journaliste. « C’était la première fois que je le voyais, j’étais hyper gênée, dès que l'ascenseur s’est ouvert, je suis vite partie. » Au mois de juin, Jade regarde le tournoi de Roland-Garros sur son ordinateur lorsque Éric Zemmour serait passé derrière elle. « Il commence à regarder le match avec moi alors qu’on ne se connaissait pas. Il a presque posé sa tête sur mes épaules, mais sans me toucher » , se remémore-t-elle, tout comme le malaise qu’elle dit avoir ressenti à l’époque : « J’étais encore très gênée. C’était complètement déplacé, il était à quelques centimètres de mon visage, avec une vue sur mon décolleté. Une sorte d’intrusion très dérangeante. » « L’impression globale qu’il m’a faite, c’est que c’est un peu le gentleman lourdingue, le mec qui pense que tout est OK dans ce qu’il fait, et qu’il va vous laisser passer en premier pour rentrer dans l’ascenseur mais en vous regardant de la tête aux pieds au passage et qui va faire des petites réflexions » , abonde une autre journaliste passée par le quotidien. Si elle dit n’avoir jamais constaté « d’agressions sexuelles ou de harcèlement sexuel ciblé et répétitif » , elle estime que le comportement du journaliste, « sous couvert de galanterie » , pouvait être mal vécu par certaines femmes. « Ça peut mettre mal à l’aise quand même, surtout quand on est une jeune journaliste ou apprentie, pas en poste, et qu’on sait que c’est Zemmour et ce qu’il représente au Figaro » Une troisième rapporte des « propos de corps de garde » , et parle d’un journaliste qui « entretenait un climat sexualisé et [qui] l’assumait ». En février 2019, alors que Libération révèle l’affaire de la Ligue du Lol , le directeur du Figaro Magazine publie un tweet laissant penser que le harcèlement ou les agressions sexuels sont l'apanage des milieux de gauche. « SVP @libe , lavez votre linge sale en famille au lieu d’essayer de mouiller « les médias » #ligueduLOL » , raille-t-il dans un tweet posté le 12 février 2019. Un mois plus tard, le quotidien publie une enquête révélant que plusieurs cadres du Figaro sont accusés d’agressions sexuelles et de harcèlement. D’après plusieurs journalistes du quotidien, le nom de Zemmour fait alors partie de ceux cités dans les couloirs. D’après un reporter, le directeur adjoint de la rédaction, Alexis Brézet, se serait entretenu avec lui pour le « mettre en garde » – un épisode jamais confirmé en interne mais qui a alimenté les discussions au sein des équipes. Sollicité par Mediapart, Alexis Brézet dément. « J’oppose un démenti formel à ces allégations. Non, le nom d’Éric Zemmour n’est pas “ressorti de manière insistante” en 2019 » , affirme le directeur qui ajoute ne pas l’avoir convoqué pour le mettre en garde « ni même pour évoquer avec lui ce type de question » D’après nos informations, un épisode a aussi marqué quelques journalistes de CNews, chaîne sur laquelle le polémiste officie depuis octobre 2019 dans l’émission « Face à l’info » . Le contexte de l’époque est tendu. En interne, de nombreux journalistes dénoncent son embauche voulue par Vincent Bolloré alors qu’il avait été écarté d’I-Télé, l’ancêtre de CNews, quelques années plus tôt. Au sein de cette nouvelle rédaction, l’éditorialiste est isolé. Des policiers sont alors en faction devant les locaux pour prévenir d’éventuelles manifestations et un vigile est chargé de l’escorter chaque jour, du parking au plateau de l’émission. « Il n’a pratiquement aucun contact avec les journalistes. C’est une équipe à part avec la présentatrice Christine Kelly, les chroniqueurs, une cheffe d’édition et la régie » , explique un salarié de la chaîne. Un incident s’est produit le 14 octobre 2019, premier jour de Zemmour dans « Face à l’info » . À l’issue de l’émission, l’éditorialiste a adressé un SMS à la cheffe d’édition, qu'il ne connaissait jusqu'à alors. « Zemmour l’appelait “Ma belle” et lui demandait en substance qu’elle ajuste sa cravate le lendemain » , raconte un journaliste qui précise que l'intéressée le vit alors « extrêmement mal » « Employer ces termes, c’était ambigu et totalement déplacé » , indique ce salarié. « Elle ne connaissait pas Zemmour, c’était son premier jour à bosser avec lui, et le contexte était déjà très rude. Il y avait déjà une appréhension à travailler avec lui, encore plus après cet échange » , poursuit-il. Sollicitée, la cheffe d’édition n’a pas souhaité s’exprimer. « Je me suis toujours refusée à parler de CNews ou de quiconque y travaille malgré les nombreuses demandes » , précise-t-elle. Joint, Thomas Bauder, le directeur de l’information de la chaîne, confirme l’épisode, mais parle d'une « incompréhension » . Il indique avoir « conseillé » à la journaliste « d’aller voir la RH » : « Elle y est allée, elles ont parlé. Ensuite j’ai demandé à [la salariée – ndlr] si tout allait bien, elle m’a dit tout va bien. End of the story pour moi. Il n’y a pas de sujet pour moi. » L’incident n’a pas eu d’autres suites, selon Thomas Bauder : « Je ne convoque pas Éric Zemmour, c’est un grand garçon. J’ai senti qu’il y avait un petit grain de sable sur cette histoire de cravate ; j’ai dit à Éric : “Bon, ta cravate tu vas te la faire tout seul. Si tu as un problème, tu m’en parles à moi.” » Quand il travaillait à i-télé, l’ancêtre de CNews, Éric Zemmour avait également laissé un souvenir pénible à plusieurs salarié.e.s que nous avons interrogé · e · s, essentiellement parmi les « petites mains » de l’accueil et des loges. Nathalie*, maquilleuse, se souvient qu’Éric Zemmour venait chaque vendredi participer à l’émission « Ça se dispute ! » . Un jour, elle dit s’être retrouvée seule dans les loges avec le journaliste. « J’avais 26 ans, j’étais plutôt naïve, je ne me suis pas méfiée » , raconte-t-elle. D’après son récit, après le maquillage, il se serait levé, l’aurait « plaquée contre le mur » , « une main sur [son] bras et l’autre au- dessus du sein, près de l’aisselle » , et lui aurait dit : « Mais tu comprends pas que j’ai envie de baiser avec toi. » Il lui aurait alors « sorti sa carte de visite » en ajoutant : « Appelle-moi, il faut qu’on se voie, je peux te faire bosser. » « J’ai été tellement surprise que je ne l’ai même pas giflé ou insulté, je l’ai juste repoussé en disant “non mais ça va pas”. Il a bien vu sur mon visage que je ne m’attendais pas à ça. Il n’a pas du tout insisté » , affirme-t-elle. « Il est plus petit que moi, donc il ne m’a jamais dominée physiquement, et moi j’ai toujours eu du boulot, mais je comprends qu’il puisse avoir une certaine emprise » , dit-elle en évoquant sa carte de visite brandie – qu’elle dit ensuite avoir « déchiré d’énervement » Dans la foulée, elle se confie à ses collègues et leur dit « de ne pas rester seules en loge avec lui » . Trois ont confirmé, dans les détails, ses propos à Mediapart. Gwenaëlle Courtois , maquilleuse, se souvient qu’elle était « très choquée » , « mal et tremblante » , « ne sachant pas quoi faire et à qui raconter ça » , et qu’elle lui a « ensuite demandé de le maquiller quand il venait, parce que cela la mettait mal à l’aise ». Franck Dell , habilleur de l’émission, se rappelle qu’elle était « très déstabilisée » et « très surprise » . Une autre maquilleuse confirme, sous couvert d’anonymat, les confidences de Nathalie, et ajoute : « Il fallait vraiment se méfier de lui. Je sais qu’il ne se comportait pas forcément bien, une autre collègue maquilleuse m’avait confié qu’il lui avait dit qu’elle était une vraie femme parce qu’elle portait des talons. » Nathalie rapporte aussi un comportement « malaisant » , « lourd » , lorsqu’elles maquillaient le chroniqueur « près des yeux » « Au lieu de les fermer, il n’arrêtait pas de nous fixer sans arrêt, ça nous mettait mal à l’aise. » Sa collègue Gwenaëlle Courtois confirme : « Quand Nathalie le maquillait, il la matait. Ça je l’ai vu » , affirme-t- elle. À l’époque, Nathalie ne souhaite pas en référer à sa hiérarchie, parce qu’elle considère qu’elle n’a « pas été traumatisée » « J’étais choqué, je lui ai dit qu’il fallait en informer la direction, qu’il n’y avait pas de raison qu’un homme qui a des propos très engagés sur le couple ait un comportement à l’opposé, relate Franck Dell. Mais je la sentais dans une fragilité, comme souvent on peut l’être dans ces cas-là, elle n’avait pas envie d’alerter, c’est compliqué de parler quand on est intermittent. On était en précarité. Et puis c’était bien avant #MeToo... » Gwenaëlle Courtois estime que le rapport de pouvoir était inégal : « Sur des femmes qui n’ont pas de pouvoir, c’est facile. Parce que nous, on risque aussi de perdre notre boulot. » Mais à l’époque, un membre de la production a vent de l’incident par une collègue. Contacté par Mediapart, il répond avoir « réagi tout de suite » en s’entretenant avec Nathalie. « Je lui ai demandé si elle voulait porter plainte, si je pouvais en référer à la DRH. Elle était tellement flippée... Elle m’a demandé de n’en parler à personne. Moi j’aurais préféré qu’il y ait un signalement. Mais j’ai respecté sa décision. On a fait au mieux pour la protéger, on a trouvé une parade en off . » Cette « parade » a consisté – selon son récit, celui de Nathalie et d’une autre maquilleuse – à modifier le planning de sorte qu’elle ne croise plus Éric Zemmour. « S’il venait le matin, je la planifiais l’après-midi » , résume-t-il. « Il a passé sa main sur mes fesses » Celia* se souvient aussi de son job comme hôtesse d’accueil à I- Télé, au début des années 2010 : « J’étais très jeune [elle avait 22 ans – ndlr] et au début, je discutais avec lui. J’avais lu deux de ses livres, Petit frère [Denoël, 2008 – ndlr] et Le Premier Sexe [Denoël, 2006 – ndlr] , et je trouvais que c’était l’occasion de parler avec quelqu’un d’extrême droite. » Celle qui est alors étudiante raconte que l’ambiance était souvent pénible pour les femmes de la chaîne : « De ce point de vue, Éric Zemmour était fondu dans le décor. C’était notre quotidien, notamment avec les politiques. C’était une ambiance assez générale. La particularité avec Zemmour était qu’il essayait de briser les barrières, la distance physique... Il s’approchait parfois très près pour dire bonjour. » Celia se souvient d’un geste pour lequel elle juge qu’Éric Zemmour « est allé trop loin » . En arrivant, au début des années 2010, dans le sas des locaux de Montparnasse, il lui aurait fait « une sorte d’accolade » et il lui aurait « passé sa main sur [les] fesses » , assure la jeune femme, qui a beaucoup hésité avant de témoigner. Après, elle n’était « pas bien » le vendredi quand elle risquait de le croiser dans les couloirs. « J’espérais qu’il enregistre à un autre moment. J’en avais des nœuds dans le ventre. » Mais à l’époque, hors de question pour elle de s’en plaindre à sa hiérarchie. Elle se dit « persuadée » qu’elle aurait été « déplacée » de site. Elle craignait aussi que l’affaire s’ébruite – « on en aurait fait un sujet de blague, ça aurait été dégradant » , raconte-t-elle. Et puis, souffle-t-elle : « J’avais tellement honte Et je me sentais coupable. Parce qu’avant, j’ai parlé et même ri avec lui. » La culpabilité ne s’est toujours pas tout à fait dissipée, des années après. À l’époque, elle se confie partiellement à plusieurs collègues. Marie*, hôtesse comme elle, raconte : « Elle m’avait dit qu’il y avait eu un incident avec Éric Zemmour. » Franck Dell, habilleur, rapporte aussi que Celia lui en a parlé « autour d’une cigarette » « Elle m’a dit qu’il avait eu des comportements salaces à son égard. » Questionné sur l'ensemble de ces éléments, Éric Zemmour et le service de presse de la chaîne CNews n'ont pas répondu. Au fil des années, l'essayiste a par ailleurs été mis à cause à maintes reprises pour sexisme et misogynie. Lui réfute le terme même de « sexisme » qu’il considère comme « le délire féministe depuis quarante ans », tout comme « le racisme » , et il estime qu’il n’est « pas du tout misogyne » . Ses interventions médiatiques comme ses écrits sont en tout cas imprégnés d’un antiféminisme viscéral, de stéréotypes sexistes et d’attaques répétées envers les femmes. En 2017, la journaliste Gaël Tchakaloff en a fait les frais violemment : « Je les connais un peu mieux que vous les politiques, mais moi je couche pas avec. » Un argument qu’il répète dans ses livres : « La loi sur la parité a décentralisé le droit de cuissage politique, surchargeant les listes pour les élections municipales et régionales d’épouses et de maîtresses » , écrit-il dans Le Premier Sexe . D’ailleurs, selon lui, « les femmes politiques, de stature nationale, qui ne [sont] pas passées dans les bras de l’un des trois monarques français de ces trente dernières années (Giscard, Mitterrand, Chirac) » se comptent « sur les doigts d’une main ». En 2014, son attitude à l’égard de deux chroniqueuses sur le plateau de la chaîne suisse RTS est relevée par le dessinateur de l’émission qui croque en direct les débats (voir ci-dessous). À l’une, qui le contredit, « Non, ça c’est Mazarine Pingeot » , Éric Zemmour rétorque : « Bah oui, vous êtes toutes les mêmes de toute façon ! Vous dites toutes la même chose ! » S’ensuivent d’autres remarques ( « Ça va plaire à Mademoiselle » ; « Vous êtes en fait beaucoup plus limitée que je ne pensais » ; « Vous vous croyez vraiment plus intelligente que le passé ? » etc.) . À la question, « Vous pensez que le machisme rendait les hommes et les femmes plus heureux qu’aujourd’hui? » , il répond du tac au tac : « Oui » ( voir la vidéo à partir de 51’30 ). Visuel diffusé durant l'émission de RTS, et réalisé par le dessinateur commentant l'émission en direct.