36 Sports Le Matin Dimanche | 9août 2015 9août 2015 | Le Matin Dimanche Sports 37 Robin Fasel New York L a traversée du Brooklyn Bridge Park offre une acoustique saccadée. Le long du chemin côtier, la vue sur les tours du Lower Manhattan, puis arrivée sur les illustres «jetées», rec- tangles de béton agrippés au littoral, for- Un beau mirage Football La saison de MLS, le championnat nord-américain, est marquée par l’arrivée de l’ambitieux New York City FC et de ses stars européennes. Exil Des stars à New York Andrea Pirlo $Age: 36 ans. $Club: New York City Football Club. $Palmarès: Six titres de champion d’Italie mant des presqu’îles artificielles. Sur la cinquième d’entre elles, trois ter- Mais, en ville, le foot n’a toujours pas sa place, exclu des rues et des écoles. avec l’AC Milan (2) et la Juventus (4), rains synthétiques de football. Un soleil de deux ligues fin de journée y escorte plusieurs groupes des champions, occupés au soccer. Un décor majestueux une Coupe du pour des prouesses plus modestes: le jeune monde (2006). Keystone Owen s’achoppe à chaque changement de direction. «Prends ton temps, ce n’est pas grave», encourage son entraîneur privé, Arash, d’origine iranienne. A New York, le football «à l’européenne» s’apprend aussi par des cours individuels. «Au niveau scolaire, le soccer n’est pas aussi Shaun pratiqué que les sports du Big Three (base- Wright-Phillips ball, basketball et football américain)», justi- $Age: 33 ans. fie Arash. Owen, gamin de Brooklyn à la cri- $Club: New York nière blonde, a découvert le soccer «l’été Red Bulls. dernier, pendant la Coupe du monde», et $Palmarès: Un titre s’est dit «que c’était vraiment un sport de champion cool». Pour son mentor, «le football a beau- d’Angleterre, coup grandi ces dernières années à New deux Coupes York, principalement grâce à la médiatisa- d’Angleterre, une tion». Mais, lorsqu’on évoque l’avenir de Coupe de la Ligue, son métier, Arash change brusquement de trente-six sélections. Reuters ton: «Ici, les méthodes de formation sont catastrophiques. Ils essaient de développer le soccer comme ils développent les autres sports. C’est un problème culturel.» Beckham, Henry, pas d’émules Historiquement cosmopolite, New York est un bassin de cultures, justement. Et celle du David Villa soccer peine à s’y glisser. Pourtant, elle $Age: 33 ans. existe et, à l’image de la ville, tente de se bâ- $Club: New York tir ambitieusement. A quelques rues de City Football Club. l’Union Square, carrefour au sud de l’île, on $Palmarès: Trois y trouve le Neveda Smiths, bar référence des titres de champion footeux new-yorkais. Son accès passe par un d’Espagne, deux long couloir dont les murs rougeâtres sont Coupes d’Espagne, habillés de maillots dédicacés. «Je l’ai ap- une Ligue des pelé le tunnel», clame le patron du lieu, fier. champions, une Paddy McCarthy, sexagénaire osant une Coupe du monde longue chevelure grise, aurait racheté les lo- et un Euro. Keystone caux «pour des peanuts» il y a quatre ans, avant de les transformer en bastion du bal- lon rond. «Viens voir par toi-même: tous les soirs de match, c’est plein! A la base, mes clients sont des immigrés mexicains, sud- américains ou européens. Mais maintenant il y a aussi des Américains. Ils consomment de tout, de la Premier League, de la Liga, de Frank Lampard la Ligue 1», étale Paddy. $Age: 37 ans. Et la MLS? «Bien sûr que les gens s’y in- $Club: New York téressent. Enfin, gentiment. L’arrivée des City Football Club. stars européennes comme Beckham, Henry $Palmarès: Trois et maintenant Lampard a beaucoup aidé», titres de champion conçoit-il. Puis le tenancier freine son en- d’Angleterre, thousiasme: «Mais je dois avouer que, par quatre Coupes rapport au nombre de pratiquants, l’intérêt d’Angleterre, pour le soccer reste faible.» une Ligue des champions, une Statistiques et réalités Coupe de l’UEFA. Keystone Statistiquement, le ballon semble rouler au A Brooklyn, le football s’essaie péniblement, entre puristes, loin de toute agitation et d’une démesure culturelle. Michael Nagle/The New York Times-REDUX-REA pays de l’oncle Sam. D’après une étude du Sportbusinessdaily parue en 2014, le soccer serait le second sport le plus pratiqué par les l’égalité des chances», continue Paddy. En- des talents par le foot de rue, le soccer doit nommer un.» Juste avant de retourner à ses jeunes Etasuniens, derrière le football amé- tre d’innombrables «you know», il déve- donc faire son chemin à travers des institu- pintes, Paddy conclut: «Malgré la fondation ricain. Au niveau féminin, l’équipe natio- loppe: «Mais ce n’est pas la réalité économi- tions coûteuses, mal organisées, voire in- du Cosmos et les arrivées de Pelé et de Be- Avis de l’expert nale vient tout juste de remporter son troi- que! Les parents aux revenus modestes compétentes. «A New York, il y a des tonnes ckenbauer dans les années 1970, le soccer Rob Hugues, écrivain et journaliste anglais sième championnat du monde, consacrant n’ont aucune chance de faire grimper leur de centres de formation, de clubs pour les n’a jamais vraiment percé à New York. Pour- dans le même temps le meilleur palmarès fils ou leur fille à travers les échelons de jeunes, tu n’as qu’à chercher sur Internet», tant, son émancipation doit obligatoirement de la planète. «C’est fou, il devrait y avoir l’élite du soccer, parce que c’est trop cher. Le confirme Paddy. «Il y a même des initia- y passer. Frank Sinatra le chantait; pouvoir le «New York aime les vainqueurs, seulement les vainqueurs. Pour s’imposer ici, le soccer doit forcément devenir grandiose» une «fanbase» bien plus large. Les jeunes y résultat, c’est que les familles immigrées, tions organisées en plein Central Park. Mais faire ici, c’est pouvoir le faire n’importe où.» jouent beaucoup, mais peu d’entre eux res- qui pourraient réellement apporter une cul- tout cela, c’est du vent», balaie-t-il. 21 h, la nuit gagne le Brooklyn Bridge sortent de leurs années de pratique avec une ture du foot à notre pays, n’ont pas de réel «Ils Du côté des Red Bulls de New York, club Park, où les jardiniers se mettent à empiler Rob Hugues a dirigé la rédaction sportive du Times Peut-on dire que, par sa taille et sa culture grandiose, qui, pour les New-Yorkais, ne serait en nisme. D’autres le percevaient comme une activité réelle passion», juge le patron du Nevada accès à ce sport.» organisent installé dans la ville new-jersiaise de Harri- les chaises de métal écumant la rive. Owen londonien pendant dix ans. Il est aujourd’hui sportive, New York offre un potentiel énorme? fait qu’un standard. Si une équipe veut réellement sans sens, car les bras n’y sont pas utilisés. A cette Smiths. Peu après la Coupe du monde 2010, Jür- même des son, la perplexité est aussi de mise, tant le termine son entraînement en sueur, fatigué correspondant du New York Times. New York vibre jour et nuit, c’est extraordinaire. s’imposer ici, elle doit pouvoir produire ce que les époque, la couverture médiatique du soccer était Selon lui, le soccer, «c’est un peu comme gen Klinsmann, sélectionneur actuel des initiations en soccer, vendu par hurlements, ressemble à par ses jonglages hasardeux. «Peut-être que Comment jugez-vous la place Elle est en effet capable de porter très haut le phé- grands clubs européens, très suivis aux Etats-Unis, très délicate. Dans le but de créer une audience, il l’art à l’école. Une fois que les cours sont fi- Etats-Unis, avait justement dénoncé le prin- plein Central un murmure. «Cela fait quatre ans qu’on dans cinq ans les choses seront différentes», du soccer à New York? nomène universel qu’est celui du soccer. Mais il y a produisent. Les dream teams sont bien trop loin! s’agissait d’étayer les vérités positives et de cacher nis, tout le monde s’en fout. On en fait parce cipe purement étasunien du «pay-to-play»: vient soutenir les Red Bulls avec un pote. Il y lance le coach Arash, jetant un regard mi- Elle grandit, mais reste passablement restreinte. des barrières non négligeables. Dans cette ville, Toutefois, les signes annonçant une montée les négatives. Les spectateurs n’ont pas adhéré. que c’est sympa, parce que maman vous «Vous payez pour que votre enfant puisse Park. Mais a une belle ambiance, de sacrés stands de optimiste, mi-résigné vers le ciel, encore Il faut souligner que New York est une ville de su- que ce soit en sport, en économie ou en art, tout du soccer sont irréfutables, non? Aujourd’hui, le soccer s’est immiscé dans les amène et vient vous chercher.» La dernière jouer au football. Pourtant, votre but n’est tout cela, nourriture, et le stade est pas mal», témoi- bien trop haut, de Manhattan. Alors que les perlatifs, qui aime les vainqueurs. Dans tous les est équilibre entre innovation et tradition. Malheu- C’est vrai. Vingt-cinq ans plus tôt, aux Etats-Unis, mœurs, principalement grâce à l’immigration. En phrase, provocante, entraîne la problémati- pas qu’il devienne professionnel, mais qu’il c’est du vent» gne Matt, la trentaine. Entre deux onion trois terrains de football se vident, les tona- domaines, elle est habituée à la première place ou reusement pour lui, le football n’a pas d’histoire, il y avait une forme de résistance culturelle au outre, le fait qu’Obama ait pratiqué le soccer durant que vers le système des classes: «Aux Etats- intègre une haute école, ce qui est l’opposé Paddy McCarthy, rings, il répond: «Si je connais les joueurs? Il lités animant le parc persistent. Sur la je- du moins au top. Le soccer bataillera dans l’ombre en tout cas pas de racine profonde ici. Qui plus est, soccer. La plupart des journaux et diffuseurs le sa jeunesse peut paraître anecdotique, mais je vous Unis, tout le monde se dit être de la classe total du reste du monde.» En l’absence patron du Nevada y avait Henry, mais, maintenant qu’il est tée 2, celle des terrains de basket, la foule tant qu’il ne possédera pas de véritable vainqueur. il doit être capable de se donner une dimension voyaient comme un sport dénué de tout américa- garantis que cela lui a également donné du crédit! moyenne. C’est bien connu: la méritocratie, d’une culture de masse propice à engendrer Smiths parti, je ne sais même pas si je pourrais t’en est toujours aussi dense. U Contrôle qualité Contrôle qualité
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