Cet ouvrage est diffusé en accès ouvert dans le cadre du projet OpenEdition Books Select. Ce programme de financement participatif, coordonné par OpenEdition en partenariat avec Knowledge Unlatched et le consortium Couperin, permet aux bibliothèques de contribuer à la libération de contenus provenant d'éditeurs majeurs dans le domaine des sciences humaines et sociales. La liste des bibliothèques ayant contribué financièrement à la libération de cet ouvrage se trouve ici : https://www.openedition.org/22515. This book is published open access as part of the OpenEdition Books Select project. This crowdfunding program is coordinated by OpenEdition in partnership with Knowledge Unlatched and the French library consortium Couperin. Thanks to the initiative, libraries can contribute to unlatch content from key publishers in the Humanities and Social Sciences. Discover all the libraries that helped to make this book available open access: https://www.openedition.org/22515?lang=en. Naissance d’un corps professionnel 1786-1917 L’école des sages-femmes Collection « Perspectives historiques » 2017 Nathalie Sage Pranchère Naissance d’un corps professionnel 1786-1917 L’école des sages-femmes Maquette et conception graphique Mickaël Robert – PUFR Mise en page Christine Martin – PUFR © Presses Universitaires François-Rabelais de Tours, 2017 60, rue du Plat d’Étain – BP 12050 37020 Tours cedex 1, France http://pufr-editions.fr/ ISSN : 1764-4305 ISBN : 978-2-86906-422-5 Dépôt légal : 1 e semestre 2017 À l’origine de ce livre, il y eut une thèse, et le 19 septembre 2011, j’écrivais : « À l’issue de ce travail, toute ma gratitude va à Olivier Faron qui a su être présent à toutes les étapes essentielles de sa réalisation. Ma profonde reconnaissance va à Jean-Pierre Bardet qui a suivi cette recherche depuis le début et m’a toujours accompagnée de ses bienveillants conseils et ses judicieuses suggestions. Que les directrices et directeurs d’archives départementales et municipales que j’ai parcourues et leurs équipes trouvent ici l’expression de ma gratitude. Cette thèse est le fruit de leur parfait travail de conservation. Parmi eux, un merci tout particulier à Gaël Chenard, François Giustiniani, Marie-Adélaïde Zeyer, Stéphanie Roussel, Bruno Isbled, et Hugues Moreau. Pour leur aide précieuse au cours de ces années de recherche, pour leur écoute toujours attentive, pour l’intérêt qu’ils ont porté à ce sujet, mes remer- ciements vont à Christine Nougaret, François-Joseph Ruggiu, Nicolas Lyon- Caen, Catherine Rollet, Claire Fredj, Marie-France Morel, Françoise Vielliard, Jean-Loup Lemaître. Pour tout cela et pour leurs patientes relectures, je remercie Fabrice Boudjaaba, Vincent Gourdon et Annliese Nef. Pour son aide cartographique, merci à Timothée Le Moing. Pour avoir vécu jusqu’au bout cette thèse aussi intensément que moi et pour y avoir leur immense part, merci à mes parents. Merci à ma famille et à mes ami-e-s pour leur présence et leur soutien sans faille. Pour avoir partagé cette écriture depuis le premier jour, merci à Philippe Büttgen. » Les années ont passé, quelques patients relecteurs se sont ajoutés : merci à Jean-David Richaud, Isabelle Robin et Romain Telliez. Merci à la Société de l’École des Chartes et au Conseil national de l’Ordre des sages-femmes pour leur aide généreuse à la publication de cet ouvrage. Merci enfin aux Presses universitaires François-Rabelais d’accueillir ce tra- vail dans leurs collections. Remerciements ADH Annales de démographie historique Annales. ÉSC Annales. Économies. Sociétés. Civilisations AHRF Annales historiques de la Révolution française AD Archives départementales AM Archives municipales AN Archives nationales AP Archives parlementaires de 1787 à 1860 ARSS Actes de la recherche en sciences sociales BAM Bibliothèque de l’Académie nationale de Médecine BSFHM Bulletin de la Société française d’histoire de la médecine CDIHÉRF Collection des documents inédits pour l’histoire économique de la Révolution française EDRES Enquêtes et documents relatifs à l’enseignement supérieur HES Histoire, économie et société RHMC Revue d’histoire moderne et contemporaine RLRES Recueil des lois et règlements sur l’enseignement supérieur RD CG Rapports du préfet et procès-verbaux des délibérations du conseil général SRM Société Royale de Médecine Abréviations Préface • Jean-Pierre Bardet Professeur émérite à l’université Paris-Sorbonne Voilà un ouvrage important qui permet de saisir une entreprise vitale au cœur d’un changement historique qui bouleverse les structures antérieures à la Révolution. Cette histoire poursuit en même temps un effort entamé sous l’Ancien Régime. Le même esprit éclairé inspire les coordonnateurs de l’assis- tance publique de la Monarchie et des temps révolutionnaires. La publication du livre de Nathalie Sage Pranchère apporte une informa- tion importante, à vrai dire centrale, sur un personnel médical redéfini au xix e siècle, ce corps national des sages-femmes dont la constitution poursuit, institutionnalise et accroît les initiatives d’Ancien Régime si bien étudiées par Jacques Gélis qui a établi que, bien avant la Révolution, des médecins, des chirurgiens et des sages-femmes, encouragés par des administrateurs éclairés, se sont souciés de réduire les lourds risques de la naissance pour la mère et pour l’enfant. Ainsi ont été proposés en divers lieux des cours d’accouchement plus théoriques que pratiques car la plupart des femmes accouchaient alors à leur domicile. Ces enseignements avaient au moins le mérite d’informer les futures accoucheuses sur les gestes opportuns de la mise au monde, sur ceux à éviter, sur les rythmes à suivre et sur les accidents à prévoir. Ces formations souvent itinérantes ont mobilisé d’assez nombreuses volontaires soucieuses d’aider les parturientes. Sur le terrain, les résultats tels qu’on peut les mesurer ont été limités car les risques infectieux (dont je reparlerai plus loin) étaient ignorés. Malgré tout, ces enseignements ont contribué à améliorer notablement les conditions de la mise au monde et les gestes qui doivent l’accompagner. Assez curieusement, la poursuite de leurs efforts après 1789 n’a pas été sys- tématiquement étudiée même si la bibliographie comporte des titres suggestifs et utiles, mais souvent monographiques. L’objectif de Nathalie Sage Pranchère n’était pas de revenir sur les accidents tragiques de la naissance bien connus 1 2 • L ’ ÉCOLE DES SAGES - FEMMES NAISSANCE D ’ UN CORPS PROFESSIONNEL désormais par les travaux de démographie historique mais d’étudier la mise en place à l’échelle nationale d’un corps médical féminin consacré à l’accouche- ment. Point de départ de cette vaste enquête, sa belle thèse d’École des Chartes consacrée aux sages-femmes et aux accouchées du département de la Corrèze avait permis à l’auteure de vérifier la pertinence de ce thème de recherche, de bien cerner les pistes documentaires et de mettre au point une grille de lecture pour des sources immenses et dispersées. L’objectif est clair. Il s’agit de comprendre comment l’aide apportée aux femmes en couches, rarement professionnelle dans la société traditionnelle et en fait assez diversifiée, se transforme entre le milieu du xviii e siècle et le début du xx e , grâce à un effort coordonné, en une profession médicale, contri- buant au développement de la médecine, reconnue et somme toute efficace. Comment est-on passé de la matrone à l’agent médical ? Cette recherche sur la construction progressive d’une formation professionnelle comporte neuf cha- pitres, distribués de manière habile et rendant compte des difficultés et des dis- continuités de la documentation sans trahir la diversité des situations locales et des rythmes de modernisation. Ces différences interdisaient à la fois le plan chronologique qui aurait brisé les continuités et la description géographique plate qui aurait abouti à un fastidieux inventaire hors du temps. L’habile com- binaison des composants s’avère bien plus efficace car elle permet de mettre en valeur l’évolution des institutions et des discours tout en cernant l’ampleur des projets et des réalisations. L’analyse menée par l’auteure révèle les quali- tés acquises dans sa double formation d’archiviste paléographe et d’agrégée d’histoire et aussi un grand talent d’imagination, une véritable érudition et une extraordinaire intuition pour détecter les sources et les mettre en perspective. De la chronologie retenons deux dimensions : la relative rapidité de la déci- sion qui conduit à la constitution d’une profession médicale reconnue et la plus lente mise en place du réseau de ces nouveaux agents de santé qui exigeait des moyens, des formateurs et des candidates capables de s’adapter aux exigences de la formation. La loi du 19 ventôse an xi (10 mars 1803) sur l’exercice de la médecine complétée par l’arrêté du 20 prairial (9 juin 1803), textes fondateurs pour tout l’ordre médi- cal, réforment les corps existants et créent de toutes pièces un métier nouveau ou presque. Les sages-femmes étaient déjà présentes dans certains hôpitaux où elles étaient formées sous la houlette des maîtresses sages-femmes et de chirurgiens mais en nombre limité, la plupart des naissances se déroulant à domicile avec l’aide de « matrones » plus ou moins habiles, rarement sous la conduite d’un médecin ou d’un chirurgien. Il s’agissait en fait de bannir les actions dangereuses liées à l’ignorance de certaines intervenantes déjà dénoncées au xviii e siècle. PRÉFACE • 13 La nouveauté résulte de la définition d’une nouvelle profession à l’échelle de toute la France, bel exemple de l’action de l’État unificateur issu de la Révolution. La définition du contenu des enseignements à prodiguer aux futures accou- cheuses et des lieux de formation donna lieu à bien des discussions. Ces débats illustrent l’esprit centralisateur des réformateurs : Paris est un instant envisagé comme unique lieu de formation comme disposant des meilleurs spécialistes et de l’énorme maternité de Port-Royal qui accueillait 2 000 accouchées chaque année et offrait évidemment un beau terrain d’ap- prentissage. Mais devant les réticences des autres départements, on finit par concéder le principe d’une formation locale dans les départements disposant de formateurs (chirurgiens et sages-femmes) et de maternités assez importantes pour offrir la possibilité d’un apprentissage pratique. Tous ne furent pas dotés d’école et, surtout, les centralisateurs imposèrent la reconnaissance de deux classes de sages-femmes – la première, la plus noble, nécessitant un séjour de formation à Paris, au départ tout au moins car, par la suite, les institutions habilitées à attribuer la première classe furent multipliées. L’enjeu avait un réel intérêt pour les bénéficiaires : seules les sages-femmes de première classe pou- vaient exercer dans un autre département que celui de leur formation, mais la distinction fut maintenue avec ses obligations de mobilité, de prestige et aussi d’honoraires pendant tout le xix e siècle et jusqu’en 1916. La mise en place de la nouvelle formation fut à la fois rapide et assez uniforme dans son contenu. Autre preuve de la capacité unificatrice du nouveau régime. Au-delà de l’aspect institutionnel révélateur aussi de la volonté de l’État d’encadrer et d’unifier la formation des soignantes, il est intéressant de décou- vrir comment les programmes d’enseignement des sages-femmes ont évolué en lien avec les découvertes médicales (voir par exemple l’adoption immédiate des principes pastoriens et des méthodes antiseptiques destinées à éviter les infections souvent fatales) ce qui confirme que la greffe sur le corps médical avait parfaitement réussi, une greffe particulière qui créait un échelon inter- médiaire plus accessible mais compétent entre le médecin et l’accouchée, ce qui ne se passa pas de la même façon dans tous les pays. Ainsi se met en place une auxiliaire médicale qui se substitue aux matrones et autres accoucheuses traditionnelles. L’efficacité de leur savoir acquis dans des cours délivrés par des praticiens bien formés et des spécialistes de l’accouchement n’aboutit pas d’abord à des progrès très palpables, mais tout de même perceptibles, pen- dant les premières décennies du xix e siècle avant les découvertes pastoriennes, car la plupart des décès maternels étaient provoqués non par « choc » obsté- trical mais par des infections dont la pire était la fièvre puerpérale qui rava- geait périodiquement les maternités. Faute d’information et de précaution, les 1 4 • L ’ ÉCOLE DES SAGES - FEMMES NAISSANCE D ’ UN CORPS PROFESSIONNEL sages-femmes contribuaient parfois à la diffuser involontairement. Longtemps l’accouchement à domicile fut moins dangereux qu’à hôpital car partiellement à l’abri de ces intrusions microbiennes. À partir de Pasteur, la situation se retourna évidemment. La croissance progressive des effectifs d’accoucheuses diplômées aboutit à mettre à la disposition des futures mères une sage-femme pour moins de 3 000 habitants, contribuant ainsi à la médicalisation des naissances villa- geoises. Cela ne veut pas dire que les auxiliaires traditionnelles des mères aient toutes disparu, il en subsistait assurément malgré les menaces assez théoriques de poursuites pour exercice illégal du métier, mais la présence des accoucheuses professionnelles était rassurante, contribuait à la diffusion des gestes efficaces quand elles n’opéraient pas elles-mêmes, ce qui s’est assez vite généralisé. Ainsi émerge peu à peu un agent médical nouveau à côté des médecins et des officiers de santé dont le profil est bien tracé dans ce livre. Par ses origines sou- vent modestes, ses attaches locales, la sage-femme est une soignante présente et appréciée et une intermédiaire précieuse avec les médecins. Son rôle ne s’arrête pas à l’accouchement, elle est consultée en cours de grossesse et conseille les mères et les femmes enceintes. Ces quelques réflexions préalables sont destinées à inciter à la lecture de ce livre qui me paraît constituer un modèle pour l’histoire sociale. J’ai évoqué les qualités érudites de son auteure, je voudrais aussi souligner la richesse de sa documentation : bibliographie exemplaire, évocation passion- nante des sources qui décrit une lecture minutieuse des textes réglementaires et plus impressionnante encore une plongée abyssale dans les sources dépar- tementales pour la collecte des documents de la série « M » et une exploration des archives communales. Dans le cadre d’une enquête nationale, il est facile d’imaginer l’inlassable patience qu’exige une telle investigation. On ne sait ce qu’il faut le plus admirer : l’immensité de cet effort documentaire ou la capacité du chercheur à le doser. Ce qui est clair – et c’est important – c’est que cette érudition n’est pas pesante, simplement convaincante. Parmi les pièces justificatives, le lecteur appréciera le tableau départemental des formations obstétricales qui permet de suivre pas à pas la mise en place des écoles de sages-femmes. Il découvrira aussi avec intérêt la bibliographie des publications des sages-femmes qui contribue à nous convaincre du sérieux de la formation de ces obstétriciennes. Le cheminement adopté par Nathalie Sage Pranchère est très habile. Il accorde beaucoup de place aux débats qui ont surgi avant et pendant la mise en place de ce corps national des sages-femmes : ils sont révélateurs des idées, parfois antagonistes, que se font administrateurs et médecins sur l’importance PRÉFACE • 15 et les risques de la naissance, sur le rôle des femmes dans la médecine, sur l’orga- nisation et le contenu des enseignements destinés à des intermédiaires médi- cales, sur leur rapport aux initiatives d’Ancien Régime entre admiration et cri- tique, sur l’esprit nouveau qui conduit à cette vaste construction marquée par les Lumières, empreinte d’un souci démographique et freinée par la nécessité de ménager les finances de l’État. Tous les acteurs en jeu sont décrits avec finesse et le souci de cerner les antagonismes, les enjeux de pouvoir des uns et des autres. Ce livre est ainsi une invitation à mieux connaître les parcours des profes- seurs et des élèves même si l’approche sociale est nécessairement générale. En réalité un tel ouvrage ouvre des pistes en apportant une synthèse solide qui permet de poursuivre l’approche anthropologique des groupes et des individus, au cœur des interrogations des historiens. Introduction En novembre 2013, les sages-femmes françaises descendaient massivement dans la rue. S’ouvrait alors une année de grèves et de manifestations pour être reconnues comme le « praticien de premier recours » dans le suivi gynécolo- gique et obstétrical des femmes. La légitimité de ce rôle d’accompagnement, dont les sages-femmes déploraient et déplorent encore l’insuffisante reconnais- sance, a pourtant été affirmée il y a plus de deux siècles, lorsqu’elles sont deve- nues les agents « à la française » d’une politique d’encadrement de la naissance et de réduction des mortalités maternelle et infantile. La sage-femme s’invente au tournant des xviii e et xix e siècles. Avec ses devancières, elle a en commun la fonction de « lever les enfants » mais à la différence de l’immense majorité d’entre elles, pour exercer cette fonction, elle doit désormais s’instruire aux sources d’un savoir médical sur la naissance. La formation obstétricale est devenue en un quart de siècle le seul point d’entrée possible et admis dans ce métier. Dès la fin du xvii e siècle, l’accouchement est pris dans un vaste mouvement de scientifisation et de médicalisation. Cette « nouvelle conception de la vie » (Jacques Gélis) découle de l’entrée sur la scène obstétricale du corps chirurgi- cal qui fait de cette pratique le fer de lance de sa reconnaissance scientifique et sociale. Sur fond de dépopulation fantasmée, les accoucheuses y perdent en réputation, érigées en bouc-émissaire de la mortalité maternelle et infan- tile. Mais c’est paradoxalement de cette redéfinition de la naissance et de cette redistribution des pouvoirs biomédicaux que surgissent les sages-femmes. Car la prise en mains de l’accouchement par les chirurgiens n’a été que partielle pour des motifs financiers et de prestige social, et, à ce titre, incapable de répondre 1 8 • L ’ ÉCOLE DES SAGES - FEMMES NAISSANCE D ’ UN CORPS PROFESSIONNEL à la recherche politique d’un « agent de transformation » de la population1 au service des objectifs populationnistes de l’État. Seule la sage-femme a alors paru capable à l’orée du xix e siècle d’être cet agent, de tenir le rôle d’« intermé- diaire culturel » entre une conception nouvelle de la naissance et la population2. Des sages-femmes à la sage-femme La sage-femme n’est toutefois pas que le réceptacle passif d’évolutions exté- rieures à elle, pour la simple raison qu’il existe, à la fin du xviii e siècle, plusieurs sages-femmes dont certaines (accoucheuses au service des princes, des villes, hospitalières) sont aux premières loges du profond changement qui s’opère3. Elles sont au contact quotidien de la science obstétricale en voie de formalisa- tion et n’hésitent pas à s’en saisir à leur profit : Louise Bourgeois à la cour de France, Justina Siegemund à la cour de Brandebourg, Marguerite de la Marche à l’Hôtel-Dieu de Paris, sont toutes trois auteures de traités ou de manuels de l’art des accouchements4. Ces femmes sont parmi les premières à avancer la nécessité de former leurs consœurs pour protéger l’ensemble des praticiennes des attaques réitérées du corps médico-chirurgical, à l’instar de Sarah Stone qui publie en 1737 sa Complete Practice of Midwifery à l’intention de ses « Sister Professors in the Art of Midwifery 5 ». 1. Foucault M., Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France, 1977-1978 , Paris, Gallimard, Seuil, 2004, p. 73. 2. Gélis J., « L’accoucheuse rurale au xviii e siècle : transformation du rôle d’un intermé- diaire entre culture rurale et culture urbaine », dans Les Intermédiaires culturels. Actes du col- loque du centre méridional d’Histoire sociale, des mentalités et des cultures, 1978 , Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 1981, p. 127-137. 3. Gélis J., La Sage-femme ou le médecin. Une nouvelle conception de la vie , Paris, Fayard, 1988, p. 23-39. 4. Bourgeois L., Observations diverses sur la stérilité, perte de fruit, fécondité, accouchements et maladies des femmes et enfants nouveaux nés amplement traitées et heureusement pratiquées par L. Bourgeois, sage-femme de la reine , Paris, A. Saugrain, 1609, voir Gélis J., « Louise Bourgeois (1563-1636) : une sage-femme entre deux mondes », dans Histoire des sciences médicales , 2009, vol. 43, n o 1, p. 27-38 ; Siegemund J., Die Chur-Brandenburgische Hoff-Wehe-Mutter , Berlin, Ulrich Liebperten, 1690, voir Pulz W., « Aux origines de l’obstétrique moderne en Allemagne (xvi e -xviii e siècles) : accoucheurs contre matrones ? », dans RHMC , 1996, 43-4, p. 599 ; Marche M. (de la), Instruction familière et utile aux sages-femmes, pour bien pratiquer les accou- chemens, faite par demandes et réponses [1677], Paris, L. d’Houry, 1710. 5. Donnison J., Midwives and Medical Men. A History of the Struggle for the Control of Child- birth , London, Heinemann Educational, 1977, p. 35-36 ; Gelbart N. R., The King’s Midwife. A History and Mystery of Madame du Coudray , Berkeley, University of California Press, 1998. INTRODUCTION • 19 En France, l’action pionnière d’Angélique du Coudray à partir de 1759 lie irréversiblement, et pour des milliers d’accoucheuses, savoir scientifique, ensei- gnement et pratique du métier. Moins d’un demi-siècle plus tard, la loi du 19 ventôse an xi (10 mars 1803) conditionne officiellement l’exercice profes- sionnel à l’obtention d’un diplôme. La formation est donc ce qui permet, dès les années 1800, de parler de la sage-femme, au sens d’un unique corps profes- sionnel réglementé. Aux sources de l’identité : la formation La formation des sages-femmes est d’abord conçue pour répondre à une inquiétude démographique transformée en besoin social. Au-delà, elle pose après 1803 la question de la genèse d’une profession. La succession des projets règlementaires de la Révolution au Consulat détermine uniquement les exi- gences d’instruction et de contrôle du savoir, sans jamais prendre en compte la pratique quotidienne, manière de fonder l’officialisation de la profession sur l’obligation nouvelle d’apprentissage. Par cette obligation, la législation découple l’exercice professionnel de l’expérience personnelle de la parturition. L’aide aux femmes en couches ne procède donc plus de la maternité vécue mais d’un savoir revendiqué comme universel et généralisable. Le modèle dans la formation et la pratique est celui de la médecine. L’originalité de ce processus, c’est qu’il marche vite tant dans ses réalisa- tions scolaires (la plupart des écoles d’accouchement sont fondées avant 1840) que dans sa rapide intériorisation par les praticiennes, que ces dernières soient clandestines6 (matrones) ou légales. Les matrones perdent avec la loi de ven- tôse an xi la partie de la pratique publique et officielle de l’obstétrique. Non sans heurts, elles se maintiennent par la fidélité des populations et la bien- veillance de certaines autorités locales mais cèdent progressivement la place aux sages-femmes dans l’accompagnement des mères à partir des années 1860- 18807. La pacification relative du territoire de l’accouchement n’empêche pas à la fin des années 1890 de grandes campagnes du syndicat national des sages- femmes contre l’exercice illégal de l’art des accouchements ; mais elle produit aussi la « femme-qui-aide » étudiée par Yvonne Verdier, celle qui, au tournant 6. Léonard J., « Les guérisseurs en France au xix e siècle », RHMC , 1980, p. 501-516 ; Faure O., Les Français et leur médecine au xix e siècle , Paris, Belin, 1993, p. 29-40. 7. Sage Pranchère N., « Bébés sans diplôme. Les matrones, le droit et les légitimités locales en France, 1780-1900 », dans Barbulescu C., Ciupala A. (eds), Medicine, Hygienism and Society in XVIIIth-XXth centuries , Cluj-Napoca, Editura Mega, 2012, p. 25-54. 2 0 • L ’ ÉCOLE DES SAGES - FEMMES NAISSANCE D ’ UN CORPS PROFESSIONNEL des xix e et xx e siècles, « fait les bébés », mais ne touche pas la mère, qui n’a aucun diplôme mais connaît les vertus de la désinfection et de la propreté8. Du côté des sages-femmes officielles, le consentement à l’obligation de for- mation est quasi immédiat. Il témoigne du changement irréversible qui s’est produit dans l’approche de l’accouchement. Si les sages-femmes sont partie prenante de ce changement, c’est qu’elles en ont éprouvé l’intérêt sanitaire et qu’elles y trouvent un intérêt personnel. Les accoucheuses n’expriment aucune nostalgie d’un âge d’or que le processus de scolarisation aurait mis à mal. Le diplôme consacre la continuité d’un encadrement féminin de la naissance tout en le dissociant de la marginalisation sociale qui est le lot de la plupart des sages-femmes rurales jusqu’à la fin du xviii e siècle. Le diplôme reconnaît l’acte de l’accoucheuse comme un travail et ouvre le droit à la reconnaissance maté- rielle et sociale de ce travail. Ce consentement à la formation se lit à deux niveaux. Les sages-femmes ins- truites lors des cours du dernier quart du xviii e siècle dirigent naturellement leurs filles vers les écoles qui s’ouvrent au début du siècle suivant. Elles choi- sissent ainsi d’ignorer la petite latitude que la loi de ventôse laisse en théorie à l’apprentissage de l’art des accouchements auprès d’un médecin ou d’une autre accoucheuse, renonçant à perpétuer un mode interpersonnel de transmission. Sages-femmes professionnelles La sage-femme a donc très vite accepté de mettre sa formation entre les mains de tiers. Cette décision ne vaut pourtant pas renoncement à toute maîtrise des accoucheuses sur elles-mêmes. Les sages-femmes se professionnalisent, selon une évolution qui sera avec un bon demi-siècle de décalage celle des institu- trices ; leur formation est au cœur de cette dynamique de professionnalisation. Désignées comme l’une des seules corporations féminines d’Ancien Régime, les sages-femmes n’ont cependant jamais fait l’expérience du fonctionnement en métier pleinement constitué. Placées dans la dépendance des chirurgiens, les accoucheuses urbaines jurées trouvent à ce regroupement plus de limitations qu’elles n’y gagnent de reconnaissance9. Lorsque la loi de ventôse an xi établit un personnel médical régi nationalement et très largement uniformisé par rapport au foisonnement d’Ancien Régime, elle offre aux sages-femmes les conditions nécessaires à l’émergence d’une conscience professionnelle, même si elle réserve à l’État le soin de règlementer l’exercice du métier. Les scolarités font le reste. 8. Verdier Y., Façons de faire, façons de dire , Paris, Gallimard, 1979, p. 95-96 et 155. 9. Gélis J., La Sage-femme ou le médecin ..., op. cit ., p. 40-45.