Lorsque les foules venaient le dimanche pour voir Çri Râmakrichna, le mystique le plus vénéré et le plus connu de l'Inde moderne, il leur parlait d’une manière générale dont elles pouvaient tirer profit. Mais lorsque ses disciples intimes se réunissaient autour de lui, comme le racontait l’un d’eux, il prenait garde de ne pas être surpris au moment où il leur communiquait les vérités sacrées de la religion. Ce n’est pas que les vérités elles-mêmes soient secrètes, elles ont été consignées par écrit et n’importe qui peut les lire. Mais ce qu'il donnait à ses disciples était plus qu’un enseignement verbal. Dans un état de conscience divin, il élevait leur niveau de conscience. Le Christ enseigna de la même manière. Il ne donna pas aux foules son Sermon sur la Montagne, mais à ses disciples, dont les cœurs étaient prêts pour le recevoir. Les foules ne sont pas encore capables de comprendre la vérité de Dieu. Elles ne le désirent pas vraiment. Mon maître, Swâmi Brahmânanda, avait coutume de dire : « Combien sont prêts ? Oui, de nombreuses personnes viennent nous trouver. Nous avons pour eux le trésor, mais ils ne veulent que des pommes de terre, des oi- gnons et des aubergines. » Tous ceux parmi nous qui désirent sincèrement le trésor, qui recherchent la vérité, peuvent tirer profit du message donné dans le Sermon sur la Montagne et devenir un disciple. Comme nous le verrons dans notre étude sur le Sermon, le Christ parle des conditions que nous avons à remplir pour être un disciple, comment nous devons nous y préparer nous-mêmes. Il enseigne les voies et les moyens pour atteindre la purification de nos cœurs, de telle sorte que la vérité de Dieu se révèle pleinement en nous. Bienheureux les pauvres en esprit parce que le royaume des deux est à eux. Dans cette première béatitude, le Christ parle de la caractéristique principale que doit posséder le disciple avant qu’il soit prêt à accepter ce que le maître illuminé peut lui offrir. Il doit être pauvre en esprit. En d’autres termes, il doit être humble. Si un homme a l’orgueil du savoir, de la richesse, de la beauté ou de la lignée, ou s'il a des idées préconçues sur la vie spirituelle et sur la manière de l’instruire, son mental n’est pas ouvert aux enseignements plus élevés. Nous lisons dans la Bhagavad Guîtâ, l’Evangile des Hindous : Apprends cela par l’obéissance, par l’application et le service. Les sages, les voyants qui voient l’essence des choses t’instruiront en sagesse. Selon un conte indien, un homme alla trouver un maître pour lui demander de devenir son disciple. Le maître, avec son intuition spirituelle, comprit que l’homme n’était pas prêt pour recevoir l’enseignement. Il lui demanda : « Savez-vous ce qu’il faut pour devenir un disciple ? » L’homme lui dit qu’il ne le savait pas et demanda au maître de le lui dire. « Et bien, dit le maître, vous aurez à chercher de l’eau, à ramasser du bois, à faire la cuisine et à passer de nombreuses heures occupé à des travaux pénibles. Il vous faudra également étudier. Etes-vous disposé à faire tout cela ? » L'homme dit : « Je sais maintenant ce que le disciple doit faire. Dites-moi, je vous en prie, ce que fait le maître. » « Oh, le maître s’asseoit et donne paisiblement l’enseignement spirituel. » « Ah, je vois, dit l’homme. S’il en est ainsi, je ne veux pas être un disciple. Pourquoi ne voulez-vous pas faire de moi un maître ? » Nous voulons tous être des maîtres, mais avant de le devenir, nous devons apprendre à être des disciples, nous devons apprendre à être humble. Bienheureux ceux qui pleurent parce qu’ils seront consolés. Aussi longtemps que nous pensons que nous sommes riches en biens de ce monde et en savoir, nous ne pouvons pas faire de progrès spirituel. Lorsque nous sentons que nous sommes pauvres en esprit, lorsque nous nous affligeons de ne pas avoir réalisé la vérité de Dieu, alors seulement nous serons consolés. Il est certain que nous nous lamentons tous, mais pour quel motif ? Pour la perte des jouissances et des biens de ce monde. Mais ce n’est pas de ce genre d’afflictions que parle le Christ. L’affliction que le Christ appelle « bénie » est très rare, car elle naît d’un sens de la perte spirituelle, de la solitude spirituelle. C’est une affliction que nous éprouvons nécessairement avant que Dieu ne vienne pour nous consoler. La plupart d’entre nous se contentent parfaitement de la vie superficielle qui est la nôtre. Au fond de notre esprit, nous sommes peut-être conscients que quel que chose nous manque, mais néanmoins nous nous accrochons à l’espoir que ce manque peut être comblé par les objets matériels de ce monde. Çri Râmakrichna disait : « Les gens versent des torrents de larmes parce qu’un fils ne leur est pas né, ou parce qu’ils ne sont pas devenus riches. Mais qui va verser une seule larme parce qu’il n’a pas vu Dieu ? » Cet appel aux fausses valeurs est le fait de notre ignorance. A propos de la nature de cette ignorance, le philosophe indien Shankara disait que le sujet — le Soi ou l’esprit — s’oppose à l’objet, le connu — le non-soi ou la matière — de la même manière que la lumière s'oppose à l’obscurité. Et par l’influence de mâyâ, le pouvoir inexplicable de l’ignorance, le sujet et l’objet sont confondus de telle sorte qu’un homme identifie habituellement le Soi avec le non-soi. Il est très facile de comprendre intellectuellement que le Soi véritable est différent du corps, exactement comme nous sommes différents des vêtements que nous portons. Cependant, quand le corps est malade, nous disons : « Je suis malade. » Nous pouvons comprendre intellectuellement que le Soi véritable est différent du mental. Cependant, quand une vague de bonheur ou de douleur se forme, nous disons, « Je suis heureux ou je suis malheureux ». De plus, nous nous identifions à notre famille ou à nos amis : ce qui leur arrive semble nous arriver. Nous nous identifions à nos biens. Si nous perdons notre for tune, nous sentons comme si nous nous étions perdus nous-mêmes. Cette ignorance est commune à toute l’humanité. Elle ne peut être enlevée que par la connaissance directe de Dieu. Quand nous commençons à sentir en nous un manque spirituel, quand nous commençons à nous affliger comme le Christ souhaite que. nous nous affligions, quand nous versons une larme pour Dieu, alors nous préparons le chemin de la consolation par cette connaissance divine. La sorte d’affliction que le Christ appelle bénie est exprimée dans l’Imitation de Jésus Christ : O Seigneur Dieu, quand ne ferai-je plus qu’un avec Toi, quand me fondrai-je en Ton amour, de façon à m’oublier complètement. Sois en moi, et moi en Toi ; accorde-moi de toujours demeurer ainsi, tous deux en un. Nous devons atteindre cette étape, où nous sentons que rien ne peut donner la paix excepté la vision de Dieu. Alors Dieu attire à lui l’esprit de l’homme comme un aimant attire une aiguille et la consolation vient. Bienheureux les doux parce qu’ils posséderont la terre. L’ignorance et l’illusion sont les marques de l’esprit non régénéré. Cette ignorance est confirmée et étayée par notre sens de l’ego, la pensée que nous sommes séparés les uns des autres et de Dieu. Il faut triompher de l’égoïsme si l’on veut libérer le mental de l’illusion. C’est pourquoi, bienheureux les doux. Mais pourquoi le Christ a-t-il dit qu’ils posséderont la terre ? A première vue, cela semble difficile à comprendre. Dans les aphorismes sur le Yoga de Patanjali (Yoga signifie union avec Dieu et aussi le chemin qui mène à cette union), il y a un aphorisme qui correspond à cette béatitude : « L’homme qui est ferme dans l’abstention de vol devient le maître de toutes richesses. » Quelle est la signification de l’abstention de vol ? Cela veut dire que nous devons abandonner l’illusion égoïste que nous pouvons posséder des choses, que rien ne peut nous appartenir exclusivement en tant qu’individus. Nous pouvons penser : « Mais nous sommes de bonnes personnes. Nous ne volons rien ! Tout ce que nous avons, nous avons travaillé pour le gagner. Nous avons le droit le posséder. » Mais la vérité est que rien ne nous appartient. Tout appartient à Dieu. Quand nous regardons comme nôtre quoi que ce soit en cet univers, nous nous approprions les possessions de Dieu. Qu’est-ce donc qu’être doux ? C’est de vivre dans l'abandon de soi à Dieu, libéré du sens du « moi » et du « mien ». Cela ne veut pas dire que nous devons nous défaire de nos biens, de notre famille et de nos amis, mais nous devons perdre la pensée qu’ils nous appartiennent. Ils appartiennent à Dieu. Nous devons nous considérer comme les serviteurs de Dieu auxquels il a confié ses créatures et ses biens. Dès que nous comprendrons cette vérité et que nous abandonnerons nos propres revendications trompeuses, nous trouverons au sens le plus vrai du mot, qu’après tout, toutes choses nous appartiennent. Les conquérants qui essaient de devenir les maîtres du monde par la force des armes, ne gagnent jamais rien excepté les soucis, les difficultés et les maux de tête. Les avares qui amassent de grosses fortunes ne sont qu'enchaînés à leur or, ils ne le possèdent jamais véritablement. Mais l’homme qui a abandonné son sens de l'attachement fait l’expérience des avantages que lui pro curent les biens sans avoir les souffrances qui accompagnent le sens de posséder. De nombreuses personnes n’aiment pas cette parole du Christ parce qu’elles pensent que le doux ne fera jamais rien. Elles pensent que l’on ne peut pas trouver le bon heur dans la vie sans être agressif. Quand on leur de mande d’abandonner l’ego, d’être doux, elles ont peur de perdre quelque chose. Mais elles se trompent. Swâmi Brahmânanda disait : Les gens qui vivent par les sens pensent qu’ils jouissent de la vie. Que connaissent-ils de la jouissance ? Seuls ceux qui sont remplis de la félicité divine jouissent réellement de la vie. Mais les arguments ne prouveront pas cette vérité. Il faut en faire l’expérience. C’est alors seulement que vous en serez convaincus. Si un aspirant spirituel suit sincèrement l’enseignement du Christ pour être doux, il le trouvera très pratique. II trouvera que la colère et le ressentiment peuvent être vaincus par la douceur et par l’amour. Le mystique chinois Lao-Tseu exprima cette vérité en disant : Parmi les choses douces et faibles du monde, rien n’est plus faible que l’eau. Mais pour triompher de ce qui est solide et fort rien ne peut l'égaler. Ce qui est doux vainc ce qui est dur. La rigidité et la dureté sont les compagnons de la mort. La douceur et la délicatesse sont les compagnons de la vie. En abandonnant sincèrement à Dieu l’ego, en étant doux, nous gagnerons toutes choses. Nous posséderons la terre. Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice parce qu'ils seront rassasiés. De quelle justice le Christ veut-il que nous ayons faim et soif ? C’est la justice qui dans maints passages de l’Ancien Testament est pratiquement synonyme de salut, en d’autres termes, de libération du mal et d'union avec Dieu. Cette justice, par conséquent, n’est pas ce que nous voyons généralement comme vertus morales ou comme bonnes qualités, pas comme un bien relatif s’opposant au mal ou une vertu relative s’opposant au vice, mais une justice absolue, une bonté absolue. La faim et la soif de la justice dont parle le Christ est une faim et une soif de Dieu même. On a déjà fait remarquer que la plupart d’entre nous ne recherchent pas vraiment Dieu. Si nous nous analy sons, nous trouverons que notre intérêt pour Dieu n’est guère plus fort que notre intérêt pour toutes sortes d’objets mondains. Mais même un petit désir de con naître la réalité divine est un commencement qui peut nous conduire plus haut. Nous devons commencer par l'effort personnel. Nous devons lutter pour développer l'amour pour le Seigneur par la pratique de son sou venir, par la prière, le culte et la méditation. A mesure que nous pratiquons ces disciplines spirituelles, notre petit désir de le réaliser grandit jusqu’à devenir une faim dévorante et une soif ardente. Çri Râmakrichna disait à ceux qui lui demandaient comment réaliser Dieu : Appelez-le avec un cœur sincère et alors vous le verrez. Après la lueur rosée de l’aube vient le soleil ; de la même manière un désir ardent est suivi par la réalisation de Dieu. Il se révélera à vous si vous l’aimez avec les forces réunies de ces trois attachements : l’attachement d’un avare pour ses richesses, celui de la mère pour son enfant nouveau-né et celui d’une épouse chaste pour son mari. Un désir intense est le chemin le plus sûr pour la vision de Dieu. Nous devons apprendre à diriger consciemment vers Dieu toutes nos pensées et toute notre énergie. Une vague de pensée gigantesque doit s’élever dans l’esprit engloutissant tous les désirs et toutes les passions qui nous détournent du but spirituel. Quand l’esprit est devenu ainsi rassemblé en un seul point et concentré sur Dieu, nous serons remplis de justice. Il y a une histoire d’un disciple qui demandait à son maître : « Monsieur, comment puis-je réaliser Dieu ? ) « Venez, dit le maître, je vais vous le montrer. » Il emmena le disciple à un lac et ils y plongèrent tous les deux. Le maître s’approcha soudain et tint la tête du disciple sous l’eau. Il le relâcha quelques moments après et lui demanda : « Et bien, comment vous sentiez-vous ? » « Oh, je mourais par manque d'une gorgée d’air ! » haletait le disciple. Le maître dit alors : « Quand vous ressentirez cela intensément pour Dieu, vous n’aurez plus à attendre longtemps pour avoir sa vision. » Bienheureux les miséricordieux parce qu’ils obtiendront miséricorde Un des aphorismes du Yoga de Patanjali, le père de la psychologie hindoue, correspond à cette béatitude : On atteint à la tranquillité paisible de l’esprit en cultivant l’amitié envers ceux qui sont heureux, la miséricorde et la compassion envers les malheureux la délectation pour les vertueux et l’indifférence l'égard des méchants. Etre miséricordieux est l’une des conditions nécessaire pour recevoir la vérité de Dieu. L’envie, la jalousie, la haine, sont quelques-unes des faiblesses universelles inhérentes à l’homme. Elles sont liées à notre sens de l'ego qui est le résultat de l’ignorance. Comment pouvons-nous en triompher ? En produisant une vague de pensée qui s’y oppose. Lorsque quelqu’un est heureux, nous ne devons pas en être jaloux ; nous devons nous efforcer de réaliser notre amitié et notre accord et être heureux avec lui. Lorsque quelqu’un est malheureux, nous ne devons pas nous en réjouir ; nous devons partager sa peine et être miséricordieux. Quand un homme est bon, ne l’enviez pas. Quand il est méchant, ne le haïssez pas. Soyez indifférents aux méchants. Toute pensée de haine, même la soi- disant «haine justifiée» pour le mal produira une vague de haine et de mal dans nos propres esprits, augmentant notre ignorance et notre inquiétude. Nous ne pouvons pas penser au Seigneur ou l’aimer aussi longtemps que cette vague de pensée ne sera pas tombée. Si nous voulons trouver Dieu, nous devons devenir semblables à Dieu en miséricorde. Mon maître disait souvent : « Quelle différence y a-t-il entre un homme et Dieu ? Si vous lui faites du mal une seule fois il oubliera tout le bien que vous avez pu lui faire et ne se souviendra que de la seule fois où vous y avez manqué. Mais si vous oubliez Dieu et que vous péchez contre lui des centaines de fois, il vous pardonnera toutes vos fautes et ne se souviendra que des rares fois où vous l’avez prié sincèrement. Le péché n’existe qu'aux yeux des hommes ; Dieu ne voit pas le péché des hommes. » Bienheureux ceux qui ont le cœur pur car ils verront Dieu. Nous trouvons deux principes de base dans chaque religion : l’idéal à réaliser et la méthode de réalisation, Chaque écriture du monde a proclamé la vérité que Dieu existe et que le but de la vie de l’homme est de le connaître. Chaque grand maître spirituel a enseigné que nous devons réaliser Dieu et renaître en esprit. Dans le Sermon sur la Montagne la réalisation de cet idéal est exprimée comme la perfection en Dieu : « Soyez donc parfaits comme votre Père qui est dans les deux est parfait. » Et la méthode de réalisation qui est enseignée par le Christ est la purification du cœur qui mène à cette perfection. Quelle est cette pureté que nous devons avoir avant que Dieu ne se révèle à nous ? Nous connaissons tous des personnes que nous décrivons comme pures du point de vue moral, mais elle n’ont pas vu Dieu. Pour quelle raison ? La vie morale, la pratique stricte des vertus morales, est une préparation nécessaire à la vie spirituelle et elle est en conséquence un enseignement fondamental dans chaque religion. Mais elle ne nous permet pas de voir Dieu. Elle est comme les fondations d’une maison, elle n’est pas la maison elle-même. Quel est le test de la pureté ? Essayez de penser à Dieu maintenant, à cet instant même. Que trouvez- vous ? La pensée de sa présence passe dans votre esprit peut-être comme un éclair. Puis des distractions nombreuses commencent. Vous pensez à tout autre chose dans le monde excepté à Dieu. Ces distractions montrent que l’esprit est encore impur et, en conséquence qu’il n’est pas prêt à recevoir la vision de Dieu. Les impuretés consistent en des impressions variées que l’esprit a rassemblées et emmagasinées dans la partie inconsciente de l’esprit comme le résultat de pensées et d’actions individuelles et, dans leur totalité, elles représentent son caractère. Ces impressions doivent être dissoutes complètement avant que l’esprit ne puisse être considéré comme pur. Saint Paul se réfère à la réfection de l’esprit dans son Epître aux Romains, quand il dit : « Soyez transformés par le renouvellement de votre es prit. » Selon la psychologie du Yoga, il y a cinq causes premières aux impressions dans le mental. La première est l'ignorance, prise dans un sens universel, de notre nature divine. Dieu demeure en nous et autour de nous, mais nous ne sommes pas conscients de cette vérité. Au lieu de voir Dieu, nous voyons cet univers aux noms et aux formes multiples que nous croyons réels, exactement comme un homme voit dans l’obscurité une corde et peut croire, au crépuscule de son ignorance, que c’est un serpent. Deuxièmement, il y a le sens de l’ego, projeté par cette ignorance, qui nous fait penser que nous sommes séparés de Dieu et les uns des autres. Nous développons par le sens de l’ego l’attachement et aussi l'aversion ; nous sommes attirés par une chose et repoussés par une autre. Le désir et la haine sont l’un et l’autre des obstacles sur le chemin de Dieu. La cinquième cause des impressions pour un mental impur est la soif de vivre, ce que le Bouddha appelle tanha et à laquelle le Christ se réfère quand il dit : « Quiconque voudra sauver sa vie la perdra. » Il est naturel pour tous de s’accrocher à la vie ou à la peur de la mort, pour les bons comme pour les méchants. Seule l’âme illuminée est sans ignorance, sans ego, sans attachement, sans aversion, et sans peur de la mort ; les impressions se sont toutes évanouies. Même si Dieu devait nous offrir l’illumination spirituelle à l’instant même, nous ne voudrions pas l’accepter. Même si nous avions recherché Dieu, nous sommes pris passagèrement de panique quand nous sommes sur le point d’avoir cette vision. Nous nous accrochons instinctivement à notre vie et à notre conscience de surface nous avons peur de les abandonner, même si le faire signifie pour nous de passer dans un état de conscience infinie, en comparaison de quoi nos perceptions habituelles sont, comme le dit la Bhagavad Guîtâ « une nui profonde et un sommeil. » Swâmi Vivekânanda, l’apôtre de Çri Râmakrichna était depuis son enfance une âme pure qui aspirait à Dieu. Et pourtant il connut cette même peur. Quand il alla voir pour la première fois son futur maître, Çri Râmakrichna le toucha et il commença à s’ouvrir à la vision spirituelle. Vivekânanda s’écria alors : « Que me faites-vous ? J’ai mes parents à la maison ! » Et Çri Ramakrichna dit : « Oh, vous aussi ! » Il vit que même cette grande âme s’accrochait comme tous à la conscience de surface. Il y a de nombreux moyens pour purifier le cœur Comme nous le verrons, le Christ les enseigne tout au long de son Sermon. Le principe essentiel de toutes les méthodes est la dévotion à Dieu. Plus nous pensons au Seigneur et prenons refuge en lui, plus nous l’aimons et plus nos cœurs deviennent purs. Le principe de centrer sa vie en Dieu est affirmé également par les saints hommes des traditions juive, chrétienne et hindoue. « Le Seigneur est ma force et mon bouclier », dit le psalmiste. Nous lisons dans l'Imitation de Jésus Christ : « Tu es mon espérance. Tu es ma foi, Tu es ma consolation. Je trouve incertain et instable tout ce que je vois en dehors de Toi. » Swâmi Brahmânanda enseignait cette même vérité à ses disciples : « Accrochez-vous au pilier de Dieu. » En Inde, les enfants s’accrochent d’abord à un pilier et tournent ensuite autour, sans danger de tomber. De la même manière, aussi longtemps que nous nous accrochons à Dieu, nous réalisons l'impermanence du plaisir et de la douleur en raison de leur nature même. Et si nous continuons à nous accrocher au pilier de Dieu et si nous lui devenons attachés, nos passions et nos désirs, qui masquent notre vision de Dieu, perdent leur force. Une méthode pour calmer le mental et pour grandir en pureté est d’essayer de sentir que nous sommes déjà purs et divins. Ce n’est pas s’abuser. Dieu nous a créé à sa propre image ; la pureté et la divinité sont par conséquent fondamentalement notre nature. Si nous répétons toute notre vie que nous sommes des pécheurs, nous ne faisons que nous affaiblir. Çri Râmakrichna disait qu’en répétant continuellement, « Je suis un pécheur », on devient réellement un pécheur. Il faudrait pouvoir une foi telle que l’on puisse dire : « J’ai chanté le saint nom de Dieu. Comment pourrait-il y avoir en moi le péché ? » Çri Râmakrichna enseignait : « Reconnaissez vos péchés devant le Seigneur et jurez de ne pas recommencer. Purifiez le corps, le mental et la langue en chantant Son Nom. Plus vous vous rapprochez de la lumière, plus vous vous écartez des ténèbres. » Bienheureux les pacifiques, parce qu’ils seront appelés enfants de Dieu. Ce n’est que lorsque nous avons été illuminés par la connaissance unitive de Dieu que nous devenons véritablement Ses enfants et des pacifiques. Il est vrai naturellement que nous sommes toujours Ses enfants, même dans l’état d’ignorance. Mais dans l’état d’ignorance notre ego n’est pas mûr ; il s’affirme et oublie Dieu. Nous ne pouvons pas apporter la paix avant d’avoir réalisé notre unité avec Dieu et avec tous les êtres. Dans l’état de conscience transcendantale (cette union divine parfaite que les Hindous appellent samâdhi), l’âme illuminée n’a pas d’ego ; son ego est immergé dans la Divinité. Quand il revient à un plan de conscience moins élevé, il est à nouveau conscient de son individualité ; mais il a alors un sens de l’ego « mûr », qui ne produit aucun lien ni pour lui, ni pour les autres. Pour donner un exemple de cet ego mûr, les Ecritures hindoues par lent d’une corde brûlée ; elle a l’apparence d'une corde, mais elle ne peut rien attacher. Il serait impossible à un homme de Dieu de vivre dans un corps humain et d’enseigner s’il n’avait un tel ego. Quand j’étais un jeune moine, un disciple de Çri Râmakrichna me dit un jour : Il y a des moments où il me devient impossible d’enseigner. Partout où je regarde, je ne vois que Dieu, portant tant de masques, jouant sous tant de formes. Qui est alors le maître ? Qui doit recevoir l’enseignement ? Mais lorsque mon esprit redescend de ce plan, je vois alors vos imperfections et vos faiblesses et je m’efforce de les enlever. Il y a un passage dans le Bhâgavatam, une Ecriture populaire dévotionnelle des Hindous, qui porte : « Ce lui en qui Dieu s’est manifesté apporte la paix, la bonne humeur et la joie partout où il va. » Il est le pacifique dont parle le Christ dans les Béatitudes. Je me souviens d’une vie que j'ai connue, la vie de mon maître, le Swâmi Brahmânanda. Quiconque se trouvait en sa présence ressentait une joie spirituelle et partout où il allait il apportait avec lui une ambiance de fête. Dans un de nos monastères, il y avait un certain nombre de jeunes postulants, qui n’avaient pas encore été formés, qui venaient tout droit de l’école. Quand ils eurent passé quelque temps ensemble, leurs tendances anciennes commençaient à s’affirmer, ces garçons formaient des clans et ils se querellaient. Un swâmi aîné de notre ordre vint pour enquêter. Il interrogea les uns et les autres et découvrit bientôt les meneurs. Il écrivit alors à Swâmi Brahmânanda, Président de notre Ordre, que ces garçons n’étaient pas faits pour la vie monastique et qu’il fallait les renvoyer. Mon maître répondit : « Ne faites rien, je viens. » Quand il arriva au monastère, il n’interrogea personne. Il commença seulement à vivre là. Il insista sur un seul point, tous les garçons devaient méditer régulièrement tous les jours en sa présence. Les garçons oublièrent vite leurs disputes. Toute l’atmosphère du lieu en fut élevée. Quand Swâmi Brahmânanda partit, deux ou trois mois plus tard, une harmonie parfaite s’était établie dans le monastère. Personne n’avait été renvoyé. Les esprits et les cœurs des postulants étaient transformés. Quand je vins pour la première fois à notre monastère de Belur, deux jeunes garçons se disputaient et en vinrent aux coups. Swâmi Premânanda, le père-abbé, le vit et demanda à Brahmânanda, son frère disciple, de renvoyer les garçons. Mon maître lui dit : « Frère, ils ne sont pas venus ici comme des âmes parfaites. Ils sont venus vers vous pour atteindre la perfection. Faites quelque chose pour eux. » Swâmi Premânanda dit : « Vous avez raison ! » Il nous rassembla tous et .nous amena devant Swâmi Brahmânanda. Les mains jointes, il demanda à mon maître de nous bénir. Swâmi Brahmânanda posa les mains sur nos têtes et l’un après l’autre, nous nous prosternâmes devant lui. Parlant par ma propre expérience, je peux seulement dire que cette bénédiction était comme une source d’eau fraîche pour un corps fiévreux. Elle donnait une exaltation intérieure qui peut être ressentie, mais que l’on ne peut décrire. Toutes nos difficultés étaient oubliées et nos cœurs étaient remplis d’amour. C’est ainsi qu’un être pacifique authentique peut nous toucher. Quand les cœurs sont élevés par sa présence, nous n’avons plus aucun désir de nous quereller, parce que nous sommes pris par l’amour de Dieu. Bienheureux ceux qui sont persécutés pour la justice parce que le royaume des deux est à eux. Bienheureux quand vous serez insultés et persécutés, et que l’on dira faussement tout le mal possible contre vous, à cause de moi ! Tressaillez d’allégresse, parce que votre récompense est grande dans les deux. C’est ainsi qu’ils ont persécuté les prophètes avant vous. Les mondains ne comprennent pas la valeur de la vie spirituelle. Ils se moquent souvent de l’aspirant spirituel et parfois ils l’insultent et essaient de lui faire du mal. Mais l’homme religieux ne réagit pas à cela. Son esprit est fixé sur Dieu. Par conséquent il ressent l’unité, il voit l’ignorance et il est miséricordieux. Mais qu’il soit critiqué ou qu’on lui fasse du mal, il ne cherche pas de compromis et n’essaie pas de plaire aux mondains. On raconte l’histoire d’un jeune moine qui était parti en voyage. Comme il était fatigué, il s’étendit sous un arbre. Comme il n’avait pas d’oreiller, il prit quelques briques et y posa la tête. Des femmes passaient sur la route pour aller chercher de l’eau à la rivière. Quand elles virent le moine couché là, elles dirent : « Regardez, ce jeune homme est devenu un moine et cependant il ne peut pas se passer d’oreiller. Il a mis des briques à la place. » Elles continuèrent leur route et le moine se dit : « Elles avaient raison de me critiquer. » Aussi il jeta les briques et s’étendit à nouveau, la tête à même le sol. Quand les femmes revinrent et qu’elles virent qu’il avait enlevé les briques, elles s’exclamèrent avec mépris : « Quelle belle espèce de moine ! Il s’est senti insulté parce que nous avons dit qu’il avait un oreiller. Regardez, maintenant il a jeté son oreiller ! » Alors le moine pensa : « On me critique parce que j’ai un oreiller et si je n’ai pas d’oreiller cela ne plaît pas davantage. Vous ne pouvez pas leur plaire. Essayons de plaire seulement à Dieu. » Aucun homme vraiment spirituel n’accomplira d’action pour faire une bonne impression sur autrui ou dans le but de se mettre en valeur. Il ressent parfois exacte ment le contraire et s’il doit aller à l'opposé du monde tout entier pour l’amour de Dieu, il le fera et ne fera que cela. Il ne se soucie pas de ce que pensent les autres. Normalement, lorsque quelqu’un dit du mal de nous ou essaie de nous nuire, nous désirons instinctivement tranquilliser notre ego plutôt que chercher à plaire à Dieu ; et ainsi nous sentons le besoin de prendre une revanche. Mais si nous cédons à cette impulsion, non seulement nous faisons du mal à autrui, mais également à nous-même ; parce que, lorsque nous sommes en colère ou rempli de ressentiment, nous nous coupons de la pensée de Dieu. C’est pourquoi tous les grands maîtres spirituels ont enseigné, comme le fit le Christ, de ne pas se venger, de ne pas résister au mal, mais de prier pour ceux qui nous insultent et qui nous persécutent. Naturellement la non-résistance parfaite ne peut être suivie par tous. Pour un homme qui ne vit pas dans un état de conscience divine, qui voit le mal, résister au mal est un devoir. Pour lui, la non-résistance ne serait pas une vertu mais une excuse à l’hypocrisie ou à la lâcheté. Avant qu’un individu ne soit prêt à tendre l’autre joue, il doit être évolué spirituellement, il doit avoir atteint la pureté du cœur (il en sera parlé en détail au Chapitre III). Seule une âme illuminée, celui qui voit Dieu en tous les êtres, peut garder une patience parfaite, la longanimité et la tranquillité au milieu des conflits et des contradictions de la vie. Tout au long de l’histoire de la religion nous trouvons de telles âmes illuminées, des saints et des incarnations divines, qui vivent l’idéal de la non-résistance et du pardon. Le Christ priant sur la Croix : « Père, pardonnez-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font », en est un des exemples les plus grands et les plus connus. A notre époque, Çri Râmakrichna fut l’illustration de ce même idéal, comme le montre l’incident suivant. Un prêtre du temple-jardin de Dakshineshwar, où vivait Çri Râmakrichna, en devint jaloux, parce que Mathur Babu, le gérant de la propriété du temple, avait de l’affection pour Çri Râmakrichna et qu’il faisait tout pour assurer son bien-être. Ce prêtre pensa que Çri Râmakrichna avait jeté un sort sur Mathur pour l’amener en son pouvoir. Il supplia maintes fois Çri Râmakrichna de lui révéler la formule secrète de son succès. Le Maître lui répéta qu’il ne faisait pas usage de pouvoirs occultes, mais le prêtre ne voulut pas le croire. Et un jour que Çri Râmakrichna était seul dans sa chambre absorbé dans la conscience de Dieu, le prêtre entra sans éveiller l’attention, le frappa et le battit jusqu’au sang. Çri Râmakrichna n’en parla que beaucoup plus tard, après que l’on eut demandé au prêtre de quitter le temple pour un autre motif. Quand il le raconta à Mathur, ce dernier s’exclama : « Père, pour quoi ne me l’avez-vous pas dit plus tôt ! Je lui aurais tranché la tête ! » Çri Râmakrichna répondit : « C’est la raison pour laquelle je ne vous l’avais pas dit. Ce n’était pas de sa faute. Il croyait sincèrement que j’avais un pouvoir sur vous grâce à un charme magique. Je suis seul à blâmer puisque je n’ai pas su le convaincre que je disais la vérité. » Le Christ nous dit que le ciel est la récompense de ceux qui sont persécutés pour Dieu. Et ainsi la récompense de l’âme illuminée, qui ne réagit à aucune insulte qui lui est faite, est immédiate, car il sait que le Ciel est toujours présent en lui, comme en dehors de lui, même en cette vie. Il voit Dieu, comme Atman, demeurant en son propre cœur. Il voit Dieu, comme Brahman, pénétrant tout l’univers. Il adore Dieu en chaque créature. Les gens peuvent penser que le saint persécuté souffre. Ils ne réalisent pas que son esprit, absorbé en Dieu, a transcendé la conscience du corps physique et que le saint à triomphé des épreuves de ce monde, même en vivant sur la terre. Comme le dit la Bhagavad Guîtâ : Détaché de tout contact extérieur, le sage trouve la joie qui est dans la connaissance du Moi. CHAPITRE II Le Sel de la Terre Saint Matthieu, 5:13-37 Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel perd sa saveur avec quoi la lui rendrez-vous ? Il ne sert plus qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds par les hommes. En Inde, lorsqu’un disciple va trouver un maître, le maître essaie tout d’abord de lui donner une foi solide en lui-même et le sentiment que la faiblesse, la lâcheté et les défaillances n’ont pas de place en sa véritable nature. Dans le second chapitre de la Bhagavad Guîtâ. les presque premiers mots que Çri Krichna, l’Incarnation divine, dit à Ardjouna, sont : « D’où te vient ce trouble indigne de toi ? Rejette cette honteuse faiblesse. De même que vous pouvez voir le contenu d’une armoire à travers ses portes de verre, un grand maître peut voir en votre cœur. Mais il ne vous condamne pas pour vos fautes et vos faiblesses. Il connaît la nature humaine. Il réalise que vous ne pouvez arriver à rien tant que vous serez faible et déprimé, que vous ne pouvez pas croître spirituellement, il vous donne confiance en vous-même. Le maître ne voit pas seulement ce que vous êtes actuellement, mais aussi les capacités qui se développeront en vous. Il y a bien des années, un jeune swâmi qui était sur le point de quitter l’Inde pour prêcher aux Etats-Unis, alla voir le Swâmi Turiyânanda. Quand ce grand disciple de Çri Râmakrichna loua hautement le jeune moine, ce dernier protesta : « Mais Monsieur, je n’ai aucune des qualités que vous me donnez ! » Turiyânanda dit alors : « Que savez-vous de vous-même ? Je vois que vous allez vous développer ! » Nous avons tous le pouvoir de développer la divinité latente en nous, mais le maître nous donne confiance en notre capacité de le faire. Il faut nous souvenir en même temps de la béatitude : « Bienheureux les doux. » L'humilité et la foi doivent aller de pair. La foi que le Christ faisait pénétrer chez ses disciples en les appelant le « sel de la terre » n’était pas la foi en le soi inférieur, l’ego, mais la foi en le Soi supérieur, la foi en Dieu en nous. Avec une telle foi vient l’abandon, l’indépendance de tout sens d’ego. Çri Râmakrichna illustra cette vérité par une anecdote de la mythologie hindoue. Il racontait comment Râdhâ, la première d’entre les vachères, celle que Krichna aimait le mieux, devenait en apparence très égoïste. Quand les autres vachères allèrent se plaindre d’elle auprès de Krichna, il leur suggéra d’interroger Râdhâ. « Certaine ment j’ai un ego, dit Râdhâ, mais à qui appartient cet ego ? Il n’est pas à moi, car tout ce que j’ai appartient à Krichna. » Une personne qui a tout abandonné à Dieu n’a pas d’ego dans le sens ordinaire du mot. Elle ne peut pas en tirer orgueil ou vanité. Elle a une foi très grande dans le Soi véritable en elle, qui est un avec Dieu. La parole de Jésus, « Vous êtes le sel de la terre » me rappelle une phrase que disait souvent mon maître : Vous avez la grâce de Dieu, vous avez la grâce du gourou (le maître spirituel) et vous avez la grâce des dévots de Dieu, mais si une seule grâce vous manque, vous pouvez être rejetés. Quelle est cette seule grâce ? C’est la grâce de votre propre mental, la volonté de lutter pour la perfection. Si, malgré toutes ces grâces par lesquelles nous serions le sel de la terre, nous manquons de la grâce de notre mental, nous pouvons être « foulés aux pieds par les hommes ». Nous devons lutter rudement pour nous abandonner sans réserve à Dieu, afin que la Divinité en nous puisse se manifester. Vous êtes la lumière du monde. Une ville située au sommet d’une montagne ne peut être cachée ; et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais plutôt sur le lampadaire et qu’elle éclaire toute la maison. Un grand maître spirituel rassemble autour de lui des âmes pures et les enseigne non seulement par la parole, mais par une transmission réelle de la spiritualité. Il ne leur donne pas simplement confiance en elles, il illumine véritablement le cœur de ses disciples et fait d’eux la lumière du monde. Car seulement ceux qui ont obtenu l’illumination par l’union à la lumière qui de meure dans le cœur de tous, peuvent devenir la lumière du monde. Seuls de tels êtres illuminés sont propres à enseigner l’humanité ; ils peuvent seuls transmettre le message d’une Incarnation divine. Quand Çri Râmakrichna rencontrait quelqu’un qui désirait enseigner la parole de Dieu, il demandait : « Avez-vous reçu la délégation divine pour cela ? » Seul celui qui a vu Dieu peut en recevoir la délégation, son commandement direct d’enseigner. La religion dégénère quand elle est enseignée par des hommes non illuminés. Il ne sert à rien de compter sur un diplôme donné par un collège de théologie, les livres ne peuvent donner l’illumination. On peut avoir étudié les écritures, l’histoire, la philosophie ; on peut être versé dans la théologie, les dogmes et les doctrines, donner des sermons admirables, et néanmoins être comme un enfant pour ce qui est de la vie spirituelle. Il faut d’abord éclairer sa lanterne avant de pouvoir transformer la vie des gens. Selon le Védanta, il y a deux sortes de connaissance. la première, la plus inférieure, consiste en connaissance académique telle que la science et la philosophie. Même la connaissance des Ecritures est considérée comme une connaissance inférieure. La seconde, la connaissance supérieure, est la perception immédiate de Dieu. Un homme qui est illuminé par la connaissance supérieure n’a pas besoin d’une information encyclopédique pour commenter les Ecritures, il enseigne par son expérience intérieure. Swâmi Adbhutânanda, l’un des disciples de Çri Râma krichna, était un de ces hommes illuminés. Il était exceptionnel parmi ses frères moines en ce sens qu’il n’avait eu aucune éducation formelle. Quand Râmakrichna le prit comme domestique, il ne savait même pas écrire son nom. Çri Râmakrichna essaya de lui apprendre l'alphabet bengali, mais il ne réussit même pas à lui faire prononcer correctement la première voyelle. Et pourtant, pour nous qui eûmes le privilège de le rencontrer à la fin de sa vie, nous vîmes la sagesse de cet homme illettré. Un jour, plusieurs jeunes moines rencontrèrent un passage difficile des Upanishads, l’ancienne écriture des Hindous. Ils ne pouvaient pas le comprendre, bien qu’ils se référâssent à un grand nombre de commentaires. Ils demandèrent enfin à Adbhutânanda qu’il veuille bien le leur expliquer. Comme le Swâmi Adbhutânanda ne savait pas le sanscrit, les jeunes moines durent lui lire le passage dans la langue de sa province natale. Adbhutânanda réfléchit un instant, puis il dit : « J’ai compris. » Prenant un exemple simple, il leur expliqua le passage et ils y trouvèrent un sens merveilleux. Un homme qui a vu Dieu n’a pas besoin de connaissances académiques pour enseigner la religion. Son cœur a été purifié et illuminé et sa lumière brille et donne un réconfort à tous. Il n’a pas à se mettre en quête de disciples. Çri Râmakrichna nous disait, lorsque le lotus fleurit les abeilles viennent d’elles-même de partout pour recueillir le miel. « Faites fleurir ce lotus, » disait-il à ses disciples. Quand une telle âme illuminée paraît et que les aspirants se réunissent autour d’elle, ils ne peuvent s’empêcher de penser à Dieu et de l'aimer. En présence d’une telle âme, ils sentent que la réalisation de Dieu est facile. Ce fut ma propre expérience aux pieds des disciples de Çri Râmakrichna. Il n’est pas difficile de le comprendre. Il n’y a rien de mystérieux en cela. Si vous allez voir un homme de loi, quel genre de pensées viennent en votre esprit ? Des pensées relatives à des questions de droit. Chez un médecin vous pensez à la maladie et aux médicaments. Ces pensées vous viennent parce que la personne avec laquelle vous vous trouvez à ce moment-là vit dans une atmosphère particulière. Il en est de même pour le saint homme. Vous pouvez ne rien savoir de lui, mais c’est la preuve : lorsque vous êtes en sa présence, la pensée de Dieu vous vient, même si le saint homme parle de choses tout à fait différentes. Naturellement vous devez être un chercheur de la vérité de Dieu pour être sensible à une atmosphère spirituelle. Si vous n’êtes pas intéressé à la réalisation de Dieu, le Christ lui-même pourrait se trouver devant vous pour vous enseigner, vous n’en seriez pas touché et vous ne reconnaîtriez pas sa grandeur, vous vous détourneriez de lui comme tant de personnes l’ont fait depuis des milliers d’années. Mais si vous êtes un aspirant spirituel et que vous veniez en la présence d’une âme illuminée, vous ne pourriez rien faire d’autre que de rendre gloire à Dieu, parce que vous sentez en sa présence la présence du Père. C’est ce dont parlait Jésus quand il disait à ses disciples : Que votre lumière brille ainsi devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les deux. il dit ensuite : Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ni les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. Car, je vous le dis en vérité, jusqu’à ce que pas sent le ciel et la terre, pas un iota ni un trait de la Loi ne passera, jusqu’à ce que tout ne soit accompli. Quiconque aura méprisé l’un de ces moindres commandements, et aura montré aux hommes à les tenir pour peu de choses, c’est lui qui sera tenu pour peu de choses dans le Royaume des deux. Jésus parle ici de la mission de l’Incarnation Divine, appelée avatar par les Hindous et Fils de Dieu par les Chrétiens. Le concept de l’avatar est issu de la théorie du Logos dans les philosophies occidentales et orientales. La théorie du Logos fut d’abord développée en Occident par les Grecs pour jeter un pont sur l’abîme qui sépare l’homme de Dieu, le connu de l’inconnu. Le mot Logos était identifié au début à l’un ou à l’autre des éléments physiques. Platon attribuait au Logos le dessein cosmique, le Bien suprême auquel toutes les petites idées sont soumises, les archétypes éternels des choses, les rapports les qualités et les valeurs. Plus tard, les stoïciens ne reconnurent pas la validité des archétypes suprasensoriels de Platon. Ils percevaient le principe de la raison comme immanent et actif dans l’univers. Philon, un Juif d’Alexandrie et le contemporain de Jésus, unissait la raison des Stoïciens au transcendentalisme de Platon et les ajoutait à l’Hébraïsme. Il déclarait que le Logos n’était pas seulement immanent dans l’univers, mais qu’il était également transcendant, étant un avec Dieu. L’auteur du quatrième Evangile utilisa alors la théorie du Logos de Philon comme base de son interprétation de la vie du Christ, mais il lui donna une vision nouvelle pour servir aux besoins théologiques de la chrétienté. En plus d’attribuer au Logos une personnalité réelle, il faisait ressortir non pas son aspect créatif, mais sa fonction rédemptrice, sa possibilité de communiquer la spiritualité aux hommes. Il mettait de plus l’accent sur la conception du Logos comme Verbe plutôt que comme Raison, l’interprétant comme une expression de la volonté divine, une effusion de la bonté de Dieu, de la puissance, de la lumière et de l’amour. Pour citer Saint Jean : Au commencement était le Verbe et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu... Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous (et nous avons vu sa gloire comme celle qu’un fils unique tient de son Père) plein de grâce et de vérité. Le Logos, le « Fils unique du Père » fut « fait chair » en Jésus Christ. Dans les Vedas, les écritures les plus anciennes du monde, nous trouvons des passages qui sont presque identiques à la phrase qui commence l’Evangile selon Saint Jean : « Au commencement était le Seigneur des créatures et avec lui était la Parole. La Parole était en vérité Brahman. » Selon les Hindous, Brahman conditionné par Mâyâ, son pouvoir créateur (qui est la base du mental et de la matière) se manifeste d’abord comme la Parole éternelle indifférenciée, d’où se développe en suite le monde concret des objets, des sens. Pour les Hindous, la Parole s’est donc incarnée en tous les êtres, chacun pouvant réaliser directement Dieu grâce au pouvoir divin de la Parole. Mais, comme Saint Jean, les Hindous croient que, dans un sens particulier, le Logos s’est fait chair dans l’avatar, les avatars étant la descente de Dieu, tandis que l'homme ordinaire monte vers Dieu. II y a une différence importante entre les concepts des Hindous et des Chrétiens sur l’Incarnation Divine : les Chrétiens croient en un événement historique unique, Dieu a été fait chair une fois pour toutes en Jésus de Nazareth. Les Hindous d’autre part, croient que Dieu s’incarne comme un homme de nombreuses fois à différentes époques et sous différentes formes. A l’appui de ce point de vue que Jésus serait le représentant unique de Dieu sur la terre, les Chrétiens citent souvent ce passage : « Je suis la voie, la vérité et la vie : nul ne vient au Père que par moi. » Mais quand nous étudions les paroles des autres maîtres nous trouvons qu’ils font presque exactement les mêmes déclarations, disant qu’ils sont eux-mêmes des incarnations de la Divinité. Par exemple Çri Krichna dit : Je suis le But, l’Appui, le Seigneur, le Témoin, la Demeure, le Refuge et l’Ami. Je suis aussi l’origine et la dissolution de l’univers, le Substrat, le Trésor, la Semence impérissable. Les ignorants Me méprisent quand je suis revêtu d’un corps humain. Ils ignorent Mon être supérieur, le grand Seigneur de toute existence. Concentre ton mental sur Moi ; deviens Mon dévot ; offre-Moi tes sacrifices et ton hommage. Ainsi, uni à Moi, Me prenant comme But suprême, tu viendras à Moi. Bouddha révèle de la même manière qu’il est la voie : « Vous êtes mes enfants et je suis votre Père ; grâce à moi vous avez été libérés de vos souffrances. Ayant moi- même atteint l’autre rive, j’aide les autres à traverser le courant ; ayant moi-même atteint le salut, je suis un sauveur pour les autres et je les mène au lieu du refuge. » « Mes pensées sont véridiques. Car, écoutez ! je suis devenu la vérité. Quiconque comprend la vérité verra Celui qui est Béni. » Que devons-nous faire ? Quelles paroles accepterons- nous, celles de Jésus, ou de Krichna, ou de Bouddha ? La question est la suivante : Si nous prenons le « je » ou le « moi » de ces maîtres pour parler d’un simple homme historique, nous ne pourrons jamais comprendre leurs déclarations. Nous devons savoir que lorsque Jésus, Krichna et Bouddha disent « je » ou « moi », ils n’affirment pas l’ego, leur moi inférieur, comme le font les âmes incarnées ordinaires. Ils affirment leur divinité, leur identité avec le Soi universel. Ils nous disent que l’on atteint le Père, la Divinité, par la grâce du Fils, l’Incarnation. Pour l’Hindou, les déclarations de ces avatars ne sont pas contradictoires, elles sont également vraies, suscitées par la même inspiration divine. C’est pourquoi l’Hindou accepte tous les grands fils de Dieu, qui sont adorés dans les différentes religions. Naturellement la validité des avatars n’est pas prouvée par leur revendication à être la voie de l’illumination ou du salut. Premièrement, elle se montre par leur pouvoir unique de transmettre la spiritualité et de trans former la vie des hommes par un attouchement, un regard, ou un désir. Jésus manifesta ce pouvoir quand il projeta son souffle sur ses disciples et qu’il leur dit, « Recevez le Saint Esprit ». Çri Krichna manifesta ce pouvoir quand il donna à Ardjouna la vision divine, de façon que le disciple pût voir la forme universelle de Dieu. Deuxièmement, la validité des avatars est montrée par la révélation de leur divinité dans la transfiguration. Jésus apparaît transfiguré devant Pierre, Jacques et Jean. Çri Krichna apparaît transfiguré devant Ardjouna, comme il est décrit dans le chapitre XI de la Guîtâ. La vie et l’évangile de Çri Râmakrichna rapportent des cas où le Maître donna à ses disciples la réalisation de Dieu par un attouchement et où il apparut à plusieurs disciples transfiguré sous la forme de leur idéal divin d’élection. Mais on peut se poser la question, pourquoi Dieu est- il descendu plus qu'une seule fois comme un homme ? Pour accomplir quel dessein ? Une réponse peut se trouver dans la théorie hindoue corroborée par l’histoire, que la culture spirituelle avance par vagues qui se lèvent et qui retombent de façon répétée. Après la chute de la vie spirituelle d’une nation, quand la vérité et la vertu auront été négligées, un avatar naîtra pour rallumer la flamme de la religion dans le cœur. Çri Krichna dit : Chaque fois qu’il y a un déclin du dharma et que le vice grandit, alors Je Me manifeste, Moi. Pour la protection des bons et la destruction des méchants, pour l’établissement du dharma, Je viens dans le monde de siècle en siècle. Bouddha apparaît comme s’il devait accomplir la pro messe de Çri Krichna. A l’époque de la naissance du Bouddha, la culture spirituelle de l’Inde était très faible ; elle consistait entièrement en l'observance de rituels et de sacrifices, parce que les gens avaient oublié le simple fait que la religion est essentiellement une question d’expérience directe. De même, au temps de la venue de Jésus, l’aspect extérieur de la foi juive prenait le pas sur la vérité intérieure. Il vint pour purifier et pour revivifier la religion des Juifs. On a besoin de temps à autre d’une Incarnation Divine pour rétablir l’esprit éternel de la religion. Par son exemple vivant, l’Incarnation montre à l’humanité comment être parfaite comme est parfait le Père qui est dans les cieux. L’avatar devient ainsi véritablement la voie, la vérité et la vie. Mais c’est toujours le même Esprit suprême qui s’incarne dans l'avatar. Dieu est un sans second. Celui qui vint comme Çri Krichna, comme Bouddha et qui revint comme le Christ et comme d’autres avatars, a seulement choisi un vêtement différent. Pour convenir aux besoins particuliers des époques successives, Dieu fait connaître une présentation nouvelle et caractéristique de la vérité éternelle de la religion. Quand un avatar naît sur la terre, il prend un corps humain qui comporte certaines limitations et certaines souffrances qui en sont la conséquence, telles que la faim et la soif, la maladie et la mort. Mais sa venue diffère radicalement de la naissance des âmes incarnées ordinaires. Suivant les paroles de Jésus : « Vous êtes d’en bas et moi je suis d’en haut. » Selon le point de vue hindou, les âmes ordinaires naissent en raison de leur karma (les effets de leurs pensées et de leurs actions passées). Elles naissent dans un milieu particulier, dans un environnement particulier, avec des aptitudes particulières déterminées par les désirs et les tendances quelles avaient formées dans une vie passée. Elles sont le produit de l’évolution. Elles sont liées par les chaînes de l’ignorance et vivent sous l’ensorcellement de mâyâ, le pouvoir d’obnubilation de Brahman, qui fait apparaître comme réel l’univers des formes et des noms multiples. Elles sont les esclaves de Prakriti, la Nature Primordiale. La naissance d'un Krichna, d'un Bouddha, ou d’un Jésus est toutefois le résultat d’un choix libre. Il n’a ni karma, ni désir, ni tendances passées. Il ne cède pas à la domination de mâyâ, mais tient mâyâ sous sa dépendance. Il apparaît sous une forme humaine unique ment dans le but de faire du bien, par compassion pour l’humanité. Çri Krichna dit : Bien que Je sois non-né, de nature impérissable et le Seigneur de tous les êtres, enchaînant Ma propre nature Je Me manifeste par Ma puissance divine, Mâyâ. Celui qui connaît Ma naissance divine et Mon action divine dans leur vraie lumière, celui-là, quand il quitte son corps, ne renaît plus. Il vient à Moi, O Ardjouna ! Comparez ces dernières lignes avec les paroles de la Bible : Mais à tous ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir des enfants de Dieu. Adorer un Christ ou un Krichna c’est adorer Dieu. Ce n’est pas toutefois adorer un homme comme Dieu, ni adorer une personne. C’est adorer Dieu lui-même, l’existence personnelle-impersonnelle en et par l'Incarnation ; c’est l’adorer comme faisant un avec l’esprit éternel, transcendant comme le Père et immanent dans tous les cœurs. Dans ce contexte, le témoignage de Saint Paul est d’une clarté parfaite. Il dit : Car toute la plénitude de la Divinité habite corporellement en lui et vous êtes entièrement en celui qui est le chef de toutes les principautés et de toutes les puissances. On peut donner la même valeur à la déclaration de Saint Jean comme quoi la même parole, ce qui « était au commencement » et ce qui « était Dieu », fut faite chair dans le Christ. Dans ce passage, l’auteur du Quatrième Evangile nous rappelle que son maître n’était pas un simple personnage historique, mais le Christ éternel, un avec Dieu avant le commencement des temps. Et ceci semble avoir été ratifié par Jésus quand il disait : « Avant que Abraham ne fut, je suis. » Il serait alors facile pour un Hindou d’accepter le Christ comme une Incarnation divine et de l’adorer sans réserve, exactement comme il adore Çri Krichna ou tout autre avatar de son choix. Mais il ne peut accepter le Christ comme le seul Fils de Dieu. Ceux qui insistent en regardant la vie du Christ et ses enseignements comme uniques sont amenés à trouver de grandes difficultés pour les comprendre. N’importe quel avatar est beaucoup mieux compris à la lumière des autres grandes vies et des autres grands enseignements. Aucune Incarnation divine ne peut aller réfuter la religion enseignée par une autre, mais elle pourra accomplir toutes les religions, parce que la vérité de Dieu est une vérité éternelle. Saint Augustin disait : Ce que l’on appelle la religion chrétienne existait déjà parmi les anciens et n’a jamais cessé d’exister depuis le début de la race humaine jusqu’à ce que le Christ soit fait chair, temps auquel la vraie religion, qui existait déjà, commença à être appelée le Christianisme. Si, dans l’histoire du monde, Jésus avait été le seul créateur de la vérité de Dieu, ce ne serait pas la vérité, car la vérité est sans origine ; elle existe. Mais si Jésus a simplement exposé et interprété la vérité, nous pouvons alors prendre en considération ceux qui le firent avant lui et qui le feront après lui. Et, en fait, en lisant les enseignements de Jésus, nous trouvons qu’il nous souhaite à tous de témoigner de cette vérité : « Et vous connaîtrez la vérité et la vérité vous fera libres. » Il est venu, comme il le dit, non pour détruire la vérité qui existe éternellement mais pour l’accomplir. Il le fit en l’exposant à nouveau, en lui donnant une vie nouvelle, en la présentant sous une forme nouvelle. Les hommes oublient maintes et maintes fois que ces présentations des Incarnations Divines doivent être montrées dans leurs propres vies. Ils s’attachent avec ferveur à la lettre, à la forme extérieure du message de l’avatar, et ils perdent de vue son esprit immortel. Ce sont les scribes et les pharisiens, les gardiens jaloux d’une tradition qui est devenue désuète. C’est ce que dit le Christ : Car je vous le dis, si votre justice ne va pas plus loin que celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des deux. Les scribes et les pharisiens oublient le premier commandement : « Tu aimeras le Seigneur de tout ton cœur et de toute ton âme et de tout ton esprit. » Ce sont des hommes très moraux, très droits à leur manière ; mais ils s’attachent à des formes et à des observances extérieures et cela les mène à l’intolérance, à l’étroitesse d’esprit et au dogmatisme. La justice qui surpasse la justice des scribes et des pharisiens est très opposée à celle-là. C’est une éthique qui considère la pratique des formes et des rituels, non comme une fin en soi, mais comme le moyen d’entrer dans le royaume des cieux. Dieu est au delà du bien et du mal relatifs. Il est le Bien absolu. Lorsque nous nous unissons à lui dans notre conscience, nous transcendons la justice relative. Cette vérité a été souvent mal comprise. Cela ne veut pas dire que nous devons admettre l’immoralité car une vie morale est le fondement même de la spiritualité. Au commencement de la vie spirituelle, nous devons nous abstenir consciemment de nuire aux autres, du mensonge, du vol, de la luxure, et de l’avidité. Nous devons observer la pureté mentale et physique, le contentement de soi, la maîtrise de soi et le souvenir constant de Dieu. Mais l’impulsion à vivre une vie morale véritable et à pratiquer les disciplines spirituelles ne nous vient que si nous essayons de vivre le premier commandement, si nous apprenons à aimer Dieu et à lutter pour le réaliser. Sans cet idéal, la moralité dégénère dans le décorum extérieur des scribes et des pharisiens. Mais quand le premier commandement est observé, alors le second commandement s’ensuit tout naturellement. Quand nous aimons Dieu, nous devons aimer notre prochain comme nous-même, parce que notre prochain est notre Soi-même. En pratiquant la maîtrise de soi, le contrôle des passions, nous développons la spiritualité vers l’union avec le Dieu absolu. L’homme qui a atteint cet état ultime n’a pas à faire la discrimination entre le bien et le mal, ou à pratiquer le contrôle de soi. La sainteté et la pureté deviennent sa nature même. Il transcende la nature relative et entre dans le royaume des deux. Vous savez qu’il a été dit aux anciens : Tu ne tueras point; quiconque tuera sera passible du tribunal. Et moi, je vous dis : quiconque se met en colère contre son frère, relève du tribunal. Et qui dit à son frère « Raca » relève du sanhédrin ; et qui lui dit « Fou », relève de la géhenne du feu. Il ne suffit pas d’obéir au commandement : « Tu ne tueras pas. » La pensée même de tuer, la pensée de haine est aussi mortelle que l’acte. Nous pouvons être convaincu que ce que nous pensons est sans importance aussi longtemps que nous agissons avec justesse. Mais quand vient l’épreuve, nous nous trahissons toujours, car la pensée contrôle l’acte. Quand vient l’épreuve, si nos esprits sont remplis de haine, cette haine s’exprimera en actes de violence, de destruction et de meurtre. Monter en chaire et parler sur l’amour ne nous aidera pas. Ce n’est pas ainsi que cessera la guerre et la cruauté s'il n’y a pas d’amour en nos cœurs. L’amour ne nous viendra pas simplement en disant que nous l’avons ou en essayant de faire impression sur les gens avec la douceur apparente de notre nature. Il vient seulement quand nous avons contrôlé intérieurement nos passions et que nous avons maîtrisé notre ego. Alors l’amour divin croît en nous et avec lui l’amour pour nos prochains. Mais il faut gagner l’amour de Dieu par la discipline de soi que nous avons négligée de pratiquer. Nous avons oublié le but de la vie, qui est de réaliser et de voir Dieu. C’est là toute notre difficulté et c'est pourquoi, quand Jésus nous demande d’aimer nos ennemis, nous sommes incapables de lui obéir, même si nous le désirons. Nous ne savons pas comment le faire. Nous ne pouvons pas aimer Dieu et haïr notre voisin. Si nous aimons véritablement Dieu, nous le verrons en tous. Comment pourrions-nous alors haïr les autres ! Si nous faisons du mal à quelqu’un, nous nous faisons du mal à nous-mêmes. Si nous aidons quelqu’un, nous nous aidons nous-mêmes. Tous les sentiments d’un état de séparation, d’exclusivisme et de haine ne sont pas seulement mauvais du point de vue moral, ils viennent de l’ignorance, car ils nient l’existence de la Divinité omniprésente. Si donc tu présentes ton offrande sur l’autel, et là te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, Laisse là ton offrande devant l’autel, et va vite te réconcilier avec ton frère : alors, tu viendras présenter ton offrande. Accorde-toi au plus tôt avec ton adversaire, pendant que tu es en chemin avec lui ; car il pourrait te livrer au juge, et le juge au garde, pour te jeter en prison. En vérité je te le dis : tu ne sortiras pas de là que tu n’aies payé le dernier quadrant. Jusqu’à ce que nous atteignions réellement l’unité avec Dieu, il est tout à fait naturel d’avoir des malentendus et des différends les uns avec les autres. Mais nous ne devons pas permettre à nos ressentiments de rester en nous, sinon ils vont ronger nos cœurs comme un cancer. Le Christ, comme tous les véritables maîtres spirituels, était un grand psychologue, il enseignait que nous devons nous réconcilier le plus vite possible avec notre frère, avant même d’apporter notre offrande à Dieu. Tous ceux qui ont pratiqué la méditation comprendront immédiatement la justesse de cet enseignement. Supposez que quelqu’un vous ait fait du tort et que vous vous sentiez irrité. Que se passe-t-il quand vous allez commencer à méditer ? La prière et la méditation concentrent l’esprit et renforcent les émotions. En conséquence la taupinière d’irritation devient une montagne de colère. Vous commencez à imaginer des choses ter ribles sur la personne qui vous a fait du tort. Vous êtes devenu incapable de prier et de méditer, incapable d'aller vers Dieu, tant que vous ne vous serez pas réconcilié avec votre frère. Il n’y a qu’un seul moyen de se sentir sincèrement réconcilié, c’est d’essayer de voir Dieu en tous les êtres et de l’aimer en tous. Si vous vous êtes mis en colère contre votre frère, priez pour lui comme vous priez pour vous-même, priez pour que vous croissiez tous les deux en compréhension et en dévotion pour Dieu. Vous gagnerez immédiatement en spiritualité. Mais si vous gardez votre colère dans votre cœur, vous vous ferez du mal autant qu’à votre frère. On enseigne en Bouddhisme et dans le Védanta que c'est un devoir pour un homme de prier pour les autres avant de prier pour lui-même. On lui demande d’en voyer une pensée de bien vers tous les êtres avant de s'offrir lui-même à Dieu. Une telle pratique est un pas significatif vers l’obtention de l’amour pour notre prochain et pour Dieu. « Accorde-toi au plus tôt avec ton adversaire, pendant que tu es en chemin avec lui. » Le Christ nous enseigne que nous ne devons pas perdre notre temps et notre énergie en des querelles et du ressentiment, mais que nous devons nous rétablir dans la pensée de Dieu aussi rapidement que possible. Réaliser Dieu est le but de notre vie. Nous devons par conséquent essayer de nous garder dans cette conscience avec des interruptions aussi rares et brèves que possible. « Abandonnez toute vaine parole », nous enseignent les Upanishads. « Connaissez l’Atman seul. » Le désir de discuter et de nous quereller est la marque de l’ego. Si vous voulez trouver Dieu, vous devez sup primer l’ego et vous humilier, non devant votre adversaire, mais devant Dieu en lui. Ne cédez jamais à u adversaire puissant parce que vous redoutez les conséquences d’un différend, cela ne serait que de la lâcheté Mais faites la discrimination entre les principes et les opinions. Il y a un dicton hindi : « Dites “oui, oui” à tous, mais gardez votre propre position. » N’acceptez aucun compromis sur votre idéal et sur vos principes. Mais, quand il s'agit d’opinions, reconnaissez la valeur de points de vue différents des vôtres et acceptez- les quand ils le méritent. Swâmi Turiyânanda avait coutume de dire : L’entêtement n’est pas la force. L’entêtement cache simplement la faiblesse. Le fort est souple comme l’acier et il ne se brise pas. Le fort est celui qui peut vivre en harmonie avec de nombreuses personnes et tenir compte d’opinions différentes des siennes. Si vous êtes intolérant envers les opinions des autres et si vous insistez obstinément pour garder les vôtres, vous en subirez les conséquences jusqu’à ce que vous « ayez payé le dernier quadrant ». Vous savez qu’il a été dit : Tu ne commettras pas l’adultère. Et moi, je vous dis : Quiconque regarde une femme d’un regard de désir a déjà commis l’adultère dans son cœur. Si ton œil droit te fait tomber, arrache-le, jette-le loin de toi ! C’est ton intérêt, qu’un de tes membres périsse, et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne. Et si ta main droite te fait tomber, coupe-là, jette- là loin de toi : c’est ton intérêt, qu'un de tes membres périsse, et que le corps tout entier n’aille pas dans la géhenne. Il a été dit : Quiconque renvoie sa femme doit lui donner un acte de répudiation. Et moi, je vous dis : Quiconque renvoie sa femme — hormis le cas de fornication — la jette dans l’adultère. Et quiconque épouse une femme répudiée, est adultère. Jésus parle ici de la nécessité de la maîtrise de soi pour le contrôle des passions par la volonté, particulière ment de la luxure. S’abstenir simplement d’actions luxurieuses ne suffit pas, il faut arrêter également les pensées de luxure. De nombreux maîtres diraient naturellement : « Oui, certes, nous en convenons, un contrôle intérieur des passions est certainement nécessaire. Nos jeunes doivent pratiquer la maîtrise de soi. » Mais peu de ces maîtres pourraient dire pourquoi la maîtrise de soi est nécessaire. C’est pourquoi les jeunes d’aujourd’hui les interrogent et commencent même à soupçonner les maîtres de haïr le plaisir pour lui-même, parce qu’ils sont trop vieux pour pouvoir y prendre part eux-mêmes. « Qu’importe ce que nous faisons », disent les jeunes, « tant que nous ne faisons de mal à personne. » Ils sont parfaite ment honnêtes et sincères sur ce point. Il est inutile de leur dire que leurs plaisirs sont mauvais, ou qu’il est mal d’être heureux, parce qu’ils ne vous croiront jamais : leurs instincts leur disent que vous mentez. Quand vous parlez de péché, ils n’en tiennent aucun compte. Mais si vous cessez de dire qu’ils sont pécheurs et que vous commencez à leur dire que Dieu est en chacun d’eux ; si vous soutenez l’idéal de la réalisation de Dieu et si vous leur montrez que le combat pour le contrôle de soi est rude mais passionnant, comme un entraînement sportif ; si vous leur montrez qu’en menant une vie dissipée, ils vont se couper de la plus grande joie de la vie, une joie beaucoup plus grande que ne peuvent donner tous les plaisirs du monde, alors vous leur tenez un langage qu’ils peuvent comprendre. Ils peuvent être sceptiques, mais quelques-uns d’entre eux, au moins, voudront essayer pour eux-mêmes la vie spi rituelle. L’idéal de la continence a été tellement travesti en Occident que presque
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