AMÉRIQUES Un Français détenu à Atlanta pour s’être opposé à « Cop City » Depuis un mois, Dimitri Leny, 25 ans, est détenu en Géorgie sous l’accusation de « terrorisme intérieur », qui vise aussi une cinquantaine de militants, défenseurs de l’environnement opposés à la construction d’un centre d’entraînement pour la police. Jean-François Gérard - 7 avril 2023 à 11h32 A tlanta (État-Unis).– Depuis le 5 mars, Dimitri Leny, un Français, est emprisonné près d’Atlanta sous l’accusation de « terrorisme intérieur » – une première dans l’État de Géorgie, pour lui comme pour la cinquantaine de personnes arrêtées depuis décembre 2022. Il a été interpellé à l’issue d’un week-end d’opposition au projet de centre d’entraînement pour policiers dans une forêt urbaine de la ville, surnommé « Cop City » (« Flicville ») par ses détracteurs. Dimitri Leny fait partie des 23 personnes arrêtées en ce dimanche après-midi militant. Le chef d’accusation est issu d’une loi votée en 2017 par la Géorgie, un État républicain, en réponse aux rassemblements contre Donald Trump et pour le mouvement Black Lives Matter. Les accusé·es encourent de 5 à 35 ans de prison s’ils sont reconnus coupables d’avoir endommagé des infrastructures « critiques » ou gouvernementales. Surveillant dans un internat en Bretagne, Dimitri Leny était venu à Atlanta, neuvième métropole du pays et capitale de la Géorgie, pendant ses congés. Même s’il ne parle pas anglais – la justice a eu recours à un interprète pour l’interroger –, le procureur l’a accusé d’être très impliqué dans le mouvement, au motif qu’il avait écrit sur son bras le numéro de téléphone d’une aide juridique, une technique militante classique. « Le week-end a rassemblé plus de 1 500 personnes. C’est le plus grand événement qu’on ait réalisé depuis le début, avec notamment un festival de musique sur un grand terrain dégagé près de la forêt » , explique Tim*, qui s’oppose à Cop City depuis le début et habite près de la forêt. Selon lui, la situation s’est dégradée en fin d’après-midi, lorsque « environ 200 personnes sont allées près des travaux et ont attaqué des engins de chantier ». « La police est arrivée bien ensuite, environ une heure trente plus tard, là où nous étions, où il restait plusieurs centaines de personnes. Ils ont envoyé du gaz lacrymogène, tiré au Taser, tapé ou mis au sol des gens et pointé les pistolets sur nous. Même une structure gonflable pour enfants a été déchiquetée... Environ 150 personnes se sont regroupées autour de la scène et ont pu négocier au mégaphone pour pouvoir partir » , raconte Tim. Il poursuit : « C’est sur ce grand terrain que les participants ont été arrêtés arbitrairement, pas là où les véhicules de chantier ont été endommagés. Puis, les autorités ont rassemblé une cinquantaine de personnes et demandé les papiers d’identité. Celles avec une carte d’identité de Géorgie ont pu repartir librement. » « Aucune preuve » Un communiqué de la police d’Atlanta indique que 35 personnes ont été arrêtées, puis 23 gardées en détention, dont 21 avec une carte d’identité d’un autre État. Quinze ont ensuite été libérées sous caution. Dimitri Leny et une Québécoise de 35 ans sont les seules personnes de nationalité étrangère arrêtées depuis le début du mouvement. Le 23 mars, Dimitri Leny s’est vu refuser une libération sous caution en raison de « risques de fuite ». Il pourrait passer plusieurs semaines supplémentaires en détention dans l’attente que les pièces de son dossier soient examinées par la justice, en vue d’un procès ou de l’abandon des poursuites. Un Français détenu à Atlanta pour s’être opposé à « Cop City ... https://www.mediapart.fr/journal/international/070423/un-f... 1 of 3 « La défense n’a pour le moment reçu aucune pièce , explique Jennifer Hyman, l’avocate qui l’a défendu à l’audience Même si ce n’est pas l’endroit où l’on discute les faits mais de l’opportunité d’une libération, l’accusation n’a fourni aucune preuve matérielle pour soutenir ses accusations publiques, ce qui est assez inhabituel » Depuis son incarcération, Dimitri Leny a pu avoir quelques contacts avec sa famille. Le projet Cop City prévoit de recréer une miniville où seront simulées des interventions policières. De précédents plans contenaient des aires pour explosifs et une aire d’atterrissage pour hélicoptère. L’espace pour explosifs a été retiré en 2021, puis celui pour hélicoptère ôté d’une nouvelle version du projet présentée en février. Le coût est estimé à 90 millions de dollars (83 millions d’euros), financés par la municipalité et des grandes compagnies de la ville. Bank of America, Coca-Cola ou UPS apparaissent sur un des premiers documents rendus publics , même si certaines entreprises ont répondu ensuite ne pas financer directement le centre mais la fondation pour la police. Malgré des changements substantiels, une riveraine qui a participé à ces travaux d’amélioration, Amy Taylor, a déposé un recours contre le permis d’aménager. Répression grandissante Le projet avait été lancé par la maire démocrate de l’époque, Keisha Lance Bottoms, en réponse au malaise des policiers qui s’étaient massivement déclarés en arrêt maladie après le renvoi de plusieurs collègues et les manifestations ayant suivi le décès de George Floyd le 25 mai 2020, à Minneapolis (Minnesota). L’actuel maire démocrate André Dickens, qui défend également le projet, est engagé dans un bras de fer avec les opposant·es. Avec le gouverneur républicain Brian Kemp et le chef de la police Darin Schierbaum, il dénonce des « agitateurs venus d’autres États » , ce qui justifie, selon lui, les poursuites pour terrorisme. Les opposantes et opposants dénoncent, eux, « un récit » construit par les autorités, fondé notamment sur des arrestations sélectives effectuées par la police, afin de diviser la population. La situation de Dimitri Leny illustre la répression grandissante d’opposition au centre d’entraînement de la police et des pompiers, qui marque une convergence entre le mouvements pour le climat et Black Lives Matter. Le site de 35 hectares se situe au milieu de la forêt South River, identifiée en 2017 comme un des quatre « poumons » d’Atlanta, avec des promesses de revitalisation et de nouveaux espaces verts pour la population. Surnommée « la ville dans la forêt », la métropole hyperpolluée doit son salut à son exceptionnelle canopée, qui couvre la moitié de sa surface. Cop City se situe aussi à proximité des quartiers pauvres à majorité afro-américaine. Le terrain, abandonné depuis une trentaine d’années, est déjà utilisé comme stand de tir informel. La symbolique est d’autant plus cruelle que le lieu abrite une ancienne « ferme-prison », une plantation esclavagiste reconvertie en pénitencier dont les détenus travaillaient dans une exploitation agricole. Avec l’arrivée de nouvelles infrastructures modernes et de familles, ainsi que des extensions de studios de cinéma dans les environs, le projet marquerait un pas de plus dans l’embourgeoisement d’Atlanta, « dont la population afro- américaine est passée de plus de 60 % à moins de 50 % en une vingtaine d’années » , remarque Franklin Kamau, une figure locale du mouvement d’opposition à Cop City, à la tête de l’organisation afro-américaine Community Builders. Surtout, Cop City incarne le symbole d’une police toujours plus armée dont sont victimes les Afro- Américains. Manuel Paez Teran, mort pour la forêt Alors que fin janvier, le maire s’était ému du sort de Tyre Nichols, tué par la police à Memphis (Tenessee), il n’a en revanche jamais eu de mot de compassion pour Manuel Paez Teran, un militant de 26 ans tué au même moment à Cop City lors d’un raid policier. Depuis novembre 2021, une zone de résistance s’était installée dans la forêt, retardant notamment les travaux en juin 2022. C’est lors d’une opération d’évacuation que le jeune homme a trouvé la mort. Un policier de l’État de Géorgie a également été blessé par balle à l’abdomen lors de l’opération, sans séquelles définitives. Un Français détenu à Atlanta pour s’être opposé à « Cop City ... https://www.mediapart.fr/journal/international/070423/un-f... 2 of 3 Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart - 127 avenue Ledru-Rollin, 75011 Paris. RCS Paris 500 631 932. Numéro de CPPAP : 1224Y90071 - Directeur de la publication : Edwy Plenel L’enquête autour de la mort de Manuel Teran est entourée de zones d’ombre. Les premiers éléments vont davantage dans le sens de la version des opposant·es que de celle des autorités. Là où le Georgia Bureau of Investigation (GBI), qui a conduit l’opération et doit désormais mener l’enquête, indiquait des « échanges de tirs » menant à une réplique en légitime défense, les « défenseurs de la forêt » rétorquaient qu’il y avait eu une « douzaine de tirs » simultanés sur Manuel Teran et qu’un « tir allié » a probablement blessé le trooper Lorsque le corps a été rendu à la famille, celle-ci a commandé une autopsie, dont Mediapart a pu consulter les conclusions. Elles indiquent que Manuel Teran avait les « bras en l’air devant son corps, avec ses paumes face à son buste » . Il était « le plus probablement assis, jambes croisées » lorsqu’il a reçu une douzaine de balles de face. Wingo Smith, avocat de la famille de Manuel Teran, est dans l’attente des éléments officiels pour mieux caractériser les faits. « La vidéo ne permet pas de savoir où se situent les agents par rapport au GBI et aux troopers impliqués. Les informations les plus importantes sont dans les photos de l’opération ou les interrogatoires réalisés à l’issue de l’opération, que nous n’avons toujours pas reçus. L’autopsie officielle, réalisée en janvier, contient aussi davantage d’informations puisque les balles étaient encore dans le corps. Cette attente est incroyable, le rapport balistique a été fait en une journée. » Le GBI indique vouloir « préserver l’intégrité de l’enquête » , assurant que tous les documents seront transmis. Dans l’espoir de faire avancer l’enquête, la famille a porté plainte contre la municipalité d’Atlanta pour ne pas avoir envoyé les documents. Une réponse doit être formulée à la mi- avril. Pendant ce temps, en dépit de plusieurs recours, les travaux se poursuivent. Fin mars, un mémorial à l’effigie de Manuel Teran a été détruit. Jean-François Gérard Boîte noire * Le prénom a été modi � é. Un Français détenu à Atlanta pour s’être opposé à « Cop City ... https://www.mediapart.fr/journal/international/070423/un-f... 3 of 3