XVI se fit donner l'état des dons faits à la maîtresse de son aïeul, et l'on trouva qu'elle avait reçu en six ans six millions et demi, sans compter les maisons, les 150,000 livres de rente viagère, etc. Sur cette somme les bijoutiers avaient reçu 2,280,000 livres, les marchands de dentelles, soieries, etc., 738,000 livres; les tailleurs et brodeurs, 551,000 livres, etc. Madame du Barry n'avait fait de mal à personne pendant sa faveur; elle était d'une bonté extrême, d'une humeur charmante, et avait laissé à la cour des amis qui lui restèrent très-dévoués. Grâce à eux, elle parvint à payer ses dettes au moyen d'un échange de 60,000 livres de rente viagère contre 1,250,000 livres qui lui furent données par le trésor. Mais madame du Barry ne s'était pas corrigée de son goût de dépenses, et de sa négligence à compter; elle fit de nouvelles dettes, et à l'époque de la Révolution elle fut obligée de songer à vendre ses bijoux. Elle réunit les plus précieux dans une chambre où, pendant une nuit, des voleurs s'introduisirent et firent main basse sur le précieux dépôt. Madame du Barry fit publier la liste des objets volés. Cette liste est donnée par M. Le Roi: c'est une rivière continue, une cascade éblouissante de diamants, de perles, de bagues, de colliers, de girandoles, de bracelets, d'esclavages, d'étuis, de boîtes, à faire tourner la tête des dames qui la liront. Le vol des bijoux de madame du Barry fut la cause de sa mort. Ayant appris que les voleurs avaient été arrêtés à Londres et qu'on instruisait leur procès, elle voulut suivre cette affaire et alla en Angleterre avec un passe-port régulier. C'était au mois d'octobre 1792. Son absence s'étant prolongée, on la regarda comme émigrée et l'on mit le scellé sur ses biens. Dès qu'elle l'apprit, elle revint en France; mais au mois de juin 1793 elle fut arrêtée comme suspecte et traduite (novembre 1793) au tribunal révolutionnaire, comme ayant fourni aux émigrés réfugiés à Londres des secours pécuniaires, et entretenu avec eux des correspondances. L'occasion était belle à faire de la déclamation révolutionnaire; aussi Fouquier Tainville accumula les accusations les plus forcenées, les plus emphatiques «contre cette moderne Aspasie, cette sultane du crime couronné, contre cette surintendante des honteuses débauches du Sardanapale moderne, etc.» On sait que, condamnée à mort, elle fut conduite au supplice le 8 décembre 1793. M. Le Roi fait suivre cette lugubre histoire de détails intéressants sur les biens confisqués de madame du Barry. Le total de l'appréciation des effets mobiliers s'élève à 1,246,000 livres, sans compter les objets d'art qui sont aujourd'hui répartis dans les musées de l'État. Le château de Louveciennes fut vendu six millions. Cette notice biographique si pleine de faits inconnus, de chiffres éloquents, se termine par un dernier détail qui n'est pas le moins inattendu: c'est que l'acte de naissance présenté par madame du Barry pour son mariage était faux; qu'elle n'était pas la fille légitime de Gomard de Vaubernier et de Jeanne Bécu, née en 1746, mais la fille naturelle d'une pauvre paysanne appelée Anne Bécu, et qu'elle était née en 1743. Elle avait donc vingt-six ans lorsqu'elle fut présentée à Louis XV et cinquante ans quand elle mourut. Telle est, à la place des lieux communs débités sur cette femme trop célèbre, la vérité qui ressort des documents authentiques consultés par M. Le Roi. Espérons que le savant bibliothécaire ne bornera pas à ces dix morceaux ses investigations intéressantes et que, au grand plaisir du public affriandé par ces révélations, il tirera bientôt de ses cartons de nouvelles Curiosités historiques. TH. LAVALLÉE. I LE CHATEAU DE VERSAILLES SOUS LOUIS XIII ET LA JOURNEE DES DUPES. 1627-1630. ———— A quelle époque faut-il faire remonter la construction du château que Louis XIII fit élever à Versailles? Comme les divers écrivains qui ont traité ce point historique ne sont point d'accord entre eux, et que nous nous proposons de fournir des documents nouveaux pouvant servir à éclaircir la question, nous allons entrer dans quelques détails à ce sujet. Les deux premiers auteurs qui s'occupèrent de l'époque de la fondation du château, furent l'architecte Blondel, dans son livre de l'Architecture française, t. IVe, 1756, et l'abbé Lebeuf, dans l'Histoire du diocèse de Paris, t. VIIe, 1757. Voici d'abord ce que dit l'abbé Lebeuf. Après avoir fait l'énumération des divers seigneurs de Versailles, il ajoute: «Jean de Soisy prend, dans son contrat de mariage avec Antoinette Postel, du 22 janvier 1610, la qualité de seigneur de Soisy, sous Montmorency, et de Versailles au val de Galie. Ce fut lui qui vendit cette terre au roi Louis XIII, vers l'an 1627.» Voici maintenant comment s'exprime Blondel, sur le même sujet: «La terre et seigneurie de Versailles était possédée, en 1560, par plusieurs particuliers: Philippe Colas, écuyer, en possédait la plus grande partie; une autre appartenait à Antoine Poart, maître des comptes à Paris: ce dernier était aussi propriétaire de la seigneurie de la Grange Lessart; enfin une autre partie appartenait à Roberte de Soisy, femme de Jean de la Porte, et à Marguerite de Soisy, sa sœur, veuve de Jean Dizy, en qualité d'héritières d'Antoinette de Portet, leur mère. »Martial de Loménie, secrétaire du roi et de ses finances, devint, en 1561, propriétaire de cette terre et de celle de la Grange Lessart, par les acquisitions qu'il en fit, et en a joui jusqu'à sa mort, arrivée en 1572; il avait épousé Jacqueline Pinault, décédée avec lui. »Les tuteur et curateur de leurs enfans mineurs vendirent cette terre et seigneurie de Versailles, et celle de la Grange Lessart, par contrat du 27 juin 1573, à M. Albert de Gondi, comte de Retz. Son fils, Jean- François de Gondi, archevêque de Paris, la vendit ensuite à Louis XIII, par contrat passé le 8 avril 1632.» Blondel donne ensuite un extrait du contrat de vente, puis il ajoute: «Quoiqu'il paraisse, par la date de ce contrat, que Louis XIII n'acheta la seigneurie de Versailles qu'en 1632, il est cependant certain que, dès l'année 1624, il avait commencé à y faire bâtir un rendez-vous de chasse, qu'il avait élevé sur le lieu le plus éminent, et où était situé ci-devant un moulin à vent.» Ainsi voilà deux graves auteurs, écrivant tous deux à la même époque, paraissant s'autoriser de documents authentiques, et qui tous deux donnent une date différente à un fait qu'il semble au premier abord si aisé de constater. Presque tous ceux qui, depuis cette époque, ont écrit sur l'origine du château de Versailles, puisant leurs renseignements dans l'abbé Lebeuf, ont donné l'année 1627 comme date de sa fondation[2]. Cette date est encore indiquée dans les descriptions modernes de Versailles, que l'on trouve dans toutes les mains des visiteurs du musée historique. Quelle est donc la véritable date de la construction du château de Louis XIII? Est-ce 1624, 1627 ou 1632? M. Eckard, dans ses recherches historiques sur Versailles, frappé de cette différence, et voulant tout concilier, accepte les trois dates et cherche à les expliquer. Ainsi, d'après lui, en 1624, Louis XIII, ennuyé, et sa suite encore plus, d'y avoir souvent couché dans un méchant cabaret à rouliers, ou dans un moulin à vent[3], fit d'abord construire à Versailles un pavillon pour servir de rendez-vous de chasse. Et il ajoute: «Ce pavillon, inconnu au duc de Saint-Simon, était oublié lorsqu'il écrivait un siècle après cette construction: une partie, celle donnant sur l'avenue de Saint-Cloud, a été démolie en 1827, et une maison bâtie sur l'emplacement; l'autre partie, sur la rue de la Pompe, subsiste toujours: le tout appartient à M. Amaury, et porte encore aujourd'hui le nom de Pavillon royal; il est situé presqu'à l'angle que forment l'avenue de Saint-Cloud et la rue de la Pompe, aboutissant sur celle du Plessis. Il était donc sur le chemin qui conduisait à la forêt de Saint-Léger-en-Yveline, à l'époque où la chaussée d'Auteuil et l'ancien pont de bois, à Sèvres, n'existant pas encore, la grande route de Paris à Brest passait par Saint-Cloud, d'où un chemin secondaire partait et se dirigeait sur Ville-d'Avray, Montreuil, le territoire de Versailles et les autres, jusqu'à cette forêt. Quoique engagé dans les maisons voisines, ce pavillon était naguère encore facile à reconnaître par la tourelle, ou lanterne, qui dominait et éclairait, un grand escalier, et qui, ensuite, forma la coupole de la synagogue qu'on y a vue pendant quelques années. Je me souviens très-bien qu'en 1780, un habile professeur d'écriture, Hachette, qui en occupait le premier étage, et dont la classe fort élevée et très-spacieuse donnait en partie sur la rue de la Pompe, nous dit plusieurs fois que cette pièce avait été la chambre à coucher de Louis XIII. Cette partie conservée du pavillon a seulement subi quelques changements dans sa distribution intérieure. De plus, le Cicerone de 1804 contient, dans sa description des édifices de Versailles, ce passage remarquable:—Le Pavillon royal.—On assure qu'une portion, celle où se trouve son vaste escalier, est véritablement la première propriété de Louis XIII, qui en faisait son retour de chasse avant l'acquisition de la terre seigneuriale. Enfin M. Guignet, ancien architecte des bâtiments du roi à Versailles, à qui j'ai communiqué mes observations, et qui les a vérifiées, a adopté entièrement mon opinion.» M. Eckard ajoute qu'en 1627, Louis XIII, ayant jugé qu'aucun pays ne pouvait présenter en aussi peu d'espace, plus de variété pour les courses à cheval, dans lesquelles consiste le plaisir de la chasse à cor et à cris, acheta de Jean de Soisy un fief et des terrains à Versailles, et y fit élever un petit château de cartes[4] sur un monticule qui était occupé par un moulin à vent. Enfin, qu'en 1632, le roi fit l'acquisition de la terre et seigneurie de Versailles, de Jean-François de Gondi, archevêque de Paris, ainsi qu'il résulte du contrat cité par Blondel. Donc en résumé: 1624, construction du Pavillon royal; 1627, acquisition d'un fief de Jean de Soisy.—Louis XIII construit un petit château sur l'emplacement du moulin, comme le point le plus éminent. 1632, vente par l'archevêque de Paris, du vieux château et de la seigneurie de Versailles. Ainsi, le travail de M. Eckard avait résolu la question et les trois différentes dates de la fondation du château se trouvaient expliquées. En 1839, l'auteur de l'essai historique intitulé: Versailles, seigneurie, château et ville, s'empressa d'adopter l'explication de M. Eckard, surtout en ce qui concerne le Pavillon royal[5]. Quant au château qui n'aurait été commencé qu'en 1627, l'auteur de Versailles, seigneurie, château et ville se demande si c'est bien à ce château qu'il faut attribuer le mot de chétif Versailles, prononcé par Bassompierre, ainsi que l'ont fait beaucoup d'autres auteurs et M. Eckard lui-même? Si l'on adopte, en effet, l'opinion de l'abbé Lebeuf, qui donne cette année 1627 comme celle où Louis XIII fit commencer la construction du château sur les terrains vendus à cette époque par Jean de Soisy, il est impossible de ne pas supposer que Bassompierre se soit trompé en parlant d'un château n'existant pas encore; et cependant le récit de Bassompierre est positif. Voici ce que l'on trouve dans le journal de sa vie[6]. Après avoir raconté, jour par jour, ce qui lui était arrivé pendant le mois de décembre 1626, il ajoute: «Les choses étoient en cet état, lorsque nous entrâmes en l'année 1627, au commencement de laquelle le roy fit tenir une assemblée de notables, en laquelle il me fit l'honneur de me choisir pour y estre un des présidents. Monsieur, frère du roy, fut le chef et le premier, et ensuite M. le cardinal de la Valette, le maréchal de la Force et moi.» Bassompierre indique ensuite la composition de cette assemblée; puis, après avoir parlé des divers objets mis en délibération, il raconte qu'il lui arriva peu d'occasions de parler: «Hormis une seule fois, dit-il, que nous estant proposé si le roy cesseroit ses bastimens jusques dans une meilleure saison, et que ses finances fussent en meilleur estat, M. d'Osembray fut d'advis que l'on le devoit conseiller au roy.» Il crut alors devoir prendre la parole, et prononça un discours qu'il donne en son entier. C'est dans ce spirituel discours, épigramme adroite contre la parcimonie de Louis XIII, parcimonie dont il se servit habilement pour faire changer d'avis tous ceux qui avaient déjà voté pour la proposition de M. d'Osembray, que se trouve ce fameux mot de chétif château de Versailles, cité depuis si diversement. Après avoir fait observer qu'il n'est pas nécessaire de conseiller à Louis XIII de ne point faire une chose qu'il ne fait pas, il ajoute: «Le feu roy nous eust pû demander cet advis, et nous eussions eu loisirs de le lui donner, car il a employé des sommes immenses à bastir. Nous avons bien pû connoistre en celui-cy la qualité de destructeur, mais non d'édificateur. Saint-Jean-d'Angely, Clérac, Les Tonnains, Monheur, Négrepelisse, Saint-Antonin, et tant d'autres places rasées, démolies ou bruslées, me rendent preuve de l'un et le lieu où nous sommes, auquel, depuis le décès du feu roy son père, il n'a pas ajouté une seule pierre[7]; et la suspension qu'il a faite depuis seize années au parachèvement de ses autres bastimens commencez, me font voir clairement que son inclination n'est point portée à bastir, et que les finances de la France ne seront point épuisées par ses somptueux édifices; si ce n'est qu'on lui veuille reprocher le chétif chasteau de Versailles, de la construction duquel un simple gentilhomme ne voudroit pas prendre vanité.» Dans cette assemblée des notables, furent traités les plus grands intérêts de l'État. Elle tient une place importante dans le règne de Louis XIII, et ne peut être mise en doute, pas plus que le discours si remarquable qu'y prononça Bassompierre, et qu'il ne pouvait avoir oublié lorsqu'il écrivit ses mémoires très-peu d'années après[8]. Aussi l'auteur de Versailles, seigneurie, château et ville, pense-t-il que ce discours, prononcé au commencement de 1627, n'a dû s'appliquer qu'au Pavillon royal, bâti dès 1624. Mais cependant, peu certain que le maréchal de Bassompierre ait parlé avec tant d'assurance d'une maison si peu importante, il ajoute: «Ou bien si l'on veut que Bassompierre ait appliqué son mot de chétif au château bâti sur le tertre de Jean de Soisy, il faudra convenir que son discours aura été fait après coup, c'est-à-dire depuis 1631, époque où le maréchal fut enfermé à la Bastille, et où il commença pour se désennuyer, et fort souvent de mauvaise humeur, à écrire les mémoires qu'il a laissés; il aura donc donné l'épithète de chétif au nouveau château, par la raison que tout ce que devait faire le roi, alors sous l'influence de Richelieu, l'ennemi juré du maréchal, devait paraître, aux yeux de ce dernier, mauvais, tyrannique ou chétif, et le pauvre château aura été enveloppé dans une commune disgrâce avec les actes despotiques du cardinal.» Il paraît donc à peu près certain, d'après tout ce que nous venons de rapporter, que Louis XIII avait une habitation à Versailles dès l'année 1624, et certainement avant 1627. Cette habitation, Blondel assure qu'elle était élevée sur le lieu le plus éminent, et où était situé ci-devant un moulin à vent, par conséquent à la place même où se trouve le château actuel, tandis que M. Eckard, et après lui l'auteur de Versailles, seigneurie, château et ville, pensent que c'était le Pavillon royal; c'est pour éclairer cette question que nous nous sommes livré à quelques recherches, qui nous ont procuré la connaissance de nouveaux documents propres à la résoudre. M. Eckard, lorsqu'il écrivit son livre sur Versailles, fit de nombreuses visites aux Archives du royaume et aux Archives de la couronne, pour avoir quelques renseignements sur les faits dont il s'agit; mais là comme à Versailles, il ne put trouver aucun acte, aucun titre qui se rapportât aux acquisitions de Louis XIII à Versailles; ce qui lui fit penser «que les contrats primordiaux, soit du vieux château et de la seigneurie de Versailles, soit du fief vendu par Jean de Soisy, ont été détruits, de même qu'une foule d'autres documents plus importants encore pour notre histoire l'ont été dans toute la France, parce qu'ils établissaient des droits féodaux et des redevances seigneuriales supprimés, sans indemnité, par différents décrets.» «En effet, une loi du 17 juillet 1793, a ordonné le brûlement de tous les titres énonciatifs de ces droits, et existants entre les mains des anciens seigneurs, ou qui, pour les domaines nationaux, avaient été déposés dans les secrétariats des districts. Or, cette loi, qui prononçait cinq années de fers contre ceux qui auraient caché ou soustrait et recelé des minutes, ou des expéditions des actes qui devaient être brûlés, fut rigoureusement exécutée à Versailles, d'où relevaient en outre trente-quatre seigneuries.» Il était donc nécessaire de suivre une autre direction dans les recherches nouvelles que l'on voulait faire sur ce sujet; et comme il s'agissait surtout de constater l'époque de la construction du Pavillon royal, regardé comme la première habitation de Louis XIII, ce fut particulièrement de ce côté que nous portâmes nos investigations. Nous nous adressâmes au propriétaire de ce pavillon, M. Peert, avoué à Versailles, et grâce à son extrême obligeance, nous avons trouvé, parmi les titres de propriété, deux pièces qui établissent d'une manière positive l'époque de la construction du Pavillon royal. La première de ces pièces est ainsi conçue: «Don de place à Versailles pour les héritiers de la veuve Hérault. »Aujourd'hui, 2 aoust mil sept cent un, le Roy étant à Versailles, les héritiers de la veuve Hérault lui ont fait représenter que Sa Majesté lui auroit accordé, il y a environ 25 ans, une place scize en ce lieu, sur laquelle elle a fait bastir une maison appelée le Pavillon royal; mais comme il ne luy en a pas été expédié de brevet pour en assurer la propriété à ses héritiers, ils l'ont très-humblement suppliée de vouloir sur ce leur pourvoir, à quoy ayant égard, Sa Majesté a, en tant que de besoin, accordé et fait don aux héritiers de ladite veuve Hérault de ladite place, contenant 24 toises 4 pieds de face sur la rue de la Pompe, 29 toises de face sur l'avenue de Saint-Cloud, 3 toises 2 pieds de face à la pointe aboutissant par le côté opposé à ladite pointe, au mur de l'hostel de Guise, et ayant 17 toises de profondeur, le long dudit mur, à la charge par eux de payer au domaine de Versailles le droit de cens sur le pied de 5 sols par arpens, au jour de Saint-Michel, et d'entretenir en bon état et cimétrie la maison qui y a été bastie, et pour assurance de sa volonté, Sa Majesté m'a commandé de leur en expédier le présent brevet, qu'elle a signé de sa main et fait contresigner par moy, conseiller secrétaire d'État et de ses commandements et finances, signé: Louis et plus bas Phelypeaux; et au dos est écrit: Paraffé ne varietur, au désir du partage passé devant les notaires soussignés, ce 20 mars 1720. Signé: Bergeret, Delaroche, Delaroche avec Besnier et Junot, notaires, en l'original des présentes, paraffé et demeuré annexé à la minute d'un partage passé devant les notaires soussignés, ce 20 mars 1720, dont la minute envers ledit Junot. Signé: Besnier et Junot, avec paraffes et scellé ledit jour.» La deuxième donne le plan du terrain, et au milieu est écrit: «Le Roy a accordé, il y a environ 25 ans, à la veuve Hérault une place scize à Versailles, ayant 24 toises 4 pieds de face sur la rue de la Pompe, 29 toises de face sur l'avenue de Saint-Cloud, 3 toises 2 pieds de face à la pointe où se joignent ladite rue de la Pompe avec ladite avenue, aboutissant par le côté opposé à ladite pointe, au mur de l'hostel de Guise, et ayant 17 toises de profondeur le long dudit mur, le tout ou environ, sur laquelle place elle a fait bastir une maison appelée le Pavillon royal, suivant les décorations réglées par Sa Majesté, dont n'ayant point eu ci-devant de brevet, Sa Majesté m'a commandé de donner le présent certificat aux héritiers de ladite veuve Hérault, pour obtenir sur iceluy tous brevets nécessaires. «Fait à Versailles, le 10 juillet 1701, signé: Hardouin Mansart.» Et plus bas: «Première inventoriée.» Deuxième, et au dos est écrit: «Paraffé ne varietur, au désir du partage passé devant les notaires soussignés, ce 20 mars 1720. Signé: Delaroche, Bergeret, Delaroche avec Besnier et Junot, notaires. »Est l'original des présentes demeuré annexé à la minute d'un partage, passé devant les notaires soussignés, dont Junot, l'un d'eux, a la minute, ce 20 mars 1720. Signé: Besnier et Junot, avec paraffes, et scellés ledit jour.» Il résulte de ces documents authentiques, que M. Eckard se trompe quand il affirme que le Pavillon royal a été bâti par Louis XIII; que ce pavillon, l'une des plus anciennes maisons de Versailles, ne remonte cependant qu'à l'année 1676, c'est-à-dire au règne de Louis XIV, et que ce qui a sans doute induit en erreur M. Eckard, et avant lui le Cicerone de Versailles, sur l'origine de ce bâtiment, c'est le nom de Pavillon royal, qu'on lui supposait venir du séjour qu'y aurait fait anciennement Louis XIII, tandis que les pièces citées prouvent que ce nom lui a été donné au moment de sa construction par la veuve Hérault, probablement pour le distinguer des hôtels des grands seigneurs qui l'environnaient de tous côtés. Il reste donc établi, par tout ce qui précède, que Louis XIII avait une habitation, à Versailles avant l'année 1627, date à laquelle l'abbé Lebeuf fait remonter la vente du fief de Jean de Soisy; que cette habitation, n'est point le Pavillon royal, ainsi que le croyait l'auteur des Recherches sur Versailles; et qu'alors il faut bien en revenir à l'opinion de Blondel, établissant comme certain que, dès l'année 1624, Louis XIII avait commencé à y bâtir un rendez-vous de chasse, qu'il avait élevé sur le lieu le plus éminent, et où était situé ci-devant, un moulin à vent. Quant à la date de 1632, Louis XIII ne devint véritablement seigneur de Versailles qu'à cette époque, en achetant de l'archevêque de Paris la terre et seigneurie de Versailles. Louis XIII aimait beaucoup Versailles; il y prolongeait ses séjours pendant la saison des chasses; aussi le Rendez-vous devint une habitation qui alla en s'agrandissant jusqu'à la fin de son règne. Ce château, construit par Lemercier, architecte, du roi, était flanqué de quatre pavillons bâtis de pierres et de briques, avec un balcon de fer tournant tout autour, et dégageant les appartements du premier étage. Suivant l'usage de ce temps, quelques moyens de défense le mettaient à l'abri d'un coup de main. Une fausse braie ou basse enceinte l'entourait et était précédée d'un fossé à fond de cuve, revêtu de briques et de pierres de taille, terminé par une balustrade. Ce petit édifice était environné de bois, de plaines et d'étangs, dont la nature faisait seule les frais[9]. Tel était encore le château de Louis XIII, lorsque, au mois de novembre 1630, s'y passa le curieux événement qui porte dans l'histoire le nom de journée des Dupes. Ce fut le seul événement politique de quelque importance qui eut lieu dans le château de Versailles pendant le règne de Louis XIII; il est donc intéressant de s'y arrêter un moment, d'autant plus qu'il va servir à faire reconnaître quelques-unes des distributions du château à cette époque. Dans le mois de septembre 1630, Louis XIII venait de diriger sur l'Italie une armée considérable: «Toutes les troupes avaient passé par Lyon, et le roi les avait voulu voir l'une après l'autre. S'y trouvant beaucoup de soldats bien nouveaux et mal façonnés au métier, pour les mieux former, il montrait à quelques-uns comment il fallait porter et manier les armes, y prenant un singulier plaisir. Il ne s'occupait pas à ceci, néanmoins, sans beaucoup de travail, s'y adonnant pendant la chaleur du jour le plus souvent, et pendant les pluies et le mauvais temps. Le vingt-deuxième jour du mois de septembre, sur les deux à trois heures après midi, ayant été toute la matinée bien gai, il se sentit attaqué d'un frisson qui fut suivi d'une fièvre continue, avec des redoublements chaque nuit, qui donnèrent à ses gens de bien grandes appréhensions, sans qu'on lui fît connaître que la fièvre dont il était atteint fût si maligne[10].» La maladie du roi allait toujours en augmentant; les médecins en désespéraient, et avaient même dit qu'il ne passerait pas le 30 septembre. A chaque instant on croyait le voir expirer, lorsque Sénéles, médecin du commun de la reine, proposa de lui administrer un remède qui, disait-il, devait, en moins de quatre heures, ou sauver le roi ou le faire périr. «Les deux reines, dit Valdori[11], qui raconte ce fait, voyant l'une son fils, l'autre son époux sans espérance, et entièrement abandonné des médecins, consentirent à faire l'épreuve, laquelle réussit si heureusement que ce monarque, déjà à demi mort, revint dans peu en convalescence[12].» La reine Anne d'Autriche était depuis longtemps fort en froid avec Louis XIII; les soins qu'elle lui rendit dans le cours de sa maladie avaient amené entre eux une espèce de réconciliation. Anne en profita pour seconder sa belle-mère, Marie de Médicis, dans la guerre que celle-ci avait déclarée au cardinal de Richelieu. On ne laissa pas respirer le roi pendant sa pénible convalescence. Les deux reines profitèrent de sa faiblesse, l'étourdirent de violentes accusations contre Richelieu, qui, selon elles, n'avait entrepris cette guerre que pour se rendre nécessaire, et avait ainsi sacrifié la santé et la vie du roi à son ambition; Louis XIII ne trouva d'autre moyen de se débarrasser des obsessions de sa mère qu'en lui promettant de prendre un parti définitif après son retour à Paris. Le roi ne tarda pas à quitter Lyon. «Il en sortit sur un brancard, dit Ch. Bernard[13], pour aller prendre la rivière à Rouane, d'où il arriva en peu de temps à Briare et de là à Versailles, maison qu'il avait fait bâtir à quatre lieues de Paris et à deux lieues de Saint-Germain-en-Laye. «Elle était petite, pour n'y admettre que peu de gens et n'être point troublé dans le repos qu'il cherchait loin des importunités de la cour, et afin d'être plus libre dans l'exercice de ses chasses, lorsqu'il s'y voulait adonner.» Il fut là quelque temps et alla après à Saint-Germain, ne pouvant loger dans son Louvre à Paris, d'autant que l'on travaillait à la grande salle, dont jusqu'alors le plancher n'avait été construit que de poutres et de solives, qui offraient si peu de sûreté que lorsqu'on s'y réunissait l'on était obligé d'y mettre des étais, et que Sa Majesté avait ordonné de remplacer par des voûtes en pierre.» A peine arrivée à Paris, Marie de Médicis recommence ses instances auprès du roi, pour faire éloigner le cardinal. Louis oppose une vive résistance aux importunités de sa mère, et insiste sur le besoin qu'il a des services de Richelieu. Marie paraît d'abord se rendre; mais, toujours poussée par sa haine contre le premier ministre, elle se résout enfin à prendre un parti décisif. Cet événement est raconté comme il suit par l'auteur des Anecdotes du ministère du cardinal de Richelieu: «La reine-mère ayant résolu de mettre le feu le jour de saint Martin, 11 novembre 1630, à la mine qu'elle avait creusée, pour faire sauter en l'air et détruire jusqu'aux fondements de la fortune du cardinal, et ayant pris ses mesures, pour mieux effectuer son dessein, de se trouver seule avec le roi son fils, afin de lui faire toucher au doigt et à l'œil, pour me servir de ses propres termes, toutes les fautes énormes que ce prélat avait commises pendant son ministère, les dommages et le préjudice que l'État en avait souffert, la mine joua et eut un succès bien différent de celui qu'elle et ceux qui l'avaient aidée à la fabriquer avaient espéré, car elle écrasa tous les architectes qui en avaient donné le plan, et ensevelit sous ses ruines tous ceux qui avaient contribué à sa construction. »Mais cette intrigue mérite bien que l'on fasse un détail un peu circonstancié d'une scène qui fait la plus curieuse époque du règne de Louis XIII, et qui à fait donner le nom de journée des dupes au jour où elle se passa. »La reine-mère étant donc convenue avec le roi son fils qu'il la viendrait voir le jour de saint Martin, dans la matinée, à son palais du Luxembourg, à l'insu du cardinal, feignit d'avoir pris médecine ce jour-là, afin d'avoir un prétexte apparent de défendre l'entrée de sa chambre à qui que ce fût, pour pouvoir entretenir ce monarque en particulier plus à son aise. Ce prince faisait cependant cette visite secrètement, de concert avec son premier ministre, du moins à ce qu'en publia pour lors la renommée; mais, quoi qu'il en soit, cette princesse mit en ce moment tout en usage, et employa tout l'art du monde pour persuader à son fils qu'il était trompé et trahi par le cardinal. Elle lui fit là-dessus une longue énumération de toutes les fautes, de toutes les bévues et de tous les manquements de ce ministre. Elle fit ensuite tous ses efforts, pour tirer parole de lui qu'il le chasserait, qu'il ne l'admettrait jamais plus à ses conseils. Elle n'eut aucun scrupule d'exiger du roi, au milieu des acclamations publiques qu'il recevait pour son heureuse convalescence et l'heureux succès de ses armes en Italie, où ce prélat avait eu tant de part, une chose aussi honteuse pour sa réputation, qui était celle de sacrifier un si digne serviteur, et de le faire servir de victime au ressentiment de sa mère, et de faire voir à toute l'Europe, par la disgrâce de celui qui était l'âme de tous ses conseils, qu'il se repentait de ce qu'il avait fait pendant tout le temps qu'il avait été son premier ministre. Comme la reine était au plus fort de son discours, et qu'elle pressait vivement son fils de lui accorder ce qu'elle désirait de lui avec tant d'instances, le cardinal entra brusquement dans sa chambre; il en avait trouvé, à la vérité, la porte fermée, avec défenses très-expresses à l'huissier de l'ouvrir à personne et surtout à lui, s'il s'y présentait; mais comme il connaissait toutes les issues de ce palais, il s'en fut à la garde-robe de cette princesse, et se fit introduire par là dans la chambre, ayant gagné pour cet effet une de ses femmes nommée Zuccole, qui, étant dans la confidence de sa maîtresse, était restée seule de garde en cet endroit-là[14]. Voilà de quelle manière il parvint jusqu'au lieu où la mère et le fils s'entretenaient tête à tête sur son sujet et où il servait d'ample matière à leur conversation. Ce fut la faute de la reine, si elle fut ainsi interrompue; car ses plus fidèles domestiques lui avaient conseillé, pour obvier à toutes sortes d'inconvénients, de faire fermer cette porte de communication dans sa chambre, et d'en tenir elle-même les clefs sous sa main.» L'auteur des Anecdotes raconte ensuite la scène qui eut lieu entre la reine Marie de Médicis et le cardinal, la soumission apparente de Richelieu, les cris et les emportements de la reine; puis il ajoute: «Le cardinal se tourna du côté du roi et le supplia de vouloir bien lui permettre de se retirer quelque part pour y passer le reste de ses jours en repos, n'étant pas juste que Sa Majesté se servît de lui et le continuât dans le ministère contre les volontés de la Reine. A ces paroles, ce monarque, témoignant avoir envie de déférer aux désirs de sa mère, lui accorda sa demande et lui ordonna de sortir. Il ne fut plus question que du choix d'un nouveau ministre; mais cette princesse, qui l'avait déjà désigné en elle-même, proposa à son fils le garde des sceaux, de Marillac, dont le roi approuva l'élection et consentit qu'il fût revêtu de la dignité de premier ministre. Après quoi la mère et le fils se séparèrent. »La reine, pleine de joie et de contentement, resta dans son palais du Luxembourg, s'applaudissant en elle-même d'avoir si bien réussi dans son dessein. Le bruit de la disgrâce du cardinal et de l'élévation de Marillac s'étant répandu dans un instant de tous côtés, les affections des courtisans changèrent d'objets dans le moment, la faveur ayant coutume d'attirer à soi les cœurs, de même que la lumière d'un nouvel astre attire les regards de tout le monde; aussi le cardinal se vit tout d'un coup délaissé de toute la cour, à l'exception de ses parents et d'un petit nombre d'amis qui étaient le plus avant dans sa confidence. »Le roi, au partir du Luxembourg, s'en alla tout droit à son château de Versailles, où la reine-mère ne le suivit point, contre le sentiment de tous ses serviteurs, et particulièrement du vicomte Fabroni, qui lui conseillait d'y accompagner son fils et de ne le point perdre de vue qu'elle n'eût mis la dernière main à la disgrâce du cardinal, et qu'elle ne l'eût fait chasser de Paris et de la cour. Énivrée de sa prospérité présente, elle en voulut goûter toutes les douceurs, et s'amusa à recevoir les compliments et les congratulations que tout Paris lui venait faire sur le recouvrement de son autorité perdue. Mais, tandis qu'elle avalait à longs traits le doux poison de la flatterie, qu'elle écoutait avec plaisir toutes les louanges qu'un chacun lui donnait sur l'admirable conduite qu'elle avait tenue dans cette affaire, et qu'elle disposait déjà des principaux emplois de l'État en faveur de ses confidents, le cardinal de Richelieu, conseillé et encouragé par le cardinal de la Valette, qui vivait dans une étroite amitié avec lui, de faire une dernière tentative auprès du roi pour essayer de se maintenir dans le poste qu'il occupait, en dépit de ses ennemis, et de ne leur pas céder une victoire si aisée, s'en fut trouver ce prince à Versailles. «Entre plusieurs raisons dont ce véritable ami se servit pour lui persuader ce voyage, il employa celle de ce commun proverbe des Français, que, qui quitte la partie la perd. Le cardinal et le garde des sceaux de Marillac arrivèrent en même temps à la cour: le premier sous prétexte de prendre congé de Sa Majesté, et le second à dessein de remplir sa place et de prendre possession de l'emploi de premier ministre; les fourriers lui avaient déjà marqué dans le château le logement qui était attaché aux fonctions de cette charge; mais les choses changèrent bientôt de face, et bien des gens furent pris pour dupes. On reconnut alors que les courtisans s'étaient lourdement abusés dans l'empressement qu'ils avaient témoigné à congratuler le nouveau ministre, et que le cœur et la conduite des princes sont impénétrables; car le cardinal de Richelieu ayant été bien servi auprès du roi par M. de Saint-Simon, qui était lors son favori, il arriva que, comme ce premier ministre prenait congé de lui en compagnie du cardinal de la Valette, Sa Majesté, au lieu de lui octroyer la permission qu'il lui demandait de se retirer, lui ordonna, au contraire, de demeurer et de continuer l'exercice de son emploi, lui disant de plus «de ne point s'inquiéter, qu'il trouverait bien le moyen d'apaiser sa mère, et de la faire consentir à ce qu'il faisait, en ôtant d'auprès d'elle les personnes qui lui donnaient de pernicieux conseils.» »Cette scène se passa publiquement dans la chambre du roi; mais le cardinal avait été secrètement introduit, un peu avant, par un escalier dérobé dans le cabinet de ce monarque, avec lequel il avait eu un assez long entretien qui avait produit tout l'effet qu'il en pouvait attendre; car ce prince, persuadé, par toutes les raisons qu'il lui avait alléguées pour sa justification, qu'il était fidèlement et uniquement attaché à sa personne et au bien de son royaume, lui avait redonné son affection et toute sa confiance. Il était, de plus, convenu avec lui de toutes les choses qui se passèrent ensuite dans sa chambre, afin que la victoire qu'il remportait sur ses ennemis en parût plus éclatante. Ce fut M. de Saint-Simon qui lui rendit un service si important, en ménageant cette secrète entrevue entre Sa Majesté, et en le conduisant lui-même, à l'insu de tout le monde, dans le cabinet du roi.» Charles Bernard, racontant le même fait dans son Histoire de Louis XIII, dit: «Le roi, qui recognoissait bien d'où le mal pouvoit venir, résolut de le terminer. Il savoit qui estoient les artisans de ces divisions, si bien que s'en allant en sa maison de Versailles, il commanda au cardinal et au garde des sceaux, chacun à Paris, de l'y suivre. Il n'avoit encore mené en ce lieu pas un conseil, ayant fait bastir cette petite maison pour se distraire entièrement des affaires.... »Cependant, les deux personnages qui estoient les premiers du conseil du roy, pour obéir au commandement de Sa Majesté, le suivirent et eurent un divers événement de leur arrivée: le garde des sceaux ayant eu commandement d'aller loger à Glatigny, le roy lui ayant fait dire qu'il lui ferait le lendemain savoir sa volonté; au lieu que le cardinal fut logé dans le chasteau de Versailles, sous la chambre du roy, en celle où l'on avoit coutume de loger M. le comte de Soissons[15], et dès le soir il entra en conseil avec Sa Majesté.» Telle fut cette journée, dans laquelle les Marillac[16], les Guise, la princesse de Conti et les autres partisans de la reine-mère, qui se croyaient arrivés au sommet des grandeurs par la chute du cardinal, se virent, les uns destitués de leurs emplois; d'autres chassés de la cour, et plusieurs emprisonnés. «Le pauvre maréchal de Bassompierre lui-même, dit Valdori, tout fin et délié courtisan qu'il était, se trouva, par les engagements qu'il avait avec l'incomparable princesse de Conti, compris au nombre des malheureux. Il fut envoyé à la Bastille, d'où il ne sortit, qu'après la mort du cardinal.» Ce récit éclaire plusieurs détails intéressants du château de Versailles. Et d'abord, on voit que Louis XIII avait fait bâtir une petite maison pour n'y admettre que peu de gens et n'être point troublé dans le repos qu'il y cherchait loin des importunités de la cour; et, par conséquent, on conçoit très-bien que Bassompierre ait pu l'appeler le chétif château de Versailles. Ce fut plus tard, et quand il eut acheté le domaine de Versailles de Jean-François de Gondi, qu'il y ajouta de nouvelles constructions et en fit un palais de quelque importance. Ce qui vient d'être dit peut aussi servir à retrouver dans le château quelques anciennes distributions existant encore aujourd'hui. Quand Louis XIV fit faire ses grands travaux de Versailles, il voulut conserver religieusement le château de son père. Dans les premières années de son règne, il fit commencer les embellissements des jardins, et y donna les grandes fêtes de 1664 et 1668; la distribution des appartements du château de Louis XIII était restée la même, et les chefs-d'œuvre de peinture et de sculpture que Louis XIV commençait à y accumuler, étaient tout ce que l'on y voyait de nouveau. En 1671, Félibien, historiographe des bâtiments du roi, donna la première description du château de Versailles et des embellissements qu'y faisait exécuter Louis XIV. On voit dans cette description que la pièce du milieu, qui devint plus tard la chambre à coucher de Louis XIV, et dans laquelle mourut ce roi, formait alors un salon comme au temps de Louis XIII; que ce qui est devenu depuis le salon de l'Œil-de- Bœuf, était divisé en deux pièces, dont l'une, la plus près du salon central, formait la chambre à coucher du roi, et dont l'autre était un cabinet ou antichambre; que dans cette antichambre ouvrait un escalier dérobé communiquant avec les appartements du rez-de-chaussée. Ces pièces, de l'ancien château de Louis XIII, étaient donc restées comme au temps de ce roi. Voyons dans le récit précédent ce qui se rapporte aux appartements du château. «Cette scène, dit Valdori, se passa publiquement dans la chambre du roi; mais le cardinal avait été secrètement introduit, un peu auparavant; par un escalier dérobé, dans le cabinet de ce monarque.» Charles Bernard ajoute de son côté: «Que le cardinal fut logé dans le château de Versailles, sous la chambre du roi, en celle où l'on avoit coustume de loger M. le comte de Soissons, et que dès le soir il entra en conseil avec Sa Majesté.» Ainsi l'appartement où l'on avait coutume de loger M. le comte de Soissons, comme grand-maître de la maison du roi, était au-dessous de la chambre à coucher de Louis XIII; conséquemment à l'endroit occupé aujourd'hui par la salle des portraits des rois de France, et c'est là que Richelieu coucha la nuit de ce célèbre événement. L'escalier dérobé, par lequel Saint-Simon vint le chercher pour le conduire dans le cabinet du roi, existe encore dans un petit couloir placé à l'angle sud-ouest de cette salle, et aboutit au premier étage à l'angle correspondant du salon de l'Œil-de-Bœuf, et par conséquent à la partie du cabinet précédant la chambre à coucher du roi. Il est donc évident que dans l'état actuel du château de Versailles, et malgré toutes les transformations qu'il a subies depuis son origine, on peut suivre encore, dans ses détails les plus intéressants, la principale scène de cette grande comédie historique appelée la journée des dupes[17]. II LA NAISSANCE DU DUC DE BOURGOGNE. 1682. ———— Anne-Marie-Victoire de Bavière, princesse d'une constitution délicate, épousa, au mois de janvier 1680, le dauphin, fils de Louis XIV. La première année de ce mariage ne fut qu'une longue série de fêtes pour la jeune dauphine. Mais quand, vers la fin de 1681, l'on eut la certitude de sa grossesse, de grandes précautions, commandées par la faiblesse de son organisation, lui furent imposées. Tout le monde s'intéressait à cette princesse et attendait avec anxiété l'époque de sa délivrance. La naissance d'un petit- fils était surtout le désir le plus ardent de Louis XIV, et il voyait approcher ce moment avec une joie mêlée de quelques inquiétudes. Une première pensée dut se présenter à lui dans une conjoncture aussi grave: à qui remettrait-on le soin d'accomplir cette opération importante? à un accoucheur ou à une sage-femme? Aujourd'hui le choix serait bientôt fait, ou plutôt il n'y en aurait pas. Mais il n'en était pas ainsi à cette époque. Les accoucheurs n'étaient pas répandus comme ils le sont actuellement, et la science obstétricale était presque entièrement confiée à des femmes. Non pas que depuis longtemps d'illustres chirurgiens n'eussent pratiqué des accouchements, mais en général c'était dans des cas exceptionnels et difficiles, et dans l'ordre ordinaire des choses, l'on voyait les accouchements confiés presque exclusivement à des sages-femmes. Déjà, cependant, les femmes avaient moins de répugnance à se remettre dans les mains des hommes, et quelques accoucheurs célèbres étaient parvenus à se faire une brillante réputation parmi les dames de la cour, de la magistrature et de la haute bourgeoisie. Mais le plus grand nombre des femmes grosses choisissaient des accoucheuses pour les délivrer, et les reines, Marie de Médicis, épouse de Henri IV; Anne d'Autriche, épouse de Louis XIII; et Marie-Thérèse, épouse de Louis XIV, avaient été accouchées par des femmes. Il semblait donc tout naturel que dans cette circonstance, le roi choisît une sage-femme pour accoucher la dauphine. Il n'en fut cependant pas ainsi, et un chirurgien fut chargé de cette importante opération. On a déjà dit que la dauphine était d'une constitution délicate, et que le roi redoutait beaucoup ce moment; il voulut donc la remettre entre les mains d'un homme habile et ayant toute sa confiance, et il désigna pour accoucheur Clément. Clément (Julien) était alors l'accoucheur le plus célèbre de Paris. Né en 1638, à Arles, il vint fort jeune à Paris pour étudier l'art des accouchements. Gendre et élevé de Lefebvre, autre accoucheur en renom de la même époque, il acquit bientôt une grande réputation; et par son habileté et le talent qu'il montra dans quelques occasions dangereuses, il contribua beaucoup à la véritable révolution qui fit préférer les accoucheurs aux sages-femmes, révolution achevée surtout par le choix que Louis XIV fit de lui pour la dauphine. La réputation de Clément ne l'avait pas seule indiqué au choix de Louis XIV. Amené mystérieusement auprès de madame de Montespan quand elle mit au monde le duc du Maine, il avait continué de l'assister dans ses autres accouchements, et le roi avait pu ainsi apprécier ses talents[18]. L'accoucheur choisi, il fallait s'occuper de prendre une nourrice. Celles-ci ne manquèrent point; et il en vint s'offrir de tous côtés. On était dans l'usage de les choisir vers le septième mois de la grossesse. Peut-être paraîtra-t-il curieux de connaître les conditions exigées alors pour être la nourrice d'un prince.—Elle devait être âgée de vingt-deux à trente ans,—avoir un lait de trois mois,—avoir déjà fait une nourriture étrangère,—être d'un tempérament sanguin,—avoir les cheveux noirs ou d'un châtain brun, —avoir une constitution forte et robuste,—être assez grasse,—avoir bon appétit,—et n'être délicate ni sur le boire, ni sur le manger,—être gaie et de bonne humeur,—avoir toujours le mot pour rire,—n'être sujette à aucune incommodité,—ne sentir mauvais ni de la bouche, ni des aisselles, ni des pieds,—n'avoir point de dents gâtées et les avoir toutes,—avoir la peau blanche et nette,—enfin avoir tous les signes d'une bonne santé.—Il fallait de plus qu'elle fût assez jolie,—gracieuse dans son parler,—bien faite dans sa taille,—ni trop grande, ni trop petite, ni bossue, ni boiteuse, et qu'elle n'eût aucun accent prononcé.— Mais ce qu'on exigeait surtout, c'était que la gorge fût bien faite et contînt suffisamment de lait.—Quant au lait, on n'avait pas alors les moyens que l'on possède actuellement pour juger de sa bonté, et l'on s'en rapportait à son aspect et à son goût. Quand une nourrice réunissait toutes ces qualités, on exigeait encore d'elle, et par-dessus tout, qu'elle fût de bonne vie et mœurs. C'était sans doute, et c'est encore aujourd'hui une très-bonne précaution de s'informer de la sagesse de la femme à laquelle on va confier son bien le plus cher. Mais comment le savoir positivement? Et d'ailleurs, ne se peut-il pas que quelque grave affection soit venue atteindre une nourrice, sans que pour cela elle ait en rien manqué à une conduite sage et réglée? Une histoire arrivée dans une circonstance analogue, et racontée par Louise Bourgeois, la célèbre accoucheuse de Marie de Médicis, montre combien l'on peut être encore trompé malgré toutes ces précautions: «La reine étant grosse de madame sa fille aînée, dit madame Bourgeois, alla à Fontainebleau pour y faire ses couches, et partit en octobre de Paris après la moitié du mois, où étant arrivée l'on avait quantité de nourrices qui importunaient tellement le roi et la reine, et tout le monde, que Leurs Majestés en remirent l'élection à Fontainebleau, où il ne manqua d'en venir de tous côtés. L'on attendit proche de l'accouchement de la reine à en faire l'élection. Il vint un homme, lequel avait envoyé sa femme pour être nourrice, laquelle avait une petite fille fort délicate et menue. La femme était bien honnête, et de gens de bien, en faveur de quoi il se trouva des plus signalés seigneurs de la cour qui en parlèrent d'affection aux médecins. Ce fut une affaire qui me donna bien de la peine. Elle logea chez une de mes amies, laquelle s'employa de bon cœur pour elle; elle me priait aussi d'y faire ce que je pourrais. Je voyais son enfant extrêmement menu, mais elle était appropriée à son avantage, de sorte que la hard parait le fagot. Quand on m'en parlait, je ne pouvais répondre gaiement, à cause que sa nourriture ne m'agréait guère. Je fus un jour, comme j'avais coutume, la voir, où j'entendis nommer cette nourrice du nom de son mari. Je me ressouvins que c'était le nom d'un jeune homme que mon mari[19] avait traité de la v..., lequel avait voulu sortir sans attendre qu'il eût été guéri.... Je fus bien empêchée et eusse voulu ne l'avoir jamais vue.... Elle fut retenue, et aussitôt on fit état de renvoyer toutes les autres; c'était l'heure du dîner. Je fis chercher M. du Laurens[20], lequel était allé dîner en compagnie. Comme je vis qu'il ne se trouvait pas, et qu'il n'eût pas été à propos de le dire quand les autres nourrices eussent été renvoyées, je priai mademoiselle Cervage, femme de chambre de la reine, de lui aller dire de ma part.... La reine le dit aussitôt au roi, lequel dit tout haut «que des nourrices venaient de loin pour le tromper», devant tout le monde. Il envoya chercher M. du Laurens et les autres médecins, lesquels me vinrent trouver pour savoir la vérité, et comment, si je vérifierais cela. Je leur dis le tout, et que pour preuve, il y avait un valet de chambre de M. de Beaulieu-Rusé qui, demeurant en notre logis, l'avait aidé à panser, qui en pourrait dire la vérité, et un autre qui était chirurgien à Auxerre, qui avait été en même temps chez nous. Comme cela fut vérifié, l'on fit une autre élection de nourrice.» La conséquence à tirer de cette histoire, c'est que, malgré tous les certificats, on peut encore être trompé; car, si le hasard n'avait pas fait connaître à l'accoucheuse de la reine l'état antérieur du mari de cette femme, elle aurait été parfaitement acceptée pour nourrice de la fille du roi. Ainsi donc, s'il est bon, en tout état de choses, de tâcher d'avoir les meilleurs renseignements sur la vie antérieure d'une nourrice, il faut cependant, sous ce rapport, s'en remettre un peu à la grâce de Dieu. Voici, du reste, comment on s'y prit pour la Dauphine: On choisit d'abord les quatre meilleures nourrices, c'est-à-dire celles qui remplissaient le mieux les conditions déjà indiquées, et l'on prit leurs noms et leurs demeures; puis, le premier médecin envoya un homme de confiance pour procéder aux informations. Cet homme s'adressa aux curés pour avoir un certificat constatant qu'elles étaient de la religion catholique, qu'elles servaient bien Dieu, et qu'elles fréquentaient les sacrements. Il obtint ensuite un certificat des chirurgiens de chacune d'elles, assurant qu'ils n'avaient connu dans leurs familles aucune personne atteinte de maladies contagieuses, ni écrouelles, ni épilepsie. Après avoir obtenu ces deux certificats, il assembla les voisins, qui attestèrent qu'elles étaient de bonne conduite, et qu'elles avaient toujours bien vécu avec leurs maris et leurs voisins. Une fois cette enquête terminée, on les mit chez la gouvernante des nourrices, où chacune d'elles avait une chambre et nourrissait son enfant en attendant l'accouchement de la Dauphine; et sitôt qu'elle fut accouchée, les médecins vinrent visiter ces nourrices, choisirent celle qu'ils considérèrent alors comme la meilleure, et les trois autres restèrent chez la gouvernante, pour n'en pas manquer en cas qu'on fût dans la nécessité d'en changer. La nourrice choisie fut ensuite gardée à vue par une femme qui ne la quittait point, pour qu'elle ne pût approcher de son mari, car on craignait qu'elle ne devînt grosse et ne donnât à l'enfant de mauvais lait. On était très-rigide sur cette séparation des maris, et Dionis[21] raconte à ce sujet ce qui arriva à l'une des premières nourrices de Louis XIV.—Cette nourrice était de Poissy. La cour habitait à cette époque le château neuf de Saint-Germain. Louis XIII, ravi d'avoir un fils, l'allait voir tous les jours et s'entretenait avec la nourrice. Celle-ci lui raconta plusieurs aventures amoureuses arrivées entre les dames de Poissy et les mousquetaires de quartier. Le roi en fit quelques réprimandes à leur commandant, en lui ordonnant de mieux veiller sur leur conduite. Un jour le mari de la nourrice, impatient de voir sa femme, rôdait autour du château. La nourrice l'ayant aperçu descendit un moment pour lui parler sur une des terrasses du jardin. Malheureusement pour elle, elle fut vue du mousquetaire en sentinelle sur cette terrasse. Ne voulant pas perdre une si belle occasion de se venger des discours tenus par elle au roi sur leurs aventures, il la dénonça, et elle fut immédiatement changée. L'accouchement tant désiré de la Dauphine eut lieu au mois d'août 1682. Le roi venait de fixer depuis quelques mois son séjour à Versailles, et cette ville présenta alors le plus curieux spectacle. Depuis près d'un mois, Clément était établi dans les appartements du château, lorsque le mardi 4, dans la soirée, la Dauphine ressentit les premières douleurs. Depuis ce moment jusqu'au jeudi 6, jour de la délivrance, l'accoucheur ne quitta plus la princesse. Aussitôt les premières douleurs, la Dauphine fit prévenir la reine et la pria de n'en rien dire, pour éviter dans ces premiers moments le trouble que cette nouvelle allait jeter parmi tout le monde. Le Dauphin vint aussi et ne quitta pas la chambre de la nuit. Cependant, comme elle souffrait de plus en plus, vers une heure du matin le bruit s'en répandit dans tout le château. Lorsque les reines accouchaient, on préparait près de leur chambre ordinaire une autre chambre où devait se terminer l'accouchement, et dans laquelle se tenaient toutes les personnes ayant le droit d'y assister. C'était dans cette dernière chambre qu'étaient le lit où elles restaient après l'accouchement et le lit de travail. Celui-ci était placé dans une espèce de petite tente pour la reine, le roi, l'accoucheuse et les aides. Cette tente était entourée d'une autre, beaucoup plus grande, pour les assistants. Ce cérémonial ne fut pas suivi pour la Dauphine, et l'accouchement se fit dans sa chambre à coucher. Bientôt toute la cour fut en mouvement. Les princes et les princesses du sang se rendirent aussitôt chez la Dauphine. Les cours, les places, le chemin de Versailles à Paris, furent éclairés presque comme en plein jour par la grande quantité de torches et de lumières de toute espèce des allants et des venants. Les antichambres de l'appartement de la Dauphine et la galerie qui y menait ne tardèrent pas à être encombrées par tous les habitants du château et de ses environs. Cet appartement était situé à l'extrémité de l'aile du sud, vis-à-vis la pièce d'eau des Suisses, dans le pavillon de la surintendante de la maison de la reine[22]. Malgré tout ce mouvement, on n'avait pas encore jugé nécessaire d'éveiller le roi. Cependant, sur les cinq heures du matin, on vint lui apprendre l'état de la princesse. Il se leva aussitôt, et après l'assurance que rien ne pressait encore, il ordonna d'adresser des prières au ciel, et entendit immédiatement la messe. Vers six heures, il se rendit chez la Dauphine, afin de savoir par lui-même où tout en était. La cour grossissait à tout moment. Les moins diligents se rendaient de toutes parts aux environs de l'appartement de la jeune malade, d'où l'on ne pouvait approcher, tandis que le reste du château paraissait désert. Vers neuf heures, le roi, voyant diminuer les douleurs de sa belle-fille, sortit de chez cette princesse pour aller au conseil; et la plupart des princes et princesses, ayant veillé toute la nuit, profitèrent de ce moment pour prendre quelques heures de repos. La reine passa toute cette matinée en prière ou auprès de la princesse. Le roi y revint encore aussitôt que le conseil fut terminé. Il la trouva assez calme, y demeura quelque temps, voulut qu'elle mangeât pendant qu'il était là et sortit ensuite avec la reine, chez laquelle il vint dîner accompagné de tous les princes. Vers la fin du dîner, on lui annonça que la Dauphine reposait. Jugeant alors sa présence inutile, il laissa la reine dans son appartement, et alla, selon sa coutume, travailler dans son cabinet. L'un des premiers soins de ce prince avait été d'ordonner des prières dans toutes les églises de Paris et de Versailles, et de faire distribuer des aumônes considérables dans ces deux villes. Les douleurs de la Dauphine la reprirent avec force vers l'après-dinée; le roi revint immédiatement auprès d'elle. Pendant tout ce temps, la plupart des ambassadeurs, des envoyés et des résidents des princes étrangers se rendirent à Versailles, afin d'être prêts à faire partir des courriers à leurs cours aussitôt après l'accouchement. La reine n'avait point quitté l'appartement de la Dauphine depuis ses premières douleurs; les voyant se continuer avec énergie, elle fit apporter dans la chambre les reliques de sainte Marguerite, que l'on était dans l'usage d'exposer dans la chambre des reines quand elles accouchaient; puis on dressa le lit de travail. Ce lit, conservé dans le garde-meuble du roi, avait déjà servi aux reines Anne d'Autriche et Marie-Thérèse[23]. Les femmes de la Dauphine entrèrent alors, arrangèrent ses cheveux, et lui mirent sur la tête de grosses cornettes, comme c'était l'usage, pour qu'elle n'attrapât point de froid. Toute la nuit du 5 au 6 se passa encore dans des douleurs de plus en plus vives et prolongées, surtout vers le matin. Les soins et les prières de la reine redoublèrent. Tous les services qu'une femme est si heureuse de recevoir dans cet instant solennel furent rendus à la Dauphine avec empressement par la reine et les princesses du sang. Le roi lui-même cherchait à l'encourager et était rempli d'attentions pleines de bonté. A plusieurs reprises, aidé du Dauphin, il la soutint pendant qu'elle se promenait dans sa chambre, et comme les douleurs ne discontinuèrent plus, il y passa la nuit sans vouloir prendre un moment de repos. Pendant cette soirée du mercredi, la nuit du mercredi au jeudi et la matinée du jeudi jusqu'à l'heure de la délivrance, il n'est sorte de mots doux et affectueux qui n'aient été échangés entre Louis XIV et la Dauphine. Le jeudi, le roi ne se reposa pas un moment. Le matin, il entendit la messe; puis il tint conseil comme à l'ordinaire; car l'on sait que c'était un des devoirs qu'il s'était imposés, et que rien ne pouvait empêcher. Immédiatement après le conseil, il revint chez la Dauphine. La longueur du travail commençait à donner de l'inquiétude à tous les assistants, et les visages semblaient abattus et consternés. Clément seul, pendant tout ce temps, paraissait impassible. Il s'était assuré, à plusieurs reprises, de l'état de la princesse; il n'avait reconnu à l'accouchement aucun obstacle important, et il avait déjà prévenu le roi que si, par suite de la constitution assez grêle de la Dauphine, l'accouchement devait être long, il devait cependant se terminer sans accident. Le roi, on l'a déjà dit, avait une entière confiance dans l'accoucheur; il s'en rapporta complétement à son savoir, attendit avec patience l'instant qui allait combler ses vœux, et convint avec lui qu'afin de savoir le premier le sexe de l'enfant au moment de la naissance, il lui demanderait ce que c'était, et que Clément répondrait: Je ne sais pas, Sire, —si c'était une fille; et je ne sais point encore, Sire,—si c'était un fils. Les douleurs devenant de plus en plus vives et prolongées, Clément jugea nécessaire de faire pratiquer une saignée, et les médecins furent tous de cet avis. Aussitôt les apothicaires apportèrent du vinaigre, de l'eau de la reine de Hongrie et un verre rempli d'eau, dans le cas où la princesse aurait une faiblesse. Le chirurgien Dionis pratiqua la saignée. On était alors dans l'usage de fermer les volets et de se servir de bougies afin de mieux voir la veine. C'est ce qu'on fit pour la Dauphine. Le premier médecin du roi tint la bougie, et le premier apothicaire tint les poilettes[24]. Après la saignée, les douleurs reprirent de l'intensité, et tout annonçait la prompte terminaison de l'accouchement. Pour soutenir les forces de la Dauphine, le roi voulut qu'on lui donnât de temps à autre de son rossolis[25]. Clément, jugeant que l'instant de la délivrance approchait, en prévint le roi. La Dauphine fut placée sur le lit de travail, et le roi ordonna de faire entrer toutes les personnes qui devaient assister à cet acte solennel. Alors se trouvaient dans la chambre le roi, la reine, le Dauphin, Monsieur, Madame, Mademoiselle d'Orléans, et les princes et princesses du sang, qu'on avait mandés à cause du droit que leur donnait leur naissance d'être présents à l'accouchement. Il y avait en outre celles des dames dont les charges leur donnaient le privilège d'y assister, ou dont le service était nécessaire à la princesse; c'étaient: madame de Montespan, surintendante de la maison de la reine; la duchesse de Créqui et la comtesse de Béthune, dames d'honneur de la Dauphine; la maréchale de Rochefort et madame de Maintenon, dames d'atour; la duchesse d'Uzès; la duchesse d'Aumont, femme du premier gentilhomme de la chambre en année; la duchesse de Beauvilliers, femme du premier gentilhomme de la chambre; madame de Venelle, première sous-gouvernante; madame de Montchevreuil, gouvernante des filles d'honneur de la Dauphine; madame Pelard, première femme de chambre du nouveau-né; madame Moreau, première femme de chambre de la Dauphine; et les femmes de chambre de jour. Tout ce monde était sans mouvement et paraissait attendre avec anxiété le dernier moment. Bientôt les dernières et énergiques douleurs se succédèrent et se rapprochèrent, et la Dauphine accoucha à dix heures vingt minutes du matin. A peine l'enfant venait de passer, le roi, impatient, demanda à Clément: Qu'est-ce? Celui-ci, d'un air satisfait, lui répondit, ainsi qu'il en était convenu: Je ne sais point encore, Sire. Aussitôt le roi, radieux, s'écria: Nous avons un duc de Bourgogne[26]. Tout ce qui se passa alors dans la chambre où ce prince venait de naître peut à peine se décrire. Le roi, dans le premier moment de sa joie, embrassa la reine et la Dauphine; puis on ouvrit deux portes à la fois, afin de faire connaître la grande nouvelle à ceux du dehors. Le roi annonça lui-même aux princesses et aux dames du premier rang la naissance d'un prince, et la dame d'honneur aux hommes réunis dans la pièce à côté. Il se produisit alors un mouvement incroyable. Les uns tâchaient de percer la foule pour aller publier ce qu'ils venaient d'apprendre, et les autres, sans bien savoir où ils allaient ni ce qu'ils faisaient, forcèrent la porte de la chambre de la Dauphine. Tout le monde paraissait dans l'ivresse de la joie. Il y eut un tel pêle-mêle dans ce premier moment, que les domestiques se trouvèrent dans l'antichambre au milieu des princes et des dames de la première qualité. Le roi défendit qu'on renvoyât personne et voulut que chacun pût exprimer librement sa joie. Il semblait que le nom du prince nouveau-né eût volé dans l'air jusque dans les endroits les plus reculés du château et aux deux extrémités de Versailles; partout des feux de joie s'allumèrent comme par enchantement, et les missionnaires, établis depuis peu par le roi dans le château, chantèrent un Te Deum d'actions de grâces dans la chapelle. Quelques instants après sa naissance, le duc de Bourgogne fut ondoyé dans la chambre de la Dauphine par le cardinal de Bouillon, grand aumônier de France, revêtu de l'étole, en camail et en rochet. La cérémonie se fit en présence du curé de la paroisse de Versailles[27]; et sitôt qu'elle fut faite, on alla bercer le prince dans le cabinet de la Dauphine, d'où on le rapporta un peu après pour le montrer à cette princesse. Puis la maréchale de la Mothe étant entrée dans une chaise à porteurs, on le mit sur ses genoux, et il fut ainsi porté jusque dans l'appartement qu'on lui avait préparé. A peine y fut-il entré, le marquis de Seignelay, secrétaire d'État et trésorier de l'ordre du Saint-Esprit, lui mit au cou, de la part du roi, la croix de cet ordre, que les fils de France portaient dès leur naissance. Enfin, après deux jours et deux nuits d'inquiétudes et de fatigues, il était temps de laisser reposer la Dauphine[28]; mais ici une nouvelle scène allait commencer pour le roi. En sortant de la chambre, il fallait traverser la foule de grands seigneurs et de personnages de toutes sortes encombrant les portes et les corridors. Aussitôt qu'il parut, chacun se précipita et, quel que fût son rang, chercha par ses acclamations et ses gestes à lui témoigner sa joie. Le roi paraissait dans ce moment si heureux, et il recevait ces manifestations d'un air si engageant, que, loin de s'éloigner, chacun cherchait à se rapprocher de lui. Il faut se figurer que depuis l'appartement où la Dauphine était accouchée jusque chez la reine où le roi allait souper, il y avait à traverser une antichambre, la salle des gardes de la Dauphine, une très-longue galerie, le palier de l'escalier des princes avec les retours, diverses salles, la salle des gardes de la reine, et que tous ces lieux étaient tellement remplis de monde, qu'on peut dire que Louis XIV fut porté à table, depuis la chambre de la Dauphine, jusqu'au lieu où il soupa[29]. Quant au Dauphin, ce qu'il avait vu souffrir à la Dauphine, et les choses tendres qu'elle lui avait dites pendant cette longue attente, l'avaient jeté dans une sorte de stupéfaction. Aussi, quand il fallut passer de la tristesse à la joie, il eut peine à se soutenir. Il semblait sortir d'un long rêve, et sa première action fut d'embrasser non-seulement la Dauphine, mais toutes les dames qui se trouvaient dans la chambre. Le roi fit, dès le soir même, donner de fortes sommes d'argent pour délivrer des prisonniers. Louis XIV, dans ses libéralités, ne pouvait oublier celui qui, par son sang-froid et sa prudence, avait été la cause principale de l'heureuse réussite de cet événement. Il fit donner à l'accoucheur dix mille livres, et lorsque Clément alla le remercier, il le reçut gracieusement, lui dit qu'il était très-satisfait du service qu'il lui avait rendu, qu'en lui donnant cette somme, il ne croyait pas le payer, et que ce n'était que le commencement de ce qu'il voulait faire pour lui. En effet, Louis XIV ne cessa de le combler de bienfaits. Il n'avait de confiance qu'en lui. Outre la Dauphine, qu'il accoucha de tous ses enfants, Clément fut plus tard l'accoucheur de la duchesse de Bourgogne, et il alla trois fois à Madrid pour accoucher la reine d'Espagne. Enfin, en 1711, le roi lui donna des lettres de noblesse avec une clause qui honore au même degré l'homme de mérite auquel s'adressait cette distinction et le souverain qui la lui accordait; cette clause portait qu'il ne pourrait abandonner la pratique de son art, ni refuser ses conseils, ni ses secours aux femmes qui les réclameraient. La joie manifestée si vivement dans le château à la nouvelle de cet heureux événement ne fut pas moins vive au dehors et dans tout Versailles. Un garde du roi dormait sur une paillasse pendant l'accouchement de la Dauphine: réveillé en sursaut par le bruit extraordinaire que la joie venait de produire dans l'intérieur du palais, et comprenant, quoique encore à moitié endormi, qu'il venait de naître un prince, il prit sa paillasse sur son dos, et sans rien dire a personne, courut le plus vite possible jusqu'à la première cour[30], et mit le feu à cette paillasse. Il semblait que chacun n'attendît que ce signal, car on vit presque au même instant un nombre infini d'autres feux s'allumer comme par enchantement. Les uns allaient chercher du bois; d'autres prirent tout ce qu'ils trouvèrent, bancs, tables, meubles de toute nature, et jetèrent au feu tout ce qui pouvait l'alimenter. Il se forma des danses où se trouvèrent mêlés ensemble peuple, officiers et grands seigneurs. A peine ces manifestations de la joie publique eurent-elles commencé, qu'on vit couler des fontaines de vin de chaque côté de la première grille du château, ainsi que de l'intérieur des cours. Versailles était alors rempli d'un grand nombre d'ouvriers attirés par les travaux immenses que faisait exécuter le roi. On leur fit distribuer du vin en grande quantité à l'Étape[31] et dans les ateliers; les soldats des gardes française et suisse ne furent pas les derniers à manifester leur joie. Ils firent du feu de tout et brûlèrent même quantité de choses dont on ne leur aurait pas permis de disposer dans un autre moment. Le roi, apercevant tout ce désordre, voulut cependant qu'on les laissât faire, pourvu, ajouta-t-il, qu'ils ne nous brûlent pas. Devant chaque hôtel de ministre, l'on avait établi des feux et des distributions de vin. Ces réjouissances durèrent plusieurs jours avec les mêmes transports. C'était à qui varierait chaque fois les illuminations et les artifices. Tant que durèrent les fêtes, la pompe[32] fut magnifiquement illuminée, et tous les feux dont brillaient Versailles, se reflétant sur l'or couvrant le château[33], imprimèrent à la ville une physionomie toute magique. Pendant les deux ou trois premiers jours qui suivirent celui de la naissance du duc de Bourgogne, tout le chemin de Versailles fut couvert de peuple venant témoigner sa joie par ses acclamations. Après avoir vu le roi, on allait voir le nouveau-né, et la maréchale de la Mothe était fréquemment obligée de le montrer à tout ce peuple accouru pour contempler un instant son visage[34]. A l'occasion de cette naissance, on chanta plusieurs Te Deum en musique à Versailles. La plupart des maîtres en avaient composé, et le roi voulut bien les entendre dans sa chapelle. Louis XIV avait dispensé les différents corps de l'État des compliments d'usage; quant aux ambassadeurs et aux ministres des princes étrangers, il leur accorda l'audience qu'ils lui demandèrent à cette occasion. Elle eut lieu dans le grand appartement de Versailles, avec les cérémonies accoutumées. Tous les corps de la garde du roi étaient en haie. Les ambassadeurs entrèrent par le grand escalier[35]. Le roi était assis sur son trône d'argent, il avait auprès de lui d'un côté le duc de Bouillon, grand chambellan, le duc de Créqui et le prince de Marsillac; de l'autre, le duc d'Aumont, le duc de Saint- Aignan et le marquis de Gesvres. Une foule de courtisans les environnait. Le duc de Luxembourg, capitaine des gardes de quartier, allait recevoir les ambassadeurs à la porte de la salle des gardes. Le roi écouta leur compliment avec gravité, et leur répondit avec une grande affabilité. Ils allèrent ensuite chez le Dauphin, le duc de Bourgogne et Monsieur. Madame la maréchale de la Mothe répondit pour le petit prince. Toutes ces audiences durèrent cinq heures, après lesquelles ces messieurs furent reconduits avec les mêmes cérémonies. Ils n'eurent audience de la reine et de Madame que l'après-dinée, parce qu'elles n'en donnaient jamais le matin. Tel est le récit de ce qui se passa dans Versailles à la naissance du duc de Bourgogne. La joie de cette ville se répandit partout avec rapidité, et l'on peut voir, dans la plupart des écrits du temps, les détails des réjouissances extraordinaires faites dans toute la France à cette occasion. III RÉCIT DE LA GRANDE OPÉRATION FAITE AU ROI LOUIS XIV. 1686. ———— Le 18 novembre 1686, Versailles apprit avec surprise et effroi que le roi Louis XIV venait de subir la grande opération; c'est ainsi que l'on nommait alors l'opération de la fistule à l'anus. Le 5 février 1686, le roi fut obligé de prendre le lit à la suite de vives douleurs dont il souffrait depuis plusieurs jours; l'on s'aperçut alors qu'il s'était formé un abcès à la marge de l'anus. Félix de Tassy, son premier chirurgien, l'un des hommes les plus instruits de cette époque, en proposa immédiatement l'ouverture; mais, ainsi que le remarque Dionis, on ne trouve pas toujours dans les grands cette déférence nécessaire pour obtenir la guérison: mille gens proposèrent des remèdes qu'ils disaient infaillibles, et l'on préféra à la lancette du chirurgien un emplâtre fait par une grande dame de la cour, madame de la Daubière. L'inventeur du remède assista elle-même à la pose de son emplâtre, qui, probablement, ne pouvait avoir d'effet que sous ses yeux. Tel infaillible que fût cet emplâtre, on l'ôta cinq jours après son application, n'ayant eu d'autre résultat que d'augmenter les souffrances du roi. Enfin, le 23, c'est-à-dire plus de vingt jours après l'apparition de la tumeur, on se décida à donner issue au pus; mais, malgré l'avis de Félix, qui voulait employer le bistouri, et pour ménager le royal malade, auquel on craignait de faire subir une opération sanglante, on eut recours, pour l'ouverture de l'abcès, à l'application de la pierre à cautère. «Ce matin, à dix heures, dit Dangeau dans son journal, on appliqua au roi la pierre à cautère sur la tumeur; on l'y laissa une heure et demie, et puis on ouvrit la peau avec le ciseau; mais on ne toucha point au vif.» C'est-à-dire qu'on se contenta de fendre l'escharre, et lorsque celle-ci tomba, il se forma, comme le dit Dionis, un petit trou par où la matière s'écoula, et qui continua à suppurer. Bientôt on constata la présence d'une fistule communiquant dans l'intérieur de l'intestin. En pareille occurrence, et pour débarrasser le roi de cette dégoûtante infirmité, il ne restait plus qu'à pratiquer l'opération. Mais il n'en est pas des rois comme des simples particuliers, et, avant de pouvoir leur faire entendre les paroles graves et réfléchies de la science, il faut préalablement que le médecin s'attende à voir défiler avant lui tout le cortége des empressés plus ou moins ignorants, flanqués chacun de leurs remèdes infaillibles, sans compter encore le charlatanisme, qui sait si bien exploiter la tête et la queue de la société. C'est ce qui arriva pour Louis XIV. Dès que l'on sut le roi atteint de la fistule, il y eut encore un bien plus grand nombre de remèdes proposés que quand il s'était agi d'une simple tumeur. Cependant Louvois, qui était alors le principal ministre et qui avait en quelque sorte la responsabilité de la vie du roi, ne voulut permettre l'usage d'aucun de ces remèdes avant qu'il eût été préalablement expérimenté. Parmi tous ces moyens, un fut surtout préconisé, et le roi paraissait assez décidé à l'essayer: c'était l'emploi des eaux de Baréges. Mais avant que Louis XIV partît pour ces eaux, comme le bruit en avait couru, on jugea convenable d'en constater les effets. On chercha quatre personnes ayant la même maladie que le roi, et on les envoya à Baréges à ses dépens, sous la conduite de Gervais, chirurgien de l'hôpital de la Charité. C'était l'un des hommes les plus instruits de Paris, et il s'était acquis surtout une très-grande réputation pour la guérison des tumeurs. Ces quatre malades furent soumis par lui à l'action des eaux sous toutes les formes, en bains, à l'intérieur, et surtout en injections répétées dans le trajet fistuleux. Ce traitement dura fort longtemps et ne fut suivi d'aucune espèce d'amélioration; en sorte qu'ils revinrent tout aussi avancés dans leur guérison que quand ils étaient partis[36]. Une dame de la cour ayant raconté qu'allée aux eaux de Bourbon pour une maladie particulière, elle s'était trouvée guérie par leur usage d'une fistule qu'elle avait avant, on envoya à Bourbon l'un des chirurgiens du roi, avec quatre autres malades; ils furent soumis aux mêmes expériences que ceux de Baréges, et en revinrent comme eux sans changement dans leur état. Mais l'essai des remèdes ne devait point s'arrêter là. Un religieux jacobin vint trouver Louvois et lui apporta une eau avec laquelle il guérissait, disait-il, toutes sortes de fistules. Un autre annonçait posséder un onguent qui n'en manquait aucune. D'autres proposaient aussi des remèdes avec lesquels ils avaient obtenu des cures merveilleuses. Le ministre, un peu embarrassé de toutes ces propositions, ne voulut cependant en rejeter aucune avant que l'expérience eût démontré son inefficacité. Pour juger en quelque sorte, par lui-même de leur valeur, il fit meubler plusieurs chambres de son hôtel de la surintendance[37], pour recevoir tous les malades atteints de fistule qui voulaient se soumettre à ces différents essais, et il les fit traiter, en présence de Félix, par les auteurs de ces remèdes. Tous ces essais durèrent un temps fort long, sans aboutir à aucun résultat. Louvois et Félix rendaient compte à Louis XIV des tentatives inutiles faites chaque jour pour trouver un remède qui pût lui éviter l'opération, sur laquelle le premier chirurgien insistait de plus en plus. Mais avant de s'y décider, le roi voulut encore avoir l'avis de Bessières, chirurgien en renom de Paris. Bessières examina le mal, puis Louis XIV lui ayant demandé ce qu'il en pensait, il lui répondit librement que tous les remèdes du monde n'y feraient rien sans l'opération[38]. Le roi n'hésita plus, et l'opération fut décidée. Mais quelle méthode devait-on employer? Il y avait alors à Paris un nommé Lemoyne, qui s'était acquis une grande réputation pour la guérison des fistules. Voici ce qu'en dit Dionis: «Sa méthode consistait dans l'usage du caustique, c'est-à-dire qu'avec un onguent corrosif, dont il couvrait une petite tente qu'il fourrait dans l'ouverture de l'ulcère, il en consumait peu à peu la circonférence, ayant soin de grossir tous les jours la tente, de manière qu'à force d'agrandir la fistule, il en découvrait le fond. S'il y avait de la callosité, il la rongeait avec son onguent, qui lui servait aussi à ruiner les clapiers, et enfin, avec de la patience, il en guérissait beaucoup. Cet homme est mort vieux et riche, parce qu'il se faisait bien payer, en quoi il avait raison, car le public n'estime les choses qu'autant qu'elles coûtent. Ceux à qui le ciseau faisait horreur se mettaient entre ses mains, et comme le nombre des poltrons est fort grand, il ne manquait point de pratiques.» Ainsi Lemoyne avait remis en honneur la cautérisation.—La ligature était le mode d'opérer le plus généralement suivi. Puis restait l'incision que Félix proposait au roi. Mais avant de se déterminer à suivre l'avis de son premier chirurgien, Louis XIV voulut qu'il lui expliquât la préférence qu'il donnait à cette méthode sur les autres. Félix fut alors obligé de décrire au roi les trois procédés; puis il lui fit remarquer, nous raconte Dionis, que le caustique fait une douleur continuelle pendant cinq ou six semaines qu'on est obligé de s'en servir; que la ligature ne coupe les chairs qu'après un long espace de temps, et qu'il ne faut pas manquer de la serrer tous les jours, ce qui ne se fait pas sans douleur; que l'incision cause, à la vérité, une douleur plus vive, mais qu'elle est de si peu de durée qu'elle ne doit point alarmer une personne qui veut guérir sans crainte de retour; car outre qu'elle achève en une minute ce que les deux autres manières n'opèrent qu'en un mois, c'est que par celles-ci la guérison est douteuse et qu'elle est sûre par l'incision.—Ces raisons, appuyées par Daquin, Fagon et Bessières, déterminèrent le roi, qui se décida pour l'incision. C'était une grave résolution qu'avait prise Félix. L'opération par l'instrument tranchant paraissait alors si terrible, que chacun tremblait de la subir, d'où son nom de grande opération. Mais Félix n'était point un chirurgien ordinaire. Fils de François Félix de Tassy, homme d'un grand talent, et aussi premier chirurgien du même prince, il fut l'élève de son père, qui, le destinant à le remplacer auprès du monarque, ne négligea aucun des moyens qui pouvaient le rendre digne d'occuper un emploi aussi important. Exerçant sa profession dans les hôpitaux civils, puis dans ceux des armées, il fut, fort jeune encore, compté parmi les plus habiles chirurgiens de son temps; ses confrères le nommèrent chef du collége de Saint-Côme, qui devint ensuite l'académie de chirurgie; puis il succéda à son père dans la charge de premier chirurgien du roi, en 1676. Dès que Félix se fut assuré de la maladie du roi, il le rassura sur sa vie et promit de le délivrer de son horrible incommodité. Ce grand chirurgien n'avait jamais fait l'opération qu'il méditait, mais il avait lu tout ce que les auteurs anciens avaient écrit sur la maladie dont le roi était attaqué. Il se traça alors un plan d'opération, et tandis que le temps s'écoulait en essais de remèdes qui n'avaient aucun résultat, Félix occupait le sien d'une manière profitable à ses desseins. Pendant plusieurs mois tous les malades atteints de la maladie du roi qui se trouvaient dans les hôpitaux de Paris ou à la Charité de Versailles furent opérés par lui, et lorsque Louis XIV fut enfin décidé, il avait acquis l'expérience d'un chirurgien consommé dans cette partie de l'art opératoire. Pour faire l'incision de la fistule, Galien avait inventé un instrument d'une forme particulière, auquel il avait donné le nom de syringotome, du nom même de la fistule—(syrinx, flûte). C'était un bistouri en forme de croissant, à manche contourné, et dont la pointe était terminée par un stylet long, pointu et flexible. On introduisait la pointe dans l'ouverture extérieure de la fistule et on poussait le stylet jusque dans l'intestin; le doigt indicateur de la main gauche, placé dans le rectum, ramenait la pointe par l'anus, puis la lame du bistouri, poussée dans la fistule, achevait l'incision. Félix fit subir à l'instrument de Galien un notable changement. Il fit faire un simple bistouri courbe, à lame très-étroite, terminée, comme le syringotome, par un stylet, mais en argent recuit, et long de plusieurs pouces. Le tranchant de la lame était recouvert d'une chape d'argent faite exprès pour être introduite dans la fistule sans blesser les parties. Cet instrument ainsi disposé, on poussait le stylet dans la fistule et on le ramenait par le fondement; puis, le bistouri étant entré après le stylet, on retirait doucement la chape qui enveloppait le tranchant, et tenant d'une main le bout du stylet et de l'autre le manche du bistouri, en tirant à soi on tranchait tout d'un coup toute la fistule. Cet instrument, dont Félix se servit pour le roi, reçut depuis ce moment le nom de bistouri à la royale. Ce fut le 18 novembre 1686 qu'eut lieu l'opération. Qu'on nous pardonne les détails peut-être un peu minutieux dans lesquels nous allons entrer; mais, outre qu'il s'agit d'une opération qui, par son retentissement et son succès, changea toutes les idées reçues à cette époque, il s'agit encore d'un fait historique que l'on peut encore suivre sur place dans ses plus petits incidents. Le roi était à Fontainebleau lorsque l'opération fut arrêtée. Afin de s'y préparer et en même temps pour ôter tout soupçon de ce qui allait se passer, deux médecines lui furent administrées dans ce séjour. Arrivé à Versailles le 15 novembre, rien ne décéla en lui la grave détermination qu'il avait prise. Le dimanche 17, veille de l'opération, il monta à cheval, alla visiter ses jardins, ses réservoirs et les nombreux travaux en cours d'exécution, et parut fort tranquille et fort gai pendant tout le cours de la promenade[39]. La chambre à coucher de Louis XIV, dans laquelle il fut opéré, n'était point celle connue aujourd'hui sous ce nom: elle était située dans la pièce précédant celle-ci et portant actuellement le nom si célèbre de salon de l'Œil-de-Bœuf. Ce salon de l'Œil-de-Bœuf était alors coupé en deux; la pièce la plus rapprochée de la chambre à coucher actuelle était la chambre du roi, et l'autre pièce était un cabinet orné des tableaux du Bassan, portant pour cela le nom de cabinet des Bassans. Le lundi 18 novembre, de grand matin, tout se préparait dans le cabinet des Bassans pour la grande opération. Vers cinq heures, les apothicaires entrèrent chez le roi et lui administrèrent le lavement préparatoire. Un peu avant sept heures, Louvois alla prendre chez elle madame de Maintenon; ils entrèrent ensemble chez le roi, auprès duquel se trouvait déjà le père de la Chaise, son confesseur. Félix, d'Aquin, premier médecin du roi, Fagon, qui le devint quelques années après, Bessières, les quatre apothicaires du roi, et Laraye, élève de Félix, mais que l'on appelait alors son garçon, étaient réunis dans le cabinet des Bassans pour préparer tout ce qui devait servir à l'opération. A sept heures, ils entrèrent dans la chambre du roi. Louis XIV ne parut nullement ému de leur présence; il fit approcher Félix, lui demanda l'usage de chacun des instruments et des diverses pièces de l'appareil, puis s'abandonna avec confiance à son talent. Le roi fut placé sur le bord de son lit, un traversin sous le ventre pour élever les fesses, tournées du côté de la fenêtre, les cuisses écartées et assujetties par deux des apothicaires. Voici comment procéda l'opérateur: Une petite incision, faite avec la pointe d'un instrument ordinaire, fut d'abord pratiquée à l'orifice externe de la fistule, afin de l'agrandir et de pouvoir plus facilement y introduire le bistouri à la royale. L'incision fut ensuite pratiquée avec cet instrument, à l'aide de la manœuvre déjà indiquée. Une fois le trajet fistuleux mis à découvert, il s'agissait de détruire les callosités qu'on supposait devoir empêcher la réussite de l'opération: huit coups de ciseaux enlevèrent toutes les callosités que Félix rencontra sous son doigt. Cette partie si douloureuse de l'opération fut supportée avec beaucoup de courage par Louis XIV: pas un cri, pas un mot ne lui échappa. L'opération terminée, on introduisit dans l'anus une grosse tente de charpie recouverte d'un liniment composé d'huile et de jaune d'œuf. On la fit entrer avec force, afin d'écarter les lèvres de la plaie; on garnit ensuite la plaie de plumasseaux, enduits du même liniment, et on appliqua les compresses et le bandage comme on le fait à présent. Rien ne saurait dire l'étonnement dans lequel fut toute la cour lorsque l'on apprit que le roi venait de subir une opération que chacun regardait comme si dangereuse. Le récit fait de cet événement par le Mercure Galant, journal officiel de la cour, fera mieux comprendre qu'on ne pourrait le dire l'effet produit par cette nouvelle inattendue.—«Quoique le roi, dit-il, fût dans une santé parfaite, à la réserve de l'incommodité qui lui était survenue il y a environ onze mois, et qu'il fût même en état de monter à cheval et de chasser, comme il faisait très-souvent, Sa Majesté, qui vit qu'elle courait risque de souffrir toute sa vie de cette sorte d'incommodité, à laquelle sont sujets tous ceux qui manquent du courage nécessaire pour s'en tirer, prit une résolution digne de sa fermeté; et, comme ce mal était grand plutôt par la douleur que l'opération lui devait faire souffrir que par la nature dont il était, il cacha ce qu'il avait résolu de faire, comme il fait de toutes les choses qu'il juge à propos de tenir secrètes. Il savait l'inquiétude que donnerait le mal qu'il devait endurer, et ne doutait point que la crainte de quelque accident et l'amour qu'on a pour lui ne fissent trouver des raisons pour l'en détourner. Mais ce prince voulait souffrir, afin d'être plus en état de travailler sans cesse pour le bien et pour le repos de ses sujets; et pour éviter les contestations qui se pourraient former là-dessus, il aima mieux se charger de toute la douleur que de jouir du soulagement d'être plaint, ce qui console beaucoup ceux qui souffrent. D'ailleurs, il savait que ce bruit, venant à se répandre, aurait jeté de la crainte et de l'abattement dans tous les cœurs, et qu'il rendrait incapables d'agir tous ceux qui étaient occupés pour les affaires de l'État, et il voulait endurer seul, sans que l'État en souffrît un seul moment. Ainsi ayant pris sa résolution, il travailla à la faire exécuter sans que l'on s'en aperçût. Comme jamais prince ne sut régner sur lui-même avec tant d'empire, il en vint à bout sans peine. Il se purgea deux fois à Fontainebleau, parce que venant ensuite à Versailles, ce changement de lieu devait ôter l'idée qu'on aurait pu prendre, s'il avait été possible qu'on eût soupçonné quelque chose de son dessein. Il monta à cheval le dimanche 17 de ce mois, soupa ce jour-là avec la famille royale, et s'informa de Monseigneur où était le rendez-vous de chasse le lendemain. On connut le jour suivant que ce prince, quoiqu'il dût alors sentir les premières atteintes de la peur que lui pouvait causer l'opération, avait demandé ce rendez-vous d'une âme tranquille, afin que s'il arrivait quelque accident, il pût en faire avertir Monseigneur. On a même remarqué qu'il se coucha ce soir-là plus tard qu'à l'ordinaire. Il marqua pour le lundi 18, l'heure de son lever, où la plus grande partie de la cour se trouve ordinairement. Il avait pris la sienne plus matin pour l'opération. Ceux qui devaient y travailler, ou dont la présence était nécessaire, entrèrent par différents endroits, ce qui empêcha qu'on en eût aucun soupçon. Quoique je ne fasse point ici le détail du reste, je puis vous dire qu'il s'y passa mille choses dignes de l'inébranlable fermeté du roi. Il voulut voir tout ce qui devait le faire souffrir et ne fit que sourire au lieu d'en paraître étonné. Il fit ensuite ce qu'un prince aussi chrétien que lui doit faire en de pareilles occasions et souffrit patiemment, étant toujours dans l'état d'un homme libre et qui est assuré d'être maître de sa douleur. Aucun cri ne lui échappa, et loin de témoigner de la crainte, il demanda si on ne l'avait point épargné, parce qu'il avait recommandé sur toutes choses de ne le pas faire. Sitôt qu'on eut achevé l'opération, la porte fut ouverte à ce qu'on appelle la première entrée, c'est-à-dire aux personnes qui ont droit d'entrer les premières au lever. Les autres n'entrèrent pas, parce qu'il n'y eut point de lever. «Le bruit de cette opération s'étant répandu dans Versailles, comme on s'imagine toujours voir les maux que l'on craint, quand même ils ne seraient point à craindre, la douleur parut sur tous les visages, et l'on eût dit à voir le roi que ce monarque était le seul qui se portait bien. Ayant remarqué qu'on ne faisait aucun bruit, il ordonna que toutes choses se fissent à l'ordinaire, tint conseil dès le jour même, et permit dès le lendemain aux ministres étrangers de le saluer. Quoique de semblables maux aient accoutumé de causer un peu de fièvre, sans pourtant qu'il y ait sujet d'en appréhender aucune suite fâcheuse, il semble que le ciel, pour ne nous pas alarmer, n'ait pas voulu qu'il en eût le moindre ressentiment.» A ces détails, Dangeau ajoute: «Dès que l'opération fut faite, le roi l'envoya dire à Monseigneur, qui était à la chasse, à madame la Dauphine, dès qu'elle fut éveillée, à Monsieur et à Madame, qui étaient à Paris, et à M. le prince et à M. le duc, qui étaient à Fontainebleau, auprès de madame la duchesse de Bourbon, leur défendant de venir. Dès l'après-dîner, le roi tint son conseil; il vit beaucoup de courtisans, et voulut qu'il y eût appartement et que l'on commençât le grand jeu de reversi qu'il avait ordonné à Fontainebleau. Madame de Montespan partit en diligence pour venir trouver le roi; mais ayant appris à Essone que le roi se portait très-bien, elle retourna auprès de madame de Bourbon. Monseigneur, apprenant la nouvelle, quitta la chasse et revint ici à toute bride et en pleurant.» Dans son journal, Dangeau nous a conservé jour par jour l'état du roi après son opération. L'on y voit que les premiers jours se passèrent fort bien. Les pansements se faisaient avec régularité, et le malade n'en éprouvait aucune douleur, tout enfin semblait annoncer une guérison solide et prompte; mais, soit que l'on se fût trop vite empressé de diminuer la grosseur de la mèche, soit pour tout autre motif, l'on s'aperçut le quinzième jour qu'une partie des bords s'étaient cicatrisés avant le fond, et que la fistule menaçait de reparaître de nouveau. Le 6 décembre, l'on chercha à détruire, par quelques légers coups de ciseaux, cette cicatrisation trop rapide, mais sans obtenir le résultat désiré. Enfin, le lundi 7 décembre, c'est-à-dire vingt et un jours après la première opération, l'on fut obligé de détruire la nouvelle cicatrice, à l'aide de plusieurs incisions, et de mettre à nu le fond de la fistule. Le roi supporta cette seconde opération avec beaucoup de courage, mais il paraît qu'elle fut extrêmement douloureuse, car pendant plusieurs jours il renvoya son conseil, ce qui n'était pas arrivé la première fois. Quoi qu'il en soit, de ce moment la cicatrisation marcha avec régularité, et le samedi 11 janvier 1687, cinquante-quatre jours après l'opération et trente-trois après les dernières incisions, le roi fut assez bien guéri pour sortir à pied de ses appartements et se promener pendant fort longtemps dans l'Orangerie. Louis XIV venait d'être débarrassé d'une grave infirmité, grâce à l'habileté de son chirurgien. Mais si le service était grand, la récompense fut royale. Félix reçut cinquante mille écus et la terre des Moulineaux, estimée à la même somme; d'Aquin, le premier médecin, cent mille livres; Fagon, quatre-vingt mille livres; les quatre apothicaires, chacun douze mille livres, et Leraye, l'élève de Félix, quatre cents pistoles; le tout formant un total de cinq cent soixante-douze mille livres, qui, comparé à la valeur actuelle de l'argent, représente presque un million!!! La réussite de l'opération pratiquée à Louis XIV, en mettant le comble à la réputation de Félix, mit aussi à la mode son procédé; et il fut facile de constater immédiatement son efficacité, car depuis l'opération faite au roi, il semblait que tout le monde fût attaqué de la fistule. «C'est une maladie, dit Dionis, qui est devenue à la mode depuis celle du roi. Plusieurs de ceux qui la cachaient avec soin avant ce temps n'ont plus eu honte de la rendre publique; il y a eu même des courtisans qui ont choisi Versailles pour se soumettre à cette opération, parce que le roi s'informait de toutes les circonstances de cette maladie. Ceux qui avaient quelque petit suintement ou de simples hémorroïdes ne différaient pas à présenter leur derrière au chirurgien pour y faire des incisions; j'en ai vu plus de trente qui voulaient qu'on leur fît l'opération, et dont la folie était si grande, qu'ils paraissaient fâchés lorsqu'on les assurait qu'il n'y avait point nécessité de la faire.» Tel est le récit de cette grande opération de Louis XIV. Ainsi, grâce à l'heureuse tentative de Félix; la méthode de l'incision a été remise en honneur, et par suite des travaux de la chirurgie moderne, ce mode opératoire, le plus généralement suivi, est devenu d'une telle simplicité, qu'il n'est pas nécessaire d'être le premier chirurgien d'un roi pour le pratiquer avec succès. IV MORT DE LOUVOIS. 1691. ———— Louvois mourut à Versailles dans l'ancien hôtel de la surintendance des bâtiments du roi[40], le 16 juillet 1691. La mort de Louvois fut un événement si important et donna lieu à tant de commentaires, qu'il n'est pas sans intérêt d'en rechercher les véritables causes. Depuis un certain temps Louvois, jusqu'alors si puissant, baissait dans la faveur du roi, et tout le monde s'attendait à une disgrâce prochaine du ministre. C'est dans ces circonstances que le 15 juillet 1691, il a, chez madame de Maintenon, une vive altercation avec Louis XIV. Cette scène est ainsi racontée, dans une note écrite par le duc de Luynes, sur le manuscrit de Dangeau[41]: «Nous avons déjà vu ce qui s'était passé au siége de Mons, et le mauvais gré que le roi fit à M. de Louvois de trouver le prince d'Orange si près de lui. On prétendit aussi qu'il imputa à ce ministre la levée du siége de Coni. Ajoutez à cela le bombardement de Liége, auquel le roi s'était opposé parce que des ennemis de M. de Louvois, ou de bons citoyens, avaient fait entendre à Sa Majesté que son ministre entretenait la haine de ses voisins par les cruautés qu'il faisait exercer partout. Il avait insisté sur le bombardement, qui se fit le 4 juin. Le roi avait déclaré précisément qu'il n'en voulait rien faire, et enfin ce ministre fut obligé d'avouer qu'il n'était plus temps de s'en dédire, parce que les ordres étaient donnés. Cette explication se passait chez madame de Maintenon. Le roi, qui d'ailleurs était mal disposé par ce que nous venons de dire, et parce qu'en général toutes les choses violentes lui répugnaient, fut indigné de tant de précipitation et lui laissa voir son ressentiment. M. de Louvois, qui n'était pas accoutumé à être contredit, au lieu de chercher à se justifier, répondit au roi assez brusquement et jeta son portefeuille sur la table du roi. Le roi se leva et prit sa canne. Madame de Maintenon, craignant l'effet de la colère de Sa Majesté, se mit entre elle et son ministre; mais le roi la rassura en lui disant qu'il n'avait eu nulle intention.» M. de Louvois se retira et rentra chez lui tout ému. Cependant le lendemain 16, il alla comme à l'ordinaire chez le roi pour travailler avec lui; mais à peine eut-il commencé la lecture d'une dépêche, qu'il se sentit indisposé, se retira dans son appartement et mourut au bout de quelques instants, malgré les soins rapides qui lui furent donnés. Une mort aussi prompte et dans de pareilles circonstances, fit généralement croire à un empoisonnement. Dangeau et Saint-Simon en parlent dans ce sens: «Le 16 juillet, dit ce dernier, j'étais à Versailles... sortant le même jour du dîner du roi, je le rencontrai (Louvois) au fond d'une très-petite pièce qui est entre la grande salle des gardes et ce grand salon qui donne sur la petite cour des Princes. M. de Marsan lui parlait, et il allait travailler chez madame de Maintenon avec le roi, qui devait se promener après dans les jardins de Versailles à pied, où les gens de la cour avaient la liberté de le suivre. Sur les quatre heures après-midi du même jour, j'allai chez madame de Châteauneuf, où j'appris qu'il s'était trouvé un peu mal chez madame de Maintenon, que le roi l'avait forcé de s'en aller, qu'il était retourné à pied chez lui, où le mal avait subitement augmenté; qu'on s'était hâté de lui donner un lavement qu'il avait rendu aussitôt, et qu'il était mort en le rendant, et demandant son fils Barbésieux, qu'il n'eut pas le temps de voir, quoique celui-ci accourût de sa chambre.» «La soudaineté du mal et de la mort de Louvois fit tenir bien des discours, bien plus encore quand on sut par l'ouverture de son corps qu'il avait été empoisonné. Il était grand buveur d'eau, et en avait toujours un pot sur la cheminée de son cabinet, à même duquel il buvait. On sut qu'il en avait bu ainsi en sortant pour aller travailler avec le roi, et qu'entre sa sortie de dîner avec bien du monde, et son entrée dans son cabinet pour prendre les papiers qu'il voulait porter à son travail avec le roi, un frotteur du logis était entré dans ce cabinet, et y était resté quelques moments seul. Il fut arrêté et mis en prison. Mais à peine y eut-il demeuré quatre jours, et la procédure commencée, qu'il fut élargi par ordre du roi, ce qui avait déjà été fait, jeté au feu, et défense de faire aucune recherche. Il devint même dangereux de parler là-dessus, et la famille de Louvois étouffa tous ces bruits, d'une manière à ne laisser aucun doute que l'ordre très-précis n'en eût été donné.» Puis, comme si ce n'était pas encore assez de toutes ces insinuations pour prouver l'empoisonnement, Saint-Simon ajoute l'histoire suivante du médecin de Louvois, qui, dit-il, lui fut racontée par un gentilhomme attaché à la maison de ce ministre. «Il m'a conté, dit Saint-Simon, étant toujours à madame de Louvois depuis la mort de son mari, que Séron, médecin domestique de ce ministre, et qui l'était demeuré de madame de Barbésieux, logé dans la même chambre au château de Versailles, dans la surintendance que Barbésieux avait conservée quoiqu'il n'eût pas succédé aux bâtiments, s'était un jour barricadé dans cette chambre, seul, quatre ou cinq mois après la mort de Louvois; qu'aux cris qu'il y fit on était accouru à sa porte, qu'il ne voulut jamais ouvrir; que ces cris durèrent presque toute la journée, sans qu'il voulût ouïr parler d'aucun secours temporel ni spirituel, ni qu'on pût venir à bout d'entrer dans sa chambre; que sur sa fin on l'entendit s'écrier qu'il n'avait que ce qu'il méritait, que ce qu'il avait fait à son maître, qu'il était un misérable indigne de tout secours; et qu'il mourut de la sorte en désespéré au bout de huit ou dix heures, sans avoir jamais parlé de personne, ni prononcé aucun nom.—A cet événement les discours se réveillèrent à l'oreille; il n'était pas sûr d'en parler. Qui a fait le coup? C'est ce qui est demeuré dans les plus épaisses ténèbres.» Le récit de Saint-Simon et les détails circonstanciés dans lesquels il entre, semblent ne point devoir laisser de doutes sur la nature de la mort de Louvois. Aussi les historiens, tout en admettant avec une certaine circonspection les insinuations de Saint-Simon, n'ont-ils jamais repoussé complétement l'idée du poison. Une phrase de son récit, si elle était vraie, serait surtout la preuve certaine de l'empoisonnement; c'est celle-ci: On sut par l'ouverture de son corps qu'il avait été empoisonné. En effet, si les médecins ont constaté la présence du poison, il ne peut plus y avoir d'incertitude que sur la main qui a commis le crime et sur la personne qui l'a commandé. Eh bien, cette affirmation de Saint-Simon est tout à fait démentie par l'ouverture du corps de Louvois, et si les historiens n'ont pas été plus affirmatifs, c'est qu'ils n'ont pas eu connaissance de ce document, enfoui dans un livre de médecine, où ils étaient bien éloignés d'aller chercher une pièce si importante. Dionis était le chirurgien de Louvois. C'était un chirurgien fort instruit. Il publia plusieurs ouvrages encore recherchés aujourd'hui pour les observations curieuses qu'ils renferment. Dans l'un de ces ouvrages intitulé Dissertation sur la mort subite[42], voici comment il raconte la mort de Louvois: «Le 16 juillet 1691, M. le marquis de Louvois, après avoir dîné chez lui en bonne compagnie, alla au conseil. En lisant une lettre au roi, il fut obligé d'en cesser la lecture, parce qu'il se sentait fort oppressé; il voulut en reprendre la lecture, mais ne pouvant pas la continuer, il sortit du cabinet du roi, et, s'appuyant sur le bras d'un gentilhomme à lui, il prit le chemin de la surintendance où il était logé. »En passant par la galerie qui conduit de chez le roi à son appartement, il dit à un de ses gens de me venir chercher au plus tôt. J'arrivai dans sa chambre comme on le déshabillait; il me dit: Saignez-moi vite, car j'étouffe. Je lui demandai s'il sentait de la douleur plus dans un des côtés de la poitrine que dans l'autre; il me montra la région du cœur, me disant: Voilà où est mon mal. Je lui fis une grande saignée en présence de M. Séron, son médecin. Un moment après, il me dit: Saignez-moi encore, car je ne suis point soulagé. M. d'Aquin et M. Fagon arrivèrent qui examinèrent l'état fâcheux où il était, le voyant souffrir avec des angoisses épouvantables; il sentit un mouvement dans le ventre comme s'il voulait s'ouvrir; il demanda la chaise, et, peu de temps après s'y être mis, il dit: Je me sens évanouir. Il se jeta en arrière, appuyé sur les bras d'un côté de M. Séron, et de l'autre d'un de ses valets de chambre. Il eut des râlements qui durèrent quelques minutes, et il mourut. »On voulut que je lui appliquasse des ventouses avec scarifications, ce que je fis, on lui apporta et on lui envoya de l'eau apoplectique, des gouttes d'Angleterre, des eaux divines et générales; on lui fit avaler de tous ces remèdes qui furent inutiles, puisqu'il était mort, et en peu de temps, car il ne se passa pas une demi-heure depuis le moment qu'il fut attaqué de son mal jusqu'à sa mort. »Le lendemain, M. Séron vint chez moi me dire que la famille souhaitait que ce fût moi qui en fît l'ouverture. Je la fis en présence de MM. d'Aquin, Fagon, Duchesne et Séron. »En faisant prendre le corps pour le porter dans l'antichambre, je vis son matelas tout baigné de sang; il y en avait plus d'une pinte qui avait distillé pendant vingt-quatre heures par les scarifications que je lui avais faites aux épaules; et ce qui est de particulier, c'est qu'étant sur la table, je voulus lui ôter la bande qui était encore à son bras de la saignée du jour précédent, et que je fus obligé de la remettre, parce que le sang en coulait, ce qui gâtait le drap sur lequel il était. »Le cerveau était dans son état naturel et très-bien disposé; l'estomac était plein de tout ce qu'il avait mangé à son dîner; il y avait plusieurs petites pierres dans la vésicule du fiel; les poumons étaient gonflés et pleins de sang; le cœur était gros, flétri, mollasse et semblable à du linge mouillé, n'ayant pas une goutte de sang dans ses ventricules. »On fit une relation de tout ce qu'on avait trouvé, qui fut portée au roi, après avoir été signée par les quatre médecins que je viens de nommer, et par quatre chirurgiens, qui étaient MM. Félix, Gervais, Dutertre et moi: «Le jugement certain qu'on peut faire de la cause de cette mort, est l'interception de la circulation du sang; les poumons en étaient pleins, parce qu'il y était retenu, et il n'y en a point dans le cœur, parce qu'il n'y en pouvait point entrer; il fallait donc que ses mouvements cessassent, ne recevant point de sang pour les continuer: c'est ce qui s'est fait aussi, et ce qui a causé une mort si subite.» Telle est l'opinion des hommes de l'art; c'est à une apoplexie pulmonaire qu'ils attribuent avec juste raison la cause de la mort, et l'on ne voit nulle part qu'ils aient parlé d'empoisonnement, ainsi que l'affirme Saint-Simon. D'ailleurs Louvois était menacé depuis longtemps de cette affection; il éprouvait fréquemment des oppressions. Les médecins cherchaient à les combattre, en lui donnant les eaux de forges, qu'il allait prendre tous les matins dans l'Orangerie, où le suivaient ses commis pour ne pas discontinuer son travail ordinaire[43]. Il résulte de ces faits que Louvois a été frappé d'une attaque d'apoplexie pulmonaire, et qu'il faut reléguer au rang des fables tous les bruits d'empoisonnement répandus à sa mort, et recueillis avec avidité par le caustique Saint-Simon. L'appartement occupé par Louvois était au premier étage de l'hôtel de la surintendance; cet appartement a vue sur le parc du côté de la petite Orangerie. Cela explique le passage de Saint-Simon, dans lequel il parle de la promenade de Louis XIV le jour de la mort de son ministre. «Quoique je n'eusse guère que quinze ans, je voulus voir la contenance du roi à un événement de cette qualité. J'allai l'attendre, et le suivis toute sa promenade. Il me parut avec sa majesté accoutumée, mais avec je ne sais quoi de leste et de délivré, qui me surprit assez pour en parler après, d'autant plus que j'ignorais alors et longtemps depuis les choses que je viens d'écrire. Je remarquai encore qu'au lieu d'aller visiter ses fontaines et de diversifier sa promenade, comme il faisait toujours dans ces jardins, il ne fit qu'aller et venir le long de la balustrade de l'Orangerie, d'où il voyait en revenant vers le château le logement de la surintendance où Louvois venait de mourir, qui terminait l'ancienne aile[44] du château sur le flanc de l'Orangerie, et vers lequel il regarda sans cesse toutes les fois qu'il revenait vers le château.» Le corps de Louvois fut porté aux Invalides. Voici son acte de décès tel qu'il est inscrit sur les registres de la paroisse Notre-Dame de Versailles: «Le seizième jour de juillet mil six cent quatre-vingt-onze, est décédé au château, dans l'appartement de la surintendance, très-haut et puissant seigneur monseigneur Michel-François le Tellier, marquis de Louvois, ministre et secrétaire d'État, surintendant des bâtiments, des fortifications, des arts et manufactures de France, grand maître des postes, vicaire général de l'ordre de Saint-Lazare, commandeur et chancelier des ordres du roi, âgé de cinquante-deux ans, dont le corps ayant d'abord été apporté en cette église paroissiale, a été ensuite transporté à Paris, dans l'hôtel royal des Invalides, pour être inhumé dans l'église; ses entrailles laissées à Meudon, aux révérends pères capucins, et son cœur porté aux capucines de la rue Saint-Honoré, par moi soussigné, supérieur de la maison de la congrégation de la Mission de Versailles et curé de la même ville, en présence de MM. Henri Moreau et François Maricourt, qui ont signé: Moreau, de Maricourt, prêtres de la congrégation de la Mission. Et plus bas, signé: Hébert.» V L'APPARTEMENT DE MADAME DE MAINTENON. 1686-1715. ———— Saint-Simon, voulant faire connaître les particularités de la vie privée de Louis XIV et de madame de Maintenon, dit dans un endroit de ses Mémoires: «Je me trouve, je l'avoue, entre la crainte de quelques redites et celle de ne pas expliquer assez en détail des curiosités que nous regrettons dans toutes les histoires et dans presque tous les Mémoires des divers temps. On voudrait y voir les princes, avec leurs maîtresses et leurs ministres, dans leur vie journalière. Outre une curiosité si raisonnable, on en connaîtrait bien mieux les mœurs du temps et le génie des monarques, celui de leurs maîtresses et de leurs ministres, de leurs favoris, de ceux qui les ont le plus approchés, et les adresses qui ont été employées pour les gouverner ou pour arriver aux divers buts qu'on s'est proposés. Si ces choses doivent passer pour curieuses, et même pour instructives dans tous les règnes, à plus forte raison d'un règne aussi long et aussi rempli que l'a été celui de Louis XIV, et d'un personnage unique dans la monarchie depuis qu'elle est connue, qui a, trente-deux ans durant, revêtu ceux de confidente, de maîtresse, d'épouse, de ministre, et de toute-puissante, après avoir été si longuement néant, et, comme on dit, avoir si longtemps et si publiquement rôti le balai.» Ces réflexions de Saint-Simon peuvent également s'appliquer aux recherches des lieux habités par les mêmes personnages, et en particulier à Versailles, cette magnifique création de Louis XIV; on voudrait pouvoir connaître l'histoire de chacune des chambres de ce palais, surtout de ces petits appartements, dans lesquels on vit l'amour, la jalousie, l'ambition, la haine, toutes les plus mauvaises passions du cœur humain s'agiter si longtemps pour donner le spectacle de ces élévations et de ces chutes de favoris et de maîtresses qui ont eu tant d'influence sur les destinées de la France dans le dernier siècle. Malheureusement le château de Versailles a subi de nombreux changements depuis Louis XIV jusqu'à nos jours, et il est difficile de se reconnaître au milieu de toutes ces transformations. L'un des appartements que l'on désire généralement le plus connaître, et sur lequel il y a eu jusqu'à ce jour le plus d'obscurité, est celui de madame de Maintenon, de cette femme extraordinaire qui, de la position la plus humble, s'éleva jusqu'au titre d'épouse du roi, et gouverna pendant plus de trente ans et le monarque et le royaume. Nous avons étudié avec attention ce point de l'histoire du château de Versailles, comparé avec soin les divers documents qui peuvent l'éclairer, et nous croyons pouvoir établir d'une manière positive l'emplacement de cet appartement. L'opinion, aujourd'hui la plus répandue, est que cet appartement occupait quelques pièces situées derrière les petits appartements du roi, dans l'aile nord de la cour de marbre. C'est cette opinion que M. Vatout a adoptée dans son livre du Palais de Versailles; elle paraît avoir été suivie dans la réparation de cette partie du château, puisqu'on y signale plusieurs pièces comme ayant appartenu à l'appartement de madame de Maintenon, et que Louis-Philippe y a fait placer le portrait de cette femme célèbre. Voici, du reste, ce que dit M. Vatout: SALLE DU DÉJEUNER. «Louis XVI avait l'habitude de déjeuner dans cette pièce avant de partir pour la chasse. Il y laissait entrer, pour les caresser, quatre chiens favoris qu'il aimait tant, que, dans la crainte de trop les fatiguer, les pages avaient ordre de les conduire en voiture à la chasse. »Louis-Philippe avait l'habitude de s'y reposer lorsqu'il allait visiter et suivre les travaux du Musée national de Versailles. »Cette pièce, éclairée sur la cour des Cerfs, faisait autrefois partie du petit appartement de madame de Maintenon. «Cet appartement, dit Saint-Simon, était au haut du grand escalier, de plain-pied avec l'appartement du roi[45].» Nous verrons plus tard où Saint-Simon plaçait cet appartement, et nous sommes encore étonné, après la description si claire qu'il en donne, que M. Vatout ait pu l'indiquer dans ce lieu. «La destruction de ce grand escalier, ajoute M. Vatout, et les nombreux changements opérés par Louis XV dans cette partie intérieure du palais, ne permettent plus aujourd'hui que d'indiquer l'emplacement du logement occupé par cette femme célèbre. Ce qu'il y a de certain, c'est que la pièce qu'on appelle aujourd'hui Salle du déjeuner faisait partie du salon par lequel le roi passait, en sortant de la salle à manger, pour se rendre dans le cabinet de madame de Maintenon. La petite galerie Mignard, avec ses deux salons, pouvait offrir à cet appartement de brillants accessoires, lorsqu'on y faisait de la musique ou qu'on y jouait la comédie.» Cette description ne laisse aucun doute, et l'on voit que M. Vatout place l'appartement de madame de Maintenon au haut du grand escalier des ambassadeurs[46], entre les grands et les petits appartements du
Enter the password to open this PDF file:
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-