Rights for this book: Public domain in the USA. This edition is published by Project Gutenberg. Originally issued by Project Gutenberg on 2011-04-14. To support the work of Project Gutenberg, visit their Donation Page. This free ebook has been produced by GITenberg, a program of the Free Ebook Foundation. If you have corrections or improvements to make to this ebook, or you want to use the source files for this ebook, visit the book's github repository. You can support the work of the Free Ebook Foundation at their Contributors Page. Project Gutenberg's L'Illustration, No. 3260, 19 Août 1905, by Various This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.net Title: L'Illustration, No. 3260, 19 Août 1905 Author: Various Release Date: April 14, 2011 [EBook #35871] Language: French *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 19 AOUT 1905 *** Produced by Jeroen Hellingman and Rénald Lévesque L'Illustration, No. 3260, 19 Août 1905 (Agrandissement) Ce numéro contient: 1° Un Supplément théâtral: C RAINQUEBILLE , par Anatole France. 2° Quatre pages tirées à part sur la F ÊT E DES V IGNERONS DE V EVEY M. Witte, Baron de Rosen, Président Roosevelt, Baron Komura, M. Takahira. LES PLÉNIPOTENTIAIRES RUSSES ET JAPONAIS A BORD DU "MAYFLOWER" Stereograph copyright 1905 Underwood and Underwood, London and New-York. --Voir les pages 126, 127 et 128. NOTRE SUPPLÉMENT DE THÉÂTRE CRAINQUEBILLE Chaque année, l'été interrompt forcément la série de nos suppléments de théâtre, si appréciés de nos lecteurs. Nous ne voudrions pas cependant que cette interruption se prolongeât aussi longtemps que les relâches des grandes scènes parisiennes. En attendant les nouveautés de la saison 1905-1906, qui promettent d'être aussi nombreuses et aussi importantes que celles de la saison 1904-1905, nous avons cherché si, parmi les oeuvres jouées en ces dernières années, il n'y en avait pas une qui fût encore inédite. Et nous avons découvert, répondant à ces conditions, un chef-d'oeuvre: Crainquebille, de M. Anatole France, un des grands succès récents du théâtre de M. Lucien Guitry, la Renaissance. L'Affaire Crainquebille , sous sa forme de nouvelle, figure bien dans l'édition complète des oeuvres du brillant écrivain. Mais, sous sa forme dramatique, Crainquebille n'avait pas encore été publié. Nous sommes doublement heureux, et d'offrir cette primeur à nos abonnés, et de pouvoir illustrer le texte de M. Anatole France de douze compositions originales gravées sur bois, du dessinateur Steinlen, empruntées à l'édition de grand luxe de L'Affaire Crainquebille , publiée par l'éditeur Edouard Pelletan, au prix de 600 francs sur japon ancien, et de 80 francs sur vélin. LA FÊTE DES VIGNERONS, A VEVEY Nous avons publié la semaine dernière des photographies donnant une idée d'ensemble du magnifique spectacle qui fut organisé à Vevey pour la Fête des Vignerons de 1905. Mais le cliché photographique-- cet incomparable instrument d'illustration--est malheureusement impuissant à rendre le mouvement, la gaieté, la grâce ou la majesté des cortèges, des danses et des reconstitutions scéniques. Les dessins de Georges Scott, que nous reproduisons aujourd'hui en quatre pages tirées à part, sont, au contraire, une évocation vivante du poème qui se déroula sur l'immense scène du théâtre en plein air de Vevey... Évocation forcément incomplète: il faudrait un gros album de dessins semblables pour représenter tous les groupes différents dont M. Jean Morax dessina les costumes et régla harmonieusement les mouvements. Dans L'Illustration du 12 août, nous avons indiqué, en quelques mots, la donnée du poème, qui mettait en scène, en tableaux animés par des chants et des danses, les principaux événements de la vie rustique, échelonnés au cours de l'hiver, du printemps, de l'été et de l'automne. Il convient de nommer le poète: M. René Morax, frère du dessinateur. L'auteur de la musique est M. Gustave Doret, dont la partition contient d'admirables morceaux. Rappelons aux collectionneurs de l'Illustration que, dans le numéro du 17 août 1889, parurent des dessins et un article sur la précédente Fête des Vignerons de Vevey: ils s'y reporteront avec plaisir. COURRIER DE PARIS JOURNAL D'UNE ÉTRANGÈRE ... Au Luxembourg. La paix des grandes vacances enveloppe les jardins et il y a comme du repos dans l'air déjà moins brûlant qu'on respire. Une brise passe, en coups d'éventail légers, sous les arbres pleins d'ombre, et les feuilles sèches qui en tombent (comme l'automne vient vite à Paris!) font de petites taches brunes sur le sable des allées. Pour deux sous, donnés à la loueuse de chaises qui m'a reconnue et me sourit, je savoure, après des mois de vacarme et de fièvre, la volupté de vivre dans du calme; cela est doux comme la sensation de souffrance abolie qui suit une rage de dents, et deux petits vers chantent en moi: Ah! qu'il est doux de ne rien faire Quand tout s'agite autour de nous... Cependant, le personnage qui exprima dans Galatée cette opinion se trompait... Il y a une contagion du besoin d'agir ou de flâner; et c'est surtout quand rien ne s'agite autour de moi qu'il m'est très doux de ne rien faire. Et l'on s'agite si peu, depuis huit jours, autour de moi... Il est cinq heures. Les galeries de l'Odéon sont désertes et, le long des grilles du jardin, déambulent paresseusement des fiacres vides. Le vieux théâtre est fermé; le Sénat est sans sénateurs et nous sommes, à quelques mètres de là, cinquante flâneurs à peine, attroupés autour du kiosque où la musique d'un régiment de ligne nous joue des airs... Des airs connus, que l'esprit suit sans effort: Samson et Dalila, Louise , la Marche indienne de Sellenik, un peu de Massenet: «N'est-ce pas que Manon est une jolie chose?» Je me retourne. C'est mon libraire, qui est venu prendre le frais sous les arbres du Luxembourg et m'invite à m'y promener avec lui. Ancien professeur, journaliste un peu, mêlé à diverses entreprises de propagande politique et sociale dont il aime à me démontrer les bienfaits, mon libraire--une des figures les plus populaires du Quartier latin--est un aimable bavard, informé de tout, qui a le goût des idées générales et sait, à l'occasion, dévider un paradoxe avec esprit. --V ous êtes seul à Paris? --Tout seul, madame. --Au moins vous avez fait le pont? --Pas même. Ma femme et mes enfants sont aux eaux, j'en profite pour voir un peu Paris que je connais mal, et m'y reposer de la banlieue que je connais trop. --V ous n'aimez pas la campagne? --Je la déteste, madame. Je la déteste pour deux raisons: la première, c'est qu'on y est mal et que, pour de modestes bourgeois comme nous, la vie s'y complique et s'y attriste de toutes sortes de petites incommodités qui en rendent, à la longue, le séjour insupportable; la seconde, c'est que j'aime la justice, et que je suis irrité du tort inique que fait la campagne aux beautés rustiques de cette ville-ci. J'en veux aux arbres du Vésinet de m'avoir fait ignorer si longtemps--et mépriser--les arbres du Luxembourg. » Arrêtez-vous, madame, et regardez, je vous en prie. Regardez là-bas cet effet de soleil couchant et la prodigieuse couleur de ciel que cette pièce d'eau reflète. Admirez la somptuosité de forme de ces vieux arbres, la beauté caressante de ces feuillages qui font au-dessus de nous des dômes transparents d'ombre fraîche et la suavité de tons de ces pelouses en velours vert... Est-ce qu'en ce moment aussi l'air que nous respirons n'est pas d'une idéale fraîcheur? Eh bien, supposez-vous transportée à trente kilomètres de Paris et soudainement mise en face de ce spectacle-ci; imaginez cette couleur de ciel et cette odeur de brise retrouvées. V ous penseriez: «V oilà bien ce qu'on ne peut rencontrer qu'à la campagne...» --Et je penserais une bêtise, en effet. --V ous l'avez dit, vous penseriez une bêtise, madame. Car il n'y a pas de cité au monde à l'intérieur de laquelle tant de paysages délicieux soient rassemblés. Il ne nous reste qu'à les connaître, à apprendre l'art d'en jouir. Si nous comprenions quelles «villégiatures» charmantes sont les jardins de Paris, ses parcs et les deux forêts qui le bordent à l'est et à l'ouest, nous n'éprouverions pas le besoin--en attendant l'annuel voyage à la mer ou dans la montagne--de nous en aller geler ou rôtir, du mois d'avril au mois de juillet et de septembre à la Toussaint, dans des maisonnettes de banlieue. Avez-vous pratiqué la villégiature de banlieue, madame? Je fis signe que non, et mon libraire devint véhément: --Eh bien, dit-il, je vous en félicite. J'ai une villa, moi: la «Villa des Roses». Je l'ai achetée, il y a quelques années, sur les conseils d'un médecin qui me recommandait fortement, pour les miens et pour moi, «de la distraction, du repos, du bon air». »La maisonnette est gentille et le pays n'est pas mal. Mais il y fait si chaud que nous avons dû, cet été, sans l'avouer à nos amis, venir coucher à Paris plusieurs fois pour respirer un peu. Et s'il n'y faisait que chaud, madame! Il y fait surtout ennuyeux. Ma femme est, dans cette maisonnette, éloignée de sa famille et de ses amis, et cet isolement la rend acariâtre. C'est une joie pour elle, pendant ces mois d'été, de s'apercevoir, de temps en temps, qu'un indispensable objet de toilette ou de ménage lui manque et d'en tirer prétexte pour venir passer une demi-journée à Paris. Cette «Villa des Roses»! c'est devenu pour elle une espèce de prison où elle ne vit plus, comme le potache au lycée, que dans l'attente des jours de congé. » Pour moi, c'est pire. Et l'on ne se figure pas, si l'on n'en a pas fait l'expérience, la somme de corvées, d'incommodités, de dérangement, de petites servitudes que représente, pour un bourgeois parisien, marié et père de famille, cette chose si naïvement désirée par tant de gens: une maison de campagne. »C'est, le matin, l'ennui de s'habiller vite pour ne pas manquer le train du départ; c'est, le soir --pour ne pas manquer le train du retour--a nécessité de bâcler ses affaires, de mettre à la porte l'ami qui vient vous voir ou de ne l'écouter que la montre à la main; d'ajourner au lendemain telles besognes urgentes qu'on eût souhaité de liquider la veille. C'est l'ennui de déjeuner au restaurant pendant trois mois et d'errer seul dans un appartement poussiéreux, d'aspect tragique, au milieu de meubles habillés de housses, et de lustres, de vases, de tableaux, enveloppés de papier... » Et puis il y a les «commissions». V ous savez qu'au point de vue culinaire la campagne est, par définition, un endroit «où l'on ne trouve rien». Le devoir s'impose donc, au mari qui vient à Paris tous les jours, à en rapporter, plusieurs fois par semaine, le melon, la langouste ou les fruits que la famille attend. En sorte que l'époque de la canicule est le moment de l'année où je vis le plus fiévreusement, le plus tristement, et où j'ai le plus de paquets à porter. » Mais ceci n'est rien encore, et le temps approche où tous ces ennuis s'aggraveront d'un petit supplice nouveau. En mai, en juin, en juillet, je quittais le matin la campagne à l'heure où précisément il eût été délicieux d'y rester. A partir du mois prochain --les jours étant redevenus courts et les nuits fraîches--j'y reviendrai, chaque soir, à l'heure exacte où l'on commence à regretter de s'y trouver.» Mon ami conclut: --Le goût des voyages, heureusement, nous aura bientôt délivrés de l'ennui des villégiatures suburbaines. A présent, on met le temps des grandes vacances à profit pour changer d'air et d'horizon, courir la montagne et «lézarder» sur le sable des plages; on se déplace plus facilement qu'autrefois; on a des curiosités que n'avaient pas nos grands-pères. Mais cela coûte cher. Il faudra donc, petit à petit, s'habituer à choisir entre la villa de Seine-et-Oise et la chambre d'hôtel en Normandie, en Bretagne, dans les Pyrénées. Cinq mois de banlieue ou deux mois de tourisme? On préférera le tourisme, et ce sera le krach des maisons de campagne. Alors, les Parisiens auront le temps d'admirer chez eux des choses comme celle-ci...» Il me montrait, en disant cela, la délicieuse fontaine de Médicis, blottie au fond de sa niche de verdure et d'eau. Nous étions seuls. Et il me sembla que le cyclope Acis et Galatée considéraient d'un oeil surpris notre visite... S ONIA NOTES ET IMPRESSIONS La santé et la jeunesse sont de joyeux compagnons de route. Ils changent en poudre dorée la poussière du chemin. A. G ENNEVRAYE * * * Souvent, le charme mène plus loin que la beauté. O UIDA * * * Nous empruntons aux étrangers des mots, des formules exprimant nos propres et plus vieilles idées, et nous croyons leur devoir les idées elles-mêmes. * * * Les voyages donnent aux oisifs l'illusion de l'activité. G.-M. V ALTOUR Comment on verra l'éclipse partielle dans diverses villes d'Europe. L'ÉCLIPSE DE SOLEIL DU 30 AOÛT Par CAMILLE FLAMMARION. Le 30 août prochain, à 1 h. 19, on verra, de Paris, le soleil partiellement éclipsé par la lune, qui passera devant et couvrira les 82 centièmes du diamètre de son disque. L'ombre de la lune formera, au sud-ouest de Paris, un cône invisible qui viendra toucher le sol d'Europe sur le territoire de l'Espagne et produira là une éclipse totale couvrant un cercle de 190 kilomètres de diamètre. Cette ombre arrivera sur la côte septentrionale de l'Espagne, entre Santander et la Corogne, et glissera du nord-ouest vers le sud-est, pour quitter la péninsule entre Tarragone et Valence, ayant traversé l'Espagne avec une vitesse de 750 mètres par seconde ou 45 kilomètres par minute, et, glissant sur la Méditerranée, passera ensuite sur l'Algérie, la Tunisie, la Tripolitaine, l'Égypte, la mer Rouge, et finira au golfe Persique. Elle aura commencé au Canada et aura traversé l'Atlantique avant d'arriver en Espagne[1]. Trajet complet de l'éclipse totale de soleil du 30 août, du Canada en Arabie. [Note 1: Le phénomène sera vu de toute la France et même de tous les points de l'Europe, mais comme éclipse partielle seulement; c'est-à-dire que la lune, dans son mouvement, passera devant le soleil sans arriver à le masquer complètement. La portion éclipsée sera d'autant plus grande qu'on se rapprochera davantage d'une ligne joignant Burgos à Sfax. C'est en Espagne que nous allons nous installer pour l'observer, en très grande majorité, quelques- uns cependant s'éloignant jusqu'en Algérie, en Tunisie, et même en Egypte. Il importe, en effet, de s'échelonner sur la plus grande partie de la zone pour diminuer les risques de voir l'éclipse éclipsée par une arrivée intempestive des nuages. La plupart des astronomes français ont choisi Burgos et Alcala comme stations d'observation. Pour moi, j'ai adopté Almazan, à une grande hauteur sur la Cordillère. En 1900, j'avais choisi la pittoresque oasis d'Elche, non loin d'Alicante. Le ciel fut d'une limpidité merveilleuse et tel que nous la souhaiterions pour l'éclipse prochaine. Mais cette année-ci est moins calme que celle de 1900 au point de vue atmosphérique: elle est fertile en orages et en cyclones, car elle correspond au maximum de l'activité solaire. Vivons dans l'espérance. Les phases de l'éclipse seront: à Paris 0,82, soit environ les 8 dixièmes du soleil éclipsé; à Lyon 0,86; à Marseille 0,90; à Bordeaux 0,93; à Toulouse 0,94; à Perpignan 0,95; à Biarritz 0,96; à Alger 0,98. (Les phases publiées par la Connaissance des temps de 1905 sont inexactes; on les a corrigées, sur les indications de M. Camille Flammarion, dans un erratum.) On observera facilement l'éclipse à l'oeil nu, garanti par un verre fumé. On pourra aussi en suivre les phases sur une feuille de papier au-dessus de laquelle on tiendra, à 30 ou 40 centimètres de distance, une carte de visite percée d'un fort trou d'épingle. Elle sera également visible sur le sol dans les projections solaires formées par la lumière filtrant à travers les interstices des arbres. Nous donnons ci-contre une carte dessinée par M. l'abbé Moreux, de l'observatoire de Bourges, et destinée à montrer ce que l'on pourrait appeler le «mécanisme» de l'éclipse, qui sera totale sur toute la bande ombrée traversant l'Espagne et la Tunisie. Nul spectacle n'est plus imposant que celui d'une éclipse totale de soleil. L'immuable splendeur des mouvements célestes ne m'a jamais frappé avec autant de puissance que pendant l'observation de ce grandiose phénomène. Avec l'absolue précision du calcul astronomique, notre satellite, en gravitant autour de la terre, arrive sur la ligne théorique menée de l'astre du jour à notre planète et s'interpose graduellement, lentement et exactement devant lui. L'éclipse se produit à la minute déterminée par le calcul. Puis le globe obscur de la lune, continuant son cours régulier, démasque l'astre radieux et graduellement, lentement, termine son passage devant lui. Il y a là, pour tout observateur, une double leçon philosophique, une double impression: celle de la grandeur, de l'omnipotence des forces inexorables qui régissent l'univers, et celle de la valeur intellectuelle de l'homme, de cet atome pensant, perdu sur un autre atome et qui, par le travail de sa faible intelligence, est parvenu à la connaissance de ces lois qui l'emportent lui-même comme le reste du monde, dans l'espace, dans le temps et dans l'inconnu. Dans cet impressionnant spectacle de l'occultation de l'astre du jour, l'étrangeté de la pâle lumière qui reste pour éclairer la nature étonnée joue un rôle considérable. Tout est changé dans l'aspect des choses. L'anneau d'or qui entoure le soleil éclipsé répand sur la terre la lumière d'un autre monde. Quelques minutes avant le commencement de la totalité, la lumière normale du jour diminue fortement et se transforme. La nature entière paraît oppressée sous une sorte de terreur. Les oiseaux, qui gazouillaient dans les branches, se taisent, et ceux qui ont des nids y rentrent précipitamment. Quelques-uns ne le retrouvent pas et, se heurtant contre les murs, tombent morts. Les poussins se réfugient sous l'aile de leurs mères, les chiens demandent protection à leurs maîtres, les troupeaux abandonnent leurs pâturages et cherchent à rentrer, les abeilles cessent leurs bourdonnements et reviennent inquiètes à la ruche, les chauves-souris sortent et volettent. La nuit qui arrive subitement déconcerte tous les êtres vivants. La marche de l'ombre de la lune sur l'Espagne et la Tunisie le 30 août. (Les chiffres indiquent les heures et la durée de l'éclipse totale en chaque point) Comment on verra l'éclipse partielle dans diverses villes des États-Unis, de Russie, de Sibérie, d'Égypte et d'Arabie. L'homme lui-même ne peut se défendre d'une certaine émotion, quoiqu'il sache qu'il n'y a là qu'un phénomène naturel qui suit mathématiquement les lois du calcul. L'étrange lumière dont je parlais tout à l'heure donne aux visages un aspect cadavérique, clarté blafarde analogue à celle de l'esprit-de-vin brûlant saturé de sel, illumination livide et funèbre paraissant annoncer la dernière heure du monde. Au moment où la dernière ligne du croissant solaire disparaît, on voit, au lieu du soleil, un disque noir environné d'une auréole lumineuse à la base de laquelle brûlent des flammes roses et lançant dans l'espace d'immenses jets de lumière. La nuit subite reste éclairée par cette vague clarté céleste. Ce spectacle est fantastique, grandiose, solennel et sublime. C'est en ces minutes rares et précieuses que l'on a d'abord deviné, puis étudié la constitution physique de l'astre aux rayons duquel la vie de la terre est suspendue. Minutes rares, en effet, car la durée de la totalité des éclipses observées varie entre une et six minutes, et il n'y en a pas une par an. Depuis l'éclipsé de 1842, qui mit les astronomes sur la voie de leurs découvertes, il n'y a eu que trente éclipses totales dont on peut voir la liste dans mon Astronomie populaire , et les observations n'ont pas occupé plus de cent minutes, soit un peu plus d'une heure et demie. V oilà, certes, une heure et demie bien employée! Ces minutes nous ont appris qu'il y a, tout autour du soleil, une nappe de feu de 10.000 à 15.000 kilomètres d'épaisseur, sorte de flamme de punch, de couleur rose, qui brûle constamment. C'est la chromosphère. Elle n'est visible que pendant les éclipses. Sa température paraît être d'environ 6.000 degrés centigrades. L'hydrogène en forme la partie supérieure, mais l'analyse spectrale montre dans sa couche inférieure les vapeurs du magnésium, du fer et d'un grand nombre de métaux. De cette nappe de feu s'élèvent des flammes gigantesques, des protubérances roses, également, atteignant parfois 100.000 et 200.000 kilomètres de hauteur! Ces éruptions formidables s'effectuent dans une atmosphère gazeuse qui constitue ce que nous pourrions appeler la couronne atmosphérique du soleil. Elle est adhérente au globe solaire et tourne avec lui en vingt-cinq jours environ. Pendant l'éclipse du 28 mai 1900, j'ai parfaitement distingué cette couronne atmosphérique, très lumineuse et d'un blanc d'argent éclatant. Elle se fond dans une seconde auréole, qui lui est extérieure, est moins brillante et moins dense, et paraît formée de corpuscules provenant principalement des éruptions solaires, circulant indépendamment autour de l'astre, dont la forme d'ensemble varie avec l'activité solaire et peut être due à des forces électriques ou magnétiques, contre-balancées par des résistances de diverses natures. Dans notre propre atmosphère, les éruptions volcaniques sont distinctes de l'enveloppe aérienne. C'est principalement cet entourage solaire que les astronomes vont étudier pendant l'éclipse Son aspect varie suivant les années. Aux époques de grande activité, comme cette année, cette couronne entoure entièrement le disque solaire, à une grande distance, et approche de la forme circulaire. L'une des plus belles et des plus régulières que l'on ait admirées est celle de l'éclipse du 17 mai 1882, voisine, comme celle-ci, d'une époque de maximum de taches solaires. Un dessin qui en a été pris en Égypte par M. Tacchini est d'autant plus curieux qu'une petite comète avait justement été vue près du soleil pendant la totalité. En général la forme extérieure de la couronne n'offre pas la même régularité géométrique qu'en 1882. Souvent des jets immenses s'élancent au loin en diverses directions. Pendant l'éclipse de 1900, correspondant à un maximum de l'activité solaire, la couronne s'est montrée très allongée dans le sens de l'équateur solaire. D'un côté même elle était double, et allait finir en pointe tout près de Mercure, qui brillait à une distance égale à environ six fois le diamètre du soleil. C'est sur l'analyse attentive de cette glorieuse couronne que se porteront les efforts des astronomes, et, notamment, parmi les nôtres, de MM. Janssen et Deslandres, de l'observatoire de Meudon. On l'étudiera par le dessin direct, par la photographie, par l'analyse de la lumière au spectroscope, par les méthodes les plus perfectionnées de la science actuelle. On comprend tout l'intérêt qui s'attache à la connaissance de l'astre solaire si l'on songe que toute la vie terrestre (ainsi que celle des autres planètes) dépend des radiations de cet astre. De sa surface agitée par les flots d'une éternelle tempête s'élancent constamment, avec la vitesse de l'éclair, les vibrations fécondes qui vont porter la vie sur tous les mondes. Le jour où le soleil s'éteindra, la terre où nous sommes ne sera plus qu'un morne, obscur et silencieux cimetière roulant dans l'éternelle obscurité de l'espace. LES FÊTES EN L'HONNEUR DE LA FLOTTE FRANÇAISE A PORTSMOUTH ET A LONDRES Le maire de Portsmouth et les conseillers municipaux, en robe, allant, le 9 août, présenter à l'amiral Caillard les souhaits de bienvenue de la ville. Au château d'East-Cowes, le 8 août: l'amiral Caillard présente les officiers de son état-major à la princesse Béatrice de Battenberg, «gouverneur» de l'île de Wight. Divertissements de marins anglais et français, à Wales-Island, le 10 août: la course à âne. La locomotive pavoisée du train de luxe qui a transporté les officiers et marins de Portsmouth à Londres, le 10 août. A travers les rues de Londres: le défilé des breaks promenant les marins français. L'arrivée des marins français et des personnages officiels dans la cour du Guildhall. Le banquet offert aux marins français dans la grande salle du Guildhall, ancien hôtel des corporations de Londres, le 11 août. A la sortie du Guildhall: formation du cortège pour se rendre à l'Alhambra. Le banquet offert aux officiers de l'escadre française, à Westminster, le 12 août. (Agrandissement) Baron de Rosen et attachés à la délégation russe. M. Witte. Président Roosevelt. Baron Komura. M. Takahira et attachés à la délégation japonaise. LA PREMIÈRE RENCONTRE DES PLÉNIPOTENTIAIRES RUSSES ET JAPONAIS, LE 5 AOÛT Le président Roosevelt présente l'un à l'autre M. Witte et le baron Komura, dans le salon de réception du yacht du gouvernement américain, le «Mayflower». Il appartenait au président Roosevelt, après avoir pris l'initiative des négociations pour la paix entre la Russie et le Japon, de présenter les uns aux autres, à leur arrivée aux États-Unis, les plénipotentiaires russes et japonais. Cette formalité protocolaire a eu lieu le 5 août, dans les eaux américaines, à Oyster-Bay, à bord du yacht présidentiel Mayflower. Le président y était venu de son cottage de Sagamore Hill. Bientôt après, le croiseur Tacoma arrivait portant les délégués du Japon qui, représentants du vainqueur, devaient être reçus les premiers par M. Roosevelt, tandis que le croiseur Chattanooga amenait, à quelques minutes de là, les plénipotentiaires russes. Les présentations eurent lieu dans la grande salle du yacht, où se tenaient M. Witte, et ses collaborateurs, et où l'on introduisit cérémonieusement le baron Komura et, les délégués japonais qui, à l'arrivée des Russes, s'étaient retirés dans un petit salon voisin. Les figures des Japonais étaient graves, leurs yeux froids, on le remarqua. Et l'on constata par contre, non sans quelque sympathie, que l'attitude de M. Witte était cordiale, ronde, franche; elle séduisit fort les Américains. ARRIVEE DES PLÉNIPOTENTIAIRES A BORD DU "MAYFLOWER", LE 5 AOÛT Le baron Komura. M. Witte. Au centre de la page, le yacht Mayflower. M. Roosevelt monte à bord du Mayflower pour présider à la première entrevue. Russes et Japonais sur le pont du Mayflower après les présentations. LES POURPARLERS DE PAIX ENTRE LA RUSSIE ET LE JAPON Stereograph copyright 1905 Underwood and Underwood, London and New-York. Dessin original de Jeanniot. A TROUVILLE: SUR LES PLANCHES. Privilégié à divers titres parmi les nombreuses stations balnéaires de Normandie, Trouville doit à sa proximité relative de Paris d'avoir conquis de longue date la faveur des Parisiens. C'est la plage mondaine par excellence; au beau moment de la saison, ses fameuses «planches sont, suivant la formule consacrée, le rendez-vous des suprêmes élégances, et cette reconstitution, au bord de la mer, de l'avenue du Bois et de la «potinière» offre assurément le tableau, tout ensemble le plus complet et le plus brillant, des nouveautés de la mode. Le fiord de Christiania. EN NORVÈGE Fragments d'un journal de voyage. Suite et fin IV .--V oir les numéros des 8. 29 juillet et 12 août LE CAP NORD Samedi 16 juillet. --Nous arrivons au cap Nord. Nous avons vu d'autres montagnes aussi noires, aussi désolées, aussi hautes et imposantes. Mais celle-ci est la dernière, et, à bord, on est un peu fier de voir que notre Europe finit bien. On se propose de faire l'ascension du rocher, trois cents mètres pénibles, afin de pouvoir dire qu'on est monté là et surtout pour y mettre, dans une boîte aux lettres levée tous les huit jours, des cartes postales naturellement, qui porteront le timbre du cap et feront la joie des collectionneurs. Il y en a un véritable chargement. Certain passager en expédie quarante pour sa seule part. Beaucoup les ont confiées aux commissaires du bord; d'autres les gardent dans leur poche pour les expédier eux-mêmes. Comme on le verra, ce fut une précaution malheureuse. La mer ne paraît pas très forte aux yeux inexpérimentés des passagers, qui retiennent plus ou moins les manifestations de leur mécontentement lorsque le bruit court que l'on ne débarquera pas. En présence de cette attitude, l'excellent commandant, afin de nous donner une leçon de choses, donne l'ordre de mettre la pétrolette à la mer. Dès qu'elle est dégagée des palans, les plus obstinés commencent à montrer moins d'empressement. L'embarcation, soulevée par les lames, fait au pied de l'échelle des différences de niveau de deux à trois mètres. La démonstration semble faite. Ce n'est pas l'avis des officiers du bord, qui embarquent non sans difficultés. Parmi eux est le commissaire porteur du paquet de cartes postales. Le prétexte donné à la petite promenade est de s'assurer si le débarquement à terre serait possible. Il est possible, en effet, pour des marins, et les cartes postales partiront. Au retour, la mer a un peu grossi et c'est par l'échelle de corde destinée aux pilotes que les officiers, un peu malicieusement peut-être, reviennent à bord. Cette fois, personne ne demande plus à partir et la pétrolette est hissée sans protestation. Mais la désolation est sur bien des visages. Être venu de si loin, s'en approcher autant et ne pas mettre le pied sur le cap Nord! Des lamentations encore. --Et nos cartes postales! nos cartes postales! nos cartes postales! Une barque est prochaine, montée par trois ou quatre pêcheurs venus nous attendre avec du Champagne qu'ils comptaient vendre là-haut à bon prix. Si on les chargeait des cartes postales! Mais le moyen de les leur faire parvenir? La mer est trop forte pour qu'ils puissent approcher de l'échelle... Pauvres cartes postales! Un passager alors a une idée ingénieuse. Il collecte les précieuses cartes postales, fait une quête et enferme le tout dans quatre ou cinq journaux. Ce paquet, ficelé, est ensuite attaché à une bouteille bien bouchée, le tout jeté à la mer et recueilli, avant que l'épaisseur des journaux ait pu être traversée, par les Norvégiens qui s'éloignent à force de rames et donnent des signes de joie surprenants pour ce pays. On se croirait dans le Midi. Et pourtant... Nous partons. Il est une heure du matin, le ciel est couvert. Il fait plein jour, on ne se lasse pas de le répéter. Nous perdons ici le besoin du sommeil. On ne peut se résoudre le soir à regagner sa cabine. On reste sur le pont, malgré le froid, et l'on admet difficilement qu'on puisse aller dormir avant la nuit. LA PÊCHE A LA BALEINE Dimanche 17 juillet. --...L'île de Skarro est une station de pêche à la baleine. Du bord, avant de débarquer, nous voyons, près du rivage, une roche ronde où la mer se brise. Ce n'est pas une roche. C'est une baleine prise la veille. Sur les galets, des cadavres de baleine gisent, à moitié dépecées. L'odeur est insupportable. Nous fuyons vers une maisonnette gaie, sur une hauteur, habitation du directeur de la pêcherie. Il a eu l'idée bizarre d'employer, comme bordure pour ses gazons, des vertèbres de baleine. Comme porte d'entrée, il y a une sorte d'arc de triomphe ogival, formé par l'assemblage de deux os de mâchoire du même animal, et les sièges de l'intérieur sont faits de clavicules. C'est très gai... pour le directeur d'une pêcherie. V ous trouverez dans les ouvrages spéciaux la description du harpon explosible et perfectionné que l'on emploie aujourd'hui; vous ne l'attendez pas ici, d'ailleurs. De même pour les renseignements sur les ateliers de dépeçage. Je n'ai pas eu le courage d'y entrer et, si vous avez le nerf olfactif sensible, je vous engage à faire comme moi. Ai-je dit que la photographie signée de l'empereur Guillaume II est, au salon, à la place d'honneur? LE CHALET DE GUILLAUME II Lundi 18. --Nous allons retrouver ce soir au Raftsund le souvenir de cet admirable homme de théâtre. Le paysage est grandiose et terrible. Nous entrons dans une sorte d'entonnoir. Les premiers plans sont verts et noirs. Les seconds, à droite et à gauche, sont faits de montagnes noires sur lesquelles il a neigé récemment. Mais la neige n'est pas seulement sur les sommets; elle est restée dans toutes les anfractuosités, ce qui fait un dessin fantastique de blanc et de noir. Le détroit se rétrécit et s'assombrit à mesure qu'on y pénètre. C'est véritablement ici la majestueuse porte de l'enfer. Et l'on admire le sens de l'effet que possède le souverain qui s'est fait construire un chalet au sommet d'une des montagnes d'entrée. Ah! l'incomparable régisseur! Et, si vous ne trouvez pas ici l'indication d'une beauté qui, à elle seule, vaudrait le voyage, n'en accusez que l'insuffisance de ma description. Je me suis retenu dix fois déjà pour ne pas dire, de ce que nous avons vu, que c'était indescriptible. LE RETOUR--EN CHEMIN DE FER ...... Nous voici dans un tout autre pays sans avoir quitté la Norvège. D'abord il fait chaud et, lorsque nous recevons des lettres de France nous parlant de la chaleur, nous n'envions plus ceux que nous avions laissés là-bas. Ensuite les champs sont semblables aux nôtres... semblables du moins à ce qu'ils étaient il y a deux ou trois mois. Nous voyons enfin des villages et des villes, des habitants actifs, occupés... V oici, à une station un chapeau haut de forme. Merci, mon Dieu! A chaque gare, des enfants viennent offrir des bouquets de cerises qui rafraîchissent mieux que la bière. Les employés du train sont d'une complaisance à laquelle ne sont pas habitués ceux d'entre nous qui n'ont voyagé que sur les chemins de fer français. Comme nous sommes visiblement harassés, l'employé, qui s'en aperçoit, nous fait lever gentiment avec un sourire et nous montre que ceux d'entre nous qui n'ont pas de vis-à-vis peuvent, en rapprochant les deux sièges qui se font face, s'installer un véritable lit et dormir tranquillement.