Un spectacle de Lilo Baur, d'après un film d'Ettore Scola. n o 2 2 Une pièce d'Ettore Scola Adaptation du film d'Ettore Scola pour le théâtre Gigliola Fantoni et Ruggero Maccari Texte français Huguette Hatem Mise en scène Lilo Baur Avec Laetitia Casta, Roschdy Zem et Joan Bellviure, Sandra Choquet REMERCIEMENTS Nos remerciements chaleureux à Valérie Six, productrice, et Ar - naud Duprat, maître de conférences à l'Université Rennes 2. Coordination : Hélène Chevrier , Cyrano Education Philippe Guyard , directeur de l'ANRAT, Jean-Claude Lallias, membre du conseil d'administration de l'ANRAT Marie-Lucile Milhaud , membre du bureau de l'ANRAT Comité de pilotage : Les membres du conseil d'administration de l'ANRAT Autrices du dossier : Caroline Bouvier - ANRAT Secrétaire d'édition : Lou Dujeancourt - ANRAT Conception graphique et mise en page : Damien Moreau - collaborateur de l'ANRAT La collection Pièce (dé)montée a été créée et dirigée par Jean-Claude Lallias pour le réseau Canopé de 2003 à 2022 (ex CNDP, centre national de documentation pédagogique) Les 375 numéros produits sont archivés et consultables sur ce site : https://www.reseau-canope.fr/notice/piece-demontee-2022.html 4 I/ Du cinéma au théâtre 5 1/ Une tendance de plus en plus affirmée 6 2/ « Une journée particulière » : un cas singulier 8 3/ De l’écran à la scène 10 II/ Une journée particulière : 8 mai 1938 12 1/ La visite d’Hitler : une population fanatisée 13 2/ Propagande et embrigadement « Croire, obéir, combattre » 16 3/ Les exclus : Antonietta, Gabriele 18 4/ Premiers pas vers l’émancipation mutuelle : la rumba des oranges 19 III/ Un film / une pièce historique ? 20 1/ Ettore Scola : Une inscription délibérée dans le présent 21 2/ 2023 : Une urgence reconnue 24 ANNEXES o S m a r Avant le spectacle la représentation en appétit ! I 5 Une tendance de plus en plus aff irmée Interroger les élèves : quels films souhaiteraient-ils voir adaptés au théâtre ? Pourquoi ? Quelles difficultés cette transposition présenterait-elle ? Dès son apparition, le cinéma s’est emparé du théâtre, mais l’inverse a été plus complexe. Aujourd’hui, pourtant, de plus en plus de spectacles se présentent comme des adaptations au théâtre de films connus. Certains metteurs en scène semblent même particulièrement attirés par cette forme de travail. Ainsi Ivo VanHove n’a pas hésité à porter sur les planches les œuvres d’Ingmar Berg - man ( Scènes de la vie conjugale , 2005 ; Cris et chuchotements , 2009 ; Après la répétition/ Persona 2012, repris en 2023), de John Cassavetes ( Faces , 1997 et 2005 ; Opening Night , 2006 et 2012 ; Husbands 2012) ou de Luchino Visconti ( Rocco et ses frères , 2008 ; Les Damnés , 2016). Cyril Teste choisit d’adapter Thomas Vinterberg avec Festen (2017) et reprend à son tour Opening Night en 2019. La metteuse en scène brésilienne, Christiane Jatahy propose, en 2017, une adaptation scénique de La Règle du jeu de Jean Renoir et Julie Deliquet s’em - pare, quant à elle, de films de fiction ( Fanny et Alexandre d’Ingmar Berg - man, 2019 ; Un conte de Noël , d’Arnaud Desplechin, 2020), mais aussi de séries télévisées ( 8 heures ne font pas un jour , Rainer Fassbinder, 2022) et, en Avignon 2023, du documentaire de Frederick Wiseman, Welfare 1 6 Pourquoi un tel engouement ? Ivo Van Hove et Julie Deliquet mettent en avant la puissance des films qu’ils affrontent. Le premier précise : « Le choix d'un scénario vient de ce que je ne trouve pas, dans la littéra- ture dramatique, l'expression aussi développée d'un thème, d'une situa - tion, de rapports ou de sentiments humains que j'ai envie d'explorer au théâtre, par les moyens du théâtre » 1 et Julie Deliquet va dans le même sens : « Je ne fais pas de différence dans mon travail entre un scénario et une pièce de théâtre mais je choisis toujours des scénarios qui m’appellent au théâtre par la force de leurs dialogues. C’est l’oralité qui me plaît ». Elle ajoute, à propos de sa dernière création : « Welfare , c’est un film, donc un artifice, une structure dramatique qui peut facilement glisser vers le théâtre. Le spectateur perçoit les choses avec le filtre de la mise en scène et donc très différemment (de ce qu’il aurait pu voir avec son seul œil humain) ». 2 Au-delà de la différence des moyens et des langages, théâtre et ciné - ma se rejoignent ainsi dans l’évi - dence d’une construction, et dans la puissance d’une élaboration où l’oralité joue un rôle essentiel. « Une journée particulière » : un cas singulier Une journée particulière se démarque d’autres films, car très tôt il a fait l’objet d’une adaptation théâtrale. Voir l’interview de Jacques Weber et de Françoise Petit : comment s’est effectué le passage du film à la pièce de théâtre ? Quels arguments sont-ils invoqués pour le justifier ? https://www.ina.fr/ina-eclairWe-actu/video/cpa8205021706/ une-journee-particuliere En 1982, cinq ans après la sortie du film, Jacques Weber, acteur et di - recteur du CDN de Lyon, Théâtre du Huitième, est à l’origine de la première adaptation théâtrale en France d’ Une journée particulière , dans une mise en scène de Françoise Petit. Dans cette interview, il avoue avoir eu l’en- vie d’adapter le film au théâtre, dès qu’il l’a vu, mais c’est finalement Ettore Scola et son épouse Gigliola Fantoni qui ont réalisé la transpo - sition, très proche des dialogues du film. Jacques Weber précise qu’en Allemagne et en Italie, se joue au même moment cette version scé - nique, ce qui prouve à quel point ce passage de l’écran à la scène sem - blait s’imposer avec une telle œuvre. 2 2 Dossier de pro- duction, Welfare, « Adapter un documentaire sur l’institu- tion, mêler le réel et l’illu- sion ». https://tgp.theatre- gerardphilipe.com/ wp-content/uploads/ Dossier-de-pro- duction-Wel- fare-230712.pdf 1 Ivo Van Hove, collection Mettre en scène, Actes-sud-Papiers, 2014, p.44. 7 Lilo Baur, la metteuse en scène du spectacle, reconnaît qu’hésitante devant le film lui-même, elle a été immédiatement convaincue par la lecture du texte de Gigliola Fantoni, dans la traduction d’Huguette Hatem : « Il y a un an, les deux productrices françaises Valérie Six et Claire Béja - nin m'ont approchée avec cette pro- position. Sur le moment, je ne me voyais pas m'attaquer à ce film que j'avais tant aimé dans ma jeunesse. Mais j'ai été d'accord de lire la pièce, coécrite par Ettore Scola lui-même, qui diverge par endroits du scénario. À sa lecture, j'ai compris à quel point son contenu demeurait pertinent près de cinquante ans après [...] Et j'ai vou - lu me lancer ! » 3 Cependant lors de leur entretien, Jacques Weber et José Arthur argu - mentent afin de souligner le caractère théâtral d’ Une journée particulière , preuve qu’en 1982, une telle transpo - sition du cinéma au théâtre n’allait pas de soi. Ils mentionnent en par - ticulier les « unités » (lieu, temps, et action) propres au théâtre du XVIIème siècle, qui seraient déjà à l’oeuvre dans le film d’Ettore Scola : en met - tant en scène deux personnages marginalisés, contraints à rester chez eux, alors que tous les habitants de l’immeuble sont partis à la grande parade organisée à Rome par Mus - solini lors de la visite d’Hitler en mai 1938, il fait dépendre l’action du dia - logue des deux personnages, respecte l’unité de temps (une journée, du matin jusqu’au soir) et donne à voir leur enfermement respectif, dans la prison que constitue l’immeuble. A sa sortie, beaucoup ont noté ces rap - prochements entre le film et le théâtre, lesquels pouvaient être considérés comme une critique adressée au film. Certains ont donc défendu ce choix : « Comme chez Mamoulian, Cukor ou Mankiewicz, cette théâ - tralité est pleinement assumée : elle est le moteur esthétique et théma- tique du film. Una giornata par- ticolare , son prologue passé, ne progresse plus dramatiquement que grâce au dialogue, en fait pratique- ment trois monologues parallèles qui ne se rejoignent que très rarement : celui de la radio totalement autonome, celui de Gabriele et celui d'Antoniet- ta qui se rejoignent dans le geste peu avant la fin. Tour de force dont le ca - ractère théâtral est particulièrement évident. Una giornata particolare met en scène un monde où le geste et la parole ont été dissociés : et ceci dès le prologue où Hitler et Mussolini accom - plissent les gestes, tandis que la parole est dévolue aux commentateurs. D'où la nécessité pour Scola d'utiliser un lan- gage théâtral que seules les quelques minutes de la scène d'amour entre An - tonietta et Gabriele viendront briser. Pour ces quelques minutes où la voix s'efface devant le geste et où le cinéma reconquiert sa plénitude, la théâtralité de la majeure partie du film se trouve justifiée ». 4 4 Chris-an Viviani, « Comédie brune », Positif, 07-08/1977, p. 108-110 3 La Tribune de Genève, 7 octobre 2023. https://www.mollat. com/livres/405515/ ettore-scola-avant- scene-theatre-l-n- 731-bis-une-journee- particuliere-una- giornata-particolare https://www.avantsce- netheatre.com/ catalogue/sparta- cus-une-journee-par- ticuliere 8 3 De l’écran à la scène. Pour autant, la mise en scène du texte de Giglio - la Fantoni pose un certain nombre de difficultés que les techniques propres au cinéma résolvaient et dont il faut réinventer les solutions au théâtre. Confrontez les deux affiches proposées pour Une journée particulière ( p.5 ), le film et la pièce de théâtre. De quelle manière rendent-elles sensibles les différences essentielles entre cinéma et théâtre ? Le cinéma s’appuie sur la construction des images et le montage de celles-ci entre elles ; il possède aussi l’avantage d’attirer l’attention du spectateur sur un détail grâce aux « gros-plans ». Il guide le regard du spectateur et lui si - gnale ainsi ce qu’il ne faut pas « rater ». Le théâtre peine à diriger aussi nette - ment le regard des spectateurs, mais il s’appuie sur la présence physique des acteurs, leurs corps dans un es- pace limité (la scène), confrontés en temps réel aux regards de specta - teurs également présents dans l’es - pace plus large dévolu au public. L’affiche du film (un photogramme) immobilise un mouvement, l’éclat d’une colère ou d’une peur. Sur la terrasse de l’immeuble, Antoniet - ta s’enfuit avec son panier de linge, Gabriele la poursuit d’une manière décidée. Derrière eux, le ciel bleu. Le cinéma propose un cadre apparem - ment « réaliste », ouvert sur l’extérieur et met en valeur le mouvement. L’affiche de théâtre, à l’inverse, se concentre sur l’intériorité des person- nages, l’expression par le geste ou le regard d’un trouble ou d’une tension. Interrogée sur ses partis-pris de mise en scène, Lilo Baur, la metteuse en scène, revendique un mélange des genres qui dépasse les oppositions : Je pratique de façon générale un théâtre qui tend vers le cinéma, avec des travellings, des ralentis, des effets de montage. Sur cette création tirée d'un film, j'ai vou - lu une scénographie mobile 5 5 Le temps, 7 octobre 2023 9 Pour aller plus loin : Le Palazzo Federici, un lieu hau- tement symbolique, personnage du film à part entière. Faire une recherche sur le lieu où a tourné Ettore Scola : Le Palazzo Federici, Viale XXI Aprile 6 et visionner le début du film 7 En quoi l’immeuble devient-il symbolique ? Comment interpréter dès lors le parcours des deux person- nages à travers l’immeuble (l’appartement d’Antonietta, celui de Gabriele, les escaliers, la cour, la terrasse) ? L’immeuble a été construit en 1934 et inauguré par Mussolini lui-même. Gigantisme, emploi du fer et du verre pour les « « tours », cour centrale sont caractéristiques d’une architecture qui prétend allier modernité et tradition romaine antique. Le début du film en fait le symbole même de l’enfer - mement et de l’uniformisation des populations, le symbole de la société fasciste. L’individu y est parqué, ré - duit à l’obéissance, à une existence moutonnière, toujours à la vue des autres qui exercent ainsi une surveil - lance permanente. A la fin du film, Gabriele est arrêté et expulsé de cet espace. Si les deux protagonistes font éclater les limites qui leur sont impo - sées, en explorant les lieux où ils ne devraient pas être (leurs appartements respectifs, au même étage mais dans des bâtiments séparés par la cour ; la terrasse qui permet d’accéder au ciel et à l’air pur), leur rencontre reste prisonnière de ce lieu, et à ce titre brève et unique. Derrière l’apparence « réaliste », le cinéma instaure une dimension symbolique qui s’enrichit progressivement. Le montage et le ca - drage des images permettent d’explo - rer l’immeuble dans toute sa globalité. 7 Rechercher l’extrait sur internet (Una giornata particolare, Palazzo Federici). https://www.you- tube.com/watch?ap- p=desktop&v=eBT- lIKcBcL4&ab_chan- nel=RomaSlowTour 6 Voir par exemple les images et les informations (en italien) sur le site : https://www.info. roma.it/foto_det- taglio.asp?ID_im- magini=10102 https://www.info. roma.it/foto_dettaglio. asp?ID_immagi- ni=10102 https://www.info.roma. it/foto_dettaglio.as- p?ID_immagini=10517 I I AVANT LE SPECTACLE LA REPRÉSENTATION EN APPÉTIT ! 11 Voir la bande annonce du film : comment est-elle construite ? Sur quel paradoxe est-elle élaborée ? https://www.youtube.com/watch?v=WJvTiZMiPTk https://www.youtube.com/watch?v=r2zxlSwKN0Y Dans la bande-annonce, les seuls pas - sages filmés proposés renvoient aux actualités qui rendent compte de la visite qu’Hitler fait en Italie du 3 au 9 mai en 1938. On voit son arrivée à Rome, à la gare d’Ostie, construite pour l’occa - sion, son accueil par Mussolini et le roi d’Italie, Vittorio Emmanuele III, puis le trajet des voitures officielles et les ac - clamations de la foule. Se mêlent à cela les images du grand défilé militaire qui a lieu quelques jours plus tard et au - quel participe la majorité de la popula - tion. On entend la voix d’un speaker de l’époque, Guido Notari, qui rend compte de la grandeur des cérémonies et de l’enthousiasme des foules, célébrant ain - si l’alliance du nazisme et du fascisme. Quant au film lui-même, il n’est pré - senté que par des photos. Le passage entre le film et la succession des photos se fait de manière progres - sive, comme si des flammes enva - hissaient l’écran, à l’image peut-être d’une pellicule qui se fige et se met à brûler. Le choix d’images filmées dont les couleurs, tirant vers le jaune, sont abîmées, et de photos elles- mêmes en noir et blanc ou en sépia appuie l’impression d’une œuvre explorant un passé déjà considé - ré comme lointain. Seuls deux mo - ments sont repris dans les dialogues du film, mais en décalage avec les images projetées au même moment. La bande annonce permet au specta - teur de vite comprendre que la visite d’Hitler constitue le cadre de cette « journée particulière », mais les pho - tos suscitent alors sa curiosité, l’obli - geant à faire des hypothèses : qui sont ces deux personnages ? Pourquoi cette expression ou ce sourire ? Et pourquoi cette opposition entre eux et le contexte extérieur, opposi- tion que la différence des ambiances musicales souligne à l’évidence ? Visita ufficiale di Adolf Hitler a Roma, 1938. Sul palco in prima fila da sinistra: Benito Mussolini, Adolf Hitler, Vittorio Emanuele III, Elena del Montenegro; in seconda fila, da sinistra: Joachim von Ribbentrop, Mafalda di Savoia, Joseph Goebbels, Rudolf Heß, Heinrich Himmler https://it.wikipedia. org/wiki/File:Hitler_a_ Roma.jpg 12 La visite d’Hitler : une population fanatisée A partir du texte suivant, tiré d’ Une journée particu- lière, travailler une improvisation de groupe : un café, dans une ville italienne loin de Rome, le com- mentaire diffusé à la radio. La très grande majorité des présents, en accord avec l’idéologie fasciste. Quelques personnes, isolées ou ensemble (à définir au préalable), mal à l’aise (l’hostilité franche n’est pas envisageable car trop dangereuse). Le Speaker : La force militaire du peuple fasciste passe dans la lumière de Rome devant notre illustre hôte. Tous les engins et les armements les plus modernes en la matière qui peuvent contribuer à rendre puissantes et redoutables une armée passent en grondant et en étincelant devant le Chef de la Nation amie, qui assiste au défilé, visiblement surpris et satisfait. Et pendant que les flots des troupes s'écoulent le long des artères prévues à l'avance, la foule appelle le Duce pour lui renouveler son immense tribut de dévotion et de foi. Après Dieu, le Duce : Dieu nous donne le pain et Lui le défend : voilà qui résume le sentiment de tout un peuple : Duce ! Duce ! Duce ! 8 Pour préparer l’improvisation : voir des archives filmées de cette visite historique : https://www.youtube.com/watch?v=y9k5zNrKQL8 Pour aller plus loin : Préciser le contexte géopolitique dans lequel s’effectue cette visite (voir en particulier la question de l’an- nexion de l’Autriche, l’Anschluss, réalisée en mars 1938) et lire l’article d’Edouard Helsey, un journaliste fran- çais, qui fait le compte-rendu de cette parade militaire, dans Le Journal, le 7 mai 1938. https://www.retronews.fr/journal/le-journal/07- mai-1938/129/233629/1 1 8 Ettore Scola, Une journée particulière, texte français d’Huguette Hatem et adaptation de Gigliola Fanoti et Ruggero Maccari, Librairie Théâtrale, 1998 13 Propagande et embrigadement « Croire, obéir, combattre » 2 Au début d’ Une journée particulière , toute la famille d’Antonietta Tiberi se prépare pour assister à la parade militaire. Le père est membre du Parti National fasciste (Chemises Noires) et les enfants sont également répartis dans les différentes organisations destinées à encadrer la jeunesse. Faire une recherche concernant ces organisations : comment conditionnent-elles la vie des enfants ? Quel est leur fonctionnement ? Quel est leur but ? 14 Dès 1926, est fondée L’Opera Nazionale Balilla 9 (Œuvre nationale Balilla), qui s’établit parallè- lement à l’institution scolaire. Tous les enfants sont concernés de 4 à 18 ans, garçons et filles. Garçons Filles D e 4 à 8 a n s Figli della lupa (Enfants de la louve) D e 8 à 1 4 a n s Balilla (Chemise noire, cravate bleue avec médaille de Mussolini ; culotte verte ; béret à gland vert) Piccole italiane (Petites italiennes) (Badge, béret noir, che - mise noire, jupe noire, bas blancs et chaussures noires) D e 1 4 à 1 8 a n s Avanguardisti (Avant-gardistes) (Chemise noire, cravate bleue, pantalon gris-vert, une écharpe noire et un béret) Giovani italiane (Jeunes italiennes) (Badge, béret noir, che - mise noire, jupe noire, bas blancs et chaussures noires) Tout est fait pour conduire à l’obéis - sance aveugle au Duce. Les garçons sont destinés à devenir des soldats, les filles des épouses et mères de famille. Entrainement sportif, défilés, manie - ment des armes, uniformes, serment prêté, tout est mis en oeuvre pour discipliner et fanatiser les enfants. Il s’agit de construire une nouvelle société où chacun occupe une place déterminée, dans la vénération abso - lue du chef : « Croire, obéir, combattre » est la devise de la jeunesse fasciste. 9 Le nom de Balilla est celui d’un jeune révolutionnaire génois de dix-sept ans qui a déclenché la révolte contre l'occupation autrichienne en 1746 https://i.ytimg.com/ vi/1kPe9DZyYxg/ maxresdefault.jpg 15 Voir : • La naissance de l’Opera Nazionale Balilla (en italien) https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=1kPe9DZyYxg • Une démonstration de gymnastique, faite devant Mussolini https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000885/les-balillas-font-une-de- monstration-degymnastique-a-rome-devant-mussolini-muet.html Ecouter : Chanson composée en 1909 par Giuseppe Blanc sur un texte de Nino Oxilia pour une association d’étudiants turinois, Giovinezza devient à partir de 1924 sur de nouvelles pa- roles de Salvador Gotta un hymne fasciste que l’on entend tout au long du film d’Ettore Scola 10 https://www.youtube.com/watch?v=mLclQf9ecjc https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000303/giovinezza-crea- tion-1909-reprise-1924.html Confronter les paroles entre les versions de 1909 et de 1924 (voir ANNEXE 1 ): Si la dimension patriotique apparaissait déjà dans la première version, la chanson initiale évoquait d’abord un adieu nostalgique à la jeunesse et avait déjà connu un grand succès. S’appuyer sur un air éprouvé, en conserver le refrain, en modifier seulement les couplets, autant d’éléments qui favorisaient la diffusion du message patriotique et guer- rier caractéristique du fascisme. 10 On entend également l'hymne nazi, "Die Fahne Hoch" ou "Horst-Wes- sel-Lied". 16 LES EXCLUS : Antonietta, Gabriele Faire une recherche sur la manière dont le fascisme considère les femmes. Sont-elles envisagées comme des citoyennes à part entière ? Quelle place leur est réservée dans le monde du tra- vail ? Quelle est la législation concernant le mariage? Qu’en est-il du statut des homosexuels ? De quelle manière le régime fasciste les traite-t-il ? Dans quelle mesure peut-on lier ces deux catégories d’exclus ? Quelques éléments de réponse : voir ANNEXE 2 Le fascisme construit l'image des ho - mosexuels, à l’inverse du modèle de l’homme « nouveau », hétérosexuel, musclé et « viril ». Si leur existence même est niée au sein de la socié - té, les individus sont eux mis à l’écart, souvent victimes de violences organi - sées, arrêtés, relégués ou déportés. Sexisme et homophobie : L’homosexuel en tant que stéréotype, était ainsi considéré comme « un perturbateur de l'ordre national », un oppo - sant des nouvelles valeurs dictées par la morale fasciste. Premièrement, il manquait d'accomplir son devoir en refusant de donner des enfants à la nation, ce qui était perçu vérita - blement comme une mise en péril de l'avenir du pays entier... Deuxièmement, l'idéal de masculinité, résumé dans les trois M – Mussolini, Mari et Mâle – était basé sur une nette distinction des genres. Les hommes étant perçus comme dominants de la vie politique et donc publique, les femmes restaient reléguées dans une position subalterne. D'ailleurs le fondement de la culture viriliste réside préci - sément dans le dénigrement des femmes et la construc - tion du genre féminin comme inférieure. Dès lors il est possible de dresser une connexion entre ce dénigrement et l'homophobie : l'homosexuel étant, dans sa version sté - réotypée, caractérisé par ses modes efféminés. Dans cette optique l'homosexuel incarne un homme qui trahit son propre genre, sa propre virilité engendrant une confusion de rôles sexuels qui mine la cohésion interne du pays. « Construction et répression des homosexuels dans le fascisme : des « contre-exemples » de l’homme nouveau », Debra Lanfranconi, Blog de l’institut des sciences sociales, Lausanne https://wp.unil.ch/biss/construction-et-repression-des-homosexuels-dans-le-fascisme-des- contre-exemples-de-lhomme-nouveau/ 3 17 Proposer un travail de jeu sur les deux extraits de la pièce présentés en ANNEXE 3 : en quoi ces textes sont-ils révélateurs de la situation initiale des personnages, seuls dans l’immeuble, alors que tous les autres habi- tants sont partis voir la parade militaire ? Il s’agit pratiquement de deux monolo - gues, l’interlocuteur de Gabriele, Marco, semblant particulièrement lointain. On comprend bien que le personnage a envisagé de se suicider et que la jour - née n’est pour lui qu’une longue an - goisse, dans l’attente d’un événement grave (en l’occurrence son arrestation par la police). La mention de son habi - tude de la solitude et de la culpabilité que son ami et lui devraient ressentir fait comprendre son homosexualité, à une époque où, jugée scandaleuse et réprimée avec violence, celle-ci de - vait se cacher à tout prix. Cependant le jugement qu’il porte sur Antonietta qu’il assimile à « son petit perroquet » montre aussi ces a priori vis-à-vis de cette ménagère qu’il regarde avec une grande condescendance. Antonietta n’apparaît pas dans une situation aussi dangereuse pour sa vie. Cependant elle aussi est seule, laissée de côté par sa famille et assi - gnée toute la journée aux tâches mé - nagères. La chanson qu’elle fredonne « Mamma solo per te la mia canzone vola » exalte la figure maternelle mais dans la réalité de sa condition Anto- nietta est soumise à son mari et au service de celui-ci et de ses enfants. Si elle est consciente de l’énormité du travail qui est le sien, il n’y a ce - pendant chez elle aucune remise en question du monde qui l’entoure. Son admiration vis-à-vis de sa famille, prête à défiler, manifeste son adhé - sion au régime fasciste et la lecture de la bande-dessinée, pourtant pro - fondément raciste, ne suscite aucune émotion chez elle. A la différence de Gabriele, elle n’est pas du tout révoltée. Une journée particulière, mes Lilo Baur, Laetitia Casta (Antonietta) , Roschdy Zem (Gabriele) , ©Simon Gosselin 18 Premiers pas vers l’émancipation mutuelle : la rumba des oranges Voir la présentation qu’Ettore Scola fait de son film et l’extrait qui suit 11 : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i00007958/ettore-scola- au-sujet-de-une-journee-particuliere La « rumba des oranges », « Aranci » est une chanson composée en 1932 par le chef d’orchestre Mario Mariotti sur des paroles de « Marf » surnom de l’artiste Mario Bonavita. Dans un entretien, Marcello Mastroianni confirmait que le choix de cette chanson lui revenait, souvenir de sa propre adolescence ( VOIR ANNEXE 4 ). Ecouter la rumba : https://www.youtube.com/watch?v=W849pH_p8d4 Quelle importance sym bolique cette chanson prend-elle dans le film ? Le choix d’une chanson légère introduit une bouffée d’air dans l’atmosphère pesante du film. Cela permet aux deux personnages de sortir (tempo - rairement !) du cadre imposé par les marches militaires scandées par la radio. Par ailleurs, le rire, la sensua - lité de la rumba, les paroles même de la chanson, qui associent couleur vive, parfum et amour s’opposent au caractère mortifère de la société fasciste dont Ettore Scola souligne l’uniformité pauvre, noire et grise. 4 11 On peut trouver sur Internet le même extrait du film, mais dans une version plus longue et avec une image un peu plus nette. Par exemple : https://www.youtube. com/watch?v=E- r8yObH0eFQ&ab_ channel=dim1309 I I I Avant le spectacle la représentation en appétit ! ? o 20 Ettore Scola : Une inscription délibérée dans le présent Doit-on dès lors considérer Une jour- née particulière , comme un film ou une pièce « historique » ? Bien sûr, lors de la sortie du film en 1977, l’époque fasciste restait une réalité sensible : Ettore Scola, né en 1931, avait lui-même participé enfant, membre des Balli - las, au défilé de Rome. Sophia Loren, née en 1934, n’a pas oublié la misère dans laquelle sa mère, ses sœurs et elle vivaient à l’époque. Quant à Marcello Mastroianni, né en 1924, son père, hostile au fascisme, a été licencié de l’usine où il travaillait et la famille est partie s’installer à Tu - rin. L’acteur lui-même a été contraint de se cacher pendant la guerre pour éviter de travailler pour l’Allemagne. Cependant pour le metteur en scène et ses comédiens, c’est avant tout la portée contemporaine qui prévaut dans Une journée particulière . Dé - noncer le machisme et la misogynie, remettre en cause la manière dont l’homosexualité est considérée en 1977 sont bien les enjeux du film. Ettore Scola l’a affirmé à plusieurs reprises. Quant aux acteurs, deux personnali- tés comme Sophia Loren et Marcello Mastroianni, il faut souligner la prise de risque que représentait pour leurs carrières d’incarner pour l’une, une ménagère fatiguée 12 pour l’autre, un homosexuel. Ces personnages contre - venaient à la séduction que le public de l’époque se faisait des deux ac - teurs, l’un et l’autre envisagés dans des codes de genres très stéréotypés. Pour aller plus loin : Dans le film d’Ettore Scola, la fille aînée d’Antonietta, Romana, est jouée par Alessandra Mussolini, la pe- tite-fille du Duce, fille de Romano Mussolini, pianiste de jazz et d’Anna-Maria Scicolone, sœur de Sophia Loren. Faire une recherche : qu’est-elle devenue ? https://www.f rancetvinfo.f r/elections/europeennes/un-neo- nazi-un-comique-un-ex-resistant-septeurodeputes-qui-de- tonnent_609971.html 1 12 Voir par exemple l’insistance avec laquelle le jeu « sans maquillage » est évoqué dans cet entretien : https://f resques.ina.f r/ europe-des-cultures- fr/fiche-media/ Europe00082/sophia- loren-a-propos-de-une- journee-particuliere.html